UE : une vision institutionnaliste en manque d’horizon

UE : une vision institutionnaliste en manque d’horizon

Rouages économiques grippés, articulation avec le domaine politique loin d’être automatique… La crise a mis en lumière la complexification du processus d’intégration européenne et les limites de la vision institutionnaliste.

Drapeau de l'UE

Trois pas en avant. Deux pas en arrière. Dans le meilleur des cas… La politique européenne ne déroge pas à la règle. L’euro, qui se voulait un symbole d’unité, s’affiche désormais comme le révélateur d’un processus d’intégration qui demeure en gestation au sein même des institutions économiques, piliers s’il en est de l’Union Européenne.

En effet, si la politique monétaire commune peut paraître un gage d’unité, elle ne fait en réalité que mettre en valeur le problème de la multiplicité des prises de décisions budgétaires. Ainsi les politiques de relance de 2008 ont-elles sévèrement souffert de l’absence de coordination entre États européens. Les économistes, à l’instar de Jean-Claude Trichet, directeur de la Banque Centrale Européenne (BCE), dans une intervention aux Journées de l’Economie de Lyon (Jeco) le 10 novembre, insistent d’ailleurs sans surprise sur la nécessité d’un fédéralisme budgétaire. Et donc d’une coopération politique accentuée.

Paradoxe, cette même BCE, née de l’euro, a pour principale caractéristique son indépendance à l’égard des pouvoirs politiques. Indépendance qui ne fait qu’affaiblir davantage la vision institutionnaliste. Nombreux sont pourtant les économistes, notamment Jean-Paul Fitoussi de l’OFCE, à déplorer sans cesse le manque de liens entre versant économique et politique.

L’absence de coordination politique entrave les institutions économiques

Or, plus de vingt ans après la signature de l’Acte Unique, seules des décisions concertées pourront faire sortir les institutions économiques de l’état végétatif dans lequel elles se trouvent. Le marché unique européen à vingt-sept est loin d’être achevé et, dans son état de chantier, constitue un frein à la croissance et à la sortie de crise. Et l’échec économique induit de facto l’échec politique, en terme d’opinion publique. Dans ce contexte, difficile en effet pour les citoyens européens, comme le rappelait l’économiste Benoît Cœuré aux Jeco, de légitimer les nouvelles étapes de l’intégration politique.

Aucune réforme de l’Acte Unique ne pourra ainsi être envisagée sans aborder l’absence de gouvernance économique européenne, et plus particulièrement de la zone euro. La mise en place d’une gouvernance efficace permettrait en effet, selon Benoît Cœuré et Philippe Herzog, de se rapprocher d’une prise en charge globale des problèmes – qu’ils soient industriels, commerciaux ou monétaires – grâce à laquelle il deviendrait possible de stimuler de façon concertée l’investissement et le développement d’infrastructures et de capital humain.

Cependant, au vu des faiblesses du budget et de la fiscalité de l’Union Européenne, cette action publique n’est même pas pensable. D’où cette solution au manque de consistance du budget de l’UE, proposée par Jacques Le Cacheux, économiste de l’OFCE, dans la revue Regards Croisés sur l’Economie : la mise en place d’une Taxe européenne sur le Carbone Ajouté. L’objectif est d’alimenter les caisses de Bruxelles et de financer enfin une vraie politique climatique. Hélas, en ces temps de turbulences et de pressions financières, les États préfèrent garder, de façon un peu égoïste, les yeux rivés sur un autre objectif : leur stabilité budgétaire.

Décisions communes poussives et égoïsme de crise

Car, si la crise économique et financière a effectivement conduit l’UE à adopter des réformes concertées, il y a loin de la coupe aux lèvres s’agissant de solidarité et d’intégration. Au delà du Fonds de Stabilité Financière de 750 milliards d’euros créé lors de la crise grecque et des engagements de la coordination intergouvernementale de Von Rompuy – renforcement des contrôles, des sanctions et de la surveillance des modèles de croissance européens -, il ne faut pas oublier à quel point les États avaient été lents d’une part et réticents d’autre part à réagir à cette crise… Ils avaient alors livré la dette grecque en pâture aux spéculateurs. Le scénario ne semble toutefois pas se répéter en Irlande, à laquelle l’Union Européenne vient tout juste d’accorder un plan d’aide internationale.

Cette tendance actuelle à la culpabilisation des États déficitaires a le don d’exaspérer certains spécialistes, notamment les auteurs du Manifeste des économistes atterrés. D’abord parce que les PIGS (Portugal, Ireland, Greece, Spain) qui sont aujourd’hui montrés du doigt ne sont pas les premiers pays à s’écarter délibérément du sentier tracé par le Pacte de Stabilité et de Croissance. Leurs prestigieux prédécesseurs s’appelaient en effet France et Allemagne. Ensuite, parce que les mesures de rigueur prises à tour de bras partout en Europe sont, aux yeux de ces économistes, aberrantes : sous prétexte de rassurer les marchés financiers, elles ne pourront avoir pour effet que de tuer dans l’œuf la croissance tout en détériorant la justice sociale.

Cet accès de rigueur met en lumière le manque d’attrait pour l’intégration économique européenne, seule solution pourtant crédible à la reprise du processus d’intégration politique. Ainsi le président du think tank grec pour la politique européenne et étrangère (ELIAMEP), Loukas Tsoukalis, concluait-il son intervention aux JECO : « L’appétit européen pour l’intégration n’est pas encore là, alors espérons qu’il viendra en mangeant ! ».

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  1. Aaaaaah. Les pigs (a côté desquels l’Italie n’est pas loin), les banqueroutes, les politiques faiblardes, les sauvetages et les projections. Pas une nouvelle qui me fasse une coupe au lèvre pour reprendre une expression de l’article. Il y a pas un truc en Europe qui fasse un peu poiler. Dans votre blog de relations internationales, c’est expressément des relations géopolitiques ? Ou il y a-t-il moyen de mettre du beurre dans les épinards ? Enfin, bref, tu m’as compris, toi là-haut, qui lis ton premier commentaire depuis la naissance de inter-action, je suis prêt. Mais bon, je sais pas quelle politique éditoriale t’as dressé mais ça sent bon la clarinette et l’appui au mémoire de fin d’année. Du coup, je risque d’être censuré. Bref, on en reparle, j’ai un papier chaud sur le Mexique et comme c’est pas européen, je donnerai pas l’exclu à cafebabel. Longue vie à vous, jeunes puceaux. Et banzaï !!

    P.S (un ps relou par contre) : faites attention aux fautes merde.

    • Le retour de Philippon… Pour ce qui est du beurre dans les épinards, c’est effectivement au programme. Je reconnais bien là ton attention toute particulière à la ligne éditoriale. J’attends ton papier sur le Mexique. On discutera de la censure au cas par cas puisque je sais que ton vocabulaire peut parfois être particulièrement outrancier :). Et merci pour le jeune puceau, c’est toujours un plaisir de m’entendre appeler comme ça. Adishatz 🙂

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