Octobre 1961 à Paris : ici on noya les Algériens

Octobre 1961 à Paris : ici on noya les Algériens

En salle actuellement : Octobre à Paris et Ici on noie les Algériens. Deux films, un même thème : le massacre des Français musulmans d’Algérie à Paris le 17 octobre 1961. Et un espoir : la reconnaissance par l’Etat français de violences longtemps passées sous silence.

Image tirée du documentaire « Ici on noie les Algériens »

En chiffres ramassés, ça donnerait ça : des milliers d’arrestations, des centaines d’Algériens jetés à la Seine, cinquante ans, deux films. Parmi les 20 000 Algériens ayant manifesté pacifiquement en ce 17 octobre 1961, pas moins de 12 000 ont été arrêtés, puis parqués dans divers endroits de Paris : Palais des Sports, Vincennes, commissariats.

Question cadavres, on a repêché dans la Seine cent cinquante à deux cents corps avant même le 17 octobre. Autant pendant, et après. Fournies par l’historien Jean-Luc Einaudi, ces estimations laissent imaginer la violence des répressions policières. Sortis en salle le mois dernier, les deux films permettent justement de s’en faire une idée très précise. Grâce aux images tournées par Jacques Panijel d’une part, entre octobre 1961 et mars 1962. Et grâce au travail de Yasmina Adi d’autre part, fondé sur des images d’archives.

Couvre-feu : la goutte d’eau …

C’est la protestation contre le couvre-feu, instauré par le préfet de police de Paris Maurice Papon, le 5 octobre 1961, qui met le feu aux poudres. Le même Maurice Papon qui, de triste mémoire, contrôla à partir de 1942 à la préfecture de la Gironde, le Service des affaires juives et participa à la politique d’arrestation et de déportation.

Réservé aux Algériens de Paris, les dits « Français musulmans d’Algérie », le couvre-feu reste, selon l’historien Gilles Manceron, ancien vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme « une mesure discriminatoire et anticonstitutionnelle ». Car à l’époque et selon les mots de François Mitterrand, « l’Algérie c’est la France » et trois départements français sont encore directement administrés par le ministère de l’Intérieur. Comment distinguer alors les « Français musulmans d’Algérie », si ce n’est au faciès ?

Une chose est sûre, la justice en a pris un coup. Ainsi, cet extrait de la définition de crime contre l’humanité, « attaque généralisée et systématique contre une population civile » pourrait correspondre sans mal aux violences systématiques subies par les Algériens de Paris. Cependant, pour Gilles Manceron, la solution n’est pas à chercher du côté de la justice, mais de l’éclatement de la vérité. D’où sa contribution aux deux films en question.

Deux films, deux approches

Octobre à Paris et Ici on noie les Algériens éclairent d’un jour différent ce 17 octobre. L’un offre le regard d’un homme, – Jacques Panijel –, l’autre celui d’une femme – Yasmina Adi. Et le détail a son importance. Si Octobre à Paris regorge de témoignages masculins – les hommes furent effectivement les principales victimes de cette chasse aux sorcières –, Yasmina Adi s’est davantage concentrée sur la parole des femmes, comme le laisse entrevoir la bande-annonce de son film.

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Plus d’un point commun rapprochent néanmoins les deux films, à commencer par la crudité des images et des témoignages. Recueillis par Jacques Panijel dans Octobre à Paris, les propos d’un Algérien torturé fichent la chair de poule. « Je peux vous montrer les traces » dit-il en toute innocence, accompagnant le geste à la parole. Âme sensible, s’abstenir.

Mais on rit aussi ! Et c’est là la force de ces deux films. A cinquante ans d’intervalle, les deux réalisateurs ont su garder le recul nécessaire pour rire de l’absurdité de ces violences macabres. Jacques Panijel s’adresse à la cantonade à tout un groupe de jeunes Algériens : « Messieurs, que ceux d’entre vous qui ont été torturés lèvent le doigt. » Tous lèvent la main. Humour noir, certes, mais pas seulement.

L’œil frondeur et non sans une certaine fierté, l’une des femmes interrogées par Yasmina Adi se remémore les slogans savoureux de l’époque. En français dans le texte : « De Gaulle, au poteau ! Jacques Soustelle à la poubelle ! » Malgré les sourires, on n’en oublie pas moins l’essentiel : cinquante ans plus tard, cette hécatombe n’est toujours pas reconnue par l’Etat.

Cinquante ans : de l’eau a coulé sous les ponts

La reconnaissance par l’Etat français des répressions policières à l’encontre des Algériens le 17 octobre 1961, voilà ce pour quoi milite Mehdi Lallaoui. Président de l’association « Au nom de la mémoire », il a apporté son soutien à la diffusion des deux films. Il est également le réalisateur de la préface au film de Jacques Panijel. Et en partenariat avec le site Mediapart, il a lancé récemment un appel pour «une nouvelle fraternité franco-algérienne».

Entre autres manifestations et événements destinés à la médiatisation de ce massacre, les deux films contribuent donc à perpétrer la mémoire des noyés Algériens. Dans ses Thèses sur le concept d’histoire, Walter Benjamin écrivait : « Le don d’attiser dans le passé l’étincelle de l’espérance n’appartient qu’à l’historiographe intimement persuadé que, si l’ennemi triomphe, même les morts ne seront pas en sûreté. » Les victimes du 17 octobre 1961 ont longtemps flirté avec l’oubli. Cinquante ans plus tard, nul ne peut les ignorer.

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