Falan Filan (1)

Falan Filan (1)

Classe Internationale a le plaisir de vous proposer un nouveau rendez-vous, Falan Filan[1]. Une fois par mois, Ilan Berlemont décortique pour vous l’actualité turque afin de vous en livrer le meilleur.

Février aura été marqué par la nouvelle demande du Premier ministre turc à l’attention du PKK de rendre les armes , les débats autour du projet de réforme constitutionnelle,  et la mise à l’index d’un livre d’Amin Maalouf. Retour sur les évènements.

Dessin original d'Ilan Berlemont
Dessin original d’Ilan Berlemont

 

Politique intérieure/société civile :

Question kurde

Samedi 16 février, le processus d’Imralı[2], successeur de la défunte « ouverture démocratique » censée apporter, via des négociations, une solution durable à  la question kurde, a fait l’objet d’une tentative de relance de la part du Premier ministre turc.  Recep Tayyıp Erdoğan a appelé le PKK à déposer les armes, tout en invitant les kurdes de Turquie à entrer dans le processus d’Imralı. Ce discours tenu à Mardin, ville du Sud-Est anatolien, majoritairement peuplée de kurdes, prend place alors que le triple meurtre de militantes kurdes un mois plus tôt à Paris avait attisé les méfiances entre les acteurs du processus, menaçant son efficacité.  Ainsi, le même jour à Strasbourg, des slogans exigeant un  jugement exemplaire de l’affaire par la justice française, se sont ajoutés au traditionnel défilé de février en faveur de la libération d’A. Öcalan[3] qui a mobilisé entre 10.000 et 45.000 manifestants. Il est plus que probable,  que le choix de cette date par Ankara, ait eu pour vocation d’éclipser, autant que d’incarner l’alternative, face à cette démonstration de force des militants kurdes, dont les violentes émeutes ont fait le même jour en Turquie d’importants dégâts matériels.

Réforme constitutionnelle

Promise par l’AKP[4], la nouvelle Constitution turque, ou l’éventuelle révision de l’ancienne, vise, entre autres, à l’évolution vers un régime présidentiel. Les questions relatives à la place de la religion et du patriotisme dans la société comptent également parmi les enjeux majeurs du projet. Au cours d’un entretien accordé à J.Marcou et J.P. Burdy,  le juriste turc et figure des Droits de l’Homme en Turquie, İbrahim Kaboğlu, a fait part de ses réserves quant aux tractations en cours. Il apparaît que l’AKP tendrait à s’accorder avec les députés du BDP, représentants de l’aile modérée des autonomistes kurdes. L’AKP trouverait auprès d’eux les voix qui lui font défaut depuis juin 2011, pour parvenir à une majorité des 2/3, nécessaire à l’élaboration de la nouvelle Constitution. En adéquation avec le paysage politique turc, les points de friction sont les suivants : l’AKP demande notamment à maintenir, voire à renforcer le poids de la religion dans la société ; le CHP, principal parti d’opposition, de tradition kémaliste/socialiste, se crispe autour des questions d’unité nationale, ce qui l’amène parfois à s’opposer aux députés kurdes du BDP. De fait, ces derniers pourraient reporter leurs poids électoral vers les positions de l’AKP, plus enclin à élargir l’autonomie des provinces de l’Est, ainsi qu’à nouer le dialogue avec la communauté kurde de Turquie.

Affaires internationales

Politique étrangère et diplomatie

L’élection à Chypre d’un partisan du défunt plan Annan pour la réunification ne saurait toutefois présager d’une future évolution de la question chypriote. Les nouvelles rivalités autour de l’exploitation des gisements gaziers et pétroliers récemment découverts au large de l’île, ont largement empoisonné le processus de négociation. On retiendra d’ailleurs, que lors de cette campagne, les questions économiques ont nettement éclipsé le débat inhérent à la vie politique de l’île, à savoir la division de Chypre.

Sécurité/stratégie

La crise syrienne est actuellement la préoccupation majeure de la Turquie en matière de sécurité.  Les liens entre le PYD (parti kurde indépendantiste syrien) et le PKK inquiètent en plus haut lieu. La Turquie veut éviter à tout prix de voir émerger une zone grise à sa frontière sud, de surcroît difficile à contrôler. Une alliance avec les autonomistes modérés, notamment via Erbil, permettrait d’éviter la radicalisation du conflit alors qu’un semblant d’entité autonome kurde semble émerger au Nord de la Syrie. Les efforts déployés par Ankara pour se rendre plus populaire dans les provinces de l’Est ont probablement pour but subsidiaire de marginaliser les éléments les plus turbulents des groupes indépendantistes kurdes.  Sur le terrain, des rumeurs prétendent qu’Ankara fournirait un soutien logistique à des groupes rebelles anti-PYD agissant au nom de l’unité syrienne ou de visions fondamentalistes de l’Islam, telles les brigades Salahadeen.  Aucune source sérieuse ne confirme cette hypothèse à l’heure actuelle. Cependant, la manipulation de milices islamistes anti-PKK par les services de sécurité turcs a été évoquée par le passé, alors que la Turquie était dirigée par un autre gouvernement.

Vie culturelle

La Turquie a récemment levé l’interdiction de publication de 450-500 ouvrages, auparavant jugés dangereux ou immoraux, parmi lesquels on trouve les œuvres de Karl Marx, ou celles du poète communiste Nazim Hikmet[5]. Malheureusement, c’est désormais Samarcande (1988), biographie romancée du poète persan Omar Khayam, écrite par Amin Maalouf[6] qui fait l’objet d’une enquête de la part du Ministère de l’Éducation turc. Les Rubayats incisifs et enivrés du poète, sont, un millénaire plus tard, toujours d’actualité. La marque des chefs-d’œuvre.

 Allons ! Jette de la poussière au visage du ciel et de la terre !

Sans arrêt bois du vin ! tourne autour des jolies !

Une place pour la prière, pour Dieu, où la trouver ?

De tous ceux qui sont partis, pas un seul n’est de retour ![7]

 


[1] Littéralement, « blablabla » ou « etc. » en turc.

[2] Imralı :  Nom d’une prison de haute sécurité située sur une île au large d’Istanbul. Abdullah Öcalan, chef historique du PKK, y purge une peine de prison à vie, depuis son arrestation au Kenya  en 1999.

[3] Le fait que l’AKP ait décidé d’inclure Öcalan,  symbole de la guérilla kurde en Turquie – toujours en lien avec les forces actives du PKK via ses avocats – dans ce nouveau processus de négociation, lui a valu le surnom de Processus d’Imralı .

[4] Le parti au pouvoir en Turquie depuis 2002.

[5] Prix international de la Paix en 1955.

[6 Membre de l’Académie française depuis 2011.

[7] KHAYAM Omar, Rubayat, traduction Armand Robin, NRF Gallimard, 1994, page 59.

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