Fiche de lecture : Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia.

Fiche de lecture : Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia.

Bill Hayton, The South China Sea: The Struggle for Power in Asia, New Haven and London: Yale University Press, 2014, 320 p., ISBN 978-0-300-18683-3

JORIS

Avant de publier The South China Sea: The Struggle for Power in Asia, Bill Hayton, journaliste anglais reporter pour la BBC a publié un travail sur le Vietnam en 2010.[1] Présent au Vietnam et en Birmanie lors de la rédaction du présent ouvrage, il a interviewé plusieurs personnalités impliquées dans les conflits territoriaux entre la Chine, le Vietnam et les Philippines principalement. Ces disputes s’inscrivent dans un contexte général de montée en puissance de la Chine, vue comme une menace pour ses voisins ainsi que pour la stabilité de la région. Les revendications territoriales chinoises en mer de Chine méridionale sont ainsi à inscrire dans un ensemble plus large. Elles représentent une composante fondamentale de la stratégie militaire et économique de Pékin. La zone, au potentiel conflictuel avéré, se trouve au centre de la stratégie du pivot asiatique américain. Témoin de l’importance fondamentale de la région pour les spécialistes, The South China Sea fait écho à d’autres ouvrages parus récemment dont celui de Robert Kaplan[2] et celui de Robert Haddick[3]. Entre protection et projection militaire, accaparement et sécurisation de ressources pétrolières ou halieutiques, contrôle des routes maritimes vitales à l’économie et volonté de démonstration de puissance, c’est à l’ensemble des questions relatives à la mer de Chine méridionale que Bill Hayton apporte un éclairage historique.

 

Selon Bill Hayton, la région est historiquement un lieu de connexions, d’échanges entre les peuples et les nations avoisinantes plutôt qu’un lieu approprié par un seul État. Exprimées depuis le début du XXème siècle, les revendications territoriales des États de la région sur la mer de Chine méridionale vont donc à l’encontre de certaines dynamiques historiques. Ces revendications sont le fruit de l’intégration du modèle d’Etat-nation dans la région par lequel le territoire y est uniquement conçu comme la propriété d’une seule entité politique alors qu’il n’était historiquement la propriété exclusive d’aucun. En effet, la Chine n’ayant jamais été une puissance maritime sur le long terme. L’Etat chinois n’a pas été un acteur primordial de la zone avant la deuxième moitié du XXème siècle. Ainsi, les revendications chinoises ne paraissent pas historiquement fondées. Selon les recherches de Bill Hayton, ceux qui contrôlaient matériellement les îles étaient des marchands et des puissances qui faisaient la jonction entre l’océan Indien et la Chine. Cependant, leurs filiations avec des États actuels sont particulièrement difficiles. Certains territoires aussi, comme les îles Paracels, étaient inconnus des États du fait de l’existence de mythes (comme celui du Wan-li Shi-tang) décourageant les navigateurs. Ainsi, les premières cartes fiables de la région indiquant les îles Spratly et Paracels ont été réalisées par un Anglais au tout début du XIXe siècle. Marqueur du peu de connaissances concrètes qu’ils avaient de la région, les géographes chinois ont par exemple nommé les lieux en mer de Chine méridionale au XXème siècle à partir des noms initialement attribués par les Européens.

Hayton, en présentant les bouleversements induits par l’intégration du modèle d’Etat-nation dans la région, semble y trouver l’origine de la difficulté à recourir à l’outil juridique international pour régler les conflits actuels. Avant la colonisation de la région par les puissances européennes, les modes de fonctionnement politique initialement présents dans la région, profondément différents, étaient constitués sur la forme du Mandala : un pouvoir central autour d’une personne dont l’autorité décroît au fur et à mesure de l’éloignement. Il existait ainsi des zones de transition de pouvoir et des zones où personne n’exerçait aucun pouvoir. Le modèle européen de l’Etat apportant la notion de territoire et de frontière a brisé un mode de fonctionnement particulièrement adapté à une région constituée majoritairement d’îles car : « les Européens ont dessiné des cartes et de nouvelles lignes. Par ce procédé, ils ont répandu de nouvelles façons de penser les deux. Ce fut la transition d’un mode de pensée à l’autre, du système de Mandala au système Westphalien qui a laissé un héritage de confusion historique » (p. 60). La colonisation, la décolonisation et l’essor des nationalismes ont par la suite fait de la région une véritable poudrière où les filiations des populations et des territoires avec des États nouvellement créés revêtaient des dimensions géopolitiques particulièrement sensibles.

Au vu de la complexité de la situation et de la fragilité des preuves juridiques soutenant leurs revendications, les États ont préféré une course à l’occupation matérielle des îles plutôt que d’avoir recours à la Cour internationale de justice durant la seconde moitié du XXème siècle : « présenter le litige devant la CIJ requerrait l’accord de toutes les parties prenantes et comme aucune ne saurait avoir confiance dans l’issue du verdict, il existe peu d’incitation à se mettre d’accord » (p. 119). La région concentre en effet plusieurs problèmes juridiques difficiles à résoudre. Tout d’abord, la décolonisation a rendu délicate la continuité des États. Ensuite, la légalité des preuves (publications officielles) a été perturbée par une histoire mouvementée (contexte de guerre froide avec la guerre du Vietnam notamment). Finalement, la partition de l’Etat chinois en une République populaire de Chine et une République de Chine (Taïwan) a rendu la position chinoise ambivalente. Le fait qu’une résolution juridique du conflit soit pour le moment hors de portée n’a pas pour autant empêché les États de se lancer dans l’occupation matérielle des îles et de se fonder sur le droit de la mer pour revendiquer l’espace maritime constitué par les eaux encerclant les îles nouvellement occupées.

Le droit sur lequel se fonde les États pour asseoir leurs revendications territoriales est essentiellement constitué par l’UNCLOS[4]. Tout l’enjeu semble aujourd’hui reposer sur des questions de mer territoriale (12 miles nautiques), de zone économique exclusive (ZEE, 200 miles nautiques), de définitions juridiques des îles, rochers, bancs de sable et autres termes techniques afin de savoir qui peut légalement accaparer quelles ressources des fonds marins. Une des conditions posées par le droit international précisant que les îles doivent être capables d’accueillir un habitat et une vie économique pour se voir reconnaître la qualité de territoire, celle-ci a favorisé l’importance de la construction d’habitations, d’écoles, d’hôtels touristiques et de relais de pêche sur les îles disputées afin de pouvoir étendre une potentielle ZEE. C’est donc dans une guerre sur le long terme pour l’occupation des différentes îles que les États semblent s’être engagés.

Si le résultat des disputes territoriales paraît être une guerre d’influence livrée par les États et leurs compagnies pétrolières pour le droit à la prospection de ressources pétrolières (dont la profusion est aujourd’hui discutée), en réalité, le plus grand enjeu réside dans le contrôle des voies d’approvisionnement qui transportent beaucoup plus d’hydrocarbures que le sol de la mer de Chine méridionale n’en contient. Ainsi, le véritable ressort des revendications territoriales se trouve dans la sécurisation des voies maritimes et peu dans la prise de contrôle des ressources énergétiques : « la mer de Chine méridionale est maintenant beaucoup plus importante pour les hydrocarbures qui naviguent dessus que pour ceux qui reposent dessous. (…) Un tiers du pétrole et la moitié du gaz naturel liquéfié du monde passent par le détroit de Malacca en direction de la Chine, de Taïwan, de Corée et du Japon » (p. 150).

Pékin et ses voisins, en jouant sur le nationalisme comme moteur de leurs revendications territoriales tentent de donner l’image de gouvernements poussés à l’action par le nationalisme de leurs populations. La stratégie semble être d’exposer une pression interne pour justifier l’adoption d’une position déterminée à l’extérieur. Cependant, l’ampleur de la pression intérieure parait forgée : « le roulement de tambours et l’agitation de symboles représentent une manne pour des éditeurs enclins à rendre intéressantes les disputes à une audience qui n’y comprend rien, mais c’est un mauvais indicateur de la réalité. Les gouvernements chinois et vietnamien se laissent rarement influencer par l’opinion publique sur des sujets relevant de la politique étrangère, les chances d’un mouvement cohérent devenant influant aux Philippines sont rares et ailleurs dans la région, il n’y a que peu d’intérêt public vis-à-vis des disputes » (p. 179). Le jeu politique chinois se fonde toutefois sur un terreau existant qui soutiendrait probablement un conflit ouvert entre la Chine et un voisin régional en cas d’actions, à l’initiative de celui-ci, directement contraires aux revendications chinoises. Il semble en effet envisageable qu’une population à laquelle il a été inlassablement répété que la mer de Chine faisait indiscutablement partie intégrante de son territoire soutienne la protection de ce qu’elle considère comme une zone de souveraineté indéniable.

Si la situation en mer de Chine méridionale semble stable pour le moment, les dynamiques du budget militaire chinois relevées par B. Hayton semblent appuyer l’hypothèse de l’avènement de tensions entre la Chine et les États-Unis quant à l’hégémonie sur la région. En guise de conclusion à son ouvrage et tout en précisant que le règlement des différends territoriaux est pour le présent mal engagé, B. Hayton relève qu’il serait bénéfique que la région fasse l’objet d’une coopération et d’une cogestion accrue plutôt que de prendre le risque de persévérer dans le jeu des revendications nationales, sources de tensions et de conflits.

 

Mon avis

La forme de l’ouvrage de Bill Hayton rend sa lecture particulièrement agréable. La rédaction narrative de type journalistique s’éloigne des codes académiques et permet une lecture plaisante. Le fourmillement des anecdotes, particulièrement éclairantes pour rétablir le cours de l’histoire (avec la mention des personnages clés et la mise en situation de certaines rencontres et découvertes) se construit majoritairement autour d’histoires individuelles. Hayton semble ainsi verser dans un type particulier d’analyse historique avec la prédominance des individualités sur les logiques de fonds d’origine institutionnelle. Cependant, Hayton insiste suffisamment sur les logiques de long terme et l’importance des institutions dans la formation de l’histoire en remontant jusqu’à la préhistoire pour qu’il ne lui soit fait aucun reproche de type historiographique. L’académique sera cependant véritablement dérouté par l’absence d’une bibliographie formelle en fin d’ouvrage et la présentation anglo-saxonne reléguant les notes en fin de volume s’avère gênante. D’une manière générale, The South China Sea fournit une approche globale et véritablement didactique de la question des disputes territoriales en mer de Chine méridionale pour les profanes et des anecdotes suffisamment détaillées pour que les spécialistes y trouvent de nouvelles pistes de réflexion.

 

[1] HAYTON Bill, Vietnam: Rising Dragon, New Haven and London: Yale University Press, 2010, 272p.

[2] KAPLAN Robert D., Asia’s Cauldron: The South China Sean and the End of a Stable Pacific, New York: Random House, 2014, 256 p.

[3] HADDICK Robert, Fire on the Water: China, America, and the Future of the Pacific, Annapolis: Naval Institute Press, 2014, 288 p.

[4] United Nations Convention on the Law of the Sea, Convention des Nations unies sur le droit de la mer, du 10 décembre 1982

Joris Boutin

ClasseInternationale

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