Daech, naissance d’un état terroriste

Daech, naissance d’un état terroriste

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Le documentaire Daech – naissance d’un état terroriste, réalisé par Jérôme Fritel et Stéphane Villeneuve, diffusé sur Arte le 10 février, était l’objet de la conférence du Comité Moyen-Orient de l’ANAJ-IHEDN du 3 mars.

 Jérôme Fritel et Stéphane Villeneuve sont partis pendant un mois en Irak afin d’enquêter sur l’organisation terroriste Daech. Leur démarche est simple : expliquer l’émergence de l’organisation, les raisons de son succès et rendre la compréhension du phénomène accessible à tous. Cette démarche de vulgarisation ne manque pas d’alimenter les critiques.

 La conférence a débuté avec la projection du documentaire. Celui-ci est disponible en VOD sur le site d’Arte où vous trouverez une description du reportage : http://www.arte.tv/guide/fr/056621-000/daech-naissance-d-un-etat-terroriste

(vous le trouverez également sur youtube ou dailymotion)

 À la suite du film, les réalisateurs évoquent les difficultés rencontrées ainsi que ce qui les a le plus marqué.

 Jérôme Fritel : Nous avons réalisé ce reportage en peu de temps. Entre septembre et octobre 2014, le projet était monté et nous avions passé un mois en Irak. Ce qui m’a le plus marqué, c’est la frontière poreuse entre les territoires contrôlés par l’organisation et les territoires classiques avec la présence d’un poste-frontière officiel. Le gouvernement de Bagdad continue à payer les fonctionnaires vivant sur les territoires occupés, ceux-ci font des aller-retour entre les territoires occupés et la ville de Kirkouk afin de recevoir leur salaire. C’est un fonctionnement qui s’installe sur la durée, avec une frontière quasiment officielle et qui s’inscrit dans le quotidien de nombreuses familles.

 Stéphane Villeneuve : Les journalistes ont de réelles difficultés pour couvrir ces conflits. Pour nous-mêmes, qui avons l’habitude de ce genre de conflits, il n’était pas question d’aller chercher les coups, parce qu’on savait qu’on les trouverait. Il faut repenser notre travail : c’est une dynamique où on n’aura qu’un écho de la situation sur place à moins d’être suicidaire. Comment alors couvrir le phénomène ? Daech a déjà gagné la guerre de l’information. Les gens là-bas sont très aguerris et vouent une haine viscérale à l’occident. Ils disposent d’un vrai pouvoir avec internet. Notre présence est signalée, nous sommes évidemment repérés et on ne peut plus communiquer par les réseaux. Ils exercent un contrôle beaucoup plus important que ce que l’on a pu imaginer. Daech sait exactement comment faire passer ses messages. C’était une difficulté pour nous lors du tournage de ne pas tomber dans la propagande de Daech.

La suite de la conférence consistait en questions de l’auditoire aux réalisateurs.

  •  Avez-vous utilisé des moyens de sécurisation des communications ? (chiffrages, sites particuliers…) Pouvez-vous donner des précisions sur le fonctionnement financier interne de Daech ?

 Jérôme Fritel : Nous avons peu utilisé de sécurisation des communications car nous avions surtout un contact direct avec les gens et n’en avons pas eu besoin. Il est difficile de travailler sur l’aspect financier de l’organisation. Les chiffres qui circulent sur les ressources dont dispose Daech sont basés sur les richesses qu’il y avait sur les territoires au moment où ils ont été perdus, ce sont des chiffres antérieurs, à un instant T et on ne sait pas comment ces chiffres évoluent. Il est très difficile de savoir comment ils fonctionnent en interne. Est-ce qu’ils profitent du système international ? Sans doute. Il y a des succursales bancaires sur les territoires de Daech, j’ai retenu le nombre de 24 succursales. Il a été décidé de ne pas les placer sous embargo pour ne pas pénaliser la population et ne pas les pousser dans les bras de Daech. En interne, ils fonctionnent avec du cash, ce qui les met à l’abri des mesures extérieures. Ils ont beaucoup appris d’Al Qaida mais on ne sait pas comment fonctionne leur circuit financier.

  •  Quelles avancées technologiques pouvons-nous utiliser pour lutter contre Daech ?

 JF : La réponse militaire a déjà commencé avec l’offensive militaire pour reprendre Tikrit et la coalition menée par les Etats-Unis qui ont pris la décision d’affronter Daech sans troupes au sol, excepté l’envoi de quelques forces spéciales. Le pari est de reconstruire l’armée irakienne. L’offensive à Tikrit ces jours-ci va servir de test et déterminera la grande bataille pour Mossoul. Mais le combat n’est pas uniquement militaire. Il y a des problèmes politiques, un problème de vide politique en ce qui concerne les sunnites. Quelle représentation pour les sunnites ? Quelle place leur donner ? Il y a par ailleurs des difficultés de légitimité pour les occidentaux liées aux reproches faits aux Américains suite à l’intervention de 2003, ou pour l’intervention en Libye ou encore les reproches sur la non-intervention en Syrie.

  •  Que pensent les Irakiens de leur gouvernement ?

 JF : Les Irakiens sont épuisés par des décennies de guerre, de pénurie, etc…Ils rêvent tous de l’exode. Ils en veulent à Al Maliki, l’ancien premier ministre. Pour eux, il a une part de responsabilité en ayant écarté les sunnites des postes de responsabilité. Après la chute de Mossoul, Al Maliki a quitté son poste. Son successeur est là depuis seulement quelques mois, il faut voir ce qu’il pourra mettre en place. La clé irakienne est dans la partition.

  •    Je souhaite apporter des précisions sur Al Baghdadi. Il a une réelle légitimité. Il se revendique de la tribu de Mahomet (Quraiche), est diplômé de droit islamique, et se considère comme le mahdi en tant que descendant de Mahomet. Il a été emprisonné dans la prison américaine et relâché durant l’année 2004 alors qu’officiellement il aurait été relâché en 2009.

(Pour en savoir plus sur Al Baghdadi http://www.rfi.fr/moyen-orient/20140707-abou-bakr-al-baghdadi-le-calife-jihad/ )

  •  Quelle est la part de responsabilité des occidentaux et des pays arabes? L’opposition syrienne a été soutenue et armée par la France, quelle est sa part de responsabilité ?

 JF : La France n’a pas favorisé l’émergence de Daech qui est une organisation irakienne, née sur les décombres d’Al Qaida et qui a grandi à la faveur de la guerre civile syrienne. En Syrie, 50% des combattants sont étrangers et 50% Syriens. En Irak, 90% des combattants sont Irakiens. Ils ne veulent pas des combattants étrangers, ils ont leur mouvement à eux et sont en guerre depuis 15 ans, ils n’ont pas besoin d’aide.

  •    Au sujet de vos méthodes de travail : les témoignages recueillis sont-ils des coups de chance, avez-vous travaillé avec les peshmergas ?

 JF : La scène à la frontière est très importante. Nous avons mis beaucoup de temps à y accéder. Les peshmergas ne voulaient pas de caméra pour ne pas que l’on montre leurs positions, leurs lignes de défense. Nous avons dû obtenir une autorisation des autorités kurdes pour filmer. Lorsque nous sommes passés en zone grise, dans une sorte de no man’s land, nous n’étions plus chez les kurdes et n’avions plus de sécurisation. Ça grouillait d’espions, d’informateurs. Il ne fallait pas traîner. C’était compliqué d’interroger les gens, beaucoup ne veulent pas parler. Il règne une terreur diffuse  alors qu’ils sont du côté kurde, sécurisé. Il s’agit aussi de dire ce qui conviendra aux kurdes qui sont autour. Nous avons eu un vrai coup de chance pour l’homme qui ose nous parler de ce qui se passe sur les territoires de Daech et parler de moyen-âge. Il a parlé pour les autres. Il parlait anglais, c’était donc un témoignage direct; ce qui le rend d’autant plus précieux. Sinon, nous avions toujours un interprète voire une double traduction  kurde/anglais.

D’autres interventions ont souligné des amalgames entre religion et ethnie notamment dans le rapport kurdes, sunnites, chiites ainsi que l’omission de la question chrétienne. A été soulevée l’absence de référence au rôle de l’Arabie Saoudite, du Qatar, de l’Iran, et des approximations sur le rôle de la Turquie. Certains ont regretté l’absence d’analyse sur la question des occidentaux partant faire le djihad. Le réalisateur s’est défendu en rappelant l’extrême complexité du sujet et le format de 52 minutes dont il disposait pour réaliser le documentaire. Il a rappelé que l’objectif du reportage est d’expliquer le plus clairement possible de quelle façon l’organisation a émergé, quelles sont les ressources dont elle dispose, quelles sont ses possibilités de développement, et surtout de rendre ces explications digestes dans un format réduit. Mais les interventions ont, en général, pointé du doigt l’absence d’une réelle analyse géopolitique et d’une présentation des forces régionales, essentielle pour expliquer et comprendre la situation.

 L’ambiance électrique de ce débat, où chacun cherchait à rendre justice à l’une ou l’autre des parties, à chaque religion, ethnie ou idée, témoigne de la complexité du phénomène. L’agressivité de ton pour certains, le mépris pour d’autres, se nourrissent d’incompréhensions, de méfiances réciproque face à cet imbroglio qui laisse les plus grandes puissances démunies. Ce documentaire est parmi les premiers sur le sujet, un des premier qui cherche à mettre à la portée de tous des questions essentielles. Il faut espérer qu’ils seront nombreux à venir éclairer les multiples zones d’ombres qui couvrent cette région.

 

Voici un article critique du reportage : http://conops-mil.blogspot.fr/2015/03/tordre-le-cou-au-mythe-de.html?m=1

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