« La jeunesse arménienne exige des réparations »,  entretien avec un militant dans une association arménienne à Paris

« La jeunesse arménienne exige des réparations », entretien avec un militant dans une association arménienne à Paris

Dans le cadre de la semaine « Arménie » commémorant le centenaire du génocide arménien, Classe Internationale vous propose d’aller à la rencontre d’un membre actif de l’association de jeunesse reliée à la Fédération Révolutionnaire Arménienne à Paris. Nous avons ainsi pu poser nos questions à Hratch, militant dans la même association que le jeune qui avait lancé un liquide rouge sur l’ambassadeur turc en mars dernier pour dénoncer la politique de l’Etat turc vis-à-vis de ses minorités, ses journalistes et ses étudiants ainsi que pour son négationnisme et son soutien à l’Etat islamique.

11115711_953603821337943_352305099660341675_n

Né en France de parents arméniens eux-mêmes nés en Turquie et en Syrie, Hratch n’a pas grandi en Arménie mais a entendu parler du génocide depuis son enfance. Particulièrement intéressé par les relations internationales, puis étudiant en science politique, il se forme largement à partir de diverses lectures. A partir de ses recherches, il se refamiliarise avec la langue arménienne pour finalement faire son premier voyage sur la terre de ses ancêtres en 2014.

En 2012, il rejoint l’association Nor Seround, « Nouvelle Génération », fondée en 1945  et représentant la jeunesse de la Fédération Révolutionnaire Arménienne, parti créé en 1890. En Arménie, la FRA est aujourd’hui un parti parlementaire socialiste d’opposition qui a cependant choisi de boycotter les deux dernières élections présidentielles afin de dénoncer la corruption ambiante. En 1923, elle met fin à la chasse à l’homme qu’elle mène depuis 1919 contre les commanditaires du génocide. Une organisation plus radicale, l’ASALA (Armée Secrète Arménienne de Libération de l’Arménie), est créée en 1975 mais elle est largement contestée pour son mode d’action : « l’ASALA n’a pas de lien ni soutien de la part de la FRA, ils ont mis fin à leurs actions à la fin des années 1980. Là où ça a été très fortement critiqué, c’est que c’était pas des assassinats ciblés mais c’étaient surtout des attentats, notamment celui d’Orly, qui visaient des civils ».

Hratch entre dans l’association au moment où la loi qui pénalise le négationnisme est votée en France avant d’être toquée par le Conseil Constitutionnel. Quand on lui demande les raisons de son choix, il explique que « c’est l’association la plus visible au niveau militant en France. En fait, c’est ma mère qui m’avait poussé à entrer dans les associations arméniennes pour que je vois un peu le milieu. J’ai choisi cette association-là parce que c’est celle qui correspondait le plus à mes idées et qu’elle était plus militante ». En effet, la ligne du mouvement est fondée sur l’exigence de « réparations » du génocide par l’Etat turc et non plus seulement d’une simple reconnaissance: l’Etat turc doit payer au niveau moral mais aussi au niveau financier les conséquences de ses actes. On comprend la difficulté de cette ligne lorsque l’on apprend que cela sous-entend aussi la restitution d’une partie du territoire turc appartenant à « l’Arménie wilsonienne » telle qu’elle a été dessinée en 1918 lors du Traité de Sèvres puis supprimée par le Traité de Lausanne. « C’est très compliqué parce qu’il y a eu aussi une politique turque d’installer des Kurdes dans cette région; ils ont utilisé les Kurdes pendant le génocide et ils ont continué à les utiliser après la fondation de la République ».

L’association s’est bien entendu positionnée en fer de lance pour le vote de la loi d’interdiction du négationnisme. Elle co-organise chaque année la Veillée des Jeunes du 23 avril, veille de la date du début du génocide. Elle est aussi membre du Conseil de Coordination des Associations Arméniennes de France (CCAF) qui est principalement chargé d’organiser le 24 avril. Ensemble, ils organisent également la commémoration des pogroms de 1988 qui ont eu lieu dans la banlieue de Bakou, en Azerbaïdjan ainsi que d’autres événements ponctuels.

En somme, elle représente une centaine de militants dans la région Ile de France et environ 500 sur toute la France, répartis dans six sections, tous âgés de 15 à 28 ans. Elle dispose également d’une diffusion internationale dans les pays où il y a une communauté arménienne, en Argentine ou dans les Pays-Bas par exemple, sachant que la FRA est un parti parlementaire au Liban. Pour ce qui est de la Turquie, la FRA a été interdite dès la proclamation de la République en 1923 alors qu’elle représentait la principale force arménienne au sein de l’Empire ottoman. Cependant, l’association peut compter sur des sympathisants en Turquie et collabore parfois avec le journal bilingue arménien et turc Agos, créé par Hrant Dink1. Hratch évoque aussi un nouveau mouvement de jeunesse qui a surtout été actif depuis 2007, après l’assassinat de Hrant Dink: Nor Zartonk, le « Nouveau réveil ». Il revient ensuite sur le Parti Démocratique des Peuples créé en 2012 en Turquie et qui a le vent en poupe depuis les événements de Gezi de mai 20132: « La ligne du HDP notamment, c’est une ligne qu’on défend parce que c’est une ligne qui défend le droit des peuples, pour l’égalité, la défense de toutes les minorités… ». Dans ce sens, l’association a également pris contact avec la jeunesse kurde en France et ses membres prennent part aux rassemblements qui dénoncent l’assassinat des trois jeunes femmes militantes du PKK à Paris en janvier 2013. Il souligne cependant la nécessité de prendre contact avec de nouvelles associations de jeunesse, notamment turques, afin de sensibiliser davantage et autrement.

A la fin de l’entretien, Hratch nous invite bien sûr à participer à la Veillée des jeunes qui aura lieu le jeudi 23 avril à 18h Place de la République, avant de nous annoncer le parcours de la manifestation du 24 avril : « C’est prévu pour 18h. La marche ira de la Place du Canada jusqu’à l’Ambassade de Turquie ».

1 Hrant Dink est un journaliste et écrivain turc d’origine arménienne qui a passé sa vie à dénoncer le déficit démocratique en Turquie et le mauvais traitement de ses minorités. Son message de paix et de vivre ensemble a marqué les opinions turques et arméniennes, lui valant de nombreux procès. On peut dire sans hésitation qu’il y a eu un avant et un après Hrant Dink. Son assassinat en 2007 par un nationaliste turc devant les locaux d’Agos, journal bilingue arménien et turc qu’il avait fondé en 1997, a suscité une vague d’indignation dans le pays, dépassant largement la communauté arménienne.

2 Le HDP, Parti Démocratique des Peuples, a été fondé en août 2012, comme un parti de gauche, ami du parti pro-kurde BDP, Parti pour la Démocratie et la Paix. Son programme s’attache à la défense des droits des minorités, y compris des droits LGBT et des droits des femmes.

Classe Internationale

ClasseInternationale

Sur un sujet similaire

Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry : sur le chemin d’une politique régionale commune

Mali, Burkina Faso, Guinée Conakry : sur le chemin d’une politique régionale commune

L’échiquier africain

L’échiquier africain

La Tunisie de Kaïs Saïed : les ressorts d’un autoritarisme nouveau

La Tunisie de Kaïs Saïed : les ressorts d’un autoritarisme nouveau

Six ans après le référendum sur le Brexit : comment s’en sortent nos voisins britanniques ?

Six ans après le référendum sur le Brexit : comment s’en sortent nos voisins britanniques ?

No Comment

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *