Syrie, un conflit climatique ?

Syrie, un conflit climatique ?

Peu après les attentats du 13 novembre dernier à Paris, le député écologiste Noël Mamère, s’exprimant pour le quotidien Reporterre (1), faisait le lien entre cet acte sanglant et la sécheresse, due au changement climatique, qui a  touché la Syrie entre 2006 et 2011. Avant le début de la COP 21, ce dernier affirmait ainsi que le conflit syrien était « déjà une guerre du climat », d’où l’urgence des mesures pour lutter contre le réchauffement climatique. De même, le prince Charles, dans un entretien au Royal Correspondent (2), accusait l’inaction face au changement climatique d’être en partie responsable du conflit syrien. Si de tels liens entre conflits violents et changement climatique sont alarmants et soulignent l’extrême urgence climatique, ils ne paraissent pas évidents au premier abord. Sont-ils primordiaux ou secondaires ? Par quel mécanisme la sécheresse en Syrie aurait pu entraîner la guerre, la montée de Daech et les attentats de Paris ?

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Image issue de la bande dessinée en ligne Syria’s climate conflict (3), par Audrey Quinn et Jackie Roche : « Les analystes ont sous-estimé l’impact de la sécheresse ayant eu lieu de 2006 à 2011 sur les citoyens syriens ».

Pour commencer, rappelons le raisonnement mis en avant par certains scientifiques pour souligner les incidences climatiques dans le conflit syrien. Un article du PNAS (4) démontre le rôle du changement climatique et de la sécheresse. À partir de l’observation de l’évolution de la pluviométrie et des températures, les auteurs caractérisent la sécheresse ayant eu lieu dans la région de 2006 à 2011 comme l’une des plus fortes jamais enregistrées. Elle serait alors le fruit des activités humaines, du réchauffement climatique, et aussi de mauvaises politiques de gestion des ressources, notamment en ce qui concerne l’eau. En effet, le gouvernement de Bachar al-Assad aurait ignoré la menace que constituait alors la sécheresse, causant l’absence de politiques d’adaptation : la distribution de l’eau est restée inefficace, et l’essor de cultures nécessitant beaucoup d’eau (3 200 000 tonnes de blé et 300 000 tonnes de coton (5) en 2000) est resté de mise. Les agriculteurs syriens sont donc restés très dépendants des pluies, en l’absence de système de distribution de l’eau efficace : les 2/3 des cultures sont irriguées grâce à la pluie, d’où l’effet dévastateur de la sécheresse sur le pays. La sécheresse a alors détruit 60% des fermes et 80% du bétail, ce qui a entraîné de très forts déplacements de populations à l’intérieur du pays : on estime à 1,5 million le nombre de personnes déplacées à cause de la sécheresse. La plupart se sont dirigés vers les périphéries des villes, qui étaient alors déjà soumises à une forte pression démographique, due à la forte croissance démographique du pays, et à l’arrivée de nombreux réfugiés en provenance d’Irak (à hauteur de 1,5 millions).  

Quelles ont été les conséquences de cette migration vers les villes ? La première est que la pression sur les ressources a augmenté : il a fallu plus d’eau, plus de nourriture, plus d’énergie pour satisfaire les besoins de toutes ces personnes. Comme la production agricole connaissait alors une baisse considérable, la Syrie a du importer beaucoup de denrées alimentaires (6). Alors que l’ancien président Hafez al-Assad, pour assurer l’indépendance alimentaire et son autorité sur le pays, avait mis en place dans les années 1980 des subventions (7) visant à réduire le prix de la nourriture, de l’eau et du pétrole, en 2000 Bachar al-Assad a coupé ces subventions dont beaucoup de Syriens étaient dépendants : la situation n’a fait que s’aggraver. Les villes étant surpeuplées, les banlieues, marquées par la déficience de leurs infrastructures,  se sont étendues, et ont été marquées par la progression des activités illégales, du chômage, du crime, et des inégalités, sur lesquels le régime a fermé les yeux, laissant alors progresser une situation d’instabilité (un manque de ressources pour satisfaire les besoins élémentaires entraîne l’instabilité) qui devenait de plus en plus incontrôlable. Ainsi, cette situation était due en partie au réchauffement climatique, qui a été l’élément déclencheur de grands changements démographiques facteurs d’instabilité. Pour Francesco Femia et Caitlin Werrell du Centre pour le climat et la sécurité, en Syrie la « combinaison de changements économiques, sociaux, climatiques et environnementaux a érodé le contrat social entre les citoyens et le gouvernement, catalysé les mouvements d’opposition et irréversiblement dégradé la légitimé du pouvoir d’Assad (8)».

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Cette carte montre comment la sécheresse a « sévèrement affecté la population ». En vert et jaune, sont représentées les différentes zones agro-écologiques (selon la méthode de calcul de la FAO), plus la couleur est verte foncée, plus les ressources agricoles y sont abondantes. En rouge, gris et marron, il s’agit des agriculteurs sévèrement affectés selon les régions, avec le nombre de familles touchées. Par exemple à Raqqa, 4 000 familles ont été touchées. Les sphères montrent les éleveurs de bétail des zones pourvues du moins de ressources (zone 5) les plus touchés, alors qu’ils possèdent moins de 50 bêtes. Source :ministère de l’agriculture et de la réforme agraire de Syrie (juillet 2009)

Il est maintenant plus simple de faire le lien entre le réchauffement climatique et la crise syrienne : cette nouvelle population désœuvrée a alimenté la révolte contre le régime, qui n’était plus capable d’assouvir les besoins de la population. D’ailleurs, la chronologie de la révolte syrienne montre que les mouvements de protestations se sont d’abord développés dans les zones rurales et péri-urbaines (9). Une excellente illustration de ce phénomène est la ville de Dar’a, au sud de la Syrie, dans laquelle les premières manifestations ont eu lieu. Il s’agit d’une région majoritairement agricole, où les représentants du régime baasiste étaient très implantés et influents, et où le changement de politique du gouvernement de Bachar al-Assad, son incapacité à créer de la croissance et de l’emploi, ainsi que la présence de fortes inégalités de revenus, ont entraîné un mouvement de révolte précurseur.

La sécheresse est en partie responsable de la guerre civile que nous connaissons, de la montée de Daech, et donc également par extension de la crise des réfugiés qui touche l’Europe et des attentats de Paris. Pour autant, il ne faut pas surévaluer le rôle du réchauffement climatique, qui, bien qu’il agisse comme un multiplicateur de menace, ne constitue pas l’unique coupable dans la crise syrienne. En effet, le réchauffement climatique agit en altercation avec d’autres facteurs d’instabilité, tels qu’une mauvaise gouvernance, un État « faible », des tensions ethniques anciennes, une mauvaise gestion des ressources…

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Ce shéma montre les différents risques entraînés par le changement climatique, et plus intéressant encore, leur degré de corrélation. les risques directement liés au changement climatique sont représentés dans le cadre vert : éco-systèmes, ressources en eau, sécurité alimentaire, santé humaine, sociétés et peuplement. En rouge, les risques indirectement liés au changement climatique, qui eux-mêmes influencent le cadre vert et le changement climatique : la gouvernance, la santé, l’équité, le commerce… Deux variantes dépendent de l’ensemble de ces facteurs : les capacités d’atténuation et d’adaptation. Ainsi, dans le cas d’une guerre, tous ces facteurs directement lié ou non au changement climatique interagissent les uns et les autres pour aboutir à une situation d’instabilité.

Comme le soulignent Jean Jouzel et Anne Debroise dans leur livre Le défi climatique, les changements climatiques augmentent le risque de conflits, mais n’en sont pas la cause principale. En effet, le lien demeure très subtil, celui-ci a peut-être été quelque peu caricaturé par le prince Charles, Noël Mamere et d’autres : beaucoup de scientifiques admettent que les caractéristiques économiques et politiques sont généralement les premiers déclencheurs de conflits. Comme le montre le schéma ci-dessus, les impacts du changement climatique sur la sécurité dépendent de nombreux facteurs enchevêtrés, tels que le niveau de développement, ou encore les capacités d’adaptation. Un mécanisme complexe est alors à l’œuvre.

Que penser alors de la place du changement climatique dans les conflits ? Il apparaît évident que la variable climatique sera déterminante dans le futur : certains continents sont beaucoup plus menacés que d’autres, comme l’Afrique qui connaît une forte hausse démographique et s’expose à une perte de ressources considérable. Ces changements ne pourront qu’affecter l’économie et la politique mondiale et ainsi parfois déclencher et aggraver les conflits. Le changement climatique menace la qualité et la quantité des ressources nécessaires à notre existence, qui sont un élément indispensable de sécurité et de stabilité. Il semble alors évident que si le facteur climatique n’est pas seul et se conjugue avec la situation politique et économique, il est un aspect primordial des conflits présents et futurs, qu’il serait très imprudent de négliger.

Chloé Desmarets

(1) Voir l’article de Reporterre : http://reporterre.net/Les-ecologistes-ne-peuvent-se-satisfaire-de-l-Union-sacree

(2) Pour plus de précisions, un article du Telegraph : http://www.telegraph.co.uk/news/uknews/prince-charles/12010746/Prince-Charles-Climate-change-failure-is-a-factor-behind-Syrian-crisis.html

(3) Pour lire en ligne la bande dessinée Syria’s climate conflict : http://yearsoflivingdangerously.tumblr.com/post/86898140738/this-comic-was-produced-in-partnership-by-years-of

(4) Article de la revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, publié en 2015 (en anglais) : http://www.pnas.org/content/112/11/3241.full

(5) Pour plus d’informations, les chiffres de la FAO disponibles par année : http://faostat.fao.org/desktopdefault.aspx?pageid=342&lang=en&country=212. Il est possible de voir l’augmentation des exportations de blé avant la sécheresse de 2006, et de quelle manière cette dernière a atteint les exportations.

(6) Voir les chiffres de la FAO sur les importations syriennes après la sécheresse de 2006 : http://faostat.fao.org/desktopdefault.aspx?pageid=342&lang=en&country=212 . On note une augmentation considérable des importations de maïs et de blé.

(7) Pour plus de précisions sur la politique agricole du régime baasiste syrien et ses subventions, un article de Zakaria Taha : https://emam.revues.org/624.

(8) Cité dans un article d’Agnès Sinaï, “Aux origines climatiques des conflits” dans le Monde Diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/2015/08/SINAI/53507.

(9) Voir le rapport de Shamel Azmeh, pour une approche socio-économique de la révolte syrienne : http://www.lse.ac.uk/middleEastCentre/publications/Paper-Series/UprisingoftheMarginalised.pdf

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