L’accord de paix Colombien et les FARC.

L’accord de paix Colombien et les FARC.

Le 24 août dernier, c’est avec un soulagement manifeste que Humberto de la Calle, à la tête de l’équipe de négociateurs gouvernementaux, a annoncé la signature d’un cessez-le-feu entre l’Etat colombien et les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC). Entamées depuis près de quarante-quatre mois, ces négociations permettent de mettre fin au plus long conflit armée interne au monde qui déchirait le pays depuis plus de 48 ans.

Une fondation en réaction à une répression brutale

Suite à l’assassinat du leader du parti libéral en 1948, la Colombie sombre dans une période qui prendra le nom de Violencia, durant laquelle des milices conservatrices et libérales s’affrontent sans pitié. Cet antagonisme se détendra à partir de 1958, lorsque les factions libérales et conservatrices acceptent de mettre en place un bipartisme politique, permettant l’alternance de la gouvernance entre les deux tendances. Sous ce système politique que l’on dénomme Frente Nacional et qui durera jusqu’en 1974, le gouvernement appliqua une répression féroce à l’encontre des groupes radicaux de gauche. Ceux-ci, essentiellement implantés dans les campagnes, où la politique de Développement Economique Accélérée mise en place au début des années 1960 entraîna l’exil forcé des petits exploitants agricoles, faisant s’élever le nombre de familles sans terres de 40.000 en 1961 à 400.000 en 1969.

Coupure de presse datant de 1962 montrant la victoire électorale du candidat du Front National (Valencia).
Coupure de presse datant de 1962 montrant la victoire électorale du candidat du Front National (Valencia).

Apparut à la sortie des années 1920 et officiellement reconnu par le Comintern dans les années 1930, le Parti Communiste Colombien (PCC) se renforcera principalement durant les années 1960, profitant à la fois du mécontentement des paysans expropriés et des ouvriers nouvellement arrivés dans les centres urbains. Dépêchée dans le pays en 1959, une première mission de surveillance et d’évaluation des risques sécuritaires fut lancée par les Etats-Unis, et suite à une seconde mission du même type, le plan LASO (Latin America Security Operation) fut mis en place en 1962 pour coordonner un effort de disruption du PCC et une répression des communautés rurales communistes. C’est notamment lors d’une opération de l’armée colombienne sur la communauté de Marquetalia que furent fondés les FARC en tant que bras armé du PCC, par les 48 combattants survivant à l’attaque.

Avec l’explosion de la consommation nord-américaine, puis européenne, de cocaïne à l’aube des années 1980, les FARC virent alors la coca, aisément cultivée dans les espaces ruraux et montagneux du pays, fournir au groupe des capacités de financement inédites. De plus, en pleine guerre froide, les FARC profitent de l’expertise d’autres puissances communistes notamment en envoyant des combattants en formation en URSS ou au Vietnam. Passant de confrontations mineures avec l’armée colombienne, à de véritables attaques sur des installations militaires et la constitution d’une armée irrégulière, les FARC parviennent à amener le président Belisario Betancur à négocier un cessez-le-feu qui sera maintenu de 1984 à 1987 suit à l’accord de La Uribe.

Suite à ces accords les FARC tentent de s’intégrer à la vie politique du pays en formant un parti politique : Union Patriotica. Ils militent pour des réformes introduisant plus d’élections locales, plus de décentralisation et la fin de l’hégémonie politique des conservateurs et des libéraux, mais aussi des programmes de nationalisation de compagnies étrangères et de redistribution de la richesse. L’UP parviendra en 1986 à remporter un score plus important que n’importe quel parti de gauche à travers l’histoire politique colombienne, mais ce succès lui coûtera cher : dès 1986 commencent une série d’assassinats qui s’intensifieront jusqu’en 1990, notamment avec le meurtre du président de l’UP en 1987.[1]

Mosaïques de photos en souvenir de membres de l’UP victimes d’assassinats
Mosaïques de photos en souvenir de membres de l’UP victimes d’assassinats.

 

Une difficile réconciliation

Les négociations seront entamées à nouveaux entre le gouvernement et les guérilleros de gauche en 1991, entre le Venezuela et le Mexique, mais prendront fin en 1993 sans accord entre les parties. Et il faudra attendre la présidence d’Andres Pastrana pour que soit relancé le dialogue en 1998 avec les FARC en vue d’obtenir des accords de paix. Celui-ci leur laissant une zone démilitarisée de 42 000 kilomètres dans le sud du pays, les FARC vont participer à ces négociations, mais une attaque sur des activistes américains en mars 1999, et l’arrestation de 3 membres de l’IRA (Irish Republican Army) ayant formé des guérilléros colombiens, vont amener les États-Unis à intensifier leur pression sur le gouvernement colombien pour condamner le groupe armé. Le président Pastrana met ainsi fin aux négociations en février 2002 et ordonne une offensive de l’armée sur la zone jusque-là démilitarisée.
Sous la présidence d’Alvaro Uribe, du fait des opérations militaires de contre insurrection et de la volonté manifeste du président de parvenir à défaire militairement le groupe, les FARC subirent une pression accrue qui les verra essuyer de lourds échecs. Alors qu’en mars 2008 c’est le numéro deux du groupe et porte-parole qui est abattu, en juillet est menée l’opération Jaque. Cette dernière se résumait à une infiltration d’un groupe de guérilleros tenant divers captifs par des agents de renseignements déguisés en journalistes. Cette opération parvint à libérer les prisonniers, dont Ingrid Bétancourt, candidate à la présidence arrêtée suite à l’échec des dernières négociations en 2002.

Combattantes FARC dans la jungle colombienne, lors des négociations de paix entre 1998 et 2002.
Combattantes FARC dans la jungle colombienne, lors des négociations de paix entre 1998 et 2002.

Une nouvelle chance pour la paix en Colombie

Victor Julio Suarez Rojas dit « Mono Jojoy ».
Victor Julio Suarez Rojas dit « Mono Jojoy ».

En 2010 est élu Juan Manuel Santo à la présidence alors que le pays demeure déchiré par les combats opposant FARC et forces de sécurités. Néanmoins avec la mort en septembre 2010 de Victor Julio Suarez Rojas dit « Mono Jojoy »[2], alors commandant en second, le groupe armé qui a vu le nombre de ses combattants passer de près de 20 000 à moins de 7000 au cours de la décennie, appelle à une solution négociée, refusant toujours de se rendre.

C’est le président Santo qui en 2012 initia des pourparlers avec l’organisation armée marxiste, notamment en passant par le biais du président Chavez. Avec des avancées timides et limitées mais toutefois bien réelles, les négociations avancèrent, permettant d’obtenir des accords quant à la question de la réforme agraire en 2013[3], ou encore la lutte contre le trafic de drogue[4] en 2014. Enfin, le 20 juillet 2015 prit effet une trêve unilatérale déclarée par les FARC[5] qui permit de préparer le tout récent développement dans le conflit armé interne le plus long du monde.

 

Le contenu de l’accord de paix

Bien que le gouvernement et les FARC aient pu annoncer dimanche 28 août dernier qu’ils étaient parvenus à s’accorder sur un cessez-le-feu, l’accord de paix demeure conditionné au vote des colombiens. Le 2 octobre prochain aura lieu le plébiscite portant sur l’accord, et le pays verra s’affronter d’une part les partisans de l’accord, essentiellement menée par le président Santo, et d’autre part les opposants à l’accord emmenés par l’ancien président Uribe.

Ces accords comprennent divers pans s’articulant autour de cinq questions principales :

  • la fin de la violence politique : les FARC s’engagent à participer à un processus de désarmement sur une période de 180 jours, encadré par l’ONU. Le défis étant aussi d’assurer la sécurité des FARC désarmés face aux groupes rivaux ou aux radicaux de droite ;
  • la justice pour les victimes du conflit : un tribunal spécifique doit être constitué pour juger les guérilleros. Néanmoins leur peine pourra être une peine légère et alternative s’ils admettent leurs chefs d’accusation, a contrario, s’ils plaident non coupables ils risquent près de 20 ans de réclusion ferme ;
  • le développement rural : le gouvernement s’engage à entamer le développement économique d’une campagne jusqu’aujourd’hui bien trop reléguée, notamment par d’importants investissement dans les infrastructures, sans toutefois attaquer les grands propriétaires terriens comme l’a mentionné le président ;
  • l’intégration au champ politique des FARC : un pan majeur de ces accords est la réintégration des radicaux de gauche à l’espace de la compétition politique colombienne, ceux-ci ayant été exclu pendant l’essentiel de l’histoire récente de la Colombie. Cette intégration passant par l’obtention de poste d’observateur dans les assemblées pour les FARC de manière à participer activement à la mise en place des accords de paix.
  • la lutte contre la production et le trafic de cocaïne : cette dernière partie de l’accord constitue la plus importante pour les partenaires internationaux de la Colombie, notamment les Etats-Unis. Toutefois elle ne sera pas aisée à mettre en place, étant donné le revenu jusqu’alors tiré par les FARC de ce trafic et la convoitise exercée par d’autres groupes rivaux quant au contrôle de ces sources de revenu colossales. De surcroît les paysans pauvres manquent parfois d’opportunité de développer d’autres cultures que la coca, qui leur permet de tirer un important profit d’une plante qui pousse aisément dans les hauteurs andines.

Alors que le président Santo et les FARC sont félicités par des observateurs internationaux ou locaux, certains tels qu’Uribe critiquent ces accords, les jugeant bien trop cléments. Ces derniers leur reprochent en effet le processus de réconciliation et les possibilités de réduction de peine importante, qui reviennent pour eux simplement à « mettre une tape sur la main » des criminels. [6]

Xavier Toolo

 

Références bibliographiques :

[1] Jean-Pierre Minaudier, Histoire de la Colombie de la conquête à nos jours, Paris, L’Harmattan, 1997.

[2] Miller, Sunlen, « Obama Praises the Killing of #2 Leader of FARC in Colombia », ABC News,

24 septembre 2010 : http://blogs.abcnews.com/politicalpunch/2010/09/obama-praises-the-killing-of-2-leader-of-farc-in-colombia.html

[3]« Deal reached on land reform in Colombia », Al Jazeera, 27 mai 2013  : http://www.aljazeera.com/news/americas/2013/05/2013526182915832728.html

[4] Neuman, William, « Colombia and Rebels Agree on Drug Fight », The New York Times, 16 mai 2014 : http://www.nytimes.com/2014/05/17/world/americas/colombia-and-rebels-agree-on-drug-fight.html?ref=americas&_r=0

[5] Brodzinsky, Sibylla, « Farc rebels announce unilateral truce in attempt to rescue Colombia peace talks », The guardian, 8 juillet 2015 : https://www.theguardian.com/world/2015/jul/08/farc-rebels-unilateral-ceasefire-colombia-peace-talks

[6] Miroff, Nick, « Here are the details — critics would say the devils — in Colombia’s peace deal with FARC », The Washington Post, 24 août 2016 : https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2016/08/24/here-are-the-details-critics-would-say-the-devils-in-colombias-peace-deal-with-farc/

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