Captation des ressources naturelles et économie de guerre civile

Captation des ressources naturelles et économie de guerre civile

LE TRAFIC DES DIAMANTS, ENJEU DU CONFLIT EN RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

En 2014 à Anvers, la saisie de diamants centrafricains issus de la contrebande mettait de nouveau en lumière la controverse des «diamants de la guerre», lesquels selon le Processus de Kimberley [1] financent les conflits quelque soit le bénéficiaire.

Cette définition élargit celle des Nations unies, laquelle est limitée aux diamants provenant de régions où opèrent des forces rebelles contre un gouvernement légitime. En effet, la notion de légitimité étatique est difficile à établir dans un contexte de guerre civile. De plus, en Afrique, les diamants complexifient les tentatives de règlement politique du conflit, offrant aux protagonistes les moyens de refuser tout compromis. En quoi l’exploitation des diamants en République centrafricaine témoigne-t-elle de l’enjeu que représente la captation des ressources naturelles dans les conflits armés en Afrique?

République centrafricaine

La captation des diamants au cœur du conflit

        La République centrafricaine est le 217ème pays sur 225 en terme de PIB nominal en 2011, selon le classement du FMI. Elle ne peut se passer de son commerce de diamants mais c’est pourtant ce à quoi l’instabilité politique la contraint. Depuis la fin de l’année 2012, elle est secouée par un conflit meurtrier engagé entre deux groupes rebelles, la Séléka, issue de la minorité musulmane du pays, responsable de la chute du président Bozizé en mars 2013, et les anti-balaka, des chrétiens appuyés pars d’anciens soldats restés fidèles au président destitué. L’accaparement des mines de diamants, enjeu majeur pour ces deux groupes, dégager des ressources pour des armes, des drogues mais aussi des alliances stratégiques sur le territoire national et à l’étranger. Elles permettent, par exemple, à la Séléka de recruter des mercenaires venus du Tchad et du Soudan.

        Avant 2013, le pays était le 12e producteur de diamants bruts en valeur. Toutefois selon la Banque mondiale, près de 50% des diamants sortiraient illégalement du pays. Parce qu’elle est illégale, chiffrer les bénéfices tirés de cette exploitation reste difficile. De plus les belligérants n’en ont pas le monopole et disposent d’autres moyens de financement (or, agriculture, trafic d’armes). L’importance du trafic se révèle lors de la comparaison des chiffres donnés par le pays exportateur et ceux du pays client. Ainsi en 2000, les chiffres officiels centrafricains font état d’une exportation de diamants bruts vers la Belgique s’élevant à hauteur de 52 millions de dollars[1];  cette dernière indique pourtant avoir importé la même année 168 millions de dollars de pierres centrafricaines. Cet écart dévoile l’existence d’un vaste trafic illégal à l’échelle régionale.

        L’évaluation de la situation est compliquée par les caractéristiques des gisements eux-mêmes, alluvionnaires et très dispersés. Contrairement à l’Afrique du Sud, où l’extraction des diamants est contrôlée par le géant De Beers, toute exploitation industrielle est impossible en République centrafricaine. De ce fait, la production artisanale reste très difficile à protéger en cas de conflit et est complexe à évaluer. Ainsi, l’exploitation diamantaire rest affranchie de toute tutelle étatique, les organismes de contrôle nationaux ne disposant pas de moyens de régulation suffisants. Par ailleurs le coût élevé du droit d’exploitation des sols n’incite pas au travail légal : seuls 5% des 100 000 mineurs artisanaux travailleraient légalement[2]. Cet éclatement de la production facilite donc le contrôle des mines par les groupes armés, qui engagent un processus d’appropriation et d’exploitation s’effectuant au plus grand mépris des droits de l’homme.

Une chaîne d’exploitation fractionnée

        Du fait des particularismes locaux et de la décentralisation des exploitations, l’implication des groupes armés dans le secteur diamantaire est très hétérogène. Le financement des groupes anti-balaka se décline en deux processus : d’une part, la prise de contrôle de sites d’extraction ; de l’autre, la taxation illégale des échanges entre mineurs et négociants, prenant la forme d’échange d’argent contre protection. Les groupes de la Séléka, dont certains membres sont eux-même mineurs, chassent quant à eux les exploitants des mines afin d’en prendre le contrôle, notamment dans l’est du pays. Ils ont également la mainmise sur la principale plateforme d’échange frontalière des régions productrices de la Centrafrique et du Cameroun, prélevant des droits d’extraction ou des taxes aux négociants, mineurs, ou convoyeurs.

        Afin de tirer profit du commerce de diamants, les belligérants s’appuient sur un réseau d’échange international qui leur permet d’intégrer les flux de diamants de la guerre à ceux issus de l’économie légale. Ils quittent la région par des voies bien connues des acteurs du trafic, généralement par la frontière du Cameroun avant d’être illégalement réintroduits vers les comptoirs camerounais de Kenzou et Kette. C’est pourquoi les différents maillons de la chaîne du commerce de diamants travaillent à l’aveugle. Comme le souligne le Groupe d’expert des Nations Unies,  « Les principaux collecteurs de diamants ne peuvent garantir que leurs achats ne profitent pas à des groupes armés, (…) puisqu’ils sont de fait présents dans la plupart des zones minières. ».

        La captation des ressources par les groupes armés entraîne une violation des droits de l’Homme à plusieurs échelles. Les populations locales souffrent aussi bien des conflits d’appropriation que des violences politiques financées par le commerce diamantaire. La République centrafricaine est prise dans un cercle vicieux que connaissent d’autres Etats en développement confrontés à une instabilité politique et sociale. Parce que l’Etat ne parvient pas à contrôler les ressources naturelles, les bénéfices tirés de leur exploitation ne lui reviennent pas. Il lui manque des moyens nécessaires à la protection des droits humains et de la ressource elle-même. L’absence de maîtrise étatique de ce secteur empêche par ailleurs toute protection du travail. Les mineurs sont exposés à des risques sanitaires et victimes d’exploitation.

De nombreuses initiatives tentent d’endiguer le conflit en Centrafrique et de limiter les intérêts financiers que peuvent tirer les belligérants de l’entretien de celui-ci. Mais ces tentatives se heurtent à différents défis.

Des tentatives de régulation qui se heurtent à l’insécurité régionale

        En réponse à la dégradation de la situation en Centrafrique, l’ONU réagit en mobilisant des forces armées pour pacifier la zone. Les contingents onusien et centrafricain, opérant dans les grandes villes, mais longs à se déployer dans les zones périphériques enclavées, échouent à contenir une violence qui se généralise. Ces initiatives ont également vocation à encadrer le commerce de diamants pour faire disparaître le trafic qui profite aux différents groupes armés. Dès 2003, la chaîne d’approvisionnement est encadrée par le Processus de Kimberley, une initiative mondiale conçue pour empêcher que des diamants ayant servi à financer des groupes rebelles n’entrent sur le marché international. Ce processus bénéficie de l’adhésion et du soutien des États, mais présente toutefois d’importantes faiblesses.

        La première concerne les certificats d’origine. Ils sont difficiles à mettre en place, car les moyens de contrôle locaux restent déficients et les procédures pour identifier la provenance des pierres incertaines, malgré les progrès des techniques de traçabilité. Le processus sera d’ailleurs suspendu dès 2013, les réquisitions minimales de sécurité n’étant pas réunies pour pouvoir l’appliquer sur le territoire. Celle-ci est majoritairement due à la déliquescence de l’Etat centrafricain, qui, profondément fragilisé, est incapable de lutter contre le trafic, mais pour qui les ressources financières liées à l’exploitation du diamant sont vitales : 25% des 4 millions d’habitants dépendent du diamant pour vivre selon le rapport de 2016 du processus de Kimberley.

        La deuxième concerne le manque de coopération de certains acteurs incontournables du secteur diamantaire. Le renforcement des contrôles crée un déplacement des filières d’écoulement en direction de la Chine et de pays du Moyen Orient tels que les Emirats Arabes Unis. Enfin, de puissants réseaux mêlent les intérêts de diamantaires, de marchands d’armes et de Chefs d’Etat locaux, qui s’emploient à contourner les mesures édictées par la communauté internationale. Le chiffre d’affaires des diamants est tel que les trafiquants d’armes n’hésitent pas à violer les sanctions onusiennes, d’autant plus que les risques sont assez faibles du fait de l’absence de contrôle. Ainsi, le triangle trafiquants d’armes, trafiquants de diamants, chefs d’Etat, utilise autant les pierres précieuses comme une rente pour financer les régimes locaux en place que comme arme de déstabilisation régionale.

        En somme, l‘exploitation des diamants en République centrafricaine révèle un tournant stratégique de la guerre : la captation des ressources naturelles occupe désormais un rôle prépondérant dans le financement d’un conflit dont les motifs initialement religieux et politiques semblent laisser place à des préoccupations plus économiques. Le trafic de diamants de la guerre pose un défi majeur aux Nations Unies. Afin de sauvegarder paix et sécurité en Centrafrique, il est nécessaire d’encadrer le commerce d’un produit dont la vente est légale, contrairement à la drogue ou aux armes mais échappant encore à un véritable contrôle. Cette responsabilisation doit s’accompagner d’un engagement plus ferme de certains Etats qui jouent encore un rôle ambivalent dans le cadre du commerce diamantaire.

 

Séphora Saadi

Jeanne Inglebert

 


[1] Processus de Kimberley :  https://www.kimberleyprocess.com/fr/historique-et-fondements-0

[2] ONU, chiffres issus du COMTRADE, 2016

[3] ONG International Crisis Group, 2010

 

BIBLIOGRAPHIE

Articles :

ORRU, Jean-François et al., « Le diamant dans la géopolitique africaine », Afrique contemporaine 2007 (n° 221), disponible à l’adresse suivante : http://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-173.htm

(consulté le 11/10/2016)

Rapports :

The World Bank, A Comprehensive Approach to Reducing Fraud and Improving the Contribution of the Diamond Industry to Local Communities in the Central African Republic, Report No. 56090-CF Oil, Gas and Mining Policy Division, Novembre 2010

Amnesty International, Violations en chaîne la chaîne d’approvisionnement mondiale en diamants et le cas de la République centrafricaine, Amnesty International Ltd, Septembre 2015

Conseil de Sécurité des Nations Unies, Rapport final du Groupe d’experts sur la République centrafricaine créé en application de la résolution 2127, ONU S/20/2014/762, Octobre 2014

Kimberley Process, Mid-term Report, United Arab Emirates KP Chair, 2016 disponible à l’adresse suivante : http://www.kimberleyprocess.com/en/kimberley-process-mid-term-report-2016

(consulté le 13/10/2016)

Ressources en ligne :

Banque mondiale, République centrafricaine : vue d’ensemble, disponible à l’adresse suivante : http://www.banquemondiale.org/fr/country/centralafricanrepublic

(consulté le 11/10/2016)

 

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