Les BRICS: quelle réalité ?

Les BRICS: quelle réalité ?

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Les chefs d’Etat et de gouvernement des BRICS, sommet du G20 à Brisbane, 2014

Les 15 et 16 octobre 2016 s’est déroulé le 8ème sommet annuel des BRICS à Benaulim en Inde. Ce sommet a permis de renforcer la coopération entre les nouvelles puissances émergentes que constituent les BRICS à savoir le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. C’est en 2001 que l’on parle pour la première fois de BRIC, lorsque l’économiste Jim O’Neill, travaillant alors pour Goldman Sachs, évoque cet acronyme pour désigner un groupe de pays connaissant un développement rapide. En 2009, le groupe BRIC se crée de manière formelle à Ekaterinbourg en Russie et devient BRICS en 2011, lorsque l’Afrique du Sud rejoint le club suite à l’invitation de la Chine. Pourtant en 2013, l’économiste Jim O’Neill avance que l’acronyme a perdu son sens, déclarant « Si je devais le changer, je ne laisserais plus que le “C” » [1]. Quelle est alors la réalité de ce groupe : comment les BRICS contribuent-ils à refaçonner l’ordre mondial ?


  Les BRICS, un avenir commun ?

        Ces cinq pays présentent de réelles différences en termes de taille, de culture, de ressources, de population et de système politique. Malgré ces divergences, ils ont des ambitions communes de croissance et d’indépendance face à l’Occident. Ils sont animés par des intérêts communs, qui se traduisent par une collaboration à travers des échanges mutuels et croissants dans différents secteurs.

Ainsi, la Chine et l’Inde s’érigent comme de grands fournisseurs de produits manufacturés à des prix attractifs, alors que la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud sont des fournisseurs de matières premières énergétiques et agricoles. La Chine et la Russie, par exemple, signent en 2014 un accord énergétique pour la construction d’un gazoduc reliant les deux pays. 14% des échanges commerciaux du Brésil reposent sur la Chine – par l’importation de produits manufacturés – lorsque cette dernière profite des matières premières brésiliennes – première acheteuse de pétrole et de minerais au Brésil. L’Inde quant à elle intéressée par un ancrage sur le continent africain, qui est un véritable réservoir de matières premières, entame un rapprochement avec l’Afrique du Sud. Leurs échanges sont passés de 3 milliards de dollars à 70 milliards en 15 ans, et les Indiens souhaitent trouver en ce pays un solide partenaire.

La collaboration de ce groupe dépasse l’alliance commerciale, par la création d’une banque de développement « New Development Bank » et d’un fonds de réserve « Fonds de Réserve Commun ». Ces institutions permettent aux BRICS d’accéder à une certaine autonomie vis-à-vis des institutions déjà existantes telles que le Fonds Monétaire International (FMI) ou la Banque Mondiale, dont les objectifs sont de financer des projets d’infrastructures au sein de ces cinq pays  et de leur garantir une certaine stabilité financière.

        Les BRICS ont un poids économique considérable. Cela les pousse à vouloir obtenir davantage de crédit dans la gouvernance mondiale. En 2015, la Chine, l’Inde (7 965 milliards $US), la Russie (3 717 milliards $US)  et le Brésil (3 192 milliards $US) font partie des sept pays au PIB par Parité de Pouvoir d’Achat les plus élevés au monde, devant la France (2 646 milliards $US) et le Royaume Uni (2 679 milliards $US). La Chine (19 392 milliards $US) quant à elle, dépasse les Etats-Unis (17 947 milliards $US). Notons également leur contribution à la croissance mondiale évaluée à plus de 50% durant ces dix dernières années. Constitué de la Chine, deuxième puissance économique mondiale, du Brésil première puissance économique de l’Amérique Latine, de l’Afrique du Sud, puissance régionale sur le continent africain (20% des exportations africaines), de la Russie, plus grande réserve de gaz naturel au monde et de l’Inde dotée d’une économie stable ainsi que d’une main d’œuvre qualifiée peu coûteuse, ce groupe est indéniablement un acteur majeur de l’économie mondiale.

D’autre part, les BRICS se distinguent par leur population et leur superficie. Avec une population atteignant 3 milliards d’habitants, ils représentent 41% de la population mondiale. Le groupe est constitué de vastes pays dont les superficies varient de 1 millions de km² à 17 millions avec des populations allant de 55 millions d’habitants à plus d’un milliard. Chacun de ces pays possède des atouts remarquables dans les différents continents qu’ils représentent.

Les BRICS à travers une collaboration étroite et des atouts non-négligeables, faisant d’eux des acteurs incontournables de la gouvernance mondiale, s’allient pour atteindre des objectifs communs.


Des pays animés par un même combat

        Face à l’hégémonie occidentale, les BRICS désirent plus que jamais s’affirmer dans les affaires internationales. Leur organisation leur permet ainsi, de se mettre en avant. Ainsi, la Russie plongée dans une relation conflictuelle avec l’Occident, trouve dans les BRICS un moyen d’exister dans un cercle élargi, limitant son isolement. Les pays à régime autoritaire, notamment la Chine et la Russie peuvent revendiquer un « souverainisme » au côté des Etats démocratiques. Il s’agit de l’attachement au respect de la souveraineté des Etats et à leur indépendance (bien que cela soit critiquable au regard des événements en Crimée, en Ukraine etc…). D’autres Etats comme le Brésil ou l’Afrique du Sud peuvent réclamer le rôle de leader dans leur continent respectif. Ceux qui ne sont pas membres permanents au Conseil de Sécurité de l’ONU peuvent également justifier leur candidature par leur appartenance aux BRICS.

Parallèlement, ces cinq pays se retrouvent sur une même idée: remettre en cause la domination des pays occidentaux et redessiner un ordre mondial élargi à d’autres pays. La finalité étant de redéfinir les priorités du système économique mondial et les jeux de pouvoir. L’importance croissante du G20 par rapport au G8 depuis la crise financière de 2008 et le fait que les pays du “Nord” sollicitent une aide financière à des membres des BRICS lors de la crise, illustre cette insertion des BRICS au sein de la gouvernance mondiale. En conséquence, les BRICS ne cessent de réclamer une plus grande influence au sein des grandes institutions internationales qui régissent le monde.

La création de la New Development Bank ainsi que d’un fonds de réserve, leur permet de présenter une alternative aux institutions de Bretton Woods placées sous la tutelle occidentale. Leur objectif est de revendiquer un partage plus juste du leadership mondial.

Si ces pays aspirent tous à combattre l’hégémonie occidentale et trouvent dans leur association un élément stratégique pour cela, ils font face à de nombreux problèmes remettant en cause leur unité.


Les BRICS, un groupe en déclin ?

           Dans l’analyse des relations entre les BRICS, il est impossible d’ignorer la méfiance et même la concurrence qui existent parmi ces derniers. Nous pouvons par exemple évoquer la rivalité sino-russe et sino-indienne qui sont historiques. Ces éléments constituent une ligne de faille au sein du groupe. Dans la période récente, plusieurs événements illustrent ces rivalités, et montrent la primauté d’intérêts nationaux.

La succession de Dominique Strauss-Kahn à la tête du FMI en 2011 en est un exemple: bien que l’institution ait été critiquée pour la monopolisation européenne de sa direction, les BRICS se sont montrés incapables d’imposer un candidat commun. En effet, la Chine et le Brésil, au lieu de soutenir le candidat mexicain, Agustín Carstens principal challenger de la candidature européenne, ont préféré Christine Lagarde. La première l’a fait dans le but d’obtenir un poste de numéro deux au sein de l’institution ainsi que l’augmentation de ses droits de vote. Le second l’a effectué pour cause de rivalité  avec le Mexique. L’opposition de la Chine et de la Russie à une candidature brésilienne, indienne ou sud-africaine à un siège de membre permanent au sein du conseil de sécurité des Nations-Unies en est un autre exemple.

La ferme volonté de la Russie de faire fonctionner le G8 indépendamment du G20, avant qu’elle n’y soit suspendue, montre également l’attachement qu’ont ces pays à une relation privilégiée avec l’Occident, parfois au détriment de la cohésion et de la solidité du groupe.

Enfin, la désunion flagrante entre les BRICS lors des négociations commerciales au sein de l’OMC, illustre parfaitement l’importance accordée aux intérêts nationaux. L’Afrique du Sud et le Brésil souhaitent la libéralisation des échanges agricoles quand la Chine et l’Inde s’y opposent. De même, l’Afrique du Sud, le Brésil et l’Inde espèrent une limitation du marché des produits industriels contrairement à la Chine.

Au-delà des problèmes de divergences, les BRICS rencontrent aujourd’hui des difficultés économiques importantes. Ainsi, la Chine connaît un ralentissement de la croissance de son économie, qui était de 6,9% en 2015, soit le taux le plus faible depuis 1990. Le Brésil et la Russie font face à une récession durable avec respectivement -3,8% et -3,7% de croissance. La chute du prix des matières premières a eu un impact considérable sur l’économie de ces deux pays, sans compter les problèmes politiques auxquels ils font face, comme les scandales de corruption au Brésil ou bien les sanctions occidentales contre la Russie. Seule l’Inde connaît une situation économique favorable avec son taux de croissance évalué à 7,3%, malgré une lenteur des réformes observée par les investisseurs. L’Afrique  du Sud quant à elle connaît une croissance timide de 1,3% en 2015. Les difficultés économiques que connaissent les BRICS ne cessent de remettre en cause la pertinence de l’organisation. Plusieurs économistes prédisent déjà la fin de ce groupe. Ainsi, la banque d’investissement Goldman Sachs, à l’origine de l’acronyme BRIC, a pris la décision de fermer son fonds BRIC fin 2015 chargé d’investir au Brésil, en Russie, en Inde et en Chine. Ceci témoigne de la remise en cause des aspirations de ces pays mais aussi du manque de confiance en leur avenir.  

Ainsi, Les BRICS semblent partager un avenir commun à travers des échanges très dynamiques et l’institutionnalisation croissante de leur organisation. De plus, il est indéniable que leur influence dans les relations internationales est incontournable. Lutter contre l’hégémonie occidentale et ainsi re-définir un partage du leadership mondial, voilà ce que revendiquent ces pays : « les économies émergentes et en développement doivent être mieux entendues »[2].

Cependant, cette alliance constitue avant tout un moyen de défendre leurs intérêts nationaux et le groupe est mis à mal par de nombreux problèmes économiques. Cela les fragilise considérablement et ne cesse de mettre en doute leur avenir. Ainsi, cette alliance résistera-t-elle aux inégalités croissantes et aux divergences entre ces pays ? Sauront-ils surmonter solidairement les difficultés économiques actuelles afin de garantir la pérennité des BRICS ?

Lolita DIEZ
Mahery RAKOTOASIMBOLA

[1] Luciana Magalhaes, « China Only BRIC Country Currently Worthy of the Title -O’Neill », Wall Street Journal, 23 août 2013.

[2] AFP, « Le premier sommet du BRIC met en garde contre la domination du dollar », Le Parisien, 16 Juin 2009.

BIBLIOGRAPHIE

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CASSIOLA, José Eduardo et VITORINO, Virginia, BRICS and Development Alternatives, Innovation Systems and Policies, The Anthem-European Union Series 2009

CHANDA, Tirthankar, Inde-Afrique : un partenariat renouvelé. Emission RFI Géopolitique Et Débat,   du 30/10/2015. [En ligne], Disponible sur : http://www.rfi.fr/emission/20161016-quel-avenir-brics

Entretien avec Pierre Salama, Propos recueillis par Marc Verzeroli, « La fin de l’optimisme : la crise des émergents est-elle un phénomène global ? », Revue internationale et stratégique 2016/3 (N° 103), p. 43-53.

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MATELLY, Sylvie, « À quoi servent les BRICS ? », Revue internationale et stratégique 2016/3 (N° 103), p. 77-87.

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