La Russie et les Occidentaux depuis 1991

La Russie et les Occidentaux depuis 1991

Entre le 9 novembre 1989, qui voit le mur de Berlin céder, et le 25 décembre 1991, date qui marque la fin de l’URSS, l’ordre mondial structuré en deux blocs, figé par la Guerre froide pendant près de 45 ans, disparaît. Le bloc soviétique implose: d’une part, les pays satellites d’Europe de l’Est regagnent leur indépendance et d’autre part, l’Union soviétique se délite sous l’emprise de tensions politiques, économiques et sociales. Quinze Etats naissent, dont la Fédération de Russie et se rassemblent dans une nouvelle communauté, la CEI[1]. La Russie, héritière de l’Empire russe et de l’URSS, s’étend depuis 1991 sur plus de 17 millions de km2, de l’Europe à l’Extrême-Orient, et dispose d’importantes ressources naturelles ainsi que d’une population multiethnique mais vieillissante. Après la chute de l’URSS, la Russie se retrouve face à des défis colossaux : elle doit régénérer son économie, choisir un nouveau système politique, redéfinir son identité nationale et son positionnement international.

        Parallèlement, les Occidentaux, dont le modèle démocratique et libéral sort vainqueur de l’affrontement idéologique avec le communisme, sont convaincus d’avoir atteint la « fin de l’histoire »[2]. Cependant l’Occident n’est pas monolithique et ses définitions (géographique, politique, idéologique et culturelle) varient grandement. Cet espace aux frontières mouvantes recouvre une multitude d’acteurs (les Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest, les membres de la CEE) dans un jeu complexe d’alliances, de dissensions et d’institutions (l’OTAN, le Conseil de l’Europe, l’OSCE,…). L’espace européen, contrairement aux Etats-Unis, se trouve géographiquement dans la continuité de la Russie et a longtemps constitué le point focal de la Guerre froide. Ainsi, en 1991, trois zones limitrophes doivent redéfinir leurs relations entre elles: l’Europe de l’Ouest, l’Europe centrale et orientale et la Russie.

        Quelles sont les modalités, politiques, économiques et idéologiques, choisies par la Russie pour se reconstruire et peser à nouveau sur la scène internationale, et en quoi celles-ci peuvent se heurter aux intérêts occidentaux ?

 

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George H. W. Bush et Mikhaïl Gorbatchev, le 31 juillet 1991 à Moscou / AFP

        Les relations de la Russie aux Occidentaux oscillent entre interdépendance, coopération, concurrence et menace : elles doivent être replacées dans le contexte interne ainsi que dans les évolutions de l’Occident. Les années Eltsine (1991-1999) sont caractérisées par une Russie partiellement occidentalisée mais affaiblie et instable. Les deux premiers mandats de Vladimir Poutine (2000-2008) marquent le retour de la Russie sur la scène internationale grâce à une remise en ordre autoritaire du pays. De 2008 à aujourd’hui, la Russie s’est dressée face à l’Occident et souhaite reconstruire sa zone d’influence régionale, ramenant l’Occident au jeu géopolitique classique.

Le temps de la coopération et de la reconstruction, l’apparence d’une relative stabilité dans les relations Russie-Occident  (1991-1999)

        En 1991, Alexei Kozyrev, Ministre des affaires étrangères de Russie, déclare : «  Il nous faut avant tout surmonter notre sous-développement et à cette fin nous en tenir à un égoïsme raisonnable profitable à tous »[3]. De 1991 à 1996, la politique extérieure de la Russie est caractérisée par le rapprochement des pays occidentaux et par un éloignement relatif de la scène internationale pour faire face aux difficultés internes.

Des projets européens de coopération qui marquent un renouveau dans les relations extérieures

        En 1995, Mikhail Gorbatchev réitère son appel de 1984[4] pour la création d’un système de sécurité collective dans une Europe encore en proie à des conflits (ex-Yougoslavie – 1991-1995). Au delà de l’action militaire, il faut que les Etats européens favorisent une coopération économique, énergétique et politique. Il propose la création d’un Conseil de Sécurité et d’une Cour d’arbitrage afin de faire émerger une réelle solidarité européenne. Mais le projet reste sans suite par manque d’intérêt, tout comme l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) créée en 1994 (issue de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe) qui reste cantonnée à une structure de dialogue. Le grand projet d’une union européenne comprenant la Russie est enterré, mais une coopération dans différents domaines se met en place en Europe.

        La Russie rejoint le Conseil de l’Europe en 1996, montrant sa volonté de converger vers le modèle européen qui place en son centre le respect des droits de l’Homme et les valeurs démocratiques. La Russie n’est pas encore un Etat de droit mais son entrée dans le Conseil est le symbole d’une volonté de changement, l’espoir d’une amélioration. La Russie opère également un rapprochement avec l’UE en signant l’Accord de Partenariat et de Coopération (1994) qui fonde les relations commerciales entre la Russie et l’UE en postulant l’ouverture de la Russie à l’économie de marché. L’accord se double d’un volet normatif dans lequel la Russie s’engage à oeuvrer pour harmoniser sa législation et ses normes avec l’UE.

        Ces accords témoignent de la volonté russe de développer une coopération avec des acteurs européens et dans différents domaines après un demi-siècle d’instabilité. Alors qu’un temps d’apaisement débute, le rapprochement Russie-Occident dans le domaine militaire reste au coeur des enjeux de l’époque.

Une coopération militaire entre la Russie et l’Occident, marqueur de l’effacement russe sur la scène internationale

        La Russie vaincue a asphyxié son économie en s’engageant dans la course à l’armement lancée par les Etats-Unis [5]. Pour relancer son économie, elle doit réduire drastiquement son budget militaire et pour ce faire, dès 1991, la Russie signe avec la super-puissance américaine les accords START I puis START II (1993) portant sur le désarmement nucléaire et la réduction des armes stratégiques offensives. Parallèlement, la Russie dissout le Pacte de Varsovie [6] (1991) et se met en retrait sur la scène internationale comme en témoigne sa passivité face au conflit qui déchire l’ex-Yougoslavie.

        L’OTAN [7] cependant n’est pas dissoute et attire les pays d’Europe issus du démantèlement de l’URSS qui cherchent à se protéger de la Russie. En 1991, l’OTAN crée le Conseil de coopération nord-atlantique (CCNA) puis le Partenariat pour la paix (1994) : deux structures destinées à faire converger les Etats candidats vers son modèle normatif et culturel en vue d’une intégration. Les Occidentaux entament aussi un rapprochement avec la Russie qui voit, dans l’extension de l’Alliance à sa zone d’influence, une menace. En 1997, l’Acte fondateur sur les relations OTAN-Russie est signé, mettant en place une structure de dialogue entre les parties [8] et affirmant qu’elles ne sont plus des adversaires. L’impact de cet accord doit être relativisé puisque dès 1999, une crise éclate lorsque l’OTAN intervient au Kosovo alors même que la Russie s’y oppose devant l’ONU.

        Le maintien de l’OTAN est perçu comme une menace par la Russie qui, malgré l’accord de 1997, voit un adversaire potentiel à ses portes. La Russie est encore profondément affaiblie par les crises qu’elle traverse et ne peut faire porter sa voix sur la scène internationale, mais l’affront de 1999 alimente un sentiment d’humiliation qui traverse la société à cette époque.

La Russie d’Eltsine en proie à de profondes difficultés : l’échec de la refonte d’un modèle vaincu sur le modèle occidental

        En 1991, la Russie est confrontée à de graves difficultés économiques, sociales et politiques et fait le choix d’opérer une transition vers l’économie de marché. Le Président B. Eltsine lance un grand projet de privatisations, candidate à l’OMC (1995), est admis au G7 (1998-G8) et cherche à attirer les capitaux étrangers afin de financer la modernisation des infrastructures. Mais la Russie apparaît comme encore trop instable et n’obtient pas les financements nécessaires pour conduire ses réformes.

        En 1998 elle traverse une crise financière perçue comme la faillite du système capitaliste occidental. En effet, le mouvement d’ouverture et de libéralisation du pays engendre l’apparition de nouveaux oligarques qui accaparent les richesses face au reste de la population qui s’appauvrit. De plus, la libéralisation des prix conjuguée à la privatisation engendre une inflation galopante et une forte hausse du chômage : l’Etat se trouve en défaut de paiement et entre en récession. Enfin, cette crise est renforcée par la crise politique que traverse la Fédération. Le système démocratique fait encore défaut au pouvoir dont l’image est ternie par des scandales politiques (Mabetex), la Guerre de Tchétchénie (1994-1996) et l’instabilité qui règne entre le Parlement et le Président (1993).

        Les crises des années 1990 et la perte de repères après l’effondrement du communisme alimentent un ressentiment à l’égard de l’Occident « accusé de vouloir soumettre et humilier la Russie »[9] et ravivent le nationalisme. Ainsi, l’arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir est symptomatique de la volonté du peuple russe de restaurer la Grande Russie.

De 2000 à 2008, la Russie ré-émerge peu à peu comme puissance à l’heure où les acteurs occidentaux mènent des stratégies « expansionnistes »

La reprise en main de la Russie par Vladimir Poutine

        La crise généralisée, qui débute en 1998, oblige Boris Eltsine à démissionner le 31 décembre 1999, remplacé par Vladimir Poutine. Celui-ci s’emploie à redresser la situation interne du pays, dans le but de sortir du « déclassement géopolitique »[10]. Le libéralisme et la démocratie sont identifiés comme les causes de ce drame national et un nouveau régime est privilégié.

        Vladimir Poutine reconstruit un Etat fort, aux dépens des libertés individuelles. Il lance une offensive sanglante contre les séparatistes tchétchènes afin de restaurer l’intégrité territoriale et entame une « verticalisation » du pouvoir [11] : le pouvoir est centralisé, la presse et l’appareil judiciaire muselés pour éviter les « dissensions ». Le président relance également la croissance en restructurant l’économie. Les oligarques, qui avaient raflé les richesses du pays, sont obligés de mettre ces ressources au service du pouvoir (Khodorkovski). L’État renationalise les hydrocarbures, à travers la création de grands groupes comme Gazprom et Rosneft. La Russie retrouve la croissance, aidée en cela par le prix élevé des matières premières.

        La puissance économique de la Russie repose depuis sur une interdépendance avec le reste de l’Europe, son principal client. Cependant, le pouvoir russe adopte une attitude ambiguë envers ses voisins, entre coopération, ingérence et nationalisme (loi de contrôle des ONG de 2006). Pendant ce temps, l’Occident se fait plus englobant, afin de lutter contre le retour de la Russie dans le jeu régional.

Les relations avec les Etats-Unis restent limitées, à l’heure d’une expansion mal venue de l’OTAN

        L’objectif principal de la Russie à cette époque est de préserver son « glacis défensif »[12] : la Russie se place dans le contexte d’un équilibre des puissances, une réalité que lui contestent les Etats-Unis, convaincus d’être en situation d’unipole[13], à l’ère de G.W. Bush et du néoconservatisme triomphaliste.

        L’OTAN s’engage dans une logique expansionniste, qui empiète sur ce que la Russie voit comme son « étranger proche ». La Bulgarie, la Roumanie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Slovaquie et la Slovénie adhèrent à l’OTAN le 29 mars 2004. Le 21 avril 2005, l’OTAN invite l’Ukraine à un « dialogue intensifié ». C’est un pas de trop pour la Russie qui considère l’Ukraine comme partie intégrante du « monde russe » : elle empêche les négociations de progresser. L’OTAN se positionne aussi dans les Balkans : le 14 décembre 2006, la Serbie, le Monténégro et la Bosnie-Herzégovine adhèrent au Partenariat pour la paix (PPP). L’attitude de la Russie se raidit, face à ce qu’elle considère comme une attitude agressive : en réponse, elle suspend l’application du traité sur les forces armées conventionnelles en Europe le 13 juillet 2007[14].

        Cependant, l’OTAN instaure le dialogue, avec la création du Conseil OTAN-Russie le 28 mai 2002 dans le but affiché de faire de la Russie un partenaire privilégié (et encadré ?). La coopération entre les Etats-Unis, l’OTAN et la Russie reste limitée et circonstancielle: après le 11 septembre 2001, les puissances se rapprochent dans leur lutte commune contre le terrorisme. La Russie autorise par exemple les forces américaines à survoler son territoire pour rejoindre l’Afghanistan. L’UE et l’OTAN procèdent à des élargissements quasi simultanés : les deux organisations semblent faire front commun contre une résurgence de la puissance russe, tout en s’assurant de sa coopération.

L’Union européenne et la Russie, entre concurrence et interdépendance

        L’UE mène une politique de voisinage ambitieuse, sur deux modes : l’intégration et l’homogénéisation. Sa stratégie est celle d’une « expansion normative et institutionnelle »[15]. Elle souhaite éviter le jeu géopolitique tout en promouvant ses intérêts. Entre le 1er mai 2004 et le 1er janvier 2007, la Pologne, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, la République tchèque, la Slovaquie, la Slovénie, la Hongrie, Chypre, Malte, la Bulgarie et la Roumanie rejoignent l’UE. L’UE lance également en 2003 sa Politique européenne de voisinage (PEV) : celle-ci offre un soutien financier, une aide technique et des privilèges commerciaux, à condition que les normes européennes soient entérinées dans les Etats récipiendaires. Dès février 2005, l’Ukraine et la Moldavie envisagent de bénéficier de la PEV, puis viennent les trois pays du Caucase en novembre 2006. La PEV aggrave, selon Jean-Paul Guichard, «  l’isolement de la Russie »[16].  L’UE, consciente de son interdépendance énergétique (40% du gaz est russe), cherche à diversifier son approvisionnement : elle signe le 29 mai 2006 un traité instituant la Communauté de l’énergie avec l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, l’ARYM, le Monténégro, la Serbie et le Kosovo. Elle lance aussi le projet de gazoduc Nabucco, afin d’accéder directement aux ressources gazières azerbaïdjanaises.

        Ces liens économiques favorisent cependant la coopération : le Sommet de Paris en 2000 entame un « dialogue énergétique », suivi en 2005, par la création d’un Conseil permanent de partenariat des ministres de l’énergie. La coopération prend un tour systématique au sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003, où quatre espaces communs de dialogue sont définis : l’économie ; la liberté, la sécurité et la justice ; la sécurité extérieure ; la recherche et l’éducation.

        Mais la coopération reste avant tout technocratique et les divergences idéologiques ainsi que les tensions géopolitiques, sont occultées. Entre une Russie qui entame la reconquête de sa zone d’influence et une UE qui défend ses valeurs, la coopération échoue à empêcher la politisation des relations.

De 2008 à 2015, la Russie entérine son retour en puissance sur la scène internationale par une politique régionale « impérialiste »

Conservatisme et révisionnisme, les deux piliers d’une Russie en eaux troubles

        A partir de 2008, le pouvoir politique promeut une vision conservatrice de la société, alliée à un rejet de l’Occident, présenté comme décadent. Cette vision est fondée sur l’orthodoxie et une définition traditionnelle de la famille et des valeurs (adoption d’une loi contre la propagande « homosexuelle » en 2013). Les représentants politiques adoptent une « phraséologie patriotique »[17] et tentent de « désoccidentaliser » [18] la Russie (législation durcie sur les ONG étrangères en 2015).

        Cela s’accompagne d’une exaltation de l’identité russe (fête de l’Unité nationale le 4 novembre depuis 2005) et d’une politique extérieure révisionniste qui repose sur la défense du « monde russe ». Cette nouvelle vision a été entérinée par le président Medvedev dans son discours de politique extérieure en août 2008, dont le 4ème principe est la défense des citoyens russes « où qu’ils soient »[19]. La Russie se sent marginalisée par l’Ouest et encerclée[20].

        Cette orientation débute alors que le pays connaît une grave crise économique et sociale avec la récession qui frappe le pays en 2009 (-7,8%). Cette crise confronte la Russie aux lacunes structurelles de son économie, peu diversifiée et dépendante de la demande énergétique dans l’UE. Face à une situation qui présente un potentiel déstabilisateur pour le pouvoir, celui-ci se lance dans la défense du « monde russe », dont la première étape est la guerre en Géorgie. A l’issue de l’offensive russe en août 2008, la Géorgie perd 20% de son territoire, à travers les déclarations d’indépendance de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud.

L’UE évite la confrontation directe mais s’engage dans un rapport de force avec la Russie

        Face à cette guerre éclair qui viole les principes de droit international, l’UE s’engage dans un rapport de force avec la Russie sur une base normative en resserrant les liens avec « l’étranger proche ». A l’initiative de la Pologne et de la Suède, l’UE crée en 2009, le Partenariat oriental qui s’adresse à 6 anciennes républiques soviétiques dont la Géorgie (Biélorussie, Ukraine, Moldavie, Arménie, Azerbaïdjan). Cette structure de dialogue a pour but de favoriser le rapprochement des parties (sans parler d’intégration) par la signature d’accords de libre-échange ou de coopération en matière énergétique ou sectorielle (2013-2014 : signatures d’accords avec la Moldavie, l’Ukraine et la Géorgie). L’UE poursuit également son élargissement, avec l’entrée de la Croatie en 2013, et la refonte de la PEV en 2011.

        Face au regain de tensions entre l’Union européenne et la Russie, la sécurité collective de l’Europe est assurée a minima par la signature du traité New Start en avril 2010 sur la réduction des arsenaux nucléaires. Quant à des solutions durables à la situation en Europe orientale, les tentatives de rapprochement se heurtent aux divergences idéologiques. Ainsi la « Déclaration commune sur le partenariat pour la modernisation » signée entre l’UE et la Russie le 1er juin 2010, a vu son application mise à mal par l’insistance de l’UE à défendre la démocratie et les droits de l’Homme. Enfin les dissensions entre les États membres sont telles qu’un consensus reste impossible. Ainsi le Mémorandum dit de Meseberg, signé le 5 juin 2010 entre la chancelière allemande Angela Merkel et le président russe Dmitri Medvedev[21], qui prévoyait la création d’un comité interministériel euro-russe sur les questions de politique étrangère, n’a jamais abouti. Parmi les pays membres, certains n’ont pas apprécié d’être tenus à l’écart, quand d’autres l’ont rejeté d’office[22]. La Russie, consciente des faiblesses du projet politique de l’U.E. et de son manque de cohésion, n’a pas hésité à entamer la reconstruction de sa sphère d’influence, en usant de sa force de coercition et du levier économique.

Reconstruire son étranger proche et trouver une alternative à l’Occident

        Moscou cherche à reconstituer autour de la Russie un pôle économique et politique puissant au travers de la reprise en main de son étranger proche. La Russie récupère progressivement le contrôle des gazoducs d’Europe centrale et orientale, ce qui lui permet d’accroître la dépendance de ces pays à son égard. L’entreprise d’Etat biélorusse Beltransgaz est passée sous le contrôle de Gazprom en 2011. Cette offensive énergétique se double d’une forte influence sur les pays qui l’entourent en matière politique. La crise ukrainienne illustre parfaitement cette volonté de Moscou de retrouver son influence sur ses anciennes républiques, puisque Poutine a contraint l’Ukraine à ne pas signer l’Accord d’Association avec l’UE puis a annexé la Crimée en 2014. La crise ukrainienne marque un tournant dans les relations entre la Russie et les Occidentaux puisqu’elle enterre la possibilité de créer un partenariat stratégique durable avec la Russie. Celle-ci a envoyé un message fort aux Occidentaux : l’expansion de l’OTAN et de l’UE dans sa zone d’influence sont inacceptables.

        Dans son discours d’investiture de 2012, Vladimir Poutine affirme son ambition de faire de la Russie « le centre d’attraction de toute l’Eurasie », rappelant la double identité de la Russie à cheval sur l’Europe et l’Asie. La politique étrangère de la Russie se tourne depuis vers le rapprochement avec l’Asie, afin de diminuer la dépendance de la Russie à l’égard de l’Europe. La création de l’Union économique eurasiatique en 2014, qui a pour but de renforcer les échanges et investissements entre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie, s’inscrit dans ce mouvement. La Russie a également assuré la Présidence du forum de la coopération économique de l’Asie-Pacifique (APEC) en 2011 et tente de s’imposer comme acteur dominant dans le groupe des BRICS afin d’en faire un instrument de contestation de l’Occident.

        Les rapports entre les Occidentaux et la Russie ont toujours été relativement instables et fortement liés au contexte politique intérieur russe. Durant les années 1990, la société russe a été profondément marquée par ce qu’elle a vécu comme un « triomphalisme occidental »[23] et, si les accords de coopération se sont multipliés, les projets de rapprochement se sont transformés en déception mutuelle. Depuis les années 2000, Vladimir Poutine s’attache à faire renaître la Grande Russie sur la scène internationale en soumettant son étranger proche à son poids géopolitique. Par ailleurs la Russie a également opéré un « pivot vers l’Asie » afin de réduire son interdépendance avec l’Europe. Cette renaissance de la puissance russe inquiète d’autant plus les Occidentaux que le pays a entamé une modernisation de son appareil militaire (la Russie se place aujourd’hui à la 3ème place des dépenses militaires au monde). L’année 2015 illustre parfaitement les grandes tendances des relations entre l’Occident et la Russie, puisque cette dernière s’est révélée être un partenaire sur certains dossiers stratégiques (comme le nucléaire iranien ou la Syrie), tout en restant un adversaire redoutable sur l’Ukraine.

Clara Bak
Auriane Denis-Loupot

[1] Communauté des Etats Indépendants – née le 8 décembre 1991, à Minsk. 12 des 15 anciennes républiques y adhèrent (sauf les pays baltes).

[2] Francis Fukuyama, La Fin de l’histoire et le Dernier Homme, Paris, Flammarion, coll. Histoire, 1992, 452 p

[3] Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire du XXème siècle, Tome 4 : Vers le monde nouveau du XXIème siècle, Paris, Hatier, 2011, p.43

[4] « Plaidoyer pour une Maison commune » de 1995, reprend le discours de 1986

[5] Projet Initiative de défense stratégique (IDS) aussi appelé “guerre des étoiles”

[6]Alliance militaire créée en 1955 par l’Union soviétique avec l’Albanie (jusqu’en 1968), la République démocratique allemande (RDA), la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Tchécoslovaquie. Cette alliance militaire est créée pour faire face à l’entrée de la République fédérale d’Allemagne (RFA) dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

[7] Organisation militaire créée en 1949 sous l’égide des Etats-Unis afin de contrer la puissance soviétique.

[8] Création du Conseil conjoint permanent OTAN-Russie (CCP)

[9] Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire du XXème siècle, Tome 4 : Vers le monde nouveau du XXIème siècle, Paris, Hatier, 2011

[10] Thomas Gomart, « Russie: de la « grande stratégie » à la « guerre limitée » », Politique étrangère 2015/2 (Été), p. 31.

[11] Marina Glamotchak, « Diplomaties gazières dans les Balkans: la Russie et l’Union européenne », Géoéconomie 2014/2 (n°69), p. 85.

[12] Thomas Gomart, « Russie : de la « grande stratégie » à la « guerre limitée » », Politique étrangère 2015/2 (Été), p. 31.

[13] Charles Krauthammer, “The Unipolar Moment Revisited”, The National Interest, hiver 2002-2003.

[14] Sénat, « La méfiance persistante de la Russie à l’égard de l’OTAN », dans Où va la Russie ?, rapport d’information n° 416 (2007-2008).

[15] Andrey Makarychev, « Russia and/versus the EU: From Post-political Consensus to Political Contestations », L’Europe en Formation 2014/4 (n°374), p. 28.

[16] Jean-Paul Guichard, « La politique russe, la Sibérie et l’Europe », Géoéconomie 2015/1 (n°73), p. 83.

[17] Jean de Gliniasty, « L’Occident et la Russie depuis 1989 : les grands malentendus », Revue internationale et stratégique 2015/3 (N°99), p. 119.

[18] Thomas Gomart, « Russie : de la « grande stratégie » à la « guerre limitée » », Politique étrangère 2015/2 (Été), p. 31.

[19] РИА Новости, « Медведев назвал « пять принципов » внешней политики России », РИА Новости, 31 août 2008.

[20] Thomas Gomart, « Russie : de la « grande stratégie » à la « guerre limitée » », Politique étrangère 2015/2 (Été), p. 30.

[21] Memorandum, 4-5 juin 2010, http://www.russianmission.eu/sites/default/files/user/files/2010-06-05-meseberg-memorandum.pdf.

[22] Philip Remler, « Negociation Gone Bad : Russia, Germany, and Cross Communications », Carnegie Europe, 21 août 2013.

[23] Rapport n°21 du Sénat au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 2015

Bibliographie

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Serge Berstein et Pierre Milza, Histoire du XXème siècle, Tome 4 : Vers le monde nouveau du XXIème siècle, Paris, Hatier, 2011.

  • Articles de revues

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Thomas Gomart, « Russie : de la « grande stratégie » à la « guerre limitée » », Politique étrangère 2015/2 (Été), p. 25-38.

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Михаил Коростиков, « Недоворот на Восток », Коммерсантъ (n°239), 25 décembre 2015, p. 10.

Rajan Menon, « Putin’s Rational Choices », Foreign Affairs, 29 février 2016, en ligne. Disponible à <https://www.foreignaffairs.com/articles/russian-federation/2016-02-29/putins-rational-choices>

OTAN, « La Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et la Serbie rejoignent le Partenariat pour la paix de l’OTAN », 14 décembre 2006, en ligne. Disponible à < http://www.nato.int/cps/fr/

natohq/news_22059.htm?selectedLocale=fr>

Philip Remler, « Negociation Gone Bad : Russia, Germany, and Cross Communications », Carnegie Europe, 21 août 2013, en ligne. Disponible à <http://carnegieeurope.eu/publications/?fa=52712>

РИА Новости, « Медведев назвал « пять принципов » внешней политики России », РИА Новости, 31 août 2008, en ligne. Disponible à <http://ria.ru/politics/20080831/150827264.html>

François de Rose, « La fin du traité ABM », Les Echos, 11 janvier 2002, en ligne. Disponible à <http://www.lesechos.fr/11/01/2002/LesEchos/18570-154-ECH_la-fin-du-traite-abm.htm>

  •    Sources institutionnelles

Sénat, « La méfiance persistante de la Russie à l’égard de l’OTAN », in Où va la Russie ?, rapport d’information n° 416 (2007-2008). Disponible à < http://www.senat.fr/rap/r03-317/r03-3179.html>

Sénat, M. Robert del PICCHIA, Mme Josette DURRIEU et M. Gaëtan GORCE, « Les relations avec la Russie : Comment éviter l’impasse ? » Rapport n°21 du Sénat au nom de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, 2015

Sénat, « Les enjeux de l’évolution de l’OTAN » disponible sur file://localhost/<http/::www.senat.fr:rap:r06-405:r06-4052.html>

Memorandum, 4-5 juin 2010. Disponible à <http://www.russianmission.eu/sites/default/files/user/files/2010-06-05-meseberg-memorandum.pdf.>

La documentation française, « Dossier l’armement et le désarmement nucléaires », disponible sur <http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/nucleaire/desar.shtml>

La documentation française « Dossier sur La Russie et l’Union européenne, l’Accord de partenariat et de coopération (APC) », disponible sur <http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-russie/accord-partenariat-cooperation.shtml>

 

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