La crise hydrique au Cap

La crise hydrique au Cap

 La ville du Cap en Afrique du Sud connaît depuis plus de trois ans une sécheresse qui est sur le point d’épuiser les dernières ressources en eau de la ville. C’est un scénario presque apocalyptique que connaît la ville de 4 millions d’habitants depuis maintenant de nombreux mois. La Maire de la ville, Patricia de Lille, a même attribué un nom «  day zero », au jour où les ressources en eau de la ville seront coupées. Ce sera alors sans doute la crise hydrique urbaine la plus importante jamais connue par une ville de cette ampleur.

La sécheresse serait, selon les spécialistes, la plus forte depuis au moins un siècle. Elle a notamment provoqué une baisse drastique des précipitations, alors que ce sont précisément sur celles-ci que repose la quasi-intégralité des ressources en eau de la ville. Les trois dernières années ont connu des précipitations de respectivement 153, 221, et 327 millimètres alors que la moyenne de précipitations annuelles se situe depuis 1977 autour de 508mm selon la station météorologique du Cap. Le système d’eau de la ville, aujourd’hui décrié, comprend six gigantesques réservoirs d’eau nourris par les pluies. Le plus grand de ces réservoirs, baptisé « Theewaterskloof dam », est sensé contenir à lui seul plus de la moitié des réserves en eau de la ville. Aujourd’hui, il contient moins de 12 % de sa capacité initiale. En 2014, après une saison des pluies particulièrement abondantes, les réservoirs avaient été totalement remplis, personne alors n’imaginait la crise actuelle.

Si une sécheresse d’une telle ampleur était imprévisible, ce n’est cependant pas la première fois que le système de gestion de l’eau est remis en question. En 2005, la ville avait déjà connu une situation de stress hydrique, forçant les autorités à interdire d’arroser les jardins. À ce moment, le réservoir de Theewatrerskoolf atteignait à peine 30 % de sa capacité. À l’époque, l’opposition de l’Alliance démocratique, qui menait campagne pour les élections locales, avait axé son discours sur l’environnement, la gestion de l’eau et la croissance soutenable. On parlait alors de diversification des ressources, notamment en exploitant l’aquifère de la Table Mountain Group qui contient, selon les estimations, 100 000 kilolitres cube d’eau. En réalité, l’Alliance démocratique a mené depuis sa victoire aux élections locales de 2007 des projets dans la gestion de l’eau. La mairie a ainsi construit le sixième réservoir de la région augmentant de 17 % les capacités de stockage d’eau de la ville. De plus les politiques de prévention contre le gaspillage et les fuites ont été menée si efficacement que la ville réussit rapidement à réduire de 30 % sa consommation d’eau par rapport aux années 2000. Ironie du sort, le Cap avait été récompensée par les 40 villes du C40 pour son système de gestion de l’eau, notamment sur la prévention et sur les aspects techniques de sauvegarde de l’eau. Mais finalement, ce succès poussa les autorités locales à ne pas mener de politique de diversification de l’approvisionnement en eau. S’ajoute le fait que la ville a connu une forte croissance démographique. En dix ans, la population est passée de 3,2 millions d’habitants à plus de 4 millions. La ville a vu arriver de nombreux habitants des régions avoisinantes pour son développement économique d’une part, mais aussi pour la réputation de bonne gouvernance dont bénéficiait l’opposition nationale au régime du président de l’époque Jacob Zuma, la région du Cap étant la seule tenue par celle-ci.  

Au Cap, il s’agit désormais d’éviter le pire. À partir du moment où tous les réservoirs atteindront  le niveaux de 13,5 %, les autorités couperont l’alimentation en eau de la ville et distribueront 20 litres d’eau par personne et par jour dans 200 points de la ville déjà désignés et qui seront alors sécurisés par l’armée. Mais chaque point devra fournir des ressources en eau à 20 000 habitants, et le risque que la situation dégénère semble réel. Pour éviter d’en arriver là, la Maire Patricia de Lille, très critiquée pour sa réaction tardive face aux préoccupations des scientifiques, a désormais imposé des restrictions importantes. Dans un premier temps, une limite de 87 litres par jour et par personne avait été imposée. Mais la mesure n’a pas été suivie par tous les habitants. La Maire a donc dû fortement augmenter les prix de l’eau pour les personnes allant au-delà de la limite qui, par ailleurs, a été abaissée à 50 litres par jour depuis le 1er février. Cela correspond à une douche d’environ deux minutes. Les restrictions ont en partie porté leurs fruits, puisque la consommation quotidienne est passée de 1,1 milliard de litres par jour en moyenne à 500 millions de litres. L’intégralité du mode de vie des habitants s’en trouve totalement chamboulée. Arroser les jardins et remplir les piscines a été totalement interdit. Les restaurants recommandent d’utiliser des produits hygiéniques plutôt que de se laver les mains, les hôtels ont vidé leurs piscines ou les ont remplacées par des piscines d’eau salée. Les radios diffusent des chansons de deux minutes pour signaler le moment où la douche doit s’arrêter. Autrement dit, la crise hydrique a bouleversé l’intégralité du quotidien des 4 millions d’habitants de la ville. Pour eux, le réchauffement climatique ne constitue pas une menace abstraite et lointaine.

L’économie de la ville s’en trouve aussi fortement impactée. La ville tire ses ressources en partie des deux millions de touristes qui la visite chaque année. Devant la catastrophe et les restrictions, les touristes annulent le voyage. Une autre partie des ressources de la ville provient de l’agriculture. La région est l’une des plus importantes dans la production viticole au niveau mondial. À la crise hydrique viennent s’ajouter des considérations politiques entre le gouvernement et l’Alliance Démocratique. L’ANC soutient activement l’agriculture viticole de la région, important domaine d’exportation et soutien politique régional, et n’a jamais eu l’intention de restreindre leurs consommations d’eau, qui est pourtant une source majeure de dépense hydrique. À l’heure actuelle, le gouvernement est accusé de ne pas avoir favorisé les investissements dans les infrastructures nécessaires pour la diversifications des sources parce que celle-ci appartient à l’opposition. La municipalité a quant à elle choisi dans l’urgence de construire des modules de désalinisation temporaires extrêmement chers, mais surtout, dont la construction prend au minimum trois ans. La crise hydrique a donc été instrumentalisée par les deux camps à des fins politiques. Cela semble devoir continuer, notamment après que la ville du Cap ait annoncé que son budget annuel présente un déficit de l’ordre de 100 millions d’euros, dont elle aimerait bien que le gouvernement central paie tout ou partie.

Il reste cependant de l’espoir, selon les spécialistes. Avec une consommation de 500 millions de litres par jour, la ville pourrait tenir jusqu’au 9 juillet. Reste à savoir quand arrivera la saison des pluies qui débute généralement fin juin, mais dont les scientifiques ne garantissent ni la date ni l’ampleur en termes de volume de précipitations. Un spécialiste de l’université du Cap, Piotr Wolski, interrogé par le New York Times, a indiqué que les mesures de pluie annuelle depuis les années 2000 laissent penser que la région risquait de connaître un climat plus aride et moins de précipitations à l’avenir.  

Le Cap n’est pas la première ville à souffrir de stress hydrique. Au Brésil, la capitale Brasilia a été placée en état d’urgence pour cette même raison il y a un peu plus d’un an. La solution se trouve peut-être dans l’invention de nouvelles technologies, ou dans le changement de nos habitudes de consommation. Quoi qu’il en soit, la crise du Cap risque de faire date comme la première crise urbaine de pénurie complète d’eau. Les efforts consentis par la population depuis quelques mois seront un exemple à suivre si le changement climatique accentue l’aridité de certaines régions dont le système d’eau devra être repensé afin d’éviter ce genre de scénario apocalyptique.

Esteban Lopez

BIBLIOGRAPHIE :

https://www.theguardian.com/global-development/2016/nov/27/southern-africa-climate-change-drought-crop-failure

https://news.nationalgeographic.com/2018/02/cape-town-running-out-of-water-drought-taps-shutoff-other-cities/

http://www.bbc.com/news/business-42626790

http://abonnes.lemonde.fr/afrique/article/2018/01/24/en-afrique-du-sud-vent-de-panique-au-cap-menace-d-etre-prive-d-eau_5246519_3212.html

http://www.independent.co.uk/news/long_reads/day-zero-cape-town-drought-no-water-run-out-reservoir-supply-12-per-cent-16-april-south-africa-a8195011.html

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