Tsunami électoral en Malaisie

Tsunami électoral en Malaisie

Une véritable révolution. Le 9 mai dernier avaient lieu en Malaisie les 14èmes élections législatives depuis l’indépendance du pays en 1957. L’opposition les a remportées pour la première fois depuis 61 ans, mettant ainsi fin au règne de l’United Malays National Organisation (UMNO), le parti de Najib Razak, premier ministre sortant. Pourquoi cette situation est-elle exceptionnelle ? Quelles sont les perspectives pour le futur du pays ?

Comment expliquer les résultats ?

La Malaisie a un roi, actuellement le sultan Mohammed V, et un chef de gouvernement, le premier ministre. Depuis 2009, c’était Najib Razak qui tenait ce rôle. Il était appuyé par la coalition du Barisan Nasional (BN, littéralement « Front national »), coalition au sein de laquelle l’UMNO est dominant.

L’UMNO et le BN ont dominé la politique malaisienne depuis l’indépendance, et il n’y a jamais eu d’alternance malgré la percée de l’opposition aux élections de 2008. Mercredi dernier était donc un jour historique pour la Malaisie, qui voit sa démocratie renaître, et que peu avaient vu venir. En effet, Najib Razak semblait avoir tout fait pour l’empêcher, entre modification de la carte électorale à son avantage, campagne électorale de 11 jours seulement – le minimum légal – et décision de fixer le vote sur un jour ouvré (un mercredi), susceptible d’empêcher de nombreux travailleurs et étudiants de rentrer voter dans leurs circonscriptions. Cette élection avait tout pour favoriser le premier ministre sortant. Pourtant, sur 222 sièges au Parlement, c’est bien 113 sièges qui seront occupés par la coalition d’opposition Pakatan Harapan (PH, littéralement « Alliance de l’espoir ») et 79 seulement par le BN.

Paradoxalement, l’homme qui symbolise ce retour à la démocratie et la première alternance de l’histoire malaisienne contemporaine est un ancien dirigeant aux penchants autoritaires : le Dr. Mahatir. Ancien leader de l’UMNO, Mahatir a été le premier ministre malaisien durant 22 ans, de 1981 à 2003. Najib Razak était son protégé.

Son rôle de leader de l’opposition est donc surprenant, mais la raison pour laquelle il est activement de retour dans la politique malaisienne depuis 2 ans est aussi celle du sursaut électoral des 15 millions de votants malaisiens. Des scandales de corruption et de détournement de fonds gouvernementaux au retentissement international, comme le scandale 1MDB [1], le coût de la vie de plus en plus élevé et les inégalités régionales – entre est et ouest du pays – et ethniques ont exaspéré la population comme Mahatir, menant au résultat-tsunami du 9 mai.

De plus, si les citoyens d’ethnie chinoise et indienne ont traditionnellement plus tendance à choisir l’opposition, les Malais, jusqu’ici, choisissaient l’UMNO qui menait une politique ethnique de discrimination positive envers leur ethnie. Mahatir étant un défenseur auto-proclamé de cette politique de discrimination positive, les Malais n’ont pas eu à choisir entre un vote de protestation et une politique ethnique en leur faveur.

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Le Dr. Mahatir en 2010, disponible sur wikimedia

 

Quelles perspectives pour le futur de la Malaisie ?

A 92 ans, Mahatir est désormais le plus vieux chef de gouvernement du monde. Il bénéficie d’un charisme fort, notamment grâce au fait qu’il ait mené l’économie malaisienne parmi les « tigres » asiatiques et son refus de l’austérité et d’un programme du Fonds Monétaire International (FMI) lors la crise dans les pays asiatiques en 1997.

Mahatir ne devrait pas rester longtemps à son poste. La coalition PH est formée de quatre partis : le Democratic Action Party (DAP), le People’s Justice Party (PKR), le National Trust Party et le Malaysian United Indigenous Party (PPBM). Le nouveau premier ministre, du fait de son âge mais surtout d’un accord conclu avec Anwar Ibrahim, un politicien populaire d’opposition de longue date en Malaisie, selon lequel il devrait lui laisser sa place dans les deux ans à venir. Anwar Ibrahim, qui depuis les années 1990 a fait plusieurs aller-retours en prison sur des charges de « sodomie et corruption » – l’homosexualité est interdite en Malaisie, mais les faits rarement poursuivis -, vraisemblablement pour des causes politiques. En prison durant les élections, il en est sorti le 16 mai, car il a été gracié par le roi Mohammed V sur la demande de Mahatir – cela faisait partie de l’accord conclu entre lui et Mahatir. Il est donc de nouveau éligible pour des élections législatives partielles. La relative courte durée de fonctions de Mahatir devrait, selon Bridget Welsh [2], donner un certain dynamisme à la nouvelle administration pour réformer profondément le système.

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Anwar Ibrahim en 2013, disponible sur wikimedia

 

A très-court terme, le résultat des élections a d’abord un impact fort sur le paysage politique malaisien. Après les résultats des élections, le premier ministre sortant Najib Razak a annoncé qu’il démissionnait de ses fonctions de leader de la coalition BN et de la présidence de l’UMNO. De plus, le nouveau premier ministre a exprimé sa volonté de rétablir la réputation internationale de la Malaisie ainsi que l’équilibre et l’indépendance des pouvoirs afin de restaurer la confiance dans l’Etat. Il est donc probable que des poursuites soient lancées contre Razak à propos des faits supposés de corruptions. Un procès avait déjà eu lieu durant ses 9 ans à la tête du gouvernement, suite auquel il avait été acquitté. Cependant, Mahatir semble déterminé à récupérer les quelques 700 millions de dollars qu’il est accusé d’avoir détournés en 2015 et donc à lancer de nouvelles poursuites. Le 12 mai, Razak a d’ailleurs annoncé que lui et sa femme étaient interdits de sortie du territoire.

Dans l’immédiat, le défi est de former un gouvernement qui soit représentatif des deux partis de cette coalition, politiquement mais aussi vis-à-vis des facteurs religieux et régionaux, très importants dans la politique du pays. Ensuite, les prochains défis seront la réforme des impôts et notamment de la très-controversée « GST » (goods and services tax).

Néanmoins, les conséquences qui seront sans aucun doute les plus importantes dans l’histoire malaisienne sont dans la population. Le 9 mai 2018 constitue un précédent : les Malaisiens savent désormais qu’il est possible de changer de gouvernement, qu’ils en ont le pouvoir. Ils ont réussi à obtenir une alternance grâce à une alliance menée par deux hommes politiques qui se sont plusieurs fois affrontés, et constituée par des partis multiethniques. Malais, Indiens et Chinois ont regardé dans la même direction pour obtenir ce qu’ils souhaitaient : la fin d’une démocratie de façade. Cette conscience de leur pouvoir citoyen devrait atténuer les chances d’une nouvelle « semi-démocratie » similaire à celle du « règne » de Mahatir.

Marie Mognard

 

Bannière : Drapeaux du Democratic Action Party et du Barisan Nasional dans les rues de Kuala Lumpur en 2013, disponible sur wikimedia

Notes

[1] pour en savoir plus sur le scandale 1MDB et plus généralement son rôle dans les élections, vous pouvez lire cet article : VASWANI, Karishma, « Corruption, money and Malaysia’s election », BBC News, 11 mai 2018, http://www.bbc.com/news/business-44078549

[2] voir l’émission « Inside Story » sur la chaîne Youtube d’Al Jazeera English, https://www.youtube.com/watch?v=dbCkQ9347-A

 

Bibliographie

Articles de presse

AL JAZEERA, “Malaysia’s opposition pulls off shocking election win”, Al Jazeera, 10 mai 2018, https://www.aljazeera.com/indepth/features/malaysian-opposition-wins-time-independence-180511070828572.html (consulté le 16/05/2018)

BBC, “Anwar Ibrahim: Malaysia’s leader-in-waiting”, BBC News, 16 mai 2018, http://www.bbc.com/news/world-asia-16440290 (consulté le 16/05/2018)

BBC, “Former Malaysia PM Najib Razak banned from leaving country”, BBC News, 12 mai 2018, http://www.bbc.com/news/world-asia-44092143 (consulté le 16/05/2018)

BBC, “Malaysia’s freed Anwar Ibrahim hails ‘new dawn’ after poll win”, BBC News, 16 mai 2018, http://www.bbc.com/news/world-asia-44135213 (consulté le 16/05/2018)

BERNAMA, “New govt needs time, says Rafidah”, Malaysiakini, 16 mai 2018, https://www.malaysiakini.com/news/425323 (consulté le 16/05/2018)

DEFRANOUX, Laurence, « Le 9 mai, les Malaisiens iront voter… s’ils le peuvent » http://www.liberation.fr/planete/2018/04/10/le-9-mai-les-malaisiens-iront-voter-s-ils-le-peuvent_1642291 (consulté le 16/05/2018)

HEYDARIAN, Richard Javad, “A peaceful revolution in Malaysia”, Al Jazeera, 11 mai 2018 https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/peaceful-revolution-malaysia-180511140532987.html (consulté le 16/05/2018)

PHILIP, Bruno, « Malaisie : victoire historique de l’opposition », Le Monde, 9 mai 2018,  http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/05/09/malaisie-victoire-historique-de-l-opposition-aux-elections-legislatives_5296868_3216.html (consulté le 16/05/2018)

VASWANI, Karishma, “Corruption, money and Malaysia’s election”, BBC News, 11 mai 2018, http://www.bbc.com/news/business-44078549 (consulté le 16/05/2018)

 

Supports video

“Is the world’s oldest prime minister the answer in Malaysia?”, Inside Story, Al Jazeera,

https://www.youtube.com/watch?v=dbCkQ9347-A

“Political earthquake in Malaysia as opposition wins polls”, TRT World Now, https://www.youtube.com/watch?v=-_j3zT_1Mvs

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