Les “diamants du sang” : symbole du lien entre conflits et ressources en Afrique

Les “diamants du sang” : symbole du lien entre conflits et ressources en Afrique

En Afrique sont enfouies les principales ressources diamantifères de la planète. Vitaux pour certaines économies africaines, les diamants sont rapidement devenus des enjeux majeurs dans les luttes de pouvoir [1]. Ainsi, on a pu établir un lien de causalité entre les ressources minérales et les guerres civiles qui ont marqué plusieurs pays africains tels que l’Angola (1975-2002), la Sierra Leone (1991-2002) ou la République démocratique du Congo (1996-2003).

En 2000, le processus de Kimberley a été créé à l’initiative de l’Afrique du Sud. Ce forum tripartite international, qui réunit à la fois des représentants d’États, d’entreprises diamantifères et de la société civile, a pour objectif d’empêcher le négoce de ce qu’on appelle les « diamants du sang ». Selon la définition retenue par l’ONU, les « diamants du sang » sont « des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes » [2]. L’objectif du processus de Kimberley est de certifier aux consommateurs que les diamants achetés n’ont pas servi au financement de conflits armés. Toutefois, près de vingt ans après la création du processus de Kimberley, les « diamants du sang » n’ont toujours pas complètement disparu. En 2013, en République centrafricaine, l’exploitation illégale des ressources diamantifères a permis de financer la coalition de rebelles Séléka, qui a fini par renverser le président François Bozizé. En 2017, l’ONG Global Witness a dévoilé l’existence d’un réseau de contrebandiers qui vendaient des diamants issus du conflit en Centrafrique aux quatre coins du monde à travers Facebook et Instagram [3].

Le rôle des diamants dans les conflits africains

L’expression « diamant du sang » a été pour la première fois employée lors de la guerre civile angolaise (1975-2002). L’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA) s’opposait alors au Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) pour prendre le pouvoir. Une mission onusienne révéla que l’UNITA, pour financer son effort de guerre, échangeait les diamants bruts extraits des gisements qu’elle contrôlait contre des armes. Des diamants bruts étaient également vendus en espèces, qui servaient ensuite à acquérir de l’armement. En juin 1999, sous la pression du Canada, l’ONU décida donc de frapper d’un embargo l’exportation de diamants angolais. L’UNITA se retrouva affaiblie puisque privée d’une des principales sources de financement de ces opérations politiques et militaires mais aussi de reconnaissance internationale. Les sanctions onusiennes permirent au MPLA d’affirmer sa légitimité et d’évincer l’UNITA, dorénavant considérée comme un mouvement rebelle par la communauté internationale. Toutefois, les diamants n’ont joué qu’un rôle secondaire en Angola puisque la principale source de revenus du pays lusophone est le pétrole et que le conflit s’est organisé en partie autour du contrôle de cette ressource.

En République démocratique du Congo (RDC), les diamants n’ont pas été qu’un moyen de financer les chefs de guerre. Pendant les deux guerres du Congo (1996-2003), les diamants ont été un enjeu essentiel. A la différence de l’Angola, la production diamantifère est la principale source de revenus de la RDC.  Un différend ethno-politique est à l’origine de la Première guerre du Congo (1996-1997) après que le dictateur Mobutu a refusé d’accorder la nationalité zaïroise aux membres de l’ethnie Banyarwanda. Le mouvement de Laurent Désiré Kabila, les Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) prend les armes et cherche à destituer le dictateur. L’AFDL est financée grâce à des contrats sur les gisements diamantifères congolais signés avec des entreprises occidentales notamment canadiennes, américaines et israéliennes. Fort de ces importants financements, Kabila parvient à renverser Mobutu et devient président de la RDC en 1997. La Deuxième guerre du Congo, en revanche, a eu pour principal motif le contrôle des principaux gisements de diamants congolais. Ce conflit a opposé la RDC et ses alliés namibien, angolais et zimbabwéen au Burundi, l’Ouganda et le Rwanda, vivement intéressés par les concessions diamantifères congolaises.

Le film Blood Diamond d’Edward Zick, sorti en 2006, a attiré l’attention de la communauté internationale sur le rôle des diamants dans la guerre civile en Sierra Leone et au Libéria (1991-2002). D’après l’ONG Partenariat Afrique Canada, « Les diamants ont été le moteur du conflit en Sierra Leone, qui a déstabilisé le pays durant près de trente ans, dérobé son patrimoine et détruit toute une génération d’enfants » [4]. Là aussi, les diamants ont servi à financer les activités de groupes armés comme le National Patriotic Front of Liberia (NPFL), qui parvient à renverser le gouvernement légitime. Le NPFL et sa branche active au Sierra Leone, le RUF, sont en outre particulièrement connus pour avoir eu largement recours aux enfants soldats. Au Libéria comme dans les autres pays précédemment cités, l’État n’était pas assez fort pour assurer la bonne gouvernance de cette ressource hautement stratégique. C’est pourquoi les diamants profitaient davantage aux trafiquants et aux groupes armés plutôt qu’aux caisses de l’État.  

Les embargos et la création du processus de Kimberley

Deux types de mesures ont été prises par la communauté internationale pour empêcher la circulation des diamants de conflit.

La première est l’embargo, dont l’objectif était d’interdire tout débouché légal à la production diamantifère d’un pays en guerre. Ces embargos avaient surtout un effet politique. En effet, les embargos mis en place par l’ONU avaient tendance à augmenter la contrebande dans les pays en guerre et se révélaient inefficaces. En Angola et au Libéria, les diamants étaient vendus à travers des réseaux clandestins, faute de pouvoir circuler dans les circuits du commerce international licite.

L’autre mesure significative prise par la communauté internationale fut le processus de Kimberley. Il a pour but premier d’éradiquer le commerce des diamants du sang. Il rassemble aujourd’hui 81 pays sur la base du volontariat. Sa présidence est tournante. En 2019, l’Inde a succédé à l’Union européenne. En 2020, la Russie devrait prendre la relève et assurer la présidence du processus. Le principe du PK est très simple : chaque pays producteur de diamants doit délivrer un certificat attestant que tout diamant exporté n’est pas issu d’une zone de guerre. Les pays producteurs doivent également organiser des contrôles internes et fournir des statistiques sur leur commerce de diamants. Aujourd’hui, 99,5 % des diamants en circulation sur le marché international seraient certifiés grâce au processus de Kimberley [5]. Les 0,5 % proviennent de pays comme la République démocratique du Congo (RDC), la République centrafricaine (RCA) où la situation géopolitique est particulièrement instable. Le PK estime avoir réduit de 15 à 0,2 % la part des diamants du sang sur le marché international. Ces chiffres sont toutefois à relativiser puisque certains pays producteurs font preuve de manque de transparence et vont  jusqu’à falsifier leurs statistiques et leurs certifications. Par ailleurs, selon un groupe d’experts de l’ONU, la situation en Centrafrique est de plus en plus inquiétante. En effet, sur les 330 000 carats produits par la RCA en 2018, seuls 9000 auraient été certifiés puis exportés [6]. Selon l’ONU, la majorité des diamants produits servirait à financer des groupes armés. 

Les limites du processus de Kimberley

Selon la chercheuse Élise Rousseau, la définition de diamant du sang, adoptée en 2000, ne s’adapte plus aux réalités conflictuelles contemporaines [7]. Ainsi, aujourd’hui, seuls les diamants produits dans certaines zones de la RCA sont considérés comme des diamants du sang. La définition du PK ne prend pas en compte les conditions d’extraction des diamants dans d’autres concessions diamantifères, qui se déroulent souvent dans un contexte de violence parfois autorisée par l’État. De nouveaux éléments rendent la situation particulièrement complexe comme l’implication des sociétés militaires privées en Centrafrique. Trois journalistes russes ont été assassinés dans le pays africain le 30 juillet 2018 alors qu’ils enquêtaient sur les liens entre le groupe Wagner, une société paramilitaire russe, et le trafic de diamants centrafricains.

De plus, l’objectif du processus de Kimberley reste de favoriser le commerce des diamants et ne prête pas attention au respect des droits de l’Homme. Les ouvriers employés dans les concessions diamantifères travaillent parfois dans des conditions très rudes. En Angola, on compte de nombreux cas de travailleurs illégaux, issus de l’immigration congolaise. Le PK n’assure en rien des conditions de travail correctes pour les travailleurs des pays signataires.

Le processus de Kimberley ne prend pas non plus en compte le risque environnemental que constitue l’extraction de diamants. Les risques concernent la pollution des sols mais aussi les espaces maritimes. L’extraction de diamants se développe également au large des côtes de certains pays africains. La compagnie sud-africaine De Beers, au large de la Namibie, souhaite par exemple extraire des fonds marins les diamants rejetés par le fleuve Orange. Une méthode, qui, selon les géologues, pourrait fragiliser les fonds marins et leur écosystème.

L’échec des réforme du processus de Kimberley

Lorsque l’Union européenne, au début de sa présidence en 2018, a proposé de réformer la définition, les pays africains ont dénoncé la portée néo-colonialiste du projet. Dans ce contexte, il a été difficile pour l’Union européenne de réformer le PK. L’argument économique a aussi été avancé par les pays africains. Selon eux, en cas d’élargissement du mandat du PK, la plupart des gouvernements se trouveraient dans l’impossibilité de certifier l’origine des diamants, ce qui aurait des conséquences néfastes sur leur économie. Le processus de Kimberley, d’après le chercheur Thierry Vircoulon, est « avant tout un club de producteurs et de consommateurs dont le but est de favoriser le commerce » [8]. Les propositions de réformes de l’Union européenne comme la création d’un secrétariat permanent et la création d’un fonds d’aide pour la société civile et les États-membres n’ont ainsi pas pu être appliquées. Le vote à l’unanimité rend la prise de décision du processus de Kimberley particulièrement lente.

Dépités par le manque d’avancement, les ONG Global Witness et Impact ont décidé de quitter le processus de Kimberley respectivement en 2011 et 2017. Ces deux ONG déplorent l’incapacité du processus à se réformer et à enrichir la définition de diamant de conflit. Seuls les diamants bruts utilisés par des mouvements rebelles sont considérés comme des diamants de conflit d’après la définition du PK. Certains gouvernements africains en profitent donc pour violer les droits de l’Homme sans être interpellés. Au Zimbabwe, par exemple, l’armée s’est emparée en 2007 d’une des mines diamantifères de Marange, à l’est du pays. Les militaires, désireux d’accaparer les ressources, ont tué plus de 200 personnes selon l’ONG Human Rights Watch. L’armée zimbabwéenne a par ailleurs généralisé le travail forcé d’enfants dans les gisements diamantifères et bénéficie en toute impunité des revenus des « diamants du sang ». L’exportation est toujours autorisée aujourd’hui après un bref embargo en 2010, au grand dam des ONG.

Le processus de Kimberley, qui avait permis de réduire considérablement la circulation de diamants du sang sur le marché international, peine aujourd’hui à trouver un nouveau souffle et à répondre aux problématiques contemporaines liées au commerce de diamants. Ce forum tripartite, créé pour faciliter la commercialisation des diamants, ne prend pas assez en compte le respect des droits de l’Homme et de l’environnement. Le PK est difficilement réformable, puisque le vote à l’unanimité est requis pour prendre des décisions. La reconnaissance du rôle de certains gouvernements dans les conflits liés aux ressources diamantifères et la mise en place de sanctions n’est pour l’instant pas à l’ordre du jour. L’Inde, qui a succédé à l’Union européenne à la présidence du processus de Kimberley, s’est montrée plutôt hostiles aux réformes proposées par son prédécesseur. Aujourd’hui, des diamants du sang parviennent toujours à se frayer un chemin dans les circuits commerciaux légaux sans que le principal organe de contrôle, le processus de Kimberley, puisse intervenir.

Justine Gadon-Ferreira 

 

Sources :

[1] https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2007-1-page-173.htm

[2]  https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/08/28/diamants-de-sang-pourquoi-il-faut-reformer-le-processus-de-kimberley_5346971_3212.html

[3] https://www.liberation.fr/planete/2018/01/22/les-diamants-de-conflits-brillent-encore_1623052

[4] Rapport du Sierra Leone Working Group, Le cœur du problème : la Sierra Leone, les diamants et la sécurité humaine, janvier 2000.

[5]   https://www.europe1.fr/international/Les-diamants-du-sang-ont-ils-vraiment-disparu-603880

[6] http://www.rfi.fr/afrique/20190103-rca-trafic-diamants-finance-toujours-groupes-armes

[7] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/08/28/diamants-de-sang-pourquoi-il-faut-reformer-le-processus-de-kimberley_5346971_3212.html

[8] https://www.liberation.fr/planete/2018/01/22/les-diamants-de-conflits-brillent-encore_1623052

Image extraite du film Blood Diamond d’Edward Zwick (2006)

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