La gestion de la crise syrienne ou les limites de la prise en charge humanitaire des mouvements de population

La gestion de la crise syrienne ou les limites de la prise en charge humanitaire des mouvements de population

2011-2020 : après presque 10 ans de guerre civile en Syrie, où en est on dans la gestion de cette crise humanitaire et la prise en charge des millions de Syriens déplacés au sein du pays ou réfugiés à l’étranger ? Aujourd’hui, ce sont près de douze millions de personnes, soit plus de la moitié de la population syrienne qui a été forcée de quitter son habitation dans un pays en proie à une des guerres les plus meurtrières de son histoire. Que ce soit sur place ou à l’étranger, les acteurs humanitaires n’ont cessé depuis lors de se mobiliser pour permettre à ces personnes de retrouver des conditions de vie dignes. Les mesures de gestion humanitaire dîtes « classiques » prises dans le cadre d’un tel conflit qui s’enracine sont-elles encore suffisantes ?

Afin de saisir les enjeux des grands mouvements de population dans le cadre de crises humanitaires, qu’elles soient de cause naturelles ou dues à des guerres, il faut remonter la chaîne des événements qui constitue ces crises. L’exemple syrien qui est l’un des plus prégnants de ce XXIème siècle est une illustration en la matière.

Selon l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, on compte, depuis 2011, près de 6,6 millions de déplacés internes en Syrie, et presque 5,6 millions de personnes réfugiées dans les pays voisins. Sur le territoire ou à l’étranger, le sort de ces populations est le même : conditions de vie déplorables, manque d’hygiène, malnutrition, manque d’accès aux soins et à l’éducation… 

Face à cette situation, de nombreuses actions ont été menées par les divers acteurs humanitaires. Toutefois, au regard de l’envenimement de la situation, on peut se demander si les mesures de gestion humanitaire « classiques », conçues dans une logique à court terme sont encore effectives dans le cadre de crises s’inscrivant dans la durée comme la guerre civile syrienne.

Le sujet a fait couler beaucoup d’encre et activé les réseaux de solidarité internationale. Entre le 15 mars 2011, date des premières manifestations populaires en Syrie et le 15 mars 2020, le site internet du journal Le Monde comptait à lui seul près de 16 000 articles traitant de la Syrie. En 2014 déjà, avait lieu en faveur de celle-ci la plus grande levée de fonds de l’histoire des Nations Unies d’une somme de 6,5 milliards d’euros. C’est dire si ce conflit, dont le secrétaire général de l’ONU craint qu’il ne soit la « pire catastrophe humanitaire du XXIème siècle » est représentatif des enjeux et dérives de la gestion des mouvements de population en temps de crise.

Un « aller-simple » vers la crise humanitaire 

Le conflit syrien a pris place dans le cadre du mouvement des Printemps arabes. Celui-ci a débuté entre décembre 2010 et janvier 2011 en Afrique du Nord et s’est rapidement propagé à l’ensemble des pays arabes. Les réactions étatiques à son encontre ont différé et la répression a été plus ou moins violente selon les pays. En Tunisie par exemple, les révoltes populaires ont laissé derrière elles 300 morts avant que le Président Ben Ali ne s’enfuit et abandonne le pouvoir. En Égypte, le bilan a été plus lourd et il aura fallu 900 morts avant que Hosni Moubarak ne démissionne. Ces deux révolutions sont aujourd’hui considérées comme celles ayant le « mieux abouti ». Notamment du fait que, si les dirigeants ont d’abord tenté de réprimer les mouvements protestataires, ils ont par la suite et assez rapidement été abandonnés par l’armée et ont dû quitter le pouvoir ou fuir le pays. 

Lorsque l’on s’intéresse au contexte libyen, le nombre de morts augmente considérablement. De ce qui étaient au début des manifestations contre le pouvoir en place, nous en sommes progressivement arrivé à un conflit impliquant plusieurs acteurs étatiques ou non étatiques et organisations internationales. On compte environ 50 000 décès des suites de la guerre libyenne. 

Si celle-ci s’est finalement achevée, d’un point de vue théorique, en moins d’un an, le conflit syrien s’est, quant à lui enlisé. Exclusion faite des conséquences postérieures (dont le retour en force de l’Islam radical porté par les Frères musulmans dans ces États), la majorité des révolutions menées dans le cadre des printemps arabes ont porté leurs fruits en cela qu’elles ont permis de renverser les gouvernements en place. Toutefois le cas syrien est fondamentalement différent. Il ne se produit que quelques semaines après l’intervention des forces internationales en Libye. Cette intervention a fait prendre conscience aux forces occidentales de la difficulté d’action dans ces territoires et les a poussé à ne pas agir quand le mouvement répressif porté par Bachar Al-Assad a débuté en Syrie. 

La guerre civile syrienne est un conflit complexe mettant en jeu une grande quantité d’acteurs. Elle porte, dès ses débuts, les prémisses de la catastrophe humanitaire qu’elle entraînera dans les années suivantes. Les premières conséquences humanitaires sont bien évidemment les décès provoqués par la répression armée. Lors des premiers mouvements de protestation anti-pouvoir, Bachar Al-Assad entreprend de recourir à la force armée pour renvoyer les manifestants chez eux. Quelques jours après le début des manifestations, les premiers morts tombent. Peu après, ont lieu les premiers mouvements de population. Rapidement, diverses influences géopolitiques bloquent les possibilités d’intervention internationale sur place.

Comme c’est souvent le cas dans le cadre d’évènements à l’origine de crises humanitaires majeures, des enjeux politiques et économiques ne prenant pas en compte les conséquences humanitaires aggravent la crise. La Russie, proche du régime alaouite (1) de Bachar Al-Assad, bloque à de nombreuses reprises toute tentative de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce qui a pour conséquence d’aggraver la situation sur place. 

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Protestations contre le pouvoir de Bachar Al-Assad dans la Province d’Idlib

Un cadre juridique rigide

La répression portée par le pouvoir central syrien a rapidement dégénéré en un bombardement systématique des centres de protestation. Dès le 28 avril 2011 se produisent les premiers mouvements de population civile. Des centaines de syriens fuient le pays à la recherche d’un endroit où s’abriter des combats. Ils se déplacent dans le pays ou s’enfuient vers les États limitrophes. Ces déplacés internes et réfugiés bénéficient d’un statut juridique particulier et de droits reconnus par la communauté internationale.

Avant toute chose il est important de bien définir leur statut. En effet, les déplacés ne sont pas obligatoirement des réfugiés et inversement et ces catégories ne possèdent pas les mêmes droits et protections au regard du Droit international. Selon l’UNHCR (2), « les déplacés internes sont des personnes contraintes de fuir à l’intérieur de leur propre pays, notamment en raison de conflits, de violences, de violations des droits humains ou de catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme ou pour en éviter les effets, et qui n’ont pas franchi les frontières internationalement reconnues d’un État » (3)

C’est aujourd’hui le cas de plus du quart de la population syrienne. Le statut de déplacé interne est lourd à porter notamment du fait que les individus concernés ne possèdent pas réellement de protection juridique ou physique internationale. Ainsi, ce sont souvent les grands oubliés des conflits et ils n’apparaissent que rarement à la Une des journaux. 

Pourtant, l’OCHA (4) avait adopté dès 1998 des « Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays » listant 30 recommandations à l’attention des gouvernements et des organisations non gouvernementales pour la gestion des déplacés internes. Mais l’un des premiers principes directeurs affirmait que : « 1. C’est aux autorités nationales qu’incombent en premier lieu le devoir et la responsabilité de fournir une protection et une aide aux personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays qui relèvent de leur juridiction ». On saisit rapidement la limite de l’application de ces principes notamment dans le cadre du conflit syrien alors même qu’on accuse Bachar Al-Assad de bombarder sa propre population. Pratiquement aucun des principes affirmés par l’OCHA n’ont été respectés dans le cadre de la Guerre civile syrienne. 

Les demandeurs d’asile et les réfugiés quant à eux forment deux catégories distinctes recouvrant une réalité juridique différente. Un demandeur d’asile est une personne ayant demandé à un pays tiers de lui offrir l’asile (notamment en raison des persécutions subies dans son pays d’origine) mais dont la procédure n’est pas encore achevée. Avant d’obtenir le statut de réfugié et la protection que cela entraîne, une personne doit faire une demande d’asile dans le pays où elle arrive. C’est seulement si le pays d’accueil lui reconnaît un statut de réfugié après traitement de son dossier qu’elle pourra prétendre aux droits que cela implique. 

Le statut de réfugié est, en effet, bien plus encadré par le droit international que celui de déplacé interne puisqu’il fait l’objet de plusieurs textes contraignants : la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés et la Résolution N°2198 (XXI) de l’Assemblée générale des Nations Unies

L’article 1 de la Convention relative au statut des réfugiés dispose que « le terme « réfugié » s’appliquera à toute personne (…) Qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ». 

Ce statut se veut donc différent de celui de déplacé interne en ce sens qu’il implique la responsabilité des États tiers et leur impose l’obligation de respecter voire de créer de nouveaux droits aux personnes concernées. Ainsi, par exemple, en France, c’est l’OFPRA (5) qui préserve l’application de ces textes. Il s’assure que les réfugiés aient le droit d’obtenir un titre de séjour et de bénéficier de certains droits sociaux et civils dans le pays d’accueil. Il a aussi pour but d’informer les réfugiés (apatrides et demandeurs d’asile) de leurs droits. 

Les réfugiés sont à distinguer des migrants qui, eux, ne peuvent pas bénéficier de droits spécifiques et sont soumis à l’acceptation ou au refus de séjour sur le territoire par l’État tiers concerné. Les migrants sont considérés comme ayant décidé d’émigrer pour des raisons économiques et bénéficient en principe encore de la protection de leur pays natal ce qui ne leur ouvre pas le droit à une protection des États tiers. 

Le statut de réfugié impliquant un certain nombre de droits et protections, l’Union européenne a ainsi décidé d’adopter une série de textes au niveau communautaire en vue d’assurer le respect et l’application de ces principes au sein des États membres. En effet, il est arrivé, à de nombreuses reprises que la coordination ne fonctionne pas au niveau européen et que des demandeurs d’asile rencontrent un grand nombre de difficultés pour transmettre leur demande à un pays d’accueil. Il est à noter que si les principes édictés par la Convention de Genève s’appliquent à tous les États signataires à travers le monde, leur application peut différer selon les pays.

Au sein de l’Union européenne par exemple, dès la fin des années 1990, ont été adoptés diverses directives et règlements permettant de distinguer des situations particulières, considérées comme non assimilables au statut de réfugié. Ainsi, à travers une directive du Conseil était faite une distinction entre les « réfugiés » et « les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale » (6) ce qui a donné, en France par exemple lieu à la création d’un statut spécifique dit de la « protection subsidiaire ». Ce statut a notamment été créé du fait de l’interprétation stricte de l’Union européenne des termes de la Convention de Genève de 1951.

En effet, selon l’Union, un réfugié est considéré comme tel s’ils est précisément « persécuté » à cause de « sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Conséquemment, ce qu’on peut appeler les « victimes collatérales » des grandes crises (celles qui constituent en réalité le plus grand nombre de morts) ne pourraient, en principe pas bénéficier de ce statut. En France, le statut de protection subsidiaire a donc été créé pour permettre d’assurer une protection à toutes les personnes obligées de quitter leur pays pour une raison ou une autre. Concrètement, cela signifie qu’une personne introduisant une demande d’asile en France par exemple pourra soit obtenir le statut de réfugié (on parlera alors d’asile politique), soit celui de la protection subsidiaire (qui est venue remplacer la notion d’asile territorial pré-existante), soit être débouté de sa demande si on estime qu’elle ne remplit pas les conditions nécessaires à obtenir l’asile.

La protection subsidiaire est octroyée « à toute personne qui ne remplit pas les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié et pour laquelle il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’elle courrait dans son pays un risque réel de subir l’une des atteintes graves suivantes : la peine de mort ou une exécution ; la torture ou des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; s’agissant d’un civil, une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne en raison d’une violence qui peut s’étendre à des personnes sans considération de leur situation personnelle et résultat d’une situation de conflit armé interne ou international » (7). Toutefois, la protection subsidiaire, bien qu’en principe censée être équivalente au statut de réfugié,  assure finalement, dans les faits, moins de droit que le statut de réfugié. 

Face à la rigidité des règles internationales permettant l’octroi du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire et le temps de latence entre l’introduction de la demande et son acceptation (plusieurs mois en moyenne), divers mécanismes de prise en charge humanitaire ont été mis en place pour permettre aux individus poussés par l’urgence de retrouver des conditions de vie dignes.

L’implication des États voisins : l’exemple de la Turquie 

Comme dans toute crise, les États voisins sont rapidement touchés par les mouvements de population. Ils se transforment en terre de migrations massives en raison de leur proximité avec le centre des combats. Les premiers réfugiés ont ainsi fui vers le Liban, voisin immédiat de la Syrie, puis vers la Turquie et la Jordanie. Dans un second temps, alors que la guerre s’était installée dans la durée, les populations se sont orientée vers une re-localisation à plus long terme en dirigeant leurs efforts vers la Grèce afin de rejoindre l’Europe et d’y obtenir ce droit d’asile tant désiré. 

La Turquie a longtemps adopté ce qu’on a appelé une politique de la « porte ouverte » vis-à-vis des immigrés syriens. Ainsi, malgré certains abus qui lui sont reprochés, la Turquie est le pays qui accueille le plus de réfugiés au monde, soit plus de 4 millions de personnes. Pourtant, le statut de réfugié n’est pas si évident à obtenir en Turquie. En effet, celle-ci a émis des réserves à la convention de Genève de 1951 en posant pour condition de l’octroi du statut de réfugié l’appartenance à un des pays membres du Conseil de l’Europe. Elle a toutefois une politique d’accueil reconnue à l’international et les premières populations syriennes arrivées sur son territoire ont bénéficié de cette « hospitalité humanitaire ». Ces populations ont en premier lieu été qualifiées d’« invités » ; ce qui soulignait déjà dans l’esprit de tous, le caractère éphémère de la présence des syriens en Turquie. 

En 2013 une nouvelle loi a été votée, introduisant deux nouveaux statuts : le statut de réfugié conditionnel et celui de la « protection temporaire ». La protection accordée n’était alors que temporaire, ce statut étant censé pallier à la non application de la convention de Genève. Mais la mise en place de ces mesures a touché de manière inégale les syriens installés en Turquie. Si le statut de protection temporaire a été accordé à une large majorité d’entre eux (3,6 millions d’individus), seulement quelques 100 000 personnes ont pu obtenir un titre de séjour long, et environ 92 000 ont reçu la nationalité turque. 

La protection temporaire a toutefois eu pour caractéristique d’enfermer les personnes concernées dans une précarité sans fin : interdiction de circulation dans le pays, interdiction de quitter le pays… 

Certains réfugiés sont allés à l’encontre de ces interdictions en se déplaçant vers les grandes villes, afin de trouver un travail plus facilement ; ce qui les a obligé à abandonner leurs droits sociaux du fait de leur violation de la loi. Les droits créés par la loi turque ne valent en effet que tant que les populations restent dans les villes où leur demande de protection temporaire a été déposée. Il est clair que la plupart d’entre eux ont choisi de quitter les petites villes dans l’espoir de rejoindre l’Europe, ou de s’installer dans une grande ville pouvant leur offrir un meilleur de cadre de vie. 

Pour ces populations, quitter les camps d’accueil turcs signifiait subvenir à leurs besoins par leurs propres moyens ; n’avoir qu’un logement précaire, un travail difficile, un faible accès aux services publics … Dans les grandes villes ces réfugiés ont rapidement dû faire face à la discrimination et à la marginalisation ainsi qu’au mépris et à la haine grandissante des populations locales. 

Ces difficultés ont été accrues pour les populations fragiles que sont les enfants, les femmes et les personnes âgées. Ainsi, même si en théorie les enfants bénéficiant du statut de protection peuvent obtenir un accès au système éducatif, les scolarisations effectives sont quasi nulles en Turquie. Par manque de moyens, contraints d’aider leur famille en travaillant, malgré le bas âge, ces enfants sont déscolarisés et font face à la discrimination et à la colère grandissante de la population turque. 

Si l’intention du gouvernement turc a d’abord été d’accueillir les réfugiés syriens, la conscience de la pérennité du conflit, et donc de l’installation à long terme de ces populations au sein du territoire national turc a entraîné la fermeture progressive des centres d’éducation précaires créés pour les enfants syriens afin de favoriser l’enseignement en arabe. 

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Des réfugiés kurdes syriens  au camp de Kawrgosk, près d’Erbil (Kurdistan irakien), attendant les camions de vivres censés les ravitailler (2013)

La prise en charge des populations par les Organisations internationales et les Organisations Non Gouvernementales 

Le rôle prépondérant des acteurs humanitaires sur place 

Sur place, et dès 2011, après les premières destructions d’habitations et d’infrastructures se sont mobilisé des ONG telles que le CICR (8) en collaboration avec le Croissant Rouge syrien et les Croissants rouges de la région, Médecins sans frontières, Médecins du Monde ou encore Solidarités internationale, qui se sont réparties les tâches dans un contexte humanitaire complexe à gérer avec des acteurs assez peu collaboratifs (le Gouvernement de Bachar Al-Assad interdisant à de nombreuses reprises l’accès à certaines zones ou à certains prisonniers aux ONG). Ces ONG en sont petit à petit venues à remplacer le service public syrien au point qu’aujourd’hui une grande partie de la population déplacée dépend des installations et aides pratiquées par celles-ci. 

Sur place par exemple, le CICR distribue de la nourriture et des biens de première nécessité, rétablit l’approvisionnement en eau et soutient les services médicaux ravagés par les bombardements. Il s’assure aussi de visiter les prisonniers détenus dans les cellules du pouvoir central et a ainsi pu transmettre en 2019 plus de 9 000 messages Croix-Rouge (9). 

En 2019, ce sont 16,9 millions de personnes qui ont bénéficié des projets « Eau et habitat » portés par le CICR, 480 000 personnes qui ont reçu de l’eau acheminée par camion à Alep, Dama-Campagne et Hassakeh et 4,7 millions de personnes qui ont reçu des vivres. Le CICR s’est aussi occupé de la prise en charge des malades en permettant à plus de 500 000 personnes d’accéder à des soins de base ou d’être soignées de leurs blessures. 

Enfin, le CICR permet de mettre en place des campagnes de sensibilisation aux dangers des mines et autres explosifs de guerre qui sont monnaie courante dans un pays soumis à des bombardements récurrents. 

D’autres organisations comme MSF ou MdM œuvrent à compenser la destruction des hôpitaux et du système de santé syrien en prenant en charge notamment les blessés dus à la guerre et les civils confrontés à des bombardements. Médecins du Monde par exemple, depuis octobre 2012 travaille avec des infirmiers, sages-femmes, pharmaciens et des médecins syriens afin de fournir des soins de santé primaire, sexuelle et reproductive aux personnes rassemblées dans différents camps de déplacés internes et dans des zones urbaines et rurales à travers la Syrie. 

En 2018, l’association humanitaire a assuré la provision de soins de santé primaire à près de 400 000 personnes dans les gouvernorats d’Idlib, Alep, Deraa, Damas et Hassakeh. Des soins de santé mentale (activités de soutien psychosocial, interventions cliniques et soutien aux communautés) ont aussi été dispensés dans les cliniques de MdM à Idlib et à Hassakeh. L’ONG a par ailleurs offert une aide d’urgence en termes d’approvisionnement de médicaments essentiels dans un pays où l’acheminement par camion est devenu difficile avec des infrastructures autoroutières détruites. L’association a aussi couvert les besoins concernent particulièrement les personnes ayant des maladies chroniques, les enfants non vaccinés, les femmes enceintes sans soins obstétriques ou les femmes en général, n’ayant pas accès aux soins de santé. Solidarités internationale quant à elle s’est concentré sur l’acheminement de l’eau vers les populations civiles n’ayant plus accès à l’eau courante du fait de la destruction de leurs habitations et sur une aide d’urgence de relance agricole et de reconstruction dont 6 500 personnes bénéficient aujourd’hui. 

Les ONG syriennes présentes sur place agissent elles aussi et ce depuis le début du conflit mais nombre d’entre elles ont été fragilisées par la destruction du réseau administratif syrien. Par ailleurs, elles se sont retrouvées confrontées au problème du financement dans un pays où les donateurs sont devenus eux mêmes des victimes. 

Ces organisations censées avant tout assurer en premier lieu une intervention d’urgence se sont progressivement installées sur place dans la durée, alors même que le pouvoir central syrien peine à relancer un mouvement de restructuration du service public. Elles se sont ainsi rendues indispensables pour les déplacés syriens, dans un État où une grande partie de la population estime ne plus pouvoir faire confiance dans le pouvoir central et donc dans les services publics qui dépendent de lui. Pourtant, même dans cette situation, le travail de ces ONG est rendu difficile, notamment du fait de la reprise des combats dans certaines régions, et de nombreuses ONG ont dû s’éloigner des zones de combats voire même pour certaines, quitter le pays ; abandonnant encore un peu plus les populations sur place à leur sort. 

La difficile prise en charge des réfugiés en dehors du territoire 

Plusieurs ONG et Organisation Internationales sont désormais présentes non seulement en Syrie, mais également dans les pays voisins, pour prendre en charge les populations réfugiées dans des pays-tiers. 

L’ONU à travers ses deux agences spécialisées l’OCHA et l’UNHCR rappelle les droits des réfugiés auprès des principaux acteurs. Ainsi, diverses entreprises de sensibilisation ont été menées dans la région malgré une difficulté parfois certaines à distinguer et à entrer en contact avec les acteurs sur place. 

L’UNHCR apporte une aide humanitaire de première urgence, laquelle passe par des ressources financières ou provisions en médicaments, nourriture, matériaux nécessaires pour la construction de logements temporaires. L’OIM (10) de son côté « a aidé 650 000 Syriens (…) en Jordanie, en Egypte, au Liban, en Turquie et en Iraq en 2018 ». Ainsi, les deux agences principales des NU en terme de déplacement de populations travaillent en étroite collaboration pour apporter une aide matérielle et financière aux réfugiés syriens.

Toutefois, après un temps de gestion des camps, ceux-ci sont démontés par certains gouvernements en raison de leur coût et du constat du manque d’intégration des réfugiés. Tel a été le cas en Turquie. 

L’UNHCR encourage cette mesure considérant que « la centralisation des biens et services au sein des camps coûte plus cher qu’une aide financière aux réfugiés pour que ces derniers subviennent à leurs besoins ». Les acteurs humanitaires ont en effet de plus en plus souvent tendance à privilégier l’intégration en accordant des ressources financières plutôt que la subvention directe des camps qui demandent plus d’organisation logistique.

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Tentes de réfugiés au Camp de transit pour réfugiés syriens d’Arbat à Sulaymaniyah, Kurdistan irakien (2014)

Mais cette mesure a pour conséquence de fragiliser encore plus ces populations. Derrière chaque décision prise dans ce sens, celles-ci sont sont en proie à une stratégie politique du pays d’accueil.

Le gouvernement turc a ainsi démantelé certains camps pour installer les populations dans des zones qui permettraient d’utiliser ces individus afin de garantir la sécurité des frontières turques par le biais d’une sorte de « bouclier humain ». Ainsi la majorité des syriens en Turquie vivent près des frontières, et beaucoup se sont en conséquent redirigés vers les grandes villes dans l’espoir de trouver un emploi. 

Malgré tout, dans plusieurs pays voisins, les campements restent la principale manière de centraliser les demandes et de prendre en charge la population syrienne (et d’autres populations migrantes) pour les ONG et Organisations internationales. Nombreuses sont les organisations qui essaient de combler les besoins vitaux minimaux de ces populations. 

Ainsi, le CICR encore une fois aidé du Croissant rouge met en œuvre le recours aux soins de première nécessité pour les syriens réfugiés en Jordanie au Liban ou en Irak (mêmes schéma que dans le cadre des déplacés : eau, logement, santé). Toutefois, et face à l’urgence humanitaire, il est arrivé à différentes reprises que le CICR exprime dans des communiqués publics son inquiétude quant à la dégradation de la situation humanitaire des réfugiés syriens. 

En effet, nombres de ces réfugiés ont été installés dans des camps construits par le soin des différentes ONG et Organisations internationales. Or, selon l’UNHCR, le temps d’utilisation d’un camp de réfugié est en moyenne de 12 ans. On peut s’interroger sur l’avenir de ces camps et de ces réfugiés considérant que le conflit entre dans sa dixième année. Le cas des camps de Moria sur l’île de Lesbos est particulièrement frappant et représentatif des conditions de vie sur place. Les témoignages ne manquent pas, mais les prises d’initiatives sont rares, lorsqu’elles ne viennent pas des organisations présentes sur place. 

Jean Ziegler, vice-président du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies depuis 2009, une des personnalités phares ayant mis en lumière les conditions de ces camps affirmait que « les réfugiés à MORIA sous la compétence des grecs, payés par l’UE, sont traités comme des animaux » ; et ce malgré le travail acharné de MSF et d’autres ONG tentant de soigner les plus vulnérables. Le rôle de MSF consistant notamment en une aide psychique et psychologique. Un médecin sur place s’est ainsi exprimé sur la question en affirmant que : « Pendant toutes ces années de pratique médicale, jamais je n’ai vu un nombre aussi phénoménal qu’à Lesbos de gens en souffrance psychique […] des enfants qui viennent de pays en guerre, ont fait l’expérience de la violence et des traumatismes. Et qui, au lieu de recevoir soins et protection en Europe, sont soumis à la peur, au stress et à la violence ». D’autres ONG, comme Save The Children, consacrées exclusivement à la protection de l’enfance, ont dû mettre en oeuvre diverses actions sur place pour permettre la poursuite de l’éducation et de la bonne nutrition de ces enfants. 

Or, le contexte sanitaire actuel ne semble pas régler les choses. Les populations des camps de Lesbos, majoritairement des Syriens voulant rejoindre l’Europe, sont abandonnées à leur sort. Le confinement décrété face à la propagation du coronavirus, laisse les camps sans produits d’hygiène, sans électricité, comptant peu de médecins pour près de 20 000 personnes sur place (11).

La place des initiatives individuelles dans la crise 

Malgré les efforts considérables des ONG pour permettre la prise en charge d’une portion la plus large possible de la population et face à l’absence de collaboration des pouvoirs centraux syriens se sont mis en place des alternatives d’aide humanitaire. La population syrienne restée sur place ou en diaspora est elle même fortement impliquée dans l’aide aux populations touchées par la guerre et a, à de multiples reprises contribué à faire écho de la voix du peuple syrien, en tirant la sonnette d’alarme sur la situation humanitaire sur place. 

Ainsi, en Syrie et à l’étranger se sont mis en place des actions issues des populations elles mêmes. On peut citer l’organisation humanitaire des Casques blancs, formée au début de la guerre par de simples commerçants, étudiants, ouvriers ou médecins, portant un premier secours aux blessés, en les soignant dans des hôpitaux clandestins. Se sont mis en place des groupes et réseaux caritatifs menant diverses actions en apportant un soutien psychologique, tentant d’assurer un minimum de projets éducatifs … L’existence de ces groupes a été rendue possible d’une part grâce à l’implication de la société civile, mais également grâce aux fonds levés hors du pays, par l’aide de la diaspora. 

Cette diaspora qui s’est en premier lieu composée de la frange plutôt aisée de la société syrienne, capable de financer un voyage et ayant de quoi s’insérer dans un nouveau pays d’accueil, a pu progressivement organiser des actions en vue de donner plus de visibilité au conflit et de mettre l’accent sur la crise humanitaire qui se jouait outre Méditerranée. Le mouvement d’une partie spécifique de la population, que l’on qualifie généralement d’élite (intellectuels, écrivains, journalistes, opposants politiques …) a donc mis en lumière les différentes formes de violations en termes de droits humains existant en Syrie mais aussi dans le monde. Cela s’est fait par le biais d’expositions artistiques, de réalisations de films ou tout simplement à travers un intense lobbying humanitaire (12).

On peut citer l’exemple de Mansour Al-Omari, journaliste syrien et défenseur des Droits de l’Homme. Arrêté aux côtés d’autres journalistes en 2012, puis libéré en 2013 et ayant fait l’objet de tortures de la part des officiers du régime syrien. Durant sa détention aux côtés d’autres détenus, il a écrit sur des lambeaux de tissus les noms et prénoms de ses codétenus avec un mélange de sang et de rouille. Il a ainsi pu collecter 82 noms sur 5 morceaux de tissu, lesquels seront exposés dès 2017 au musée de l’Holocauste de Washington. 

Il en est de même pour Waad Al-Kateab, jeune journaliste et réalisatrice syrienne, dont le film Pour Sama sorti à l’été 2019 a entrepris de retracer cinq années de guerre en Syrie à travers le récit de la vie d’une jeune syrienne. À la sortie du film, plusieurs séances ont pu être programmées dans des salles de cinéma françaises, permettant l’intervention d’acteurs syriens ayant vécu la guerre.

De même, à l’étranger, les initiatives individuelles de la part des populations, si elles peuvent paraître vaines au regard de l’immensité des tâches à assumer permettent d’individualiser une gestion de crise qui se perd parfois dans le nombre de personnes à aider. Les initiatives individuelles composées de dons, accueil et accompagnements des réfugiés se sont multipliées dans les pays tiers. Mais il est évident que celles-ci ne suffisent pas à permettre à ces populations de retrouver un cadre de vie « normal ». 

La difficulté du retour dans des lieux détruits et un pays instable

Si le statut de rapatrié est lui aussi consacré par l’UNHCR, il n’apparaît pourtant que difficilement accessible pour les réfugiés. Que ce soit en Europe où les États se refusent souvent à l’accueil des réfugiés dans le cadre d’une véritable « crise de l’accueil » ou sur place en Syrie où la réinstallation est rendue difficile par un manque d’infrastructures fonctionnelles et une destruction des locaux nécessaires, les réfugiés sont souvent confrontés à la pérennité d’une situation censée n’être que temporaire. 

Alors que la majeure partie des villes syriennes ont été ravagées depuis le début de la guerre, 75% de la population en 2011 était urbaine. Ce sont autant de personnes qui se sont vues privées d’habitation lorsque les villes ont été détruites par les bombardements. 

Pourtant, les locaux d’habitation ne sont pas les seules victimes des bombardements et ce sont tous les bâtiments privés comme publics qui ont été ciblés par les bombes. Les infrastructures publiques ont été gravement touchées. Ainsi, l’UNICEF (13) estimait dans un rapport de Mars 2020, que 2/5ème des écoles ne pouvaient être utilisées ayant été détruites, et que 2,8 millions d’enfants soit un tiers des enfants syriens n’étaient plus scolarisés à cette date. Près de 60 % des hôpitaux ont été détruits ou sont désormais uniquement partiellement fonctionnels, tout comme la moitié des centres de santé et nombre de routes, usines, zones industrielles, entrepôts, boulangeries, marchés … L’accès à l’eau potable est désormais réservé à un tiers de la population, le reste étant contraint d’acheter leur eau sur le marché privé ou d’avoir recours à des puits improvisés. En dépit d’une forte variabilité d’une région à l’autre, les coupures d’électricité étaient et sont encore partout la norme dans un pays qui avant même d’entrer dans la guerre civile souffrait d’un manque d’infrastructures efficientes : même les quartiers centraux de Damas ne recevaient que six heures d’électricité par jour en janvier 2016. Ainsi, l’accès à l’électricité s’est raréfié dans les zones les plus touchées où a été mis en place un système d’achat et vente d’électricité par ampères (activés via des générateurs qu’il est nécessaire de se procurer au préalable). 

La Banque Mondiale dans ses rapports réguliers mettait par ailleurs en relief les pertes de valeur constantes du PIB syrien, interrogeant sur la problématique de « la reconstruction sans fonds ». En effet, les besoins financiers sont énormes dans une région qui a subi des chocs financiers successifs à mesure que la guerre se prolongeait. L’économie syrienne, reposant grandement sur le pétrole a subi le contrecoup de l’embargo mis en place par la coalition internationale. Alors même que le pétrole était une de ses sources principales de revenu, la production a chuté de 95% deux ans à peine après le début du conflit. Par ailleurs, le pouvoir central syrien, une fois le contrôle repris sur la région, a mis un certain temps à récupérer la gestion de ses puits de pétrole d’abord accaparés par les forces de Daesh puis dépendant grandement de la présence militaire américaine puis russe. De plus, le secteur du tourisme et les investissements étrangers sont devenus quasiment nuls en l’espace de quelques années provoquant ainsi une flambée du chômage. Alors que celui-ci stagnait, depuis les années 2000 autour de 12%, il est passé dès 2014 à 50% de la population active. En février 2020 selon une enquête de l’ONU, le taux de pauvreté s’élevait à 83% de la population.

La crise a ainsi entraîné une hausse des prix et une inflation record avec des salaires trop faibles pour permettre aux travailleurs de s’assurer un rythme de vie minimum dans un pays où il est courant que les rayons des épiceries soient vides.

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Travail des sapeurs du Centre international de déminage du Ministère de la défense russe, à Alep, Syrie (2016)

La combinaison de ces données nous donne à voir une économie fragilisée et incapable de se relever sans une pacification prolongée de la région. La question n’est pas à la relance de l’économie mais à la stabilisation. Ainsi, les millions de syriens réfugiés en dehors du pays se trouvent confrontés à la problématique du retour dans un lieu où l’emploi n’existe quasi plus. Nombre d’entre eux, face à cela, ont préféré renoncer à rentrer dans leur pays pour l’instant ; notamment les plus jeunes désirant se scolariser ou les personnes vulnérables nécessitant des traitements médicaux. 

Pourtant, même dans ce cas, certains réfugiés ont été confrontés à la volonté des pays d’accueil de les renvoyer dans leur lieu d’origine afin de plus avoir à assurer plus longtemps leur prise en charge. C’est ainsi qu’Amnesty international, dans un rapport de l’été 2019 mettait en exergue le retour forcé de syriens exilés au Liban dû aux conditions déplorables dans lesquelles ils vivaient sur place. Amnesty mettait en avant le fait qu’il ne pouvait s’agir de retour volontaire dès lors que la situation était telle dans le lieu d’accueil que le choix des réfugiés était finalement celui de « la peste ou du choléra ». 

Par ailleurs, la population a aussi été confrontée à la difficulté d’un retour à la normale dans une région traumatisée pour longtemps encore. Dans un rapport de 2017, Amnesty International dénonçait une pratique « d’extermination » du régime syrien central. Ainsi, entre 5 000 et 13 000 personnes auraient été pendues dans la prison de Saydnaya, près de Damas, entre 2011 et 2015. 

Ce sont des millions de personnes qui sont sorties traumatisées des combats. En 2014, selon un rapport de la Banque mondiale, 40% des réfugiés avaient perdu un proche dans la guerre et plus de 50% nécessitaient un soutien psychologique. 

La reconstruction est difficile dans un pays où la population passait de 21 à 17 millions d’habitant entre 2011 et 2018 et où un tiers des femmes enceintes en 2020 était anémique. 

Une fois la décision du retour en Syrie prise de gré ou de force par les réfugiés se pose par ailleurs la question de la sécurité de ce retour. En effet, dans les faits, rentrer pour un réfugié signifie : 

  • se soumettre à une « vérification de sécurité » qui comprend notamment un interrogatoire par les forces de sécurité syriennes
  • l’absence d’une quelconque indemnisation pour les habitations détruites de la part du gouvernement qui n’en aurait d’ailleurs pas les moyens 
  • la difficulté de l’allocation de l’aide humanitaire par les organisations internationales et ONG en raison du besoin d’autorisations du gouvernement syrien pour mener leurs activités, ce qui retarde voire empêche souvent la distribution de l’aide humanitaire aux personnes dans le besoin dans les zones contrôlées par le gouvernement (c’est-à-dire la majeure partie du pays aujourd’hui) 
  • l’absence de services de protection des agences des Nations unies pour les rapatriés due à un refus du gouvernement de les laisser mettre en place ces services. Ainsi, il n’y a aucun mécanisme garantissant le droit au logement, à la terre, les droits de propriété, ainsi que l’accès à des renseignements sur la situation dans le pays et/ou à une assistance judiciaire.

La situation est d’autant plus complexe que, les combats faisant encore rage dans certaines régions du pays, ces personnes se voient confrontés à la possibilité d’une reconstruction vaine puisque leurs habitations pourraient être à nouveau détruites par la suite. Malgré cela, de nombreuses ONG et associations humanitaires ont pris l’initiative de lever des fonds pour aider les personnes désirant se réinstaller sur place (14)

Toutefois, même si des aides financières ont été mises en œuvre pour la reconstruction (on peut penser à la Conférence des donateurs pour la Syrie qui a réuni presque 7 milliards de dollars pour sa reconstruction en 2019), on se trouve alors confrontés à la question de la corruption et du détournement des aides et il n’est pas rare que de grandes sommes disparaissent avant même d’avoir pu aider à reconstruire un quelconque bâtiment. On constate un essoufflement de l’aide. Ainsi, alors que l’OCHA estimait les besoins de financement à hauteur de 3,3 milliards de dollars pour lui permettre la prise en charge des déplacés et réfugiés en 2019, seuls 2,1 milliards avaient été réunis à la fin de l’année.

D’une « crise migratoire » à une « crise de l’accueil »

S’il est difficile pour les migrants de revenir en Syrie pour s’y installer durablement, rejoindre l’Europe pour recommencer une nouvelle vie relève d’un véritable parcours du combattant. Pourtant, d’un point de vue juridique, la question, au niveau européen était censée être réglée par des textes précis en la matière. C’est le règlement du Parlement européen et du Conseil européen n°604-2013 du 26 juin 2013, dit « Règlement Dublin III » qui tranche la question. Ce dernier a, à de nombreuses reprises, et est encore aujourd’hui, extrêmement critiqué, notamment par les pays européens eux mêmes mais aussi par nombre d’ONG et associations protégeant les droits des demandeurs d’asile comme La Cimade qui a d’ailleurs publié un rapport d’observation intitulé : « Règlement Dublin : La machine infernale de l’asile européen » en avril 2019. 

La Cimade publie régulièrement des articles critiquant le fonctionnement du règlement Dublin III qui serait injuste pour les migrants et irrespectueux des règles de la Convention de Genève de 1951. 

Ce règlement délègue la responsabilité de l’examen de la demande d’asile d’un réfugié au premier pays qui l’a accueilli. Autrement dit, un réfugié syrien entré en Europe par la Grèce verra sa demande d’asile traitée par la Grèce en premier lieu même s’il est entre temps passé dans un autre État européen. Cela signifie qu’il sera renvoyé de France en Grèce afin que son dossier y soit traité. Il sera aisé de déterminer le premier pays d’accueil notamment du fait que les empreintes digitales et différentes informations sur le demandeur d’asile, auront été collectées et conservées au sein de la base de données centrale européenne Eurodac. Dotée d’un système automatisé de reconnaissance d’empreintes digitales, elle a pour objet de permettre d’identifier des personnes et ainsi contribuer à déterminer l’État membre qui, en vertu de la Convention de Dublin, est responsable de l’examen d’une demande d’asile. C’est notamment pour cette raison que le règlement en question a été et est encore fortement critiqué ; parce qu’il fait reposer la majeure partie du poids de l’accueil des réfugiés sur les épaules des principaux pays d’entrée en Europe que sont notamment la Grèce et l’Italie et parce qu’il fiche de manière centralisée des informations sur les demandeurs d’asile. Certains pays ont ainsi adopté des politiques ne respectant pas les droits de ces réfugiés en effectuant parfois des expulsions ou internements sans prise en compte de leur statut protégé. 

C’est pour cela qu’en 2016, l’Union européenne a adopté un nouveau système dit de « quotas », obligeant les États européens à accueillir un certain nombre de réfugiés, et répartissant l’obligation d’accepter les demandes d’asiles entre les différents États membres. Ce système ne fonctionnera pas réellement, notamment du fait qu’en 2015, s’était produit une augmentation de l’arrivée de population réfugiée notamment en raison de la crise syrienne et de l’avancée de Daesh dans la région. Les quotas de réfugiés censés être pris en charge en Europe et prévus par les textes sont amplement inférieurs au nombre réel de demandeurs d’asile. Certains pays d’Europe centrale et de l’Est (Autriche, Hongrie …) ne respectent ainsi en aucun cas l’accord passé avec l’Union européenne et acceptent très peu voire pas du tout de réfugiés. Les pays d’Europe de l’Ouest ne sont pas non plus des exemples en la matière puisque la France comme beaucoup d’autres n’a accueilli finalement que 20% de ce à quoi elle s’était engagée. 

Face à ces comportements, les différents juridictions européennes comme la Cour de justice de l’Union européenne ou la Cour européenne des Droits de l’Homme ont rendu différents arrêts interdisant parfois le transfert des demandeurs d’asile vers certains pays d’Europe de l’Est de crainte que ceux-ci ne respectent pas leurs droits. C’est dire les atteintes portées aux réfugiés dont les droits sont censés être garantis par l’ensemble de la communauté internationale. 

Conséquemment et face à son incapacité à gérer l’ensemble des demandes d’asile, l’UE décide de passer un accord avec la Turquie en 2016 tentant d’établir un certain équilibre entre solidarité financière et solidarité humanitaire mais qui consiste finalement à renvoyer un maximum de migrants de Grèce vers la Turquie. Une somme de 6 milliards d’euros est prévue pour la Turquie, laquelle promet en échange un renforcement de ses frontières. La même stratégie financière a été adoptée pour résoudre le problème côtier grec, la Grèce faisant face à l’arrivée massive de migrants, y compris syriens, par la Méditerranée. Mais les efforts de l’Union sont peu visibles en termes d’accueil des migrants syriens. La défaillance administrative et l’incapacité politique à faire face à l’arrivée d’une population fuyant la guerre sera à mainte reprises qualifiée de « crise migratoire », masquant de fait une véritable « crise politique ». 

Comme l’affirme Jean Ziegler, « l’Europe qui se veut un État de droit continental, liquide son propre droit » (15). La fermeture des frontières en principe inadéquate dans le cadre de règles internationales prévoyant le droit d’asile a ainsi donné lieu à des affrontements entre les forces de l’ordre et une population en détresse. Si violence physique il y a, la violence symbolique n’en est pas moindre : patrouilles de bateaux de guerre, envoi de militaires sur les frontières, utilisation de gaz lacrymogène … Les mesures prises sont presque celles d’un État en guerre, mais faisant face à une population civile. 

Le contexte politique a récemment changé lorsqu’à la fin de l’année 2019 le Président turc Recep Tayyip Erdogan a décidé de mettre fin à l’accord conclu en 2016 avec l’UE, en ouvrant les frontières turques vers l’Europe. Cette stratégie de chantage portant sur la vie de millions d’être humains a pour but, à terme, de garantir le soutien de l’UE à la Turquie dans ses opérations militaires en Syrie et a surtout entrainé l’afflux massif de migrants vers les frontières grecques. 

Mais là encore, l’hostilité des européens face aux migrants s’est fait ressentir. Elle a pu être saisie par une vidéo montrant des habitants de l’île de Lesbos empêchant des migrants d’accoster, en tentant de faire chavirer leur bateau. Les habitants continuent d’empêcher l’afflux de migrants en Grèce coûte que coûte, tandis que le gouvernement durcit les mesures de sécurité frontalières. 

Face à l’annonce de la décision turque, l’UE a opté pour un contrôle strict de ses frontières au sud. Jean Ziegler témoigne ainsi du transport des réfugiés dans des bus, sans nourriture, dans le froid, vers une frontière grecque militairement fermée et totalement hermétique. L’UE procéderait à une « liquidation » des droits de l’Homme et du droit d’asile.

L’article 31 de la Convention sur les réfugiés de 1951, dispose pourtant que « Les États Contractants n’appliqueront aux déplacements de ces réfugiés d’autres restrictions que celles qui sont nécessaires ; ces restrictions seront appliquées seulement en attendant que le statut de ces réfugiés dans le pays d’accueil ait été́ régularisé́ ou qu’ils aient réussi à se faire admettre dans un autre pays. En vue de cette dernière admission les États Contractants accorderont à ces réfugiés un délai raisonnable ainsi que toutes facilités nécessaires ». L’Union européenne contrevient ainsi non seulement au Droit international mais aussi à son propre droit puisque le Règlement Dublin III réglant la question affirme lui même dès son troisième article que « Le Conseil européen, est convenu (…) d’assurer que nul ne sera renvoyé là où il risque à nouveau d’être persécuté, c’est- à-dire de maintenir le principe de non-refoulement ».

On peut s’apercevoir de la vétusté d’un tel texte quand on lit la suite de l’article qui affirme que « À cet égard, et sans affecter les critères de responsabilité posés par le présent règlement, les États membres, qui respectent tous le principe de non-refoulement, sont considères comme des pays sûrs par les ressortissants de pays tiers ». Comment pourrait on affirmer devant une personne qui, fuyant la guerre et dont le but est de trouver en Europe une terre d’asile, se voit rejetée à coup de jets lacrymogènes qu’elle se trouve aux frontières d’un pays qui prône le « non refoulement » ? 

Ainsi, il est à noter que les prises en charge de la crise humanitaire syrienne et de la question des mouvements de population existent et présentent un certain degré d’efficience. Toutefois, on peut se demander si ces mesures, qui ont été avant tout pensées dans l’objectif de solutionner à court terme une situation d’urgence sont encore pertinentes dans le cadre de conflits s’allongeant de plus en plus dans le temps comme le conflit syrien. En effet, celui-ci entre dans sa dixième année et bouleverse, à maints égards, la lecture traditionnelle des solutions de gestion de mouvements de population. 

Peut on encore affirmer que construire des tentes en vue d’y loger des personnes déplacées ou réfugiées à cause du bombardement de leur maison est suffisant quand on sait que celles-ci ne pourront retourner chez elles avant des années, si elles peuvent y retourner un jour ? Si le statut de réfugié semble en principe assurer des droits au regard du droit international humanitaire, l’efficience de ces droits semble plus que compromise dans la réalité des faits et l’on peut se demander si le prochain défi humanitaire n’est pas de travailler à la mise en place de structures fonctionnelles permettant le véritable respect de ces droits garantis au sein de la communauté internationale, plutôt que de tenter gérer les flux de réfugiés .

Ruth Belassein 

Un grand merci à Lilith Manvelyan pour son aide

 

(1) L’Islam alaouite est une des formes de l’Islam chiite. Il appartient au chiisme duodécimain (la croyance dans l’existence des douze imams). Les musulmans alaouites forment entre 10 à 12% de la population syrienne ; c’est la branche de l’Islam à laquelle la famille de Bachar Al-Assad appartient.

(2) Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés

(3) UNHCR,  « Protecting Internally Displaced Persons: A Manual for Law and Policymakers », Octobre 2008

(4) Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU

(5) Office français de protection des réfugiés et apatrides

(6) Directive 2004/83/CE du conseil du 29 avril 2004

(7) Article L712-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (France)

(8) Comité international de la Croix Rouge 

(9) Messages transmis par le CICR permettant aux prisonniers de garder le lien avec leur famille qui souvent n’ont pratiquement aucune nouvelle de leurs proches

(10) Organisation Internationale pour les Migrations, liée depuis le 19 septembre 2016 aux NU, elle est aujourd’hui qualifiée par son directeur-général, William Lacy Swing, d’agence de la migration des Nations Unies

(11) Dans des camps dont la capacité initiale était de 150 personnes et qui ont été réaménagés pour 2 000 personnes en 2015

(12) Notamment à travers les différentes campagnes de mobilisation, défilés et levées de fonds effectués par diverses ONG et par l’ONU (on se rappelle la levée de fond de l’ONU d’un montant record de 6,5 milliards d’euros en 2014)

(13) Fonds des Nations unies pour l’enfance

(14) Nous renvoyons, à ce propos, aux actions de l’association L’œuvre d’Orient sur place

(15) Jean Ziegler, « Lesbos, la honte de l’Europe », Éditions Seuil

 

Sources

Articles/Livres : 

Didem Daniş, « De la porte ouverte aux menaces d’expulsion : la présence syrienne en Turquie », Centre d’information et d’études sur les migrations internationales, « Migrations Sociétés », 03/2019, N°177, pages 35 à 52, ISSN 0995-7367

Élisabeth Longuenesse, « La société civile syrienne face à la crise humanitaire », 06/2015, Grotius international 

Jean Ziegler, « Lesbos, la honte de l’Europe », 01/2020, Éditions Seuil, EAN 9782021451993

 

Conventions/Traités : 

Parlement européen / Conseil européen, « Règlement n°604/2013 » dit « Règlement Dublin III » du 26 juin 2013

ONU, « Convention relative au statut des réfugiés », adoptée le 28 juillet 1951, entrée en vigueur le 22 avril 1954

UNHCR, « Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays », 1998, adoptés par les États-membres de l’ONU lors du Sommet mondial de l’ONU de 2005. 

 

Rapports

Déclaration publique d’Amnesty international : « Questions et réponses. Pourquoi le retour de réfugiés en Syrie depuis le Liban est-il prématuré ? »,  Juin 2019

Rapport de l’UNHCR : « Protecting Internally Displaced Persons: A Manual for Law and Policymakers », Octobre 2008

Rapport d’observation de La Cimade : « La machine infernale de l’asile européen Dissuader et exclure : analyse des impacts d’une procédure sur les droits des personnes exilées en France », Avril 2008 

 

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