Pride : marcher pour l’égalité ou pour la différence ?

Pride : marcher pour l’égalité ou pour la différence ?

La situation sanitaire actuelle a entraîné le report ou l’annulation des grands événements de l’été, les grands rassemblements étant proscrits pour le moment. Cela inclut les nombreuses pride qui devaient se tenir à travers le monde. Il n’en demeure pas moins que depuis le 1er juin nous sommes entrés dans le pride month, c’est à dire le mois des fiertés, pendant lequel est célébrée la communauté LGBTQ+ à travers le monde. Malgré la situation qui empêche de se rassembler, la communauté homosexuelle est néanmoins mise en avant au cours de ce mois, notamment par certaines grandes marques qui revêtent pour l’occasion les couleurs du drapeau arc-en-ciel. 

La pride n’est pas une célébration parmi tant d’autres ou une simple date du calendrier lors de laquelle on peut descendre faire la fête dans la rue, elle célèbre à l’origine la diversité et la visibilité de la communauté homosexuelle dans l’espace public, encore obligée de se cacher il y a cinquante ans et encore actuellement dans certains pays. C’est aussi l’occasion de marcher pour commémorer ce que l’on désigne comme la première pride, qui a eu lieu dans le quartier de Greenwich Village en 1969. 

La première gay pride 

Dans les États-Unis des années 70, les quartiers gay existent déjà. Néanmoins, ceux qui s’y retrouvent ne sont à l’abri ni des normes sociales, ni des régulières descentes de police. A l’heure où l’homosexualité est un délit, la communauté LGBTQ+ vit encore cachée, et principalement la nuit. C’est à New-York, dans le quartier de Greenwich Village que la communauté gay américaine se retrouve et profite des quelques bars ayant officieusement le droit de les accueillir, bien qu’il leur soit interdit de consommer de l’alcool car étant considérées comme des personnes malades.

Le bar Stonewall Inn à Greenwich Village en 1969

C’est au sein d’un des seuls bar gay de l’époque, au Stonewall Inn, tenu par la mafia, qu’une descente policière habituelle a lieu dans la nuit du 27 au 28 juin 1969. Accompagnée d’arrestations au faciès, cet épisode déclenche ce que l’on désigne aujourd’hui comme les émeutes de Stonewall qui dureront six jours. Cet événement marque la véritable naissance du mouvement LGBTQ+ aux États-Unis, bien qu’il se nourrisse de l’esprit du Summer of Love (1) et du mouvement pour les droits civiques des années 60 (2). C’est une lueur d’espoir à l’époque où la discrimination était institutionnelle et systématique. 

C’est aussi au cours de ces émeutes que la communauté LGBTQ+ que l’on connaît aujourd’hui pour la diversité des identités sexuelles qui la compose commence à se réunir et à s’unir face à l’oppression. On peut notamment citer la figure de Marsha P. Johnson, femme noire, transgenre et drag queen qui fait partie des premières personnes à riposter face à la police, ou encore celle de Sylvia Rivera, femme transgenre qui ont marqué les émeutes par leur activisme. Elles fondent ensemble par la suite le Street Transvestite Action Revolutionaries, un groupe de soutien aux personnes transgenres non-blanches rencontrant des difficultés pour simplement exister et vivre de manière décente. Il s’agit alors de la naissance de la communauté LGBTQ+ en tant que telle, qui a pour objectif de rassembler, malgré les différences, pour une lutte élargie qui dépasse alors le genre, la classe sociale, la couleur de peau et l’orientation sexuelle. 

Bien que ces émeutes ne mettent pas fin à l’oppression que subissent les homosexuels, elles mettent en lumière le phénomène et entraînent une multiplication des associations de défense des droits LGBTQ+. Ce n’est qu’en 1973 que l’homosexualité est rayée de la liste des maladies par l’Association américaine de psychiatrie. 

Héritages et spécificités 

C’est cette revendication de la visibilité des homosexuel.le.s que célèbrent les pride aujourd’hui dans le monde entier. Cela permet de mettre en lumière les identités LGBTQ+ avec une hyper-présence dans l’espace public et médiatique pendant tout une journée, voire davantage dans certaines villes. Si parfois les parades sont devenues plus commerciales, et moins inclusives surtout lorsqu’il s’agit de défilés de chars où certains y voient une marchandisation de l’identité gay, d’autres sont de véritables moments de fête, mettant en avant toute la diversité de la communauté avec musiques et déguisements pour certaines. La pride reste un événement très politique pour la communauté homosexuelle et constitue une homosexualisation éphémère de l’espace public qui perd temporairement sa norme hétérosexuelle. C’est un coming out collectif et de grande ampleur pendant tout le mois de juin. 

A Paris, la pride, nommée Marche des Fiertés depuis 2002 et qui regroupe entre 600 et 800 000 participants, a été chaque décennie l’occasion de revendiquer les droits de la communauté LGBTQ+. Ainsi, dans les années 80, il s’agit d’une bataille pour une meilleure prise en charge des personnes atteintes du SIDA, et dès les années 90, la lutte se structure autour de la demande pour une reconnaissance juridique du couple homosexuel et le droit à l’adoption. 

Décor de la pride dans la ville de New York

A New York, la pride se déroule sur une semaine et est l’occasion pour de nombreux membres de la communauté LGBTQ+ de prendre la parole en public, de mettre en avant les inégalités toujours existantes – notamment pour la communauté transgenre. C’est aussi l’occasion de revenir sur les émeutes de 1969, et d’essayer de guérir les blessures du passé. En 2019, lors de la célébration des 50 ans des émeutes de Stonewall, le chef de la police de New York s’est excusé publiquement pour les arrestations survenues dans le cadre de lois « discriminatoires et tyranniques ». 

Des pride timides et illégales

Dans certains pays ou l’homosexualité est encore interdite par la loi, certaines associations LGBTQ+ tentent néanmoins de s’affirmer en organisant des pride. C’est ainsi par exemple qu’en 2017 des centaines de militants défilaient dans les rues de New Delhi, malgré le risque de dix ans d’emprisonnement voire d’une incarcération à vie. De même en Ouganda, où de telles manifestations sont interdites par le ministre d’État de l’Éthique et de l’Intégrité, et où les homosexuel.le.s sont considéré.e.s comme des personnes au « comportement pervers », des pride de quelques dizaines de participants s’organisent malgré tout. Ces actions timides reflètent un véritable désir de visibilité, d’une transgression clairement affirmée dont le but est, à terme, de faire changer les lois et les mesures oppressives. 

Pancarte de la pride de New Delhi de 2017 

Des exceptions surgissent parfois comme au Liban, où malgré le fait que l’homosexualité soit toujours considérée comme un crime, une pride s’est tenue en 2017. Il s’agissait néanmoins d’un événement sur mesure, sans marche ou manifestation publique, mais des conférences et des débats discrets. Toutefois l’événement n’a pas pu se reproduire en 2019 sous le poids des nombreuses menaces des communautés religieuses du pays, dénonçant l’immoralité d’un tel événement. 

Le droit des personnes LGBTQ+, un combat qui reste d’actualité

Au sein même de l’Europe, le président polonais, Andrzej Duda, a récemment déclaré qu’il souhaitait protéger les enfants de « l’idéologie LGBT » qu’il a ensuite comparé au bolchévisme. Ce sont des paroles politiques fortes qui viennent parfois remettre en cause les avancées obtenues par la communauté LGBT européenne au cours des cinquante dernières années. Ainsi, les prises de paroles et les mesures des présidents Donald Trump et Jair Bolsonaro, prouvent que des retours en arrière sont possibles et que le combat est toujours d’actualité pour les droits LGBTQ+ à travers le monde. Même si l’homosexualité reste encore condamnée dans 77 pays, on note néanmoins des mesures d’assouplissement de la part de certains États. Malgré la victoire obtenue le 16 juin 2020 à la Cour Suprême pour l’interdiction des discriminations fondées sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre (3), le président Donald Trump n’a eu de cesse tout au long de son mandat de compliquer l’intégration des personnes transgenres dans l’armée américaine. Le combat pour l’égalité des droits et la visibilité de toute la communauté LGBTQ+ explique que la pride englobe aujourd’hui les différentes identités et orientations sexuelles des individus. 

Enfin, à l’heure où sont dénoncées les violences policières contre la communauté noire aux États-Unis avec le hashtag #blacklivesmatter, une manifestation est venue se greffer à la première, dénonçant la discrimination dont souffrent les personnes noires et transgenres avec le hashtag, #blacktranslivesmatter. Souvent discriminées au sein même de la communauté LGBTQ+, les personnes noires et transgenres souffrent elles aussi de cette invisibilisation et du double poids de la transphobie ajoutée au racisme. 

C’est le rôle de la pride month de mettre en lumière les inégalités persistantes, de dénoncer les discriminations et de faire en sorte que le passé ne soit pas oublié. De 1969 à 2020, 51 ans de lutte pour les droits LGBTQ+ ont porté leurs fruits dans de nombreux pays mais il n’en demeure pas moins que des milliers d’homosexuel.le.s vivent encore dans l’ombre ou sous la menace de la prison, voire de la mort. La pride est donc bien plus qu’une fête annuelle, c’est un rassemblement politique et militant qui rassemble chaque année plusieurs millions de personnes à travers le monde. Du fait de la crise sanitaire actuelle, beaucoup de pride seront décalées plus tard dans l’année et pourront, le temps d’une journée, reprendre leur rôle de transgression de l’hétéronormativité des règles sociales établies. 

Quentin Defaut

Notes  

(1) L’expression désigne l’été 1967 et le regroupement des jeunes dans la ville de San Francisco qui propagent la contre-culture hippie.

(2) Désigne les manifestations de la communauté afro-américaine et des personnes blanches anti-racistes pour que soient appliqués les droits des afro-américains garantis après par la Constitution. Ce mouvement aboutit à la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis, avec la promulgation de décrets pour le vote et les droits des personnes de couleurs. 

(3) Le 15 juin 2020 la Cour Suprême s’est prononcée pour que la formule concernant la non discrimination en raison du sexe englobe l’orientation sexuelle et l’identité sexuelle, protégeant ainsi davantage les personnes homosexuelles et transgenres. 

Sources  

Ouvrage de référence  

Pride – L’histoire du mouvement LGBTQ pour l’égalité, Mathew Todd, éd. Gründ, paru en octobre 2019 

Sur les émeutes de Stonewall : 

https://www.franceculture.fr/histoire/les-emeutes-de-stonewall-aux-origines-de-la-gay-pride

https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/06/21/des-emeutes-de-1969-a-la-gay-pride-le-stonewall-un-monument-de-fierte_5479408_4500055.html

Sur les mouvements LGBTQ+ et les pride :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_des_LGBT_aux_États-Unis

https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/droits-homosexuels-la-police-new-yorkaise-s-excuse-pour-la-repression-de-stonewall-en-1969_2082689.html

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