La menace de la montée des eaux pour les États insulaires du Pacifique : Cas de Tuvalu et des Îles Marshall

La menace de la montée des eaux pour les États insulaires du Pacifique : Cas de Tuvalu et des Îles Marshall

Par Esther DIEZ

« Cher matafele peinam,
Je veux te parler de ce lagon,
ce lagon lucide, endormi, qui se prélasse contre le lever du soleil.
les hommes disent qu’un jour
ce lagon te dévorera

Et ils sont des milliers dans la rue
marchant avec des pancartes
main dans la main
chantant pour un changement MAINTENANT

Et ils défilent pour toi, bébé
Ils marchent pour nous ».1

Introduction

Kathy Jetnil-Kijiner, originaire des Îles Marshall, a écrit et récité ce poème lors d’une réunion de l’ONU, émouvant jusqu’aux larmes un certain nombre de dirigeants. Son poème, adressé à sa fille, reflète la tristesse face aux effets irréversibles du changement climatique2.

L’émotion partagée a mis en lumière la lutte de ces États du Pacifique, tels que Tuvalu et les Îles Marshall, face à la menace croissante du niveau de la mer. Ces nations sont particulièrement vulnérables aux conséquences du changement climatique, et leurs défis s’inscrivent dans le commencement d’une série de phénomènes environnementaux à l’échelle mondiale. Dans les prochaines années, ces populations devront se préparer à la perte de terres, une sécurité alimentaire instable et un manque de stabilité politique. Dans cet article, nous examinerons la situation de Tuvalu et des Îles Marshall vis-à-vis de leur environnement, tout en étudiant les mesures prises et solutions envisagées pour faire face à cette crise environnementale.

La montée du niveau de la mer, en constante augmentation, suscite des préoccupations majeures parmi les responsables politiques des États insulaires. Cette situation suscite la nécessité de mobiliser les ressources financières externes et de prendre des décisions plus efficaces pour lutter contre le changement climatique. Par ailleurs, les déplacements de populations et les migrations futures qui en découlent nourrissent des débats cruciaux sur la distinction entre les statuts juridiques de migrant et de réfugié climatique. La perspective de la disparition totale ou partielle de ces États soulève des questions cruciales concernant la préservation de la culture, du patrimoine et de l’identité des populations actuelles et futures. Face à ces défis, les États du Pacifique se tournent vers la communauté internationale pour solliciter une assistance, notamment financière, ou une forme de réparation. Étant donné que la plupart de ces États contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre, certains plaident en faveur d’une justice environnementale, soulignant ainsi la responsabilité internationale, notamment celle des États les plus développés et industrialisés.

La montée du niveau de la mer

Un rapport national de la Banque Mondiale, sur le climat aux Îles Marshall en 2021, révèle que la montée des eaux prévue entraînerait une inondation permanente de 40 % des bâtiments de la capitale des îles Marshall, Majuro, et la disparition de certaines îles entières, mettant potentiellement en péril le statut de nation de ce pays du Pacifique3. Les projections montrent que le pays pourrait perdre une partie de son territoire et de son infrastructure en cas d’élévation du niveau de la mer. L’impact toucherait plus particulièrement Majuro, où 40 % des bâtiments pourraient être submergés en permanence et jusqu’à 96 % de la ville, peuplée de 20 000 habitants, serait confrontée à des inondations fréquentes. La perte de territoire soulève des problématiques légales et politiques concernant le statut d’État de la nation. Les conséquences économiques de la montée des eaux, notamment la perte d’accès aux zones maritimes exclusives et aux ressources halieutiques, sont également au cœur des discours politiques.

Les îles du Pacifique, y compris les Îles Marshall, s’engagent à fixer les lignes de base des zones maritimes pour garantir leur stabilité malgré la montée des eaux. Face à l’urgence de la situation, la migration internationale semble être la solution de dernier recours, pour assurer la sécurité des populations locales. Le 10 novembre 2023, un accord a ainsi été conclu entre l’Australie et Tuvalu, garantissant l’asile climatique aux 11 000 habitants. Celui-ci prévoit la possibilité pour 280 citoyens, chaque année, d’obtenir un visa spécial leur permettant de vivre, étudier et travailler en Australie. Bien qu’il ait suscité des controverses en raison du pouvoir de véto sur les priorités de sécurité de l’île obtenu par l’Australie, il s’agit d’un soulagement pour le gouvernement qui cherche activement à protéger sa population face à la potentielle future disparition de l’État4.

Simon Kofe, ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, communique avec la communauté internationale en enregistrant un message vidéo pour la COP26 – Source : REUTERS/Tuvalu’s Ministry of Justice

Concernant cette éventualité, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, M. Kofe, a déclaré que le gouvernement explorait des solutions juridiques pour protéger les zones maritimes et maintenir la reconnaissance de l’État dans le droit international. Son discours a été enregistré dans l’océan, symbolisant la menace imminente de la montée des eaux, et a été rediffusé à la COP265.

Migration et statut de réfugiés climatiques

Dans le cas des Îles Marshall, l’histoire des Marshallais résulte initialement pour la plupart d’une migration. En effet, ils descendent des Micronésiens ayant émigré d’Océanie il y a plusieurs milliers d’années. Malgré le fait que ces habitants résident sur des îles relativement isolées et avec peu de ressources stratégiques, ils n’ont obtenu leur indépendance qu’en 1979, après que les États-Unis ont reconnu la création de leur gouvernement6.

Bien qu’ils aient accès aux visas nécessaires pour vivre aux États-Unis, le séjour de certains à Hawaï leur a largement permis de réaliser les difficultés de migrer en tant que Marshallais. Ceux-ci soulignent que la migration forcée n’est pas la solution au changement climatique et que le droit de choisir leur lieu de vie doit être préservé pour les générations futures. 

Face à l’urgence de la situation, les Îles Marshall envisagent des stratégies d’adaptation, et plus particulièrement la création d’un plan national d’adaptation, en réponse à la montée des eaux, la migration interne ou la potentielle construction de nouvelles îles. Le gouvernement insiste sur la nécessité d’obtenir le financement permettant la survie des États insulaires du Pacifique7

Les efforts pour définir le statut de réfugié climatique sont ralentis face à la complexité des interactions entre les actions humaines locales et les changements environnementaux mondiaux. À Tuvalu, la pression démographique croissante et les pratiques de développement représentent une priorité, vis-à-vis des problèmes environnementaux, remettant en question l’urgence des vagues migratoires liées au climat. Ces flux dépendent des choix individuels, certains habitants préférant rester malgré les menaces environnementales8. Cette décision peut être motivée par leur volonté de ne pas quitter leurs proches et de ne pas abandonner leur pays, traditions et cultures. 

La distinction entre migrants et réfugiés environnementaux est complexe dans la mesure où il est difficile d’identifier les véritables causes des déplacements. Les réfugiés environnementaux peuvent partir volontairement avant les catastrophes, mais cette distinction reste relativement floue dans de nombreux cas. De plus, si la menace que représente la montée des eaux est réelle et répandue dans la plupart des Îles du Pacifique, faire un lien direct entre ces catastrophes naturelles et la responsabilité des États industrialisés n’est pas toujours possible9. Les Tuvaluans, qui ont commencé à migrer ces dernières années, ne répondent pas nécessairement aux critères traditionnels des réfugiés. 

Pour cette raison, certains juristes avancent qu’il est indispensable d’inclure la notion de réfugié climatique au sein des accords internationaux10. Les politiques de protection des droits des réfugiés environnementaux sont également remises en question, en raison des difficultés à définir la nationalité et les droits associés à ces populations déplacées. En effet, les initiatives visant à créer un « droit d’asile environnemental » pour les populations des petits États insulaires océaniens, comme Tuvalu, sont limitées par des obstacles politiques et juridiques. L’absence de mécanismes internationaux pour reconnaître et protéger les réfugiés environnementaux participe à une forme d’incertitude quant à l’avenir et les droits de la population11.

Pertes culturelles

En plus des conséquences matérielles, la montée des eaux menace également les traditions, les cultures et les modes de vie uniques de Tuvalu et des Îles Marshall. La perte de terres et de ressources naturelles entraîne une dépossession culturelle et un déracinement des populations autochtones.

Les populations s’inquiètent des conséquences sociales et culturelles, illustrées par le projet de Tuvalu de créer une copie numérique sur le Metaverse pour assurer sa survie (la première étape de ce projet digital est la recréation de l’Îlot Teafualiku, l’une des parties les plus vulnérables à la montée des eaux)12. De plus, la riche diversité linguistique de la région est menacée, exposant les habitants du Pacifique au risque de perdre leur langue et des savoirs liés aux déplacements climatiques13.

Par exemple, les traditions culturelles de Tuvalu, et plus particulièrement ses danses, sa musique et son artisanat, sont liées à la terre et à l’océan qui les entourent14. Leur environnement marin fait partie intégrante de leur identité et mode de vie. L’océan est non seulement une source de nourriture, qui influe les pratiques de pêche et régimes alimentaires traditionnels, mais a aussi permis l’élaboration de techniques de navigation et une extraction durable des ressources. Les sites culturels importants de l’île et les structures communautaires risquent d’être détruits par la montée du niveau de la mer. L’océan est une source d’inspiration pour les formes d’expression artistique et culturelle des communautés, parmi lesquelles musiques, danses et artisanat local.

La cérémonie du kava (breuvage préparé à partir de la plante Kava, originaire du Pacifique), symbole de respect et de dialogue à Wallis et Futuna – Source : L’Alsace /Christelle DIDIERJEAN

Enfin, les futurs déplacements peuvent causer une perte des connaissances traditionnelles transmises par l’héritage. Ces déracinements culturels peuvent impacter les traditions orales de Tuvalu et d’autres États du Pacifique, menaçant l’identité culturelle même de ces populations. La poète et envoyée climatique Kathy Jetñil-Kijiner a notamment exprimé les préoccupations de la population face à cette menace qui pèse sur son île natale, soulignant que cette crise touche également sa famille et sa culture. 

Justice environnementale et responsabilité internationale

L’UNHCR a pris une décision inédite pour le droit d’asile en 2020, imposant aux gouvernements la prise en compte des atteintes aux droits de l’Homme liées au changement climatique lorsque ces derniers jugent des cas d’expulsion de demandeurs d’asile. Cet événement est le résultat d’une affaire, soutenue par Ioane Teitiota, originaire des Kiribati, devant le Comité des droits de l’Homme. Cet homme avait reçu un avis défavorable à sa demande d’asile en Nouvelle-Zélande. Le Comité a reconnu que la montée des eaux, conséquence directe du changement climatique, présentait une menace sérieuse pour le « droit inhérent à la vie » énoncé dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)15.

Cependant, celui-ci a établi un certain nombre de limites face à l’application de ce droit, notamment en exigeant des preuves tangibles pour la vie du demandeur. Il a conclu que dans le cas donné, comme le gouvernement avait pris des mesures jugées suffisantes et accordé aux citoyens un temps défini pour se reloger, les preuves étaient insuffisantes. La conclusion de ce Comité interroge sur les conditions nécessaires pour justifier une requête d’asile liée au changement climatique, ainsi que l’absence de mécanismes de protection pour des droits fondamentaux. Ainsi, si la cour néo-zélandaise a élargi le nombre de possibilités de recours, il est extrêmement difficile pour les victimes d’obtenir gain de cause16.

Sur le plan juridique, la responsabilité des gouvernements dans la protection des migrants vulnérables suscite des débats. Certains États estiment que les lois actuelles offrent une protection partielle adéquate. Cependant, en cas de déni de responsabilité d’un État ou d’absence de celui-ci, les personnes touchées par des dégradations environnementales devraient être capables d’invoquer la Convention de Genève pour obtenir le statut de « réfugié »17. Des cas juridiques, tels que l’affaire « Portillo Cáceres c. Paraguay »18, ont établi un lien entre la préservation de l’environnement et le droit à la vie dans la dignité. Ainsi, les États sont tenus de prendre des mesures pour protéger leur population des conditions de vie dangereuses, causées par le réchauffement climatique. Ces exemples indiquent que certains pays pourraient accueillir des personnes déplacées en raison de la négligence de leurs États d’origine, illustrée par l’accord entre l’Australie et Tuvalu.

Plusieurs propositions de conventions internationales ont été élaborées pour protéger les déplacés environnementaux. En 2008, l’Université de Limoges a proposé une Convention sur le statut international des déplacés environnementaux19, incluant la création d’une Agence mondiale pour les déplacements. Par ailleurs, le cabinet DS Avocats et le Barreau de Paris travaillent depuis 2016 sur un projet de charte, définissant les droits des « déplacés environnementaux » et attribuant des responsabilités sur la scène internationale20. Le projet repose sur le travail des institutions internationales existantes, avec le Haut Commissariat des Nations Unies chargé de surveiller sa mise en œuvre et la Cour internationale de Justice responsable de traiter les conflits.

Conclusion

La montée du niveau de la mer, les migrations induites par le climat, la préservation de l’héritage culturel, la justice environnementale et la responsabilité internationale sont des enjeux majeurs pour les États du Pacifique face au changement climatique. Ces nations insulaires sont confrontées à des défis imminents tels que la perte de terres et les déplacements massifs de population, soulevant des problématiques complexes de justice et d’assistance. La préservation de l’identité des populations est essentielle, nécessitant un plan d’action urgent et une coopération internationale. 

Des initiatives sont en cours pour renforcer la résilience des États du Pacifique, tels que les accords bilatéraux signés avec les États voisins et les plans de coopération dans cette zone géographique. Cependant, l’isolement géographique limite la capacité des dirigeants politiques de communiquer ces défis et de solliciter une assistance en lançant des initiatives de financement et de coopération avec le reste de la communauté internationale.

Par Esther DIEZ

NOTES

  1. Jetnil-Kijiner, K. (s.d.). United Nations Climate Summit Opening Ceremony – My Poem to My Daughter. ↩︎
  2. Slate. (2014, 17 septembre). The Poem That Moved a U.N. Climate Summit to Tears. ↩︎
  3. World Bank. (n.d.). Climate Data & Projections: Marshall Islands. ↩︎
  4. Le Monde. (2023, 24 novembre). L’asile climatique proposé par l’Australie aux habitants des Tuvalu suscite la controverse. ↩︎
  5. Franceinfo. (2021, Novembre 12). COP26 : un ministre de l’archipel des Tuvalu fait son discours les pieds dans l’eau. ↩︎
  6. ​​Centre d’études sur la Francophonie et la Mondialisation. (2023). Les îles Marshall. ↩︎
  7. Jetñil-Kijner K. and Heine. H. (2020). Displacement and Out-Migration: The Marshall Islands’ Experience. ↩︎
  8. Gemenne, F. (2010). Tuvalu, un laboratoire du changement climatique : Une critique empirique de la rhétorique des « canaris dans la mine ». ↩︎
  9. International Labour Organization. (2021). La mobilité humaine, le changement climatique et une transition juste. ↩︎
  10. HEC Stories. (2022). Faut-il un statut de réfugié climatique ? ↩︎
  11. Verhaeghe, L. (2008). Quels droits pour les réfugiés environnementaux qui perdront leur État ? Le cas de Tuvalu. ↩︎
  12. Business Insider. (2022, November). Tuvalu, a country threatened by climate change, wants to create a digital copy in the metaverse. ↩︎
  13. United Nations Development Programme. (s.d.). En images : Le changement climatique à l’origine de pertes et de préjudices dans le monde entier. ↩︎
  14. Crook, T. (2018). Pacific climate cultures: the ocean of the mind. Oceania, 88(2), 174–196. ↩︎
  15. Amnesty International. (2020, 20 janvier). ONU. Décision historique en faveur des personnes déplacées en raison du changement climatique. ↩︎
  16. Moullec, C., Martinet, Y. (2023). Quelle protection internationale des déplacés environnementaux ? ↩︎
  17. Cournil, C. (s. d.). Les “réfugiés environnementaux” : des déplacés en quête de protection. ↩︎
  18. Association for the Prevention of Torture. (s. d.). Portillo Cáceres y Otros v. Paraguay. ↩︎
  19. Faculté de droit et de sciences économiques de l’Université de Limoges et le Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l’environnement de l’aménagement et de l’urbanisme (CRIDEAU), en partenariat avec l’Université de Sherbrooke. (2008). Convention sur le statut international des déplacés environnementaux. ↩︎
  20. Barreau de Paris. (2016). Le Dalaï Lama, un symbole de paix et de non-violence. ↩︎

BIBLIOGRAPHIE

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