Auditeurs mécontents, blogueurs exaltés, ils pointent du doigt le black-out total, pire, l’omerta. La révolution démocratique et anticapitaliste islandaise serait passée sous silence par les médias français, à dessein. Retour sur une simili-révolution prétendument anticapitaliste.
Nombreux sont les citoyens français à réclamer que les médias daignent se pencher sur l’éruption démocratique et anticapitaliste à l’œuvre en Islande. A titre d’exemple, le médiateur de Radio France est submergé de mails inquisiteurs sur cette « révolution silencieuse ». Cet intérêt soudain pour l’île de glace est né après l’élection, fin novembre 2010, d’une assemblée constituante composée de citoyens. Le site du CADTM d’abord (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers-monde), puis des blogueurs de Mediapart ensuite, ont ainsi relayé l’information avec grand enthousiasme. L’idée, il est vrai, a de quoi séduire.
Tout un chacun pouvait en effet se présenter à cette élection. Résultat : plus de cinq cents candidats et vingt-cinq citoyens – parmi lesquels des juristes, des journalistes ou encore un agriculteur – élus pour fournir à l’Islande une nouvelle Constitution. Il faut dire que le texte actuel est calqué sur celui des Danois, d’où le souhait d’en changer et de se démarquer de l’ancienne puissance coloniale. Jusqu’ici, tout nous pousse à chanter à l’unisson les louanges des Islandais. Dans leur quête d’une démocratie exemplaire et transparente, eux-mêmes qualifient leur projet de « New Iceland » et scandent à qui veut l’entendre : « Let the people decide ! ».
Plusieurs éléments viennent cependant ternir le tableau de la « révolution démocratique ». Rappelons tout d’abord que si d’immenses rassemblements – à l’échelle d’un pays de 320 000 habitants – ont bien renversé le pouvoir, c’était à l’hiver 2008/2009. Le Premier ministre avait alors annoncé sa démission, invoquant des raisons de santé et une majorité de gauche, composée de socio-démocrates et du parti « gauche verte », avait été élue. Un vrai chambardement en Islande qui accumulait jusque là les gouvernements de centre-droit.
Seulement, depuis, la « révolution » semble s’être apaisée. A ce jour, un jeune policier de Reykjavik nous a ainsi confirmé qu’il n’y avait pas eu de manifestations depuis bien longtemps. Par ailleurs, il faut relever la très faible participation des citoyens à l’élection de la Constituante. Seuls 36% d’entre eux se sont déplacés, effrayés pour certains par le nombre impressionnant de candidats : « Il était impossible d’écouter ce que chacun avait à dire », nous confie une jeune femme de Kopavogur.
Enfin, dernière chose – et non des moindres -, le scrutin a été invalidé pour vice de forme. Mortes nées, les réunions de délibération qui devaient débuter mi-février n’ont jamais eu lieu. Le gouvernement réfléchit aujourd’hui à organiser de nouvelles élections constituantes, peut-être à l’occasion du futur référendum sur le projet dit « Icesave 2 ».
Pourquoi rejeter « les conneries des banques privées » n’est pas forcément anticapitaliste
Plus que leur assemblée constituante, on admirera chez les Islandais la détermination à ne pas se laisser dicter leur avenir par les agissements douteux de leurs banques privées. En octobre 2008, Lansbanki fait naufrage. Sa filiale Icesave coule avec elle, laissant sur le carreau ses clients étrangers, entre autres britanniques et néerlandais. Sans la moindre hésitation, Grande-Bretagne et Pays-Bas entreprennent alors de réclamer à l’Islande des sommes colossales : quelque 3,8 milliards d’euros. D’où le projet « Icesave 1 » revenant à payer cent euros par habitant et par mois pendant huit ans. Mais, voté par le Parlement, signé par le Président, puis finalement soumis à référendum le 6 mars 2010, le projet est rejeté et invalidé à 93% par la population.
Pourtant, presque un an plus tard, ni la Grande-Bretagne ni les Pays-Bas n’ont baissé les bras : les voilà derrière un nouveau projet de remboursement, moins contraignant et moins salé : « Icesave 2 ». Adoptée par le Parlement à une écrasante majorité – ce qui est plutôt rare – la loi n’a toujours pas été signée par le Président. Ce dernier a ainsi réclamé le 20 février dernier la tenue d’un deuxième référendum.
Si les parlementaires se disent outrés et choqués, 61% des citoyens ont apprécié que la loi leur soit soumise et 58% ont affirmé qu’ils se prononceraient en faveur de cet accord, d’après le Figaro. « Il faut passer l’éponge sur cette affaire pour que l’économie puisse repartir », affirme ainsi le jeune policier de Reykjavik, qui ajoute : « c’est pourquoi je vais voter oui. J’estime malgré tout que ce n’est pas aux Islandais de payer pour les conneries des banques privées ». Déplorant également l’attitude impérialiste de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, il explique enfin regretter qu’aucune solution de partage des remboursements n’ait été prise au sérieux. Rien de radicalement anticapitaliste là-dedans, donc. Juste du bon sens mêlé d’indignation.
Hétérodoxie plutôt qu’anticapitalisme
En effet, l’Islande est loin de s’être lancée sur une voie profondément anticapitaliste. Si elle souhaite aujourd’hui normaliser sa situation vis-à-vis de la Grande-Bretagne et des Pays-Bas, c’est avant tout pour débloquer les aides du FMI – soumises au règlement de ce contentieux. Par ailleurs, elle voudrait se voir octroyer de nouveaux prêts par les banques étrangères. Là où l’île s’est distinguée des autres pays européens dans le règlement de la crise, c’est qu’elle a immédiatement usé de mesures économiques hétérodoxes.
En plein cœur de la tempête financière et contrairement à l’Etat irlandais, l’Etat islandais a ainsi laissé sombrer les principales banques privées. Il en a alors créé de nouvelles, nationalisées par conséquent. « Avec ses dettes abyssales, l’Islande était dans une situation tellement désespérée que recourir à l’orthodoxie n’était même pas pensable. Elle a alors dévalué massivement sa monnaie et imposé un contrôle rigoureux des capitaux » écrivait le Nobel d’économie Paul Krugman dans sa tribune du New York Times le 30 juin dernier.
Un autre Nobel bien connu, Joseph Stiglitz, déclarait à son tour : « L’Islande a fait ce qu’il fallait et l’Irlande tout ce qu’il ne fallait pas. » Aujourd’hui, le FMI est le premier à reconnaître que l’Islande remonte la pente beaucoup plus vite que prévu, l’encourageant de surcroît à préserver les valeurs sociales du modèle scandinave. Dans le même temps, il impose à l’Irlande des restrictions drastiques.
Si les troubles financiers ont été traités de manière efficace et originale, la question des ressources naturelles se pose quant à elle avec acuité. Dans la tourmente et de façon peu scrupuleuse, l’île a en effet vendu une part de son industrie géothermique à une entreprise étrangère, canadienne en l’occurrence puisque c’est l’entreprise Magma Eenergy AB qui a remporté l’exploitation des ressources pour une durée de 65 ans, renouvelable une fois. Ce qu’on ne peut pas réellement qualifier d’anticapitalisme…
Un véritable tollé s’est alors déclenché, à la tête duquel s’est hissée la chanteuse Björk, d’ailleurs soutenue à l’époque par la député européenne et possible future candidate à l’Elysée Eva Joly (Europe Ecologie). Björk fait partie des nombreux citoyens à réclamer l’appartenance au peuple islandais de ses ressources naturelles. C’est d’ailleurs l’un des enjeux que devra prendre en compte l’hypothétique nouvelle Constitution, tout en gardant à l’esprit la candidature islandaise à l’Union européenne, déposée officiellement le 16 juillet 2009 – membre de l’espace économique européen, l’Islande est déjà membre du marché unique et de l’espace Schengen.
Nombreuses sont donc les questions qui restent en chantier. Mais, loin des caricatures révolutionnaires, l’Islande ne demeure pas moins une solide démocratie, bien décidée à ne pas reproduire ses errements financiers. Bien qu’improprement qualifiés d’anticapitalistes, ce bouleversement des consciences et les mesures hétérodoxes mises en place ont bien des mérites. Le premier d’entre eux : proposer une alternative à l’orthodoxie trop souvent prônée par l’Union Européenne.
Léia SANTACROCE
Pour aller plus loin :
UE : Une vision institutionnaliste en manque d’horizon, Leia Santacroce, Inter-Action.tk The icelandic post-crisis miracle, Paul Krugman, New-York Times Le site de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) consacré à l’Islande
« Simili révolution prétendument anti-capitaliste » est redondant. Et pourtant, elle tourne…Et, aux dernières nouvelles, le « scepticisme » de la presse française, toujours aussi marqué par rapport aux événements islandais, n’est toujours pas de parti-pris « anti-capitaliste » mais bel et bien inverse.
Il est, en France, un « radicalisme »de vaches alpinistes de bon ton à la vue de la première pente quelque peu abrupte du paysage. – Puisque que ce n’est pas la cime, passons notre chemin et broutons en paix et d’équerre les amies !
.Et puis, cette autre manie de notre « orgueil » national : nous n’aimons qu’à nous contempler qu’en des miroirs emphatiques…
– Hum…une si petite île…et « ça » veut faire la leçon ?
Quitte à passer pour des clowns, outre-Atlantique… 🙂
Comme disait l’autre, « Français encore un effort pour être Républicains… »
Allez, Rome ne s’est pas faite en un jour, et pas même notre « grande » Révolution…
🙂
Et puis…
…c’était à l’été 1789, un certain 14 juilllet.
Ce jour là Capet rentrant de la chasse a écrit sur son petit carnet : « Rien »
Ô la perspicacité toute « française » ! Ô le génie du « bel esprit » !
Dormons en paix…Meuh… »Enfants de la patrie » !