Le mariage pour tous vu d’Europe : « Jusqu’où est-on prêt à aller ? »

Le mariage pour tous vu d’Europe : « Jusqu’où est-on prêt à aller ? »

Alors que le projet de loi du gouvernement Ayrault sur l’ouverture du mariage aux couples de même sexe vient d’être adopté en Conseil des ministres, le débat fait rage au sein de la classe politique et de la société françaises. Le pays est peut être sur le point de franchir un nouveau cap dans la reconnaissance des droits à sa communauté LGBTI[1], treize ans après le PACS. À l’heure actuelle, comment se positionne la France par rapport à ses partenaires européens ? Nanna Moe, responsable de la communication d’ILGA-Europe[2], fait un état des lieux. Entretien exclusif.

 

Oui ou non ? Tout dépend de la volonté des dirigeants européens.
Photo Fred Tanneau. AFP.

 

Classe Internationale : La France, « pays des droits de l’homme ». Un slogan bien ancré dans l’imaginaire collectif. Pourtant, le pays semble à la traîne au niveau européen sur le mariage gay. Comment cela s’explique-t-il ?

Nanna Moe : J’aimerais commencer par une remarque générale : il faut arrêter d’utiliser l’expression de « mariage gay », comme le font de manière contre-productive les médias et les politiques. Les choses doivent être claires : aucun pays n’a l’intention d’établir une législation matrimoniale spécifique aux couples de même sexe. L’objectif est de changer les lois existantes sur le mariage afin d’y intégrer les couples de même sexe, à égalité avec les couples hétérosexuels. J’ajouterai que le terme « gay » est lui aussi mal employé, associant les hommes homosexuels et les lesbiennes, avec parfois même les bisexuels ; or il ne peut englober toutes ces relations. C’est pourquoi, l’expression la plus appropriée pour traiter du sujet reste « le mariage pour tous ».

Pour en revenir à votre question, il ne faut pas oublier que la France a été un des premiers pays à introduire la reconnaissance des relations entre personnes de même sexe avec le PACS, adopté en 1999. Une avancée politique significative qui a ouvert la voie aux revendications du mariage pour tous. Ce qui a manqué entre 1999 et aujourd’hui, c’est la volonté politique des dirigeants français de faire figurer le sujet dans leur agenda, car jugé non-prioritaire. Avec le gouvernement actuel, cette volonté est manifeste. Mais il ne faudrait pas oublier que le mariage pour tous est une promesse électorale.

Comment peut-on comprendre l’avancée de certains pays européens sur le sujet, et notamment ceux du Sud de l’Europe, comme l’Espagne et le Portugal pourtant fortement catholiques ?

Les personnes LGBTI espagnoles et portugaises ont su profiter de la volonté politique de leurs gouvernements  d’inscrire à l’ordre du jour les droits LGBTI et l’égalité. Ceci s’est traduit par une législation très progressiste en matière de mariage. Le fort leadership des dirigeants espagnols et portugais a permis de dépasser le débat et l’influence de l’Église. L’État a ainsi pu régler la question comme tout État séculier l’aurait fait.

Qui sont les principaux opposants gouvernementaux au mariage pour tous en Europe ?

En premier lieu, j’insiste sur le fait que la législation relative à la famille n’est pas de la compétence de l’Union européenne. Cette législation est entièrement dévolue aux États nationaux. À l’échelle nationale, la question n’est plus abordée en termes de stricte clivage politique droite/gauche. C’est pourquoi il est difficile de dire quel type de gouvernement est susceptible de faire évoluer de façon positive la question. Traditionnellement, les gouvernements de gauche sont plus progressistes en la matière, bien qu’il y ait beaucoup d’exceptions. Prenons le cas du Royaume-Uni, où le Premier ministre conservateur, David Cameron, a affirmé que le mariage devrait être ouvert à tous au regard de ses convictions politiques.

Quels pays européens pourraient-être les prochains à franchir le pas du mariage pour tous ?

On remarque une forte mobilisation en Écosse et dans le reste du Royaume-Uni. Le sujet est à l’ordre du jour en Finlande et au Luxembourg, bien que la manière dont se dérouleront les discussions ne soit pas bien définie. Citons aussi le récent débat en Allemagne où Angela Merkel a affirmé qu’elle ne s’opposerait pas au mariage pour tous au niveau fédéral. Toute la question est de savoir jusqu’où est-on prêt à aller ?

Récemment, All Out[3] a mis en ligne une nouvelle campagne[4] qui dénonce la non-reconnaissance des droits des couples de même sexe par tous les pays européens lors de leurs déplacements dans l’Union. Peut-on espérer un jour une harmonisation, à l’échelle européenne, des droits des LGBT notamment sur la question du mariage ?

Tout d’abord, il est impossible d’espérer une quelconque harmonisation car, comme je l’ai rappelé, l’Union européenne n’est pas compétente en matière de droit familial. Deuxièmement, il convient d’insister sur le fait que la liberté de mouvement est l’une des valeurs fondamentales de l’Union européenne, et qu’il existe déjà une reconnaissance mutuelle de cette liberté pour les biens et services. Les aspects économiques priment traditionnellement avec l’Union européenne, mais on a pu constater la transposition de ces principes au domaine social. Au sujet de la reconnaissance mutuelle des documents civils, c’est-à-dire de la reconnaissance des couples de même sexe d’un pays à l’autre, il y a encore du chemin à parcourir. ILGA-Europe travaille à la prise en compte de cet aspect social dans la question de la reconnaissance mutuelle. Nous rassemblons actuellement plusieurs exemples de couples de même sexe et de familles LGBTI pris au piège de la jungle légale européenne[5]. Afin de faire bouger les choses, nous pensons qu’il est nécessaire de présenter tous ces cas de discrimination à la Commission européenne. Celle-ci pourra ainsi hausser le ton vis-à-vis des États membres.

 

Entretien réalisé par Thomas Sila

 

Complément : Un bilan par les cartes

 

Cette carte a été réalisée par Carole Boinet et Diane Lisarelli, et publiée dans Les Inrockuptibles, numéro 884 du 7 au 13 novembre 2012.

[1] Lesbiennes, Gays, Bisexuel(le)s, Trans et Intersexués.

[2]ILGA-Europe, la section européenne de l’Association Internationale des personnes Lesbiennes, Gay, Bisexuelles, Trans et Intersex, milite en faveur des droits et de l’égalité pour les personnes LGBTI au niveau européen. Ses actions s’adressent en particulier à l’UE, au Conseil de l’Europe et à l’OSCE. Elle réunit trois-cents quatre-vingt-onze organisations LGBTI de quarante-cinq pays européens. Plus d’informations sur http://www.ilga-europe.org/.

[3] Organisation internationale en ligne qui assure l’information et l’éducation de l’opinion publique concernant la situation des LGBT partout dans le monde. A ces fins, All Out met en place des campagnes multilingues qui supportent les revendications des associations LGBT nationales et internationales. Pour en savoir plus : http://www.allout.org/fr/about.

[4]La campagne est visible à l’adresse suivante : http://www.allout.org/en/actions/invisibleparents.

[5] La situation de l’un de ces couples a d’ailleurs fait l’objet d’une vidéo disponible à l’adresse suivante : http://www.ilga-europe.org/home/issues/families/ilga_europe_publications/legal_jungle. ILGA-Europe a également contribué en avril 2011 à la rédaction d’un livre vert de la Commission européenne sur la reconnaissance mutuelle des familles LGBT. Les propositions formulées par l’association peuvent être consultées à l’adresse suivante : http://www.ilga-europe.org/home/publications/policy_papers/green_paper_april_2011.

 

Thomas Sila

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