Une géopolitique de la Prostitution : entre acteurs, transnationalité et émergence de nouveaux réseaux.

Une géopolitique de la Prostitution : entre acteurs, transnationalité et émergence de nouveaux réseaux.

Depuis un an et demi environ, l’Allemagne connaît de grands débats à propos de la prostitution. En dix ans, le nombre de prostitué(e)s a explosé en Allemagne : cette législation permissive a entraîné l’implantation de nombreux réseaux étrangers venus principalement d’Europe de l’Est ou du Sud-Est et d’Afrique (Nigeria par exemple) qui répondent à une demande également étrangère et toujours plus forte. Autre conséquence de cette loi : le nombre de mineur(e)s se prostituant a largement augmenté (en 2010, 81 % des victimes allemandes avaient en effet moins de 21 ans) et les secteurs de l’industrie du sexe (boîte de strip-tease, pornographie adulte et enfantine, etc.) en ont également profité, sans parler de tous les hôtels, bars, commerces, boîtes de nuits.

L’Allemagne constitue donc un exemple type de ce que la prostitution pose comme questions, a pour causes et entraîne comme conséquences. On peut donc se demander, en poussant la réflexion plus loin et en élargissant notre propos, dans quelle mesure la prostitution est un phénomène transnational qui influence les territoires dans lesquels elle s’implante.

prostitution

La prostitution : définition et enjeux contemporains, les nouveaux mécanismes de ce phénomène.

 

Quand on aborde la question de la prostitution lors de discussions, la distinction entre une prostitution « consentie » et une prostitution « contrainte » est vite admise, souvent par les différentes parties en présence. Cette distinction se fonde sur le fait qu’il y a différentes voies menant à la prostitution : ce peut être des femmes ou des hommes abusés par des annonces d’études à l’étranger ou de mariages (comme en Europe de l’Est et en Afrique sub-saharienne), des personnes enlevées et séquestrées, des femmes trompées par des « loverboys », c’est-à-dire des hommes qui prétendent les aimer et les contraignent à se prostituer. Par opposition à ce type de prostitué(e)s, il y en aurait d’autres qui choisiraient ce métier volontairement et en sachant bien à quoi s’attendre. Force est de reconnaître que cette distinction est largement discutable dans la mesure où la seule différence établie entre ces deux types de prostitution réside dans l’usage de violence ou de chantage, ou non.

La prostitution repose en effet sur des réseaux mais aussi sur la mondialisation au sens large du terme. Des événements mondiaux comme la coupe du monde de Football, de Formule 1 ou encore les Jeux Olympiques ont pour corollaire un accroissement des taux de prostitution dans les lieux où ils se déroulent. Les réseaux Internet favorisent également l’accroissement de la prostitution dans le monde : comme nous l’avons dit, des sites proposent de faux mariages ou du moins de fausses rencontres entre des hommes et des femmes et font de nombreuses victimes en Afrique sub-saharienne et dans les pays de l’Est (Ukraine, Roumanie, Bulgarie). Grâce au développement des technologies numériques, les mécanismes de la prostitution se dématérialisent. Dorénavant, le racolage se fait par téléphone portable ; les réseaux sociaux servent d’espaces de rencontre pour sexe tarifé ; l’acheminement des victimes à travers le monde passe par le recours systématique aux échanges numériques. Sans parler des réseaux de pédophiles qui utilisent au maximum les réseaux internet : le phénomène est particulièrement marqué aux Philippines et en Thaïlande où des parents gèrent la prostitution de leurs propres enfants.

Globalement, on assiste donc à une augmentation du nombre de prostituées et d’enfants prostitués et d’hommes prostitués (qu’ils soient travestis, transgenres ou non). Quelques chiffres fournis par le rapport de 2012 de la Fondation Scelles (reconnue d’utilité publique depuis 1994) soulignent l’ampleur du phénomène. Entre 40 et 42 millions de personnes se prostituent dans le monde, et 75 % d’entre elles ont entre 13 et 25 ans. Neuf prostituées sur dix dépendent d’un proxénète. A près de 80 %, il s’agit de femmes ou de fillettes. En Europe occidentale, 1 à 2 millions de personnes se livrent à la prostitution, en majorité des migrantes, «victimes de la traite des être humains». Mais il est difficile de se faire une idée précise du nombre de personnes concernées par la prostitution dans la mesure où pour des raisons idéologiques ou religieuses, le phénomène même est nié : en Arabie Saoudite, aucune étude n’est faite par l’État alors que les organisations internationales estiment que la prostitution y revêt plusieurs formes, notamment avec la pratique des mariages temporaires en échange d’une rémunération et l’exploitation sexuelle des migrants à la recherche d’une activité rémunératrice.

 

La Prostitution : un phénomène transnational et dynamique

La prostitution dans le monde : entre flux de prostituées, et flux de clients.

 

Les prostitué(e)s : qui sont elles/ils et d’où viennent-elles/ils ? Pour quelles raisons ?

 

Le marché de la prostitution toucherait environ trente deux millions de femmes, d’hommes et d’enfants à travers le monde. Dans son œuvre Prostitution et politiques européennes, pour une approche anthropologique du droit, Portes Maiko-David divise le monde en quatre grandes zones concernant la répartition géographique des trafics et des exploitations sexuelles.

La première zone recouvre l’Amérique latine et centrale, englobant des pays tels que le Brésil, le Costa Rica, la République Dominicaine, le Mexique, la Colombie, le Venezuela et le Nicaragua. La caractéristique principale de ces trafics d’être humains à des fins de prostitution est le fait d’être à la fois transfrontaliers, mais aussi internationaux, en direction de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord (États-Unis, Canada).

 L’Afrique constitue la seconde zone, en particulier des pays tels que le Kenya, le Ghana, le Nigeria, le Sénégal, le Cameroun, le Congo et la Sierra Léone. L’Afrique est considérée comme étant la plaque tournante majeure des trafics mondiaux car c’est un lieu de passage des personnes prostituées venant d’autres continents avant qu’elles ne soient redistribuées vers d’autres régions, en majorité l’Europe et les pays du Moyen-Orient comme l’Arabie Saoudite.

 La troisième partie du monde concerne le continent asiatique en raison du tourisme sexuel qui s’y est développé de manière importante depuis quelques années. Les pays les plus concernés par ce tourisme sont principalement l’Inde, le Bangladesh, les Philippines et la Thaïlande.

 Enfin, la quatrième zone à relever est l’Europe, où les réseaux de proxénétisme ont beaucoup d’influence. Les accords Schengen ont ouvert les frontières au sein de la communauté européenne et ont fait de l’Italie et de l’Allemagne les principales routes des trafics de prostituées. La plaque tournante européenne est située dans les Balkans,  lieu de redistribution des prostituées d’Europe de l’Est vers l’Europe de l’Ouest ou vers les pays du Golfe Persique. Selon le Conseil de l’Europe de 2005, 50 % des victimes de la traite dans les pays d’Europe du sud-est sont des mineurs.

 Les visages de la prostitution sont multiples : les prostitués sont des victimes d’exploitation et de réseaux, des mères de famille en situation précaire, qui cumulent souvent cette activité avec une autre activité principale, des jeunes étudiantes qui se prostituent pour payer leurs études, des enfants qui sont vendus par leurs familles qui vivent dans la misère, des hommes… La raison économique apparaît comme étant la principale raison du passage à l’acte. Dans les pays pauvres, la prostitution est le moyen le plus simple pour les jeunes filles de gagner de l’argent. La prostitution juvénile est un véritable fléau dans les pays défavorisés où les familles envoient leurs propres enfants se prostituer.

 

 

Géopolitique de la prostitution : une transnationalité qui entraîne l’émergence de réseaux criminels.

Des concentrations de populations à l’origine de l’émergence de plaques tournantes des réseaux de prostitution et l’apparition de nouveaux acteurs.

 

Phénomène aujourd’hui transnational, la grande criminalité dépasse les frontières dans le but d’investir le monde. Le champ mondial permet à ce type d’organisations de traverser les frontières, qui sont quant à elle perméables dans le domaine du droit international et dans la répression internationale. Ces réseaux criminels s’appuient sur des plaques tournantes, des villes et des zones clés, qui leur permettent de diffuser et d’organiser leur commerce au niveau mondial.

Citons notamment la ville de Dakar, qui est peu connue pour être une plaque tournante, mais qui est devenue un centre de la prostitution africaine. La prostitution africaine est en plein essor, notamment en raison de la pauvreté de certains pays. Les réseaux criminels profitent des crises qui touchent les économies africaines pour exploiter des jeunes femmes et les réduire à de simples objets de consommation. Au sein même des réseaux de prostitution, les nationalités des prostituées sont très diverses, et ces dernières sont mises en concurrence. Ainsi, les prostitués sénégalaises rivalisent avec les travailleuses du sexe ghanéennes, nigérianes et bissau-guinéennes, qui ont envahi le Sénégal pour attirer les touristes européens. On peut dire que Dakar est une plaque tournante, car c’est depuis ce pays que les principaux flux de prostituées africaines passent : la ville sénégalaise n’est souvent qu’une étape dans un long voyage qui amène les femmes jusqu’en Europe, où elles sont achetées, revendues, et exploitées.

 La prostitution est donc un phénomène qui se moque des frontières, un phénomène qui ne reconnaît aucune limite géographique ou géopolitique. Un exemple concret très récent nous montre que les frontières sont dépassées par les réseaux criminels. La déclaration faite par le groupe terroriste Daesh, dans son magasine de propagande Dabiq en est une parfaite illustration. En effet, le groupe déclare avoir offert à ses combattants, en guise de « remerciement », les femmes et les enfants capturés dans le nord de l’Irak. Daesh reconnaît donc officiellement qu’elle détient des Yazidis comme esclaves, et se base sur une sunna, une loi de dieu, pour justifier cette traite. En réalité, et ce grâce à un témoignage d’une jeune fille qui a réussi à fuir ses bourreaux, nous apprenons que cette traite est organisée et les femmes et les enfants sont vendus comme « objets sexuels ». En effet, la jeune rescapée raconte qu’elle a été vendue une première fois en Syrie « J’ai été vendue en Syrie. Je suis restée cinq jours avec mes deux sœurs, puis une d’entre elles a été vendue et ramenée à Mossoul. Et moi je suis restée en Syrie », avant de s’échapper en ayant réussi à abattre son acheteur palestinien. Vendue une seconde fois à un saoudien, elle réussit une nouvelle fois à s’échapper et est désormais réfugiée en Turquie. Le groupe Daesh a donc mis en place une véritable traite humaine ayant pour but d’exploiter le corps des femmes et des enfants, les vendant comme butin de guerre afin de récolter des soutiens de nouveaux combattants.

Des réseaux de prostitution spécialisés qui diversifient leurs activités criminelles : de véritables « entreprises ».

 C’est depuis les années 1990 que l’industrie sexuelle est la plus lucrative. En effet, la transformation la plus importante du commerce sexuel a été sa banalisation et sa diffusion massive à grande échelle. Un marché sexuel en émerge et des millions de femmes, d’enfants, et  d’hommes font l’objet de transactions marchandes en étant vendus dans le but d’alimenter les réseaux de prostitution à l’échelle planétaire. L’industrie du sexe est devenue une véritable puissance économique en raison du développement de la pratique du tourisme sexuel, mais aussi le développement de ces réseaux de prostitution et la banalisation de la pornographie. Les réseaux de prostitution sont donc devenus de véritables réseaux criminels, qui drainent des sommes astronomiques. La prostitution mondiale engendrerait un chiffre d’affaires d’au moins 100 milliards d’euros par an dont 30 milliards en Europe, à moindre coûts : en effet, en Europe occidentale, une personne prostituée peut rapporter à son proxénète 100 à 150 000 euros par an. À titre d’exemple, lors du procès d’un réseau de jeunes femmes roumaines prostituées à Lyon, il a été révélé que près de 650 000 euros avaient été acheminés vers la Roumanie, entre avril 2004 et août 2005.

 e plus, les réseaux de prostitution peuvent aller jusqu’à faire partie de la stratégie de développement de certains États. D’autant plus que l’industrie du sexe dans son ensemble, légale ou illégale selon les pays, contribue au revenu national et à la croissance économique des États. En effet, les sommes générées peuvent permettre à ces derniers de rembourser des dettes et de relancer la croissance économique : l’industrie du tourisme et du divertissement sont deux domaines dans lesquels certains pays investissent et qui alimentent l’industrie du tourisme sexuel, comme ce peut être le cas en Thaïlande.

 Les organisations criminelles, traditionnellement, sont actives sur le marché de la prostitution. Toutefois, on remarque un double mouvement désormais : une spécialisation se concentrant sur l’activité de la traite humaine à finalité d’exploitation sexuelle, qui est alliée à une diversification des activités criminelles et qui constitue le deuxième mouvement. En effet, les très hauts bénéfices de cette première activité permettent de financer d’autres secteurs de plus grande envergure comme le trafic de drogues, les trafics d’armes, la contrebande ou encore le trafic d’organes. Du fait de son coût très faible, la prostitution permet aux organisations criminelles de mettre en place d’autres réseaux et de développer d’autres « entreprises » criminelles. Les organisations s’allient entre elles, passent des accords et « sous-traitent » leurs services. On parle alors de véritables « firmes criminelles transnationales » qui utilisent donc des techniques managériales d’entreprises traditionnelles. Ces réseaux criminels rentrent donc dans le processus de mondialisation : selon le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), le produit criminel brut mondial atteint 1300 milliards de dollars par an et constitue 15% du commerce mondial.

Des organisations qui luttent contre ces réseaux, pour le droit des prostitués, contre la traite des êtres humains.

 Les réseaux de prostitution et de criminalité ont ainsi réussi à s’insérer dans le processus de mondialisation. Ils s’affranchissent des lois nationales et internationales et sont désormais à une échelle transnationale. La traite des êtres humains se fait à l’échelle locale, régionale et internationale ce qui rend la lutte contre ce phénomène très difficile à mettre en place. Seule la coopération entre les pays concernés peut être efficace face à l’internationalisation de la criminalité.

Des organisations internationales et des fondations jouent le rôle de défenseurs des droits des prostitués. Prenons comme exemple la fondation Scelles, reconnue d’utilité publique depuis 1994, qui mène un travail de plaidoyer et d’analyse en tant que centre d’information pour combattre la traite humaine et sexuelle. Néanmoins, les pouvoirs de ces fondations et ONG sont limités et leur voix n’est que très peu diffusée.

La géopolitique de la prostitution est donc un phénomène complexe parce que obscur dans son fonctionnement même : à cheval sur l’économie officielle et l’économie souterraine, il repose sur des phénomènes de flux transnationaux changeant au grès de la conjecture historique et économique. La prostitution crée autant d’acteurs (prostitué(e)s, clients, réseaux) que de détracteurs (juridictions internationales, ONG, associations) jusqu’à devenir aujourd’hui une question débattue au niveau international. En effet, l’ONU préconisait en octobre 2012 la légalisation de la prostitution en Asie afin de réduire la répression contre les prostitué(e)s et les risques de transmission du HIV. La transmission de maladies vénériennes n’est pas le seul facteur qui pousse à penser la prostitution en termes mondiaux : les réseaux Internet, les flux de touristes et de migrants confèrent à la prostitution une dimension internationale.

 

Killian Tondu-Bataillard 

 

BIBLIOGRAPHIE

Sites internet et articles de presse :

www.fondationscelles.org L’exploitation de la prostitution : un fléau mondial, Fondation Scelles

http://www.fondationscelles.org/pdf/prostitution_fleau_mondial_2013.pdf

www.afrik.com « Sénégal : la nouvelle plaque tournante de la prostitution en Afrique » http://www.afrik.com/article27242.html

http://www.lapresse.ca/international/201312/21/01-4723114-la-prostitution-ailleurs-dans-le-monde.php

http://www.medecinsdumonde.org/Presse/Tribunes/Prostitution-et-penalisation-des-clients-la-bienveillance-en-question

→ → http://www.herodote.org/IMG/pdf/Chureau.pdf

→  http://novopol.ru/bum-prostitucii-v-krizisnoj-grecii.html (photographie à la Une)

Sites internet officiels d’organisations gouvernementales et internationales.

http://www.senat.fr/lc/lc79/lc790.html .

http://www.hg.org/prostitution-law.html

http://www.legadroit.com/prostitution.html

http://www.parl.gc.ca/content/lop/researchpublications/prb0330-f.htm#droitinternational

http://www.interpol.int/Crime-areas/Trafficking-in-human-beings/Resources

http://www.interpol.int/Crime-areas/Crimes-against-children/Crimes-against-children

OUVRAGES de référence

PORTES Maiko-David, Prostitution et politiques européennes, pour une approche anthropologique du droit, Paris Budapest Kinshasa, l’ Harmattan, Questions contemporaines, 2006

POULIN Richard, La mondialisation des industries du sexe, Paris, Immago, 2005

 

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