Depuis plus d’un mois, le « conflit israélo-palestinien » refait la une et les nouvelles défilent annonçant toujours plus de morts et de blessés. Mais comment expliquer ce soulèvement spontané ? Est-ce si surprenant ? Est-il vraiment pertinent de s’interroger sur l’avènement d’une troisième Intifada ?
Un déferlement de violences en l’espace de quelques semaines
Dans un article de Ha’aretz, Amira Hass (1) écrit: « la guerre n’a pas commencé jeudi dernier, elle ne commence pas avec les victimes juives, et elle ne prend pas fin quand plus aucun juif n’est assassiné. Les Palestiniens se battent pour leur vie, dans le plein sens du terme. Nous, juifs israéliens, nous battons pour notre privilège en tant que nation de maîtres, dans la pleine laideur du terme. » Si de fait la violence s’inscrit indéniablement dans le quotidien des Palestiniens et des Israéliens, on peut cependant tenter de relever des « éléments déclencheurs » provoquant le déferlement de violences actuel.
Ainsi, l’été en Palestine a été marqué par l’assassinat collectif d’une famille palestinienne à Douma, près de Naplouse lorsque des colons ont incendié la maison qui abritait le couple avec leur bébé âgé de quelques mois. Début septembre, c’est le déclenchement de nouvelles provocations à l’occasion du nouvel an juif. Les soldats israéliens ont fermé l’Esplanade des mosquées et des affrontements ont éclaté. Dans la traque de certains individus “suspects”, les soldats ont cassé des vitres de la mosquée Al Aqsa et s’y sont introduits, tout en tirant des gaz lacrymogènes.
Ces accrochages ont perduré pendant le mois de septembre jusqu’à un nouveau fait majeur : la mort de Hadeel al-Hashlamon, la jeune fille au niqab. En effet, cette jeune femme de 18 ans a été abattue à Hébron par les soldats israéliens alors qu’ils lui demandaient d’ôter son niqab pour un contrôle d’identité, près d’un checkpoint de la Vieille Ville. Cette demoiselle ne parlant pas l’hébreu n’a pas réagi; les Palestiniens présents sur les lieux se sont proposés pour traduire mais les soldats ont refusé, jusqu’à ce que l’un d’entre eux s’emporte et lui tire dans les jambes. Une fois à terre, le soldat a tiré au total une dizaine de balles dans tout le corps. Selon la version officielle israélienne, la jeune fille aurait sorti un couteau de son sac et menacé ces soldats.
Quelques jours avant l’événement d’Hébron, un jeune homme originaire de Dora (village proche d’Hébron) s’est approché d’une route empruntée par les colons, essayant de faire exploser une bombe qu’il n’a pas contrôlée et qui lui a éclaté entre les mains. Avant sa mort, cet homme aurait écrit sur son compte Facebook vouloir participer au déclenchement d’une nouvelle Intifada. De plus, l’attentat commis à Jérusalem causant la mort de trois Juifs israéliens dans la Vieille Ville a été commis par un ami proche de cet homme, une photo montre d’ailleurs sa présence aux funérailles de son ami. Dans la suite de cet engrenage, un couple de colons a été assassiné aux alentours de Naplouse le vendredi 2 octobre alors qu’ils rentraient en voiture avec leurs quatre enfants.
Israël choisit la voix de la répression intensive
Le soir des tueries de Jérusalem, le samedi 3 octobre, les forces israéliennes ont rapidement investi l’ensemble de la Cisjordanie, de violents affrontements éclatant dans les villages où se trouvaient les amis et la famille des auteurs de ces crimes, démolissant leur maison et arrêtant les hommes de la famille. L’armée a ensuite tenté une entrée dans Ramallah, capitale politique de la Palestine. Les autorités palestiniennes ont promis de tout faire pour les en empêcher tandis que les mosquées de la ville diffusaient des chants connus des Intifadas précédentes pendant la nuit.
A Bethléem, lundi 5 octobre, c’est un enfant de 13 ans qui a été assassiné par les forces israéliennes alors qu’il portait encore l’uniforme scolaire. Cela a provoqué une grève générale le lendemain et de violents affrontements sur la route principale et près du mur de séparation à la suite des funérailles du jeune garçon. «Depuis quelques jours, la ville est presque paralysée, les affrontements se passent à côté du mur [de séparation], toute la rue du mur jusqu’au feu rouge est pleine de jeunes qui se cachent parfois dans les ruelles et parfois ils essayent de s’approcher de la tour, de l’autre côté les soldats lancent des grenades lacrymogènes et tirent des balles en caoutchouc quand les jeunes s’approchent « trop »», témoigne la directrice de l’Alliance française de Bethléem.
Dès les premiers jours de violences, Nir Barkat, le maire de Jérusalem, a appelé les Israéliens détenteurs d’un permis de port d’armes à systématiquement s’armer lorsqu’ils sortent de chez eux, pour en faire usage si nécessaire. De leur côté, les Palestiniens continuent à être l’objet de fouilles systématiques au détecteur de métaux.
Dans les vidéos qui circulent sur le net, on voit sans cesse une personne agenouillée, encerclée par 5 ou 6 soldats, les mains en l’air, qui ne comprend pas forcément les ordres et qui finalement se fait tirer dessus. Dernièrement, c’est la vidéo de Ziad Al Haleel qui s’est rapidement propagée sur les réseaux sociaux: à Hébron, cet homme âgé de plus de 60 ans s’est approché des soldats pour leur dire de ne pas tirer sur les enfants, d’arrêter de les tenir en joue pour finalement s’écrouler à terre, atteint par les balles d’un des soldats. Bien que les autorités israéliennes refusent de se prononcer sur le sujet, le personnel des hôpitaux confirment que certaines victimes ont été touchées par des balles réelles. Le jeune garçon de 13 ans tué ce week-end à Ramallah après avoir tenté une agression au couteau a reçu une balle réelle dans le cou, ce qui veut donc aussi dire que les soldats ne visent pas que les jambes. « Malheureusement, sa blessure était grave au point que je n’ai rien pu faire, et Ahmad Sharaka est décédé malgré toutes les procédures médicales », a déclaré le responsable de l’hôpital.
Dans les villages et les villes, les soldats font des descentes nocturnes depuis plusieurs semaines: ils défoncent les serrures et s’introduisent dans les bureaux et les maisons, viennent arrêter des gens, détruisent tout. Dans plusieurs villages, des colons ont également investi des maisons palestiniennes abritant des activistes palestiniens connus et saccagé les lieux avant de repartir. Récemment, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a d’ailleurs sollicité 13 nouvelles brigades pour intervenir sur Jérusalem et dans le nord de la Cisjordanie. Des ministres ont également proposé une loi préconisant un couvre-feu sur Jérusalem-Est et la Cisjordanie, ainsi qu’une fermeture totale des frontières et un encerclement de Jérusalem-Est qui a été acceptée. Désormais, Jérusalem-Est est quadrillée par des checkpoints.
De fait, le gouvernement israélien a clairement montré sa volonté de se maintenir dans la voie de la répression en répondant aux deux roquettes lancées par le Hamas avec un bombardement sur Gaza le dimanche 11 octobre, faisant deux morts : une femme enceinte et sa fille de 8 ans. Dans le même temps, la chaîne Youtube du Hamas a été fermée après des pressions israéliennes. Mardi 13 octobre, c’est le site officiel du B.Netanyahu qui a été piraté.
« Ils n’y croient pas, ils évacuent »
Les événements s’enchaînent et se répètent mais quel sens donner à ce soulèvement? Doit-il même avoir un sens alors que la vie des Palestiniens est guidée par l’absurde et l’incompréhensible? « Les Palestiniens se battent pour leur vie, Israël se bat pour l’occupation. Que nous remarquions qu’il y a une guerre que lorsque des Juifs sont assassinés n’enlève rien au fait que des Palestiniens se font tuer tout le temps, et que tout le temps, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour leur rendre la vie insupportable. Les jeunes Palestiniens ne vont pas se mettre à assassiner des Juifs parce qu’ils sont Juifs, mais parce que nous sommes leurs occupants, leurs tortionnaires, leurs geôliers, les voleurs de leur terre et de leur eau, les démolisseurs de leurs maisons, ceux qui les ont exilés, qui leur bloquent leur horizon » écrit encore Amira Hass.
Un habitant de Beit Sahour, proche de Bethléem, répond à la question « – Tu penses qu’ils y croient vraiment? – Là n’est pas la question, ils évacuent, c’est un pétage de câble général ».
Un pétage de câble à force d’humiliations et d’oppression…Les jeunes que l’on voit aujourd’hui dans les affrontements sont âgés de 15 à 20 ans, filles et garçons, chrétiens et musulmans, car Israël ne fait pas de distinction dans l’occupation, l’humiliation quotidienne, la privation des libertés. Bien que les jeunes aient reçu les enseignements des participants à la deuxième Intifada, il semblerait que chaque génération ait besoin, un besoin vital, d’évacuer. C’est sortir dans la rue pour dire “stop”, pour dire “assez”, pour commencer à vivre en tant qu’hommes et femmes, libres de ses pensées et de ses déplacements. Car l’installation des colonies coupe les villages, rallonge les routes et multiplie les checkpoints, au nombre de 365 en Cisjordanie. Sans parler de la mainmise de l’État israélien sur les ressources palestiniennes et les difficultés économiques qui en découlent, faisant grimper le chômage et anéantissant les perspectives d’avenir des jeunes diplômés palestiniens.
Le désespoir des jeunes Palestiniens semble d’ailleurs s’être traduit dans le choix de l’usage de couteaux. Ainsi, le site d’Assawra relève que « depuis le 3 octobre, 18 attaques ou tentatives d’attaques à l’arme blanche ont été perpétrées ». Les jeunes savent pertinemment qu’ils seront sûrement tués dans leur tentative, mais le but est aussi d’inspirer la frayeur, de voir en l’espace de quelques instants dans les yeux de l’agressé un sentiment de peur qui fasse oublier l’infériorité du statut d’humilié à souhait propre au Palestinien. Le même article précise que « les Israéliens sont habitués à développer des solutions techniques pour faire face aux menaces, comme le bouclier anti-missiles Dôme de fer contre les roquettes. Ils sont pris de court par ce mode opératoire qui n’est pas nouveau, mais s’emploie à un rythme inédit. »
“Ce n’est pas une troisième Intifada mais un soulèvement de désespoir” affirme Ziad Medoukh, responsable du Centre de la Paix à Gaza. Il interprète ce soulèvement comme une réponse à l’échec perpétuel des négociations, un “adieu à Oslo” qui n’ont apporté que la colonisation, le blocus de Gaza et le mur d’apartheid. C’est aussi un cri de colère adressé à l’Autorité Palestinienne, qui perd de plus en plus de soutien auprès de la population. Pour Michel Warschawski, journaliste israélien et responsable de l’Alternative Information Center, c’est surtout une « reconquête de la dignité bafouée« .
(1) Amira Hass est une auteur et journaliste israélienne résidant en Cisjordanie.
Solene POYRAZ
avec Alaume HOUDRY
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