L’Afrique du Sud est-elle sortie de l’apartheid ?
Le 11 novembre 2019, la victoire de l’Afrique du Sud à la Coupe de monde de rugby avait réuni des centaines de milliers d’individus dans les rues, quelle que soit leur couleur de peau, donnant corps à cette « nation arc-en-ciel » rêvée par Nelson Mandela. Un tel événement laisse penser que le système de l’apartheid n’est qu’un lointain souvenir, les communautés ethniques sud-africaines évoluant main dans la main. L’apartheid, qui désigne la politique raciste de « développement séparé » caractérisée par une ségrégation systématique entre Blancs et Noirs, a été introduit en Afrique du Sud en 1948 et aboli en 1991. Néanmoins, si le pays a officiellement abandonné cette politique, ce qui s’est notamment concrétisé par l’élection du premier président noir Nelson Mandela en 1994, il semble encore porter les stigmates de décennies de politiques racistes. En ce sens, le territoire reste fragmenté par des inégalités socio-économiques entre Blancs et Noirs qui mettent en exergue une polarisation croissante de la société. Ainsi, si les scènes de liesse de la victoire sud-africaine véhiculent l’image d’une nation en paix avec son passé, l’ombre de l’apartheid semble toujours planer au-dessus du pays.
Des progrès majeurs depuis l’abolition officielle de l’apartheid
Une amélioration considérable des conditions de vie des populations noires
L’abolition des dernières lois racistes dès 1991 et la rédaction d’une constitution provisoire en 1993 marquent l’institutionnalisation d’une égalité de jure entre toutes les populations ethniques du pays. En ce sens, la politique de discrimination positive mise en place par Nelson Mandela dès son élection en 1994 et la mise en place de la Commission de la vérité et de la réconciliation en 1995 (1) semblent permettre l’émergence d’une nouvelle Afrique du Sud démocratique et plurielle. Selon les mots de Desmond Tutu, archevêque anglican ayant présidé cette Commission, il s’agit de mettre en avant une rainbow nation, idéal d’une société sud-africaine post-raciale. Cette pluralité se trouve légitimée par l’hégémonie indiscutable du parti de l’ANC (African National Congress) depuis 1994, qui a le mérite d’être représentatif d’un certain nombre de segments de la société et donc de garantir une pacification relative de la vie publique (2).
Depuis 1991, les personnes non-blanches ont acquis des droits sociaux importants, en tête desquels le droit à une retraite, à une couverture sociale et médicale et au vote. En outre, dès 1994 est adopté le suffrage universel, permettant l’élection du premier président noir du pays, Nelson Mandela. De ce fait, la Constitution sud-africaine actuelle, définitivement adoptée en 1996, est considérée comme un modèle de transition démocratique et comme l’un des textes les plus égalitaires du continent. L’abolition officielle de l’apartheid a également permis la mise en place de politiques publiques en faveur des non-Blancs. À ce titre, près de 3 millions de logements subventionnés ont été construits par le gouvernement sud-africain depuis le lancement du Programme de reconstruction et de développement (RDP) en 1994. De plus, le taux d’électrification du pays est passé de 35% en 1990 à 85% en 2011, soulignant l’accès croissant à l’électricité pour les populations de nombreux townships (3). Par exemple, à Khayelitsha, township de la métropole du Cap, l’action de l’entreprise française EDF a permis à près de 60 000 foyers d’accéder à l’électricité entre 1994 et 2002. Des progrès considérables ont aussi été réalisés dans les domaines de l’accès à l’eau potable, à la santé publique et aux aides sociales.
La vitrine internationale d’une nation florissante
Le dynamisme économique de l’Afrique du Sud a été considérable depuis la sortie officielle de l’apartheid. La rapide insertion du pays dans l’espace mondial globalisé l’a hissé au rang de deuxième puissance économique africaine, bénéficiant de la santé productive et financière de régions telles que le Gauteng, la région de Johannesburg. Nation émergente ayant rejoint le club des BRICS (4) dès 2011, l’Afrique du Sud a pu compter sur une croissance favorable dépassant les 5% durant les années 2000. Tout cela contraste avec la période de l’apartheid, quand le pays faisait l’objet de boycotts économiques, alimentaires ou même sportifs de la part de la communauté internationale, l’exemple paradigmatique étant celui de l’embargo sur la vente d’armes décidé par l’ONU en 1977.
En ce sens, il est indubitable que l’Afrique du Sud offre davantage d’opportunités qu’il y a 30 ans, y compris pour les personnes non-blanches. En effet, ces dernières décennies ont vu l’émergence d’une nouvelle élite noire, tant dans le domaine minier que financier, politique ou administratif. L’exemple du milliardaire Patrice Motsepe est à ce titre parlant : né dans le township de Soweto, il est aujourd’hui un magnat du secteur minier. À la tête du conglomérat ARM (African Rainbow Mineral), sa fortune s’élève à plus de 2,5 milliards d’euros, ce qui en fait la troisième du pays. L’émergence d’une classe moyenne noire de près de 5 millions d’individus semble également corroborer ce nouveau paradigme.
Les tentatives symboliques de redorer l’image internationale du pays sont elles aussi légion. Ainsi, l’organisation de la Coupe du monde de football en Afrique du Sud en 2010, qui se tenait pour la première fois sur le continent africain, a été l’occasion de présenter au monde une nation dynamique prétendument débarrassée de son passé raciste. En effet, le symbole est fort lorsque les pouvoirs publics choisissent de construire la Soccer City, immense complexe sportif créé pour l’occasion agrémenté d’un stade pouvant accueillir près de 95 000 spectateurs, dans le township de Soweto, lieu du premier meeting de Mandela après sa libération de prison en 1990. Plus récemment, l’interdiction votée en 2019 d’arborer le drapeau de l’apartheid, assimilé à une incitation à la haine, participe également de cette volonté symbolique de supprimer toute trace de ségrégation dans la société sud-africaine. Les mêmes tenants et aboutissants entrent en jeu dans les débats toponymiques concernant la dénomination de certains lieux du pays. Dans la province du Limpopo, l’immense majorité des toponymes en langue afrikaans (5) ont été renommés en langue sepedi, tsonga ou encore venda. Cette politique d’africanisation des noms de lieux destinée à effacer les traces de la colonisation se retrouve aussi dans le débat concernant le changement du nom de la capitale administrative du pays : si les locuteurs de l’anglais et de l’afrikaans défendent l’appellation Pretoria, ce n’est pas au goût des autres populations qui lui préfèrent Tshwane.
Quartier d’Orlando, à l’est de Soweto, le plus grand township d’Afrique du Sud situé en périphérie de Johannesburg. Les émeutes de 1976 et sa violente répression font entrer le quartier dans l’histoire, alors que près de 20 000 manifestants dénoncent l’introduction de l’afrikaans comme langue d’enseignement officielle dans les écoles locales. Soweto s’est rapidement imposé comme le bastion de la résistance noire au régime d’apartheid. (©️ Wikipédia)
Une omniprésence des empreintes de l’apartheid dans le paysage socio-économique
La persistance de la ségrégation géographique
À l’échelle nationale, la minorité blanche afrikaner et européenne reste concentrée dans les grandes villes du pays tandis que les populations noires sont surreprésentées dans les anciens bantoustans (6), à l’instar des actuelles provinces du Limpopo ou du KwaZulu-Natal. À l’échelle locale, les townships restent de grands quartiers sans mixité raciale séparés des zones privilégiées de la ville. La ville de Johannesburg fonctionne en ce sens comme un cas d’école : tandis que le quartier privilégié de Sandton compte 50% de Blancs et moins de 35% de Noirs, le township limitrophe d’Alexandra, un des plus pauvres de la ville, compte près de 99% de Noirs. L’espace résidentiel reste donc massivement structuré par la ségrégation raciale. La réalité ségrégative du paysage urbain est d’autant plus frappante que des zones tampons (buffer zones) séparent spatialement les townships des quartiers blancs, à l’instar de Snake Park, zone de décharge de débris miniers séparant Soweto du reste de Johannesburg. Malgré des initiatives telles que le développement des transports en commun, les villes sud-africaines continuent de grandir selon le schéma colonial. Si l’augmentation de la population noire dans les centres-villes et banlieues autrefois réservés aux Blancs est réelle, elle est largement marginale et ne concerne que de rares franges sociales.
D’autre part, les initiatives de repli sur soi des populations blanches se sont multipliées ces dernières années. L’exemple paradigmatique de cet isolement volontaire n’est autre qu’Orania, peuplée d’une communauté chrétienne afrikaner nostalgique de l’apartheid se revendiquant comme un bastion de la défense anti-Noirs. Les habitants de cette ville, qui regroupe aujourd’hui près de 1 700 âmes, considèrent que la politique de discrimination en faveur des populations noires adoptée à la sortie de l’apartheid pousse les Blancs vers le chômage et la pauvreté. Depuis 2013, la population d’Orania augmente de 10% par an, ce qui souligne l’exacerbation des tensions raciales au sein de l’espace sud-africain. Cet embryon de Volkstaat, concept politique visant à promouvoir la création d’une province linguistiquement et culturellement à dominante afrikaans, fonctionne comme une sorte de terre promise pour de nombreux nationalistes blancs. La multiplication des gated communities à travers le pays traduit également ce sentiment d’insécurité au sein de la population blanche qui renforce les logiques ségrégatives.
Enfants de l’école primaire d’Orania en uniforme devant Stokkiesdraai, complexe multifonction inauguré en 2014 qui est à la fois un centre commercial, un parc de loisir, un bar et un restaurant. Au-dessus de Stokkiesdraai flotte le drapeau d’Orania, qui représente la mascotte de la ville, un petit géant retroussant ses manches appelé Klein Reus, sur un fond bleu et orange. (©️ Wikipédia)
Des inégalités raciales qui se creusent
En Afrique du Sud, les inégalités n’ont jamais été aussi fortes qu’aujourd’hui. Près de 50% de la population vit avec moins d’un dollar par jour et les Blancs gagnent en moyenne trois à cinq fois plus que les Noirs. Si le taux de chômage s’élève en 2019 à 29% de la population nationale, il touche en réalité 32,7% des Noirs et 7,6% des Blancs. Malgré l’émergence d’une classe moyenne noire, près de 20% des foyers noirs vivent dans une extrême pauvreté contre 3% des foyers blancs. Ces chiffres sont d’autant plus alarmants que la population noire est dominante dans le pays et représente près de 80% de la population totale contre 9% de Blancs. De plus, l’existence d’une Black tax contribue à approfondir des inégalités raciales déjà profondes. En effet, de nombreux jeunes Noirs doivent subvenir aux besoins de leurs parents et grands-parents et assumer les frais de scolarité de leurs frères et sœurs sans avoir le temps de s’investir dans des projets professionnels concrets pour eux-mêmes. Ces éléments contribuent à la persistance d’un ebony ceiling effect mettant en exergue la réalité selon laquelle une personne noire a relativement moins de chance qu’une personne blanche d’obtenir un emploi qualifié et mieux payé.
Un des domaines dans lesquels les inégalités entre Blancs et Noirs sont les plus criantes est celui de la santé, l’hôpital public souffrant encore de l’héritage de l’apartheid avec une concentration plus forte des établissements les mieux équipés dans les villes et quartiers où les Blancs sont majoritaires. L’épidémie de VIH reflète largement les inégalités socio-économiques dans la mesure où la prévalence du virus ne s’élève qu’à 0,3% des populations blanches tandis qu’il avoisine les 15% pour les populations noires. Cette situation s’explique par la rareté relative et le mauvais entretien des structures sanitaires dans les zones majoritairement peuplées de Noirs, ce qui engendre des retards considérables dans l’accès au dépistage et aux trithérapies. La pandémie de COVID-19 a elle aussi contribué à agrandir le fossé entre Blancs et Noirs, ces derniers ayant davantage été touchés par le virus et les mesures d’un des confinements les plus stricts au monde.
L’accès à la terre, marqueur de la permanence des logiques d’apartheid
S’il est une question majeure qui met en exergue les traces profondes qu’a laissées l’apartheid dans la société sud-africaine, c’est bien celle de la propriété foncière et de la redistribution des terres aux Noirs. Dès 1994, Mandela promettait la redistribution de 25 millions d’hectares de terres, annonçant les prémisses d’une réforme agraire d’ampleur. Néanmoins, 25 ans plus tard, force est de constater que la situation n’a que très peu évolué : seulement 4 millions d’hectares ont basculé aux mains des Noirs et la minorité blanche possède encore les trois quarts des terres agricoles. Ainsi, l’économie agricole d’exportation reste pilotée par 60 000 fermiers blancs tandis que les Noirs travaillent majoritairement comme ouvriers agricoles. La situation actuelle n’a rien à envier à la période coloniale, quand en 1913 près de 93% des terres étaient réservées aux colons européens. Les raisons de cette inertie sont à chercher dans le fait que le pouvoir considère que les grandes fermes et plantations issues de la colonisation constituent un potentiel économique majeur, permettent une certaine souveraineté alimentaire et restent pourvoyeuses d’emplois. En ce sens, opérer une redistribution massive des terres représenterait un risque vis-à-vis de ce potentiel et plongerait l’économie agricole dans une période d’incertitude.
On le voit, l’héritage profond de l’apartheid rencontre les échecs et les promesses non tenues de l’ANC, qui préfère le pragmatisme à toute manœuvre audacieuse. Pourtant, ce n’est pas l’activisme de certains groupes en faveur d’une réforme agraire qui manque. Ainsi, la question foncière s’est imposée comme le cheval de bataille de l’EFF (Economic Freedom Fighters), parti nationaliste noir créé en 2013 par Julius Malema et qui est rapidement devenu la troisième force politique du pays. Leur slogan, « La terre nous appartient », est révélateur de la volonté d’exproprier sans compensation les propriétaires blancs de leurs terres, ce qui provoque souvent des conflits entre les fermiers blancs et les activistes de l’EFF. Son succès important auprès de la jeunesse noire sud-africaine et ses méthodes violentes d’occupation des terres ont alerté les milieux d’affaires du pays ainsi que les investisseurs internationaux qui ne se rappellent que trop bien les troubles civils et le marasme économique ayant suivi l’expropriation violente des fermiers zimbabwéens blancs deux décennies plus tôt (7).
Le Cap, parangon de la ville post-apartheid
Une ville spatialement ségréguée et profondément inégalitaire
Au Cap, la géographie de l’apartheid a tracé des frontières raciales qui structurent encore l’espace urbain. D’un côté, le centre-ville de la City Bowl, le front de mer touristique du Waterfront et les banlieues flambant neuves des contreforts occidentaux des reliefs de la péninsule sont largement fréquentés et habités par des populations blanches. De l’autre, les populations noires et métisses s’entassent dans des townships pauvres où les services essentiels manquent cruellement et où l’insécurité domine. L’immense étendue des Cape Flats, au sud-est de la ville, s’impose ainsi comme l’exemple paradigmatique d’un espace où se concentrent les populations pauvres et qui cumule difficultés sociales, économiques et sanitaires. Le Cap porte donc dans sa structure l’héritage d’un plan urbain calculé pour séparer les riches blancs des pauvres noirs, les formes du paysage naturel et les infrastructures humaines servant de barrières physiques. Mais les disparités spatiales ne concernent pas seulement les Noirs et les Blancs, dans la mesure où les populations métisses (coloured) se retrouvent également territorialement séparées des populations noires. À ce titre, la zone tampon de Harare qui sépare le township noir-africain de Khayelitsha du township coloured de Mitchell’s Plain, au sud-est des Cape Flats, constitue un exemple révélateur.
City Bowl, centre-ville historique du Cap situé dans un amphithéâtre naturel formé par le relief accidenté de la région. À gauche, on distingue les gratte-ciels du Cape Town City Center, le quartier d’affaires de la ville. (©️ Wikipédia)
À ces disparités spatiales s’ajoutent des inégalités socio-économiques criantes : selon les chiffres de la métropole du Cap, l’indice de Gini de la ville, révélateur des inégalités de revenus, s’élevait à 0,63 en 2014, ce qui en fait l’une des villes les plus inégalitaires au monde. Si 42,4% des foyers noirs-africains vivent dans la pauvreté selon les chiffres de 2014 — avec un revenu mensuel de 3 500 rands soit à peu près 188€ —, cela ne concerne que 2,9% des foyers blancs. Ces inégalités se trouvent accentuées par la crise hydrique que connaît Le Cap depuis 2015, dans la mesure où les premiers affectés par le manque d’eau sont les populations noires des townships. La ville n’est pas non plus exempte de tensions interraciales, comme en témoigne la violente altercation survenue en novembre dernier devant le lycée de Brackenfell, dans la banlieue nord, entre des membres de l’EFF et des parents d’élèves blancs, après que l’établissement ait été accusé d’avoir empêché des élèves noirs d’assister à une remise de diplôme.
Le défi du logement dans une ville en pleine croissance
Au Cap, la question du logement s’est imposée comme une vitrine des stigmates de l’apartheid. Bien que près de 500 000 individus soient sur liste d’attente pour obtenir un logement social, le nombre d’habitations informelles (shacks) a explosé ces dernières décennies. À Khayelitsha, le plus grand township de la ville, 10 000 shacks seraient construites par an. Alors qu’il devait initialement accueillir 200 000 personnes, certaines estimations chiffrent à près d’un million le nombre actuel d’habitants du township. Quand bien même certains habitants se voient accorder un logement social, il s’avère souvent plus rentable de revendre la maison et de construire une habitation informelle dans le jardin pour y vivre, ce qui renforce les logiques ségrégatives.
Situé dans le centre-ville du Cap, le District Six s’impose comme un cas d’école illustrant l’inertie des politiques de logement entreprises par la municipalité. Dans les années 1970 et 1980, sa population noire et métisse avait été exclue et déplacée de force dans des townships des Cape Flats et ses habitations rasées. Bien qu’une minorité ait eu le droit d’y retourner vivre, seules 139 maisons y ont été reconstruites. En 2013, un projet de construction de 300 nouveaux logements a été lancé dans le quartier mais les retards se sont enchaînés et il est aujourd’hui au point mort. Actuellement, des projets gouvernementaux sont à l’étude afin de créer de nouvelles villes à quelques dizaines de kilomètres du Cap pour désengorger les quartiers à forte densité. Ainsi, la ville de Wescape, qui doit être construite 25 kilomètres au nord du centre-ville devrait accueillir 800 000 habitants d’ici 2035. Néanmoins, ces projets urbains semblent reproduire les mêmes modèles de ségrégation qui excluent les plus pauvres, qui se retrouvent isolés des moteurs économiques centraux.
Étendue des Cape Flats vue depuis Khayelitsha, le plus grand township du Cap. Au loin, on remarque la montagne de la Table, qui sépare cette longue plaine largement urbanisée par les quartiers pauvres et noirs du centre-ville blanc. (©️ Wikipédia)
* * *
L’Afrique du Sud contemporaine semble se caractériser par la permanence de structures et de logiques ségrégatives héritées de l’apartheid. Bien que les populations noires aient indubitablement acquis des droits et des libertés depuis 1991, l’égalité de jure ne se double pas d’une égalité de facto, les Noirs restant encore largement discriminés par rapport aux Blancs alors même qu’ils sont majoritaires dans le pays. Entre ségrégations spatiales, socio-économiques et foncières, le constat qui domine est celui d’une « nation arc-en-ciel qui voit en noir et blanc ». À ce titre, les dynamiques en œuvre au sein de la ville du Cap, modèle urbain inégalitaire par excellence, rendent bien compte de ces stigmates issus de décennies de politiques raciales.
(1) La Commission de la vérité et de la réconciliation constitue une expérience de justice restaurative mise en place en 1995 et présidée par l’archevêque anglican Desmond Tutu. Fonctionnelle entre 1996 et 1998, elle consistait en un recensement de toutes les infractions aux droits de l’homme commises par le pouvoir sous le régime d’apartheid dans le but de permettre une reconciliation entre les auteurs de faits et les victimes.
(2) L’ANC (African National Congress) est un parti politique modéré de bourgeois fondé en 1912 et dont le but principal était de défendre les intérêts des Noirs dans un contexte de ségrégation raciale orchestrée par la population blanche dès la fin du XIXème siècle. Alors que l’ANC avait initialement fait le choix d’un dialogue avec les Blancs, les politiques d’apartheid le pousse à passer à la lutte armée entre 1961 et la fin des années 1980. Depuis les premières élections législatives au suffrage universel en 1994, l’ANC bénéficie d’un plébiscite non démenti jusqu’à aujourd’hui et domine la vie politique de l’Afrique du Sud, fort de sa composition multiraciale.
(3) En Afrique du Sud, un township désigne un quartier pauvre et sous-équipé principalement occupé par des populations noires ou métis. Généralement construits en périphérie des villes, les townships ont servi à parquer et éloigner les non-Blancs des quartiers à dominante blanche durant le régime de l’apartheid. Le plus grand township du pays, et à bien des égards le plus connu, est celui de Soweto, situé en périphérie de Johannesburg et comptant plus de 1,3 million d’habitants.
(4) BRICS est un acronyme désignant cinq pays considérés comme les grandes puissances émergentes actuelles : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud (S pour South Africa en anglais). Initialement créé en 2009, le groupe se voit adjoindre l’Afrique du Sud en 2011. Ils représentent aujourd’hui près de 42% de la population du globe et plus de 25% du PIB mondial.
(5) Dès le XVIIème siècle, des colons néerlandais s’installent dans ce qui est aujourd’hui connu comme la ville du Cap, débutant une colonisation de peuplement qui va évoluer de façon concentrique vers l’intérieur des terres. Après des décennies loin de l’influence de la métropole, leur langue évolue suffisamment du néerlandais pour former un nouvel idiome : l’afrikaans. Les locuteurs de l’afrikaans sont appelés les Afrikaners.
(6) Les bantoustans étaient des régions créées sous l’apartheid en Afrique du Sud et dans le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie) afin d’y parquer les populations noires. Ces territoires, qui faisaient partie intégrante du fantasme du régime de créer une société ethniquement homogène, devaient à terme constituer des États indépendants 一 en réalité des États fantoches pilotés par l’Afrique du Sud. En donnant l’autonomie aux citoyens de ces nouveaux territoires, le pouvoir s’assurait de la perte totale de leurs droits sur le sol sud-africain, où ils étaient dès lors considérés comme des étrangers.
(7) Robert Mugabe, président du Zimbabwe entre 1987 et 2017, impose en l’an 2000 une réforme agraire basée sur l’expropriation sans compensation de tous les fermiers blancs du pays. Grâce au recours de milices locales, la grande majorité des fermiers blancs sont spoliés de leurs terres, certains étant assassinés. Néanmoins, l’exode massif des Blancs, qui assuraient 80% du PIB du Zimbabwe, provoque une famine sans précédent et fait chuter le pays dans un marasme économique dont il peine encore aujourd’hui à se relever.
Bibliographie / Sitographie
Géopolitis, « Mandela, le rêve inachevé », diffusé le 2 novembre 2020 et animé par Marcel Moine, Radio Télévision Suisse
https://pages.rts.ch/emissions/geopolitis/10965805-mandela-le-reve-inacheve.html
P. Goodman, « End of apartheid in South Africa? Not in economic terms », The New York Times, 27 octobre 2017
City of Cape Town, State of Cape Town Report, 2016
G. Maugrin, A. Dubresson et O. Ninot, « L’Afrique du Sud, géant africain mondialisé et vulnérable » in Atlas de l’Afrique. Un continent émergent ?, Éditions Autrement, Collection Atlas/Monde, octobre 2018, pp. 60-61.
M. Houssay-Holzschuch, « Vivre ensemble dans l’Afrique du Sud post-apartheid », Mémoire pour l’obtention de l’Habilitation à diriger des recherches Université de Paris I soutenu le 29 novembre 2010
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00542013v2/file/HDRt3_v4.pdf
J. Malala, « Why are South African cities still so segregated 25 years after apartheid? », The Guardian, 21 octobre 2019
R. Jones, « L’apartheid a pris fin il y a 30 ans. Comment l’Afrique du Sud a-t-elle évolué depuis ? », National Geographic
L. Masseguin, « Afrique du Sud : 25 ans après la fin de l’apartheid, une nation arc-en-ciel qui voit en noir et blanc », Jeune Afrique, 26 avril 2019
Z. Larson, « South Africa: Twenty Five Years Since Apartheid », Origins: Current Events in Historical Perspective, The Ohio State University and Miami University Departements of Historty, vol. 12, août 2019
https://origins.osu.edu/article/south-africa-mandela-apartheid-ramaphosa-zuma-corruption
J-M. Four, « L’Afrique du Sud se déchire sur la redistribution des terres au profit des Noirs », Franceinfo, 28 août 2018
A. Baker, « What South Africa Can Teach Us as Worldwide Inequality Grows », Time, 2 mai 2019
https://time.com/longform/south-africa-unequal-country/
O. Wainwright, « Apartheid ended 20 years ago, so why is Cape Town still ‘a paradise for the few’? », The Guardian, 30 avril 2014
Statistics South Africa, Inequality Trends in South Africa: A multidimensional diagnostic of inequality, 2019
file:///home/chronos/u-1ca41b1a88bdd8661fbb52fa90c8fd3c6fa60f41/MyFiles/Downloads/report-inequality-trends-in-south-africa.pdf
1 Comment