La rétrocession de Hong Kong à la République populaire de Chine, un processus juridico-diplomatique au long cours.
En Chine, le gâteau des Rois et… des Empereurs » (Le Petit Journal, 16 janvier 1898).
La Chine est partagée entre les grandes puissances (Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, France et Japon de l’ère Meiji.
Les bruits de sabre de Pékin retentissent de plus en plus sur la région administrative spéciale de Hong Kong, à l’image de l’adoption de la loi de sécurité nationale en juillet dernier, ou plus récemment de la condamnation de Joshua Wong, fondateur de Demosisto, à 13 mois d’emprisonnement pour avoir organisé en octobre 2019 une manifestation s’opposant à la loi d’extradition vers la Chine continentale. Il nous paraît alors important de s’intéresser aux principes ayant guidé la rétrocession de l’île de Hong Kong à Pékin. De fait, ce n’est qu’en portant notre regard sur la genèse de la rétrocession, négociée entre Margaret Thatcher et Deng Xiaoping, qu’il est possible de comprendre la portée de la politique du président Xi vis-à-vis de Hong Kong et plus largement vis-à-vis de Taiwan.
À la suite de la première guerre de l’opium entre l’Empire chinois de la dynastie des Qing et le Royaume-Uni, est signé en 1842 le Traité de Nankin. Cet accord proclame, entre autres, la cession de l’île de Hong Kong à l’Empire britannique. Ce texte s’inscrit dans une série de traités dits « inégaux », imposés par les puissances colonisatrices occidentales à l’Extrême-Orient tout au long du XIXème siècle.
Par la suite, le 9 juin 1898, est signée la Convention pour l’extension du territoire de Hong Kong. Ce second accord concède à la Couronne britannique un bail emphytéotique de 99 ans sur les Nouveaux Territoires, formant la partie Nord de l’actuel Hong Kong. En ce sens, seuls ces territoires devaient initialement être retournés à la Chine en 1997. Cependant, dans la Déclaration conjointe du gouvernement de la République populaire de Chine (RPC) et du gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sur la question de Hong Kong, le gouvernement chinois affirme sa volonté de retrouver le 1er juillet 1997 sa souveraineté sur la totalité du territoire de Hong Kong. Ce dernier comprenant donc la partie de l’île qui avait été cédée à perpétuité en 1842.
En outre, c’est dans ce même traité international, enregistré à l’ONU le 12 juin 1985, qu’est consacré le statut hybride de l’île à partir de 1997. Le principe « un pays, deux systèmes » initialement prévu pour l’administration de Taiwan, est en effet proclamé dans cet accord et appliqué dans la Loi fondamentale de la région administrative spéciale (RAS) de Hong Kong adoptée le 4 avril 1990. Ainsi, pendant une période de 50 ans suivant la date de la rétrocession, Hong Kong était supposée conserver son système capitaliste ainsi que son mode de vie.
Cette étude s’emploiera, notamment à travers la mobilisation d’un corpus de sources chronologiques, à analyser les différentes étapes qui ont précédé ce transfert ainsi que les enjeux économiques, juridiques et sociaux posés par la rétrocession.
- La place du droit international dans l’analyse de sources antérieures à la rétrocession
L’étude des sources constitue un élément essentiel de notre travail. Le corpus permet en effet de comprendre au mieux les visions de l’époque sur l’évènement ainsi que d’appréhender les enjeux futurs. Lorsque l’on s’intéresse aux documents scientifiques publiés avant la rétrocession de l’île alors que les négociations ont déjà débuté, on peut observer la place cruciale du droit international. Le règlement de la question de la transition et du transfert des pouvoirs passe de fait par la mise en place d’un strict cadre légal, comme nous le voyons dans l’article Aspects juridiques du retour de Hong Kong à la Chine écrit par Peter Slinn et publié dans l’Annuaire français de Droit International en 19961. Il est nécessaire de déterminer la place de Hong Kong sur la scène internationale une fois le transfert effectué. C’est de l’étude de ces sources que nous percevons l’origine du statut hybride de l’île aujourd’hui. En effet, selon la Déclaration commune, « l’autonomie s’étendra à toutes les matières, à l’exception des affaires étrangères et de la défense, ces dernières devant être du ressort du gouvernement populaire central »2. Néanmoins, l’on comprend également que dans ces mêmes domaines, la RAS de Hong Kong bénéficiera d’un statut particulier. D’après le texte de la Déclaration commune, la RAS pourra « de sa propre initiative, sous le nom de ‘Hong Kong, Chine’, entretenir et développer des relations et conclure et mettre en œuvre des accords avec des Etats, des régions et des organisations internationales compétentes dans les domaines appropriés ». Ainsi, nous comprenons que les discussions sur le statut international de Hong Kong s’intéressaient au devenir des accords multilatéraux étendus à l’île par le Royaume-uni, à sa participation à des organisations internationales, au devenir des accords bilatéraux entre des pays tiers et le Royaume-Uni qui ont été étendus à Hong Kong et aux accords bilatéraux entre Hong Kong et des pays tiers.
L’analyse des sources de l’époque suivant la Déclaration commune nous permet aussi plus globalement de comprendre le fil et les objets multiples des négociations. En ce sens, nous observons que le processus s’intéressait au type de régime financier et économique qui allait s’appliquer après la rétrocession, et s’interrogeait sur l’organisation de la fonction publique et des droits et libertés individuels.
Par ailleurs, la lecture de l’article de Valérie Niquet-Cabestan paru dans la Revue d’études comparatives Est-Ouest3 nous invite à analyser les débats entre les membres du Comité d’élaboration qui ont entouré l’écriture de la Loi fondamentale, constitution de la région administrative spéciale, et à observer que c’est le jeu itératif et la recherche de consensus qui dominaient.
- Des débats d’idées toujours vifs après la rétrocession de l’île en juillet 1997
À la lecture des sources écrites après la rétrocession, nous prenons la mesure de l’ampleur des enjeux qui se jouent dans les années suivantes. L’importance accordée au droit est encore ici clairement observable. En effet, l’actualité de Hong Kong est très judiciarisée, et s’explique par la nécessité d’établir un nouveau cadre légal pour un ensemble extrêmement vaste de domaines.
D’une part, la volonté édictée dans la Déclaration commune de ne pas changer le système capitaliste ni le mode de vie des Hongkongais pour une période de 50 ans pose à la fois la question de l’aménagement d’une continuité juridique internationale et en interroge les ambiguïtés, dans un contexte juridique nouveau. De même, l’enjeu est également de savoir comment vont s’organiser les élections du Conseil législatif (LegCo) de Hong Kong. C’est tout cet aspect de procédures légales et institutionnelles que notre corpus met en lumière au sujet du processus de rétrocession : « Quelques jours après la rétrocession, un débat judiciaire tendu portant sur le droit de participer aux affaires publiques et sur l’établissement d’un Conseil législatif élu se développait à Hong Kong »4. C’est plus généralement la politique pékinoise en matière de développement politique à Hong Kong qui est mise en avant. De fait, l’influence du continent dans le choix du pouvoir politique à Hong Kong est analysée par W.Wo-Lap-Lam : « l’intrusion de Pékin dans la politique de la RAS s’illustre parfaitement par la manière délibérée dont l’establishment gauchiste a tenté d’influencer le débat sur la démocratisation ou l’issue de certaines élections »5. D’autre part, nous observons également que nos sources mettent en avant le jeu de tensions entre les réalités économiques et les forces démocratiques. Les milieux d’affaires hongkongais, très influents, semblent en effet préférer la prospérité économique à la lutte pour la démocratisation du système politique. C’est la défense du principe “un pays deux systèmes” qui semble pâtir de ces évolutions.
En somme, la richesse de l’analyse de nos sources nous permet notamment de comprendre que les enjeux de cette rétrocession ont été sans pareil dans l’histoire moderne du droit international, et que le gouvernement de Pékin interprète dans une certaine mesure l’esprit de la lettre de la Déclaration commune de la façon qui lui est la plus favorable.
Analyse historique et juridique de la rétrocession de Hong Kong
- De la déclaration commune à la Loi fondamentale
À partir du voyage de M.Thatcher à Pékin en 1982 et de sa rencontre avec D.Xiaoping, ont lieu les débats pour l’élaboration de la Déclaration commune sino-britannique, qui prévoit les modalités de restitution de l’île de Hong Kong et des Nouveaux Territoires à la République populaire de Chine. Initialement, seuls ces derniers étaient censés être restitués à l’Empire du Milieu à l’issue du bail emphytéotique de 99 ans, comme nous l’avons évoqué ci-dessus. La Chine, désirant retrouver sa souveraineté après « un siècle d’humiliation » suite aux traités inégaux, décide de rétablir son entière autonomie sur Hong Kong. C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les négociations. L’enjeu est d’autant plus crucial que le début des pourparlers commença peu de temps après la victoire britannique sur les Malouines. En ce sens, pour les Chinois, ces négociations étaient un bon moyen de s’affirmer sur la scène internationale face au Royaume-Uni, qu’ils considéraient comme une puissance arborant un discours toujours colonialiste.
En outre, il faut également comprendre que les discussions autour de la Déclaration commune s’opérait
alors que la Chine avait entamé ses politiques de réformes et de modernisations, avec un accent particulier mis sur la défense nationale. Recouvrer une souveraineté pleine et entière sur Hong Kong était ainsi fondamentale pour la RPC. Signée en 1984, la Déclaration précise dans le détail la manière dont, à partir du 1er juillet 1997, Hong Kong disposera, pendant cinquante ans, d’« un haut degré d’autonomie » et préservera son mode de vie au nom du principe « un pays deux systèmes ». Dans ce cadre est créé le groupe de liaison mixte sino-britannique, ayant pour objet « d’assurer les liaisons, les consultations et les échanges d’informations intéressant Hong Kong ». Ce groupe a été mis en place au moment de l’entrée en vigueur de la Déclaration commune en 1985 et existe jusqu’au 1er janvier 2000.
Par ailleurs, la Loi fondamentale de la RAS de Hong Kong fut rédigée selon la Déclaration commune sino-britannique et adoptée le 4 avril 1990 par l’Assemblée nationale populaire. Sorte de constitution de Hong Kong, c’est cette dernière qui établit le statut juridique de l’île, prévoit l’organisation des pouvoirs, les marges d’autonomie de Hong Kong vis-à-vis de la Chine continentale, ou encore les droits et libertés. Elle prit effet le 1er juillet 1997, en remplaçant la lettre patente et la sanction royale britannique.
Le président du Comité consultatif central du Parti communiste chinois, Deng Xiaoping, rencontre le Premier ministre britannique Margaret Thatcher en septembre 1982 (AFP).
- La rétrocession de Hong Kong : un défi de droit international
Survenue donc le 1er juillet 1997, et faisant suite à plus de 10 ans de négociations, la drapeau de la République populaire de Chine est hissé sur l’île de Hong Kong. La souveraineté de l’île retrouvée, celle-ci conserve néanmoins un statut spécial. Haute place financière mondiale, et membre des 4 dragons asiatiques, le système capitaliste y demeure. Le système socialiste n’y est ainsi pas appliqué et le mode de vie reste inchangé pour une période de 50 ans.
Il importe en effet de considérer le statut hybride de Hong Kong. Une fois l’île « libérée » de la tutelle britannique, elle ne forme de fait pas un Etat indépendant mais est rattachée à un État déjà existant, duquel elle conserve une certaine autonomie, maîtrisée et surveillée. A ainsi lieu une internationalisation provisoire de 50 ans qui s’apparente aux internationalisations imparfaites, du type de celle de certains canaux ou détroit (Canal de Suez, Panama) »6. La rétrocession de Hong Kong donne également lieu à la création de la personnalité internationale de la RAS. Cela lui donne notamment la capacité, au titre de l’article 152 de la Loi fondamentale, de participer à des conférences internationales en son propre nom et au titre de l’article 151 la possibilité de conclure des accords internationaux. Nous notons à cet égard la mise en place d’un Accord de rapprochement économique entre la Chine et Hong Kong en 2004 ainsi que le United States-Hong Kong Policy Act. Cet état de chose ne signifie rien d’autre que la multi-représentation internationale de la Chine, Etat multi systèmes.
Nécessaire création juridique, aux enjeux multiples, le statut de Hong Kong repose avant tout sur la bonne volonté chinoise de respecter le texte de la Déclaration commune de 1984 et ses engagements.
Cérémonie de rétrocession de Hong Kong à la Chine le 30 juin 1997 au centre de conventions de Wan Chai. Crédits : Peter Turnley- Getty.
Un événement au fort retentissement: analyse de ses perceptions
- Les perceptions immédiates de l’événement
Lors de la rétrocession en 1997, le PIB de Hong Kong représentait 17% du PIB Chinois, en faisant un poumon économique majeur pour Pékin. La confiance est maintenue par les dirigeants chinois de l’époque. Il n’y a pas de grandes vagues d’immigration. Les Hongkongais, qui accordent une grande importance à la prospérité économique de la cité, réalisent qu’ils peuvent continuer leur vie d’avant. Ainsi, grâce au cadre juridique établi avec le Royaume-Uni depuis 1984, le transfert de souveraineté, bien que inedit, n’est pas marqué de soubresauts en 1997. C’est la confiance dans le principe « un pays deux systèmes » qui domine. Ce dernier permet à l’île de poursuivre l’application du système capitaliste, primordiale pour les entreprises implantées sur le territoire. En outre, le respect par les autorités chinoises de ce principe peut également être perçu comme une certaine garantie pour Taiwan. De fait, étant donné que ce principe devait initialement être appliqué à l’île de Formose, le respect des autorités chinoises de la Loi fondamentale de la RAS peut être analysé comme un gage offert à Taïwan pour une éventuelle réunification avec Pékin, sous l’égide de ce même principe dans le futur.
Par ailleurs, la rétrocession de Hong Kong marque également le crépuscule de l’Empire britannique et l’accession à venir de la Chine au statut de grande puissance.
- Critique de la mainmise de Pékin sur Hong Kong
Malgré les promesses de Pékin sur les conditions du retour de Hong Kong sous le giron du continent, l’analyse empirique nous amène à constater la mainmise de la RPC sur la RAS. En effet, l’arrivée de Xi Jinping au pouvoir en 2013 est synonyme de l’établissement d’un pouvoir autoritaire décomplexé, symbolisé par exemple par l’arrestation de dissidents à Hong Kong.
La contestation de ces multiples ingérences passe notamment par la mobilisation de la jeunesse étudiante autour du mouvement des parapluies en 2014.
Néanmoins, les immixtions de la Chine dans les affaires de Hong Kong se font de plus en plus nombreuses, en témoigne l’article Hong Kong: une communauté politique parvenue à maturité écrit par Jean-Philippe Béja : « En novembre 2017, Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif Hongkongais nommée le 1er juillet de cette même année, signait un accord permettant à la police chinoise de s’installer dans la gare de Kowloon »7.
En outre, la répression des manifestants opposants au projet de loi sur l’extradition en 2019 et l’adoption le 30 juin dernier par l’Assemblée Nationale Populaire de la loi de sécurité nationale semblent entériner la violation du principe « un pays, deux systèmes » et mettre un terme aux accords de rétrocession de 1997.
Des manifestants qui défilent dans le quartier de Causeway Bay, à Hong Kong. Crédits : Liam Yik Fei
Ainsi, la rétrocession de Hong Kong fut un processus de long terme aux enjeux multiples. Créer un cadre juridique pour le transfert de souveraineté à la Chine fut la priorité à partir de la Déclaration conjointe. Néanmoins, il semblerait que le degré d’autonomie accordé à la cité pour ladite période de 50 ans soit remis en question par le président Xi. Cela peut être considéré comme une illustration du passage à la « diplomatie du loup », expression formulée pour la première fois en 2020 dans le cadre de la pandémie de coronavirus, notamment par le chercheur de la FRS Antoine Bondaz. Les puissances étrangères qui condamnent cette politique restrictive en matière de libertés publiques, et soutiennent la démocratie à Hong Kong, sont accusées d’ingérence par le continent.
Certains résidents de l’île commencent à défendre le « localisme » et l’autodétermination mais cela semble être la ligne rouge à ne pas franchir pour Pékin.
Traore Maxime
1 P .Slinn, Aspects juridiques du retour de Hong-Kong à la Chine. In : Annuaire Français de Droit international , 1996 pp. 273-295
2 P.Slinn, Le règlement sino-britannique de la question de Hong Kong. In: Annuaire Français de Droit international, 1985 pp.167-190
3 V.Niquet-Cabestan, Deux ans après la déclaration commune sino-britannique : la situation politique à Hong-Kong. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 17, 1986, n°4. pp. 153-160
4 R.Maison, La situation internationale de Hong Kong : quelques questions d’actualité. In: Annuaire Français de Droit international,2000 pp. 111-130
5 W.Wo-Lap-Lam, La politique de Pékin à Hong Kong. In: Perspectives chinoises, 2007 pp. 34-40
6 G.Chabanol, Le statut de Hong Kong après 1997 : un défi au Droit international. In : Perspectives Chinoises, 1992 pp.30-36
7 J-P.Béja, Hong Kong: une communauté politique parvenue à maturité. In: Centre de Recherches Internationales, 2019
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
S.Pritchard, La mort de l’ancien Hong Kong. In: Conflits, 2020
G.Fischer, Hong-Kong. In: Revue française de science politique, 1968 pp. 315-332
Lau Siu-kai, Kwan Hsin-chi, The Ethos of the Hong Kong Chinese, Hong Kong, Chinese University Press, 1988
G. A.Jaeger, Hong-Kong : chronique d’une île sous influence [compte-rendu] I.Cordonnier, In : Politique étrangère, 1997 pp. 402-403
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