Le processus de négociation de paix avec les FARC en Colombie: quels résultats ?
En août 2012, le président colombien Juan Manuel Santos annonce lors d’une allocution publique qu’il mène depuis février des discussions avec les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Les discussions au coeur de l’agenda tournent autour de six thèmes : la politique agraire1, la participation politique2, le sort juridique des guérilleros et la l’indemnisation aux victimes3, la fin du conflit4, le trafic de drogues5, et la mise en oeuvre et les mécanismes de vérification, et le référendum pour mettre en place l’accord6. Pour rappel, la tradition juridique et politique colombienne de négociation avec des « groupes armés illégaux » remonte à la période de la construction étatique du XIXe siècle et aux guerres civiles qui l’accompagnent. Après quatre ans de négociations entre le gouvernement colombien et les FARC, un accord de paix est signé en 2016. Cet accord met fin à un conflit long de cinq décennies qui a touché d’une certaine façon presque tous les Colombiens
Le conflit
.
Le conflit colombien provient de la période de la Violence (1948-1960), guerre civile et affrontement violent entre les libéraux et les conservateurs suite à l’assassinat en 1948 du libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cette guerre provoqua la mort de 200 000 à 300 000 Colombiens, et la migration forcée de plus de 2 millions de personnes. Dans les années 1950, période de coalition connue comme la Frente Nacional, un accord est signé entre les deux grands partis où il est convenu d’alterner la présidence de l’Etat et de répartir de façon égalitaire les ministères. Cependant, cet accord exclut les mouvements qui ne se reconnaissent pas dans les idéaux des deux partis politiques. La population rurale, dépendante de l’agriculture et affectée par le conflit de la Violencia, constitue des groupes d’autodéfense et estiment que leurs revendications ne sont pas entendues. La création des guérillas dans la continuité de ces groupes d’autodéfense voit le jour dans les années 1960. Les guérillas principales qui se créent sont l’Ejercito de Liberacion Nacional (ELN), inspiré par la révolution cubaine, et les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC), d’origine paysanne et d’idéologie communiste. Les FARC se donnent pour mission de combattre les inégalités et l’injustice, de mettre à mal l’exploitation du peuple par les propriétaires des terres et de répartir celles-ci plus justement à travers une réforme agraire. Durant la période de la guerre froide, les guérillas sont soutenues financièrement et militairement par l’URSS alors que les Etats-Unis soutiennent le gouvernement colombien. Les soutiens étrangers et la faiblesse de l’Etat à assumer ses fonctions régaliennes permettent aux guérillas de renforcer leur puissance. Face à cette menace, l’Etat déclare l’état d’urgence et arme les civils, qui par la suite deviendront des organisations paramilitaires. Celles-ci constituent de réelles milices privées, composées de riches propriétaires terriens qui se développeront et commettront des infractions pénales. Un premier processus de paix voit le jour en 1984, suivi d’un second en 1998-2002, dit « Del Caguan » qui aboutit à un échec. Malgré des efforts de l’Etat pour pallier ce phénomène et la condamnation de l’Etat colombien par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’activité des paramilitaires n’a pas cessé. Le conflit a fait près de 220 000 victimes – dont plus de 80% de civils – entre 1950 et 2012. Il faut cependant noter que les guérillas ne sont pas les seuls responsables de ces crimes, puisque les groupes paramilitaires ainsi que les forces armées colombiennes y ont également pris parti.
La période de négociation
Au cours de cette période de négociation (2011-2016), les discussions ont connu des hauts et des bas, incluant des moments de réelle crise. Ces négociations sont entamées après l’élection présidentielle de 2010 qui élit Juan Manuel Santos, ancien Ministre de la Défense nationale et qui avait mis en place une politique de lutte contre les FARC. Lors de sa victoire électorale, ce dernier affirme vouloir la fin du conflit avec les FARC et la libération des otages. Ainsi, nous analyserons trois différentes phases. D’abord, les discussions initiales, qui étaient clandestines et se faisaient à la frontière avec le Venezuela, et qui ont commencé dès le printemps 2011. Ensuite, les négociations secrètes à la Havane, à Cuba, qui ont commencé en février 2012. Le but de ces négociations secrètes était de construire un accord cadre qui guiderait les négociations. Les partis se sont rencontrés soixante-neuf fois avant de signer cet accord cadre. Et enfin, les quatre années de négociation marquées par des discussions publiques.
Le contexte régional
Concernant le contexte, à l’époque des négociations à la Havane, les FARC avaient augmenté leur efficacité militaire et présence à travers le pays, notamment du fait du Plan 2010 formulé par le nouveau chef Alfonso Cano pour restructurer l’organisation militaire. Ces unités se concentrent sur des méthodes de guerres plus meurtrières, avec l’utilisation généralisée de mines anti-personnel et de tireurs d’élites, envers les forces armées gouvernementales. Cependant, le contexte de l’Amérique latine favorisait les efforts vers un dialogue pour trouver une solution au conflit avec les FARC. Le président vénézuélien Hugo Chavez, avait des liens proches avec les FARC, et les pressait d’engager des négociations de paix. Le président cubain, Fidel Castro, exhortait également les FARC de se désarmer et de devenir un parti politique. De même, le contexte domestique favorisera les conditions pour un processus de paix : les avantages militaires du Plan Colombia (aide américaine destinée à la lutte contre la drogue et la guerre contre les guérillas) se révèlent de plus en plus affaibli. Les scandales liés aux meurtres extrajudiciaires connu comme « les faux positives » (révélations impliquant des membres de l’armée nationale colombienne dans des assassinats de civils innocents, dans le but de faire augmenter les chiffres des guérilleros morts au combat) ont endommagé la légitimité des forces armées. Ainsi, cela entraîne des pressions croissantes des gouvernements étrangers et du secteur des affaires pour une stabilité dans le pays.
Temporalité
Les rencontres préliminaires
Les rencontres préliminaires du processus de paix commencent par un échange de lettre entre Pablo Catatumbo, membre du secrétariat des FARC et Henry Acosta, un économiste qui avait facilité les contacts entre Bogota et les FARC durant de longues années. Après qu’Acosta se rapprocha du président Santos après l’inauguration en août 2010, Santos envoya un message à la direction des FARC invitant deux de ses représentants à rencontrer deux émissaires gouvernementaux pour commencer les discussions confidentielles. Il était convaincu qu’un certain degré d’isolement des équipes de négociation protégerait les pourparlers de l’influence de la politique nationale. Cuba était décrit comme le parfait hôte, en sachant que les pourparlers devaient être tenus dans un pays qui pouvait garantir en toute sécurité que son système judiciaire ne capturerait pas les membres des FARC, qui avait des mandats d’arrestation internationaux. Bien que cette isolement fut bénéfique, la déconnexion entre la Colombie et ce qui se passait à La Havane pendant une longue période de temps a eu un impact sur le sentiment d’appropriation des Colombiens du processus et a probablement contribué au résultat négatif du plébiscite.
La phase secrète
Les négociations secrètes durèrent de février à août 2012. Le gouvernement présenta devant le Congrès, le “Legislative Act No 1 of 2012, also known as the Judicial Framework for Peace”. Cette réforme constitutionnelle ouvrait la porte à un système de justice transitionnel afin de juger les guérilleros après la période de désarmement, de démobilisation et de réintégration des groupes armés illégaux. Le gouvernement colombien déclarait que, dans le cadre d’un processus de paix, ces groupes pourraient recevoir un traitement différencié concernant leur responsabilité dans le conflit. Cet acte marque la reconnaissance d’un conflit armé en Colombie. Le but de la phase secrète était de construire un accord cadre qui servirait de ligne de conduite les négociations efficacement. Selon certains, le plus grand défi était la construction d’un agenda commun avec les FARC. Cet accord comprend six questions: : la politique agraire, la participation politique, le sort juridique des guérillas et la réparation aux victimes, la fin du conflit, le trafics de drogues, et la mise en oeuvre, la vérification, et le référendum pour mettre en place l’accord. Pour sa part, le gouvernement avait un objectif clair pour les négociations : la fin du conflit armé. Ce n’était en aucun cas gagné d’avance, une grande partie de l’identité des FARC était ancrée dans son statut d’acteur armé et ses membres ont toujours été opposés à l’utilisation des termes traditionnels de DDR (Désarmement, démobilisation, et réinsertion) qui pour eux impliquaient l’acceptation de la défaite militaire. Déposer les armes était pour plusieurs personnes présentes l’une des questions les plus difficiles à régler lors de la phase secrète tout comme lors de la phase publique. Le processus était guidé par la recherche d’un terrain d’entente entre deux visions opposées pour appréhender le conflit en Colombie. Une vision de paix positive de la part des FARC qui reposait sur l’argument qu’il ne peut y avoir de paix jusqu’à l’atteinte d’une complète et pleine justice sociale et la recherche de la « paix négative » du gouvernement qui comprend principalement la paix comme une absence de violence. Il devient alors indispensable d’entamer un processus qui conclurait la fin du conflit armé d’une façon simultanée et complète pour que la Colombie s’engage dans une phase de construction de la paix sur le long terme. Sergio Jaramillo, le Haut Commissariat pour la paix, était chargé de convaincre les FARC d’accepter cette proposition : abandonner la compréhension des causes structurelles de la violence comme nécessitant la perpétuation de la guerre et à la place de percevoir la fin du conflit comme une étape instrumentale vers l’amélioration des conditions matérielles.
La phase publique
Un jour après la signature de l’accord cadre à La Havane, une copie fuite dans les médias, ce qui conduit le 24 septembre, le Président Santos et le leader des FARC, Timoléon Jiménez, a annoncer le début formel des négociations et la sélection de leurs équipes de négociations. Une fois les négociations à la Havane commencées, elles prirent place sous trois formes. La première, appelée « 3×3 » ou la rencontre de trois plénipotentiaires de chaque partie devaient discuter des points les plus délicats menées. Une fois que les deux partis avaient proposé leur vues politiques sur les sujets, les discussions passées à la table « 10 x 10 » où chaque partie apportait dix représentants et où les pays garants étaient présents (sans intervention), pour définir ce qui constituerait la substance même de l’accord afin de passer en commission de rédaction, aussi composé de 10 représentants. Chaque partie écrivait la proposition et soulignait d’une couleur différente les parties qu’ils avaient ajouté aux positions originales comme une reconnaissance et acceptation mutuelle des propositons. Ce processus a marché pour 31 cycles de discussions. Il y a eu deux moments où la vitesse et la dynamique des négociations ont changé radicalement: avant le plébiscite et après le plébiscite.
En mai 2013, l’équipe de négociations représentant les deux parties annonce un accord sur la question de la participation politique. Entre 2013 et 2014, les FARC et le gouvernement sont parvenus à un accord sur la réforme agraire, ainsi que sur la lutte contre le trafic de drogue. Cependant, il convient de noter que ces accords ne sont qu’intermédiaires puisque la philosophie des négociations était que “rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu”. Concernant la réparation aux victimes, les partis s’entendent en juin 2015 sur la création d’une Commission de la vérité. En octobre 2015, les partis s’accordent aussi pour lancer un processus de recherche des personnes disparues. Ainsi, la question la plus difficile à traiter était celle de la justice, et de la réponse à apporter aux violations des droits de l’homme en Colombie. En septembre 2016, le gouvernement et les FARC ont finalisé l’accord et le président Santos annonce qu’un mois plus tard, un plébiscite va être organisé pour que les citoyens s’expriment sur l’accord, permettant au gouvernement d’avoir des pouvoirs spéciaux pour le mettre en oeuvre. Une légère majorité rejette l’accord (50.21%), conduisant le président Santos à faire des réunions avec l’opposition pour discuter de leur objection. Celle-ci comprend la droite conservatrice d’Uribe, les victimes du conflit, ainsi que l’Eglise. En effet, pour beaucoup, l’accord a été rejeté car considéré comme excessivement généreux envers les FARC. Les deux équipes de négociation se rencontrent une fois de plus pour renégocier l’accord. L’épine dorsale de l’accord se concentrait sur la participation politique des FARC et la justice transitionnelle. Cependant, ces mesures représentaient également celles le moins soutenues par la population. Concernant la participation politique, les FARC étaient légalement reconnues comme un nouveau parti politique et avaient donc accès à certains avantages. Par exemple, de 2018 à 2026, quel que soit le nombre de votes pour le parti des FARC, il gardera sa reconnaissance légale alors que les lois électorales requièrent 3% des voix pour être reconnu. Le 12 novembre, les deux partis rendent une seconde version de l’accord de paix qui prend en compte les objections formulées par le « Front du refus » et cette version est signée le 24 novembre. Ce texte a finalement été ratifié par le Parlement, et non pas soumis à un deuxième plébiscite.
Les facteurs du succès
Au cours de ces phases, plusieurs facteurs expliquent le succès de la résolution du conflit. D’abord, l’agenda était limité, alors que les négociations précédentes étaient composées d’un agenda extrêmement long prenant en considération, par exemple, le modèle économique et social que devait suivre le pays. Cet agenda fut un compromis entre les priorités du gouvernement, qu’étaient la fin du conflit, le désarmement et les douze points soulevés par les FARC dans leur « Agenda pour le changement vers une Nouvelle Colombie ». Le désarmement fut la question la plus difficile à traiter afin de trouver un accord durant la première phase. Le fait que le processus de paix prenne place en dehors de la Colombie a également joué un rôle positif, permettant un environnement contrôlé et permettant à aucuns partis de se réorganiser militairement. La communauté internationale a aussi été mobilisée de façon stratégique. Cuba et la Norvège, en tant que pays garants, ont fortement impacté le succès du processus. Le Venezuela et le Chili, agissant en tant que pays « accompagnateurs » ont fourni l’appui régionale nécessaire, et les Nations Unis, malgré un scepticisme initial, ont joué un rôle majeur dans la mise en œuvre de l’accord de paix.
Les accords trouvés
La réforme agraire
L’injuste répartition des terres est l’une des origines du conflit. Ainsi, les négociations ont fait émerger des propositions ambitieuses de réforme afin de restituer la terre aux paysans et de développer les zones rurales. La création d’un fonds de terres pour la distribution de terres aux populations rurales sans terres ou avec des terres insuffisantes a été créé. Ce Fonds disposera de trois millions d’hectares au cours des dix premières années. La création d’une juridiction agraire pour la conciliation et la résolution de conflit sur l’usage et la propriété de la terre couvrant l’ensemble des régions de la Colombie a été conclut. L’amélioration du cadastre qui mettra à jour dans un délai de 7 ans les registres fonciers de tous les cadastres ruraux, et servira de base pour encourager l’utilisation productive des terres et la perception des impôts fonciers et permettra de répondre aux carences en matière de formalisation de la propriété foncière. Le renforcement des Zones de réserve paysanne permettra de renforcer l’économie paysanne et l’agriculture familiale. Des plans nationaux seront mis en œuvre afin de réduire l’extrême pauvreté et réduire la pauvreté rurale de 50% et les inégalités globales d’ici 10 ans notamment grâce à la reconstruction des routes rurales, l’accès à l’électricité, Internet, l’amélioration de l’éducation, du système de soin, de l’accès à l’eau potable, etc.
La participation politique
L’accord prévoit une ouverture démocratique afin de construire la paix avec la création de garanties fondamentales pour l’exercice de l’opposition politique en général et en particulier pour les mouvements qui émergeront à la suite de la signature de l’accord. Des mesures ont été prises notamment la création d’une Commission, composée de partis politiques et de mouvements dotés d’un statut légal, de groupes politiques de l’opposition et de deux experts délégués par les FARC dans le but de définir les orientations d’un nouveau statut de garanties pour les partis politiques ou mouvements qui se déclarent de l’opposition. Après cela, le gouvernement proposera un projet de loi. La mise en place d’un système de sécurité complet pour l’exercice de la politique qui comprendra des modifications réglementaires et institutionnelles, des mesures de prévention et de protection. Il comprendra également des mesures de sécurité pour les leaders des mouvements sociaux et défenseurs des droits de l’homme. Les 16 « circonscriptions transitoires spéciales de la paix » dans les régions les plus touchées par le conflit, seront créées comme des circonscriptions électorales temporaires pour les élections à la Chambre des représentants pendant deux périodes électorales, afin d’assurer une meilleure représentation des zones les plus touchées. Le gouvernement s’est engagé à faciliter l’accès aux médias pour l’opposition à créer une chaîne de télévision institutionnelle pour les partis politiques ainsi qu’une aide financière de l’Etat pour favoriser la création de nouveaux partis politiques. Un Conseil national pour la réconciliation et la coexistence et des conseils territoriaux pour conseiller et assister le gouvernement dans la mise en œuvre de programmes (de réconciliation, de coexistence, et de lutte contre la stigmatisation et promouvoir le respect pour la critique et de l’opposition politique) ont aussi été mis en place.
La fin du conflit
Le but de l’accord CFHBD (en français, litteralement accord de cessation du feu et des hospitalités bilatérales et définitives) est d’assurer la fin définitive des hostilités entre les autorités chargées de la sûreté de l’Etat, des forces de l’ordre et les FARC. Il est prévu un mécanisme tripartite de suivi et de vérification (MMV) composé du gouvernement, de l’ONU et des FARC avec comme but de suivre le respect de l’Accord CFHBD et DA (en français, littéralement, le dépôts des armes) et d’apporter des solutions aux différents facteurs qui pourraient mettre en péril son succès. Le transit des membres des FARC vers des lieux dédiés pour déposer les armes et se réintégrer est également envisagé avec 23 zones villageoises transitoires de normalisation (ZVTN), permettant aux FARC démobilisés d’étudier et de se former, où la population civile et des agents non-armés publics seront présent ; et 8 camps seront créés pour les territoires les plus isolés mais où la population civile ne pourra circuler et en dehors desquels les membres des FARC devront circuler sans armes ni uniforme . Des procédures techniques pour l’enregistrement, l’identification, le contrôle et la vérification de la possession, de la collecte, du stockage, de l’extraction et de l’élimination définitive de tous les armements des FARC ont été rédigées. L’accord prévoit des garanties complètes pour que l’ONU reçoive toutes les armes des FARC et construit avec les armes collectées des monuments pour la paix en Colombie. Il est ainsi garanti qu’après le dépôt des armes validé, le parti politique ou le mouvement qui émerge de la transition des FARC dans la vie politique légale verra son statut juridique reconnu, après avoir respecté toutes les exigences légales nécessaires à l’exception du seuil minimum requis de vote. Le recueil d’informations et le nettoyage des territoires où se trouvent des mines antipersonnel, des engins explosifs improvisés, et des munitions, s’en suivront. Le processus de réincorporation économique et sociale comprend un recensement socio-économique des membres des FARC et l’identification de futurs programmes et projets socialement productifs. Il comprend un accompagnement unique pour démarrer un projet socialement productif, un salaire de base mensuel conditionnel, l’accès au système de sécurité sociale, à des soins de santé et les pensions, ainsi que l’accès à l’éducation, au logement, à la culture, aux programmes de soins psychosociaux et de réinsertion familiale, etc.
Trafic de drogue
La Colombie fait partie des principaux pays producteurs de cocaïne dans le monde depuis plus de trente ans. Cela a entraîné une transformation de la société vers un « narco-modèle » touchant négativement toutes les classes sociales et pénétrant les institutions, l’économie et les médias. L’accord admet l’échec de la politique répressive du Plan Colombia et note qu’il est important de différencier entre petits producteurs et trafiquants. Il est prévu la création d’un ”programme et d’accords de substitution des cultures à usage illicite et de développement alternatif.” Dans ces accords, les populations rurales s’engagent à remplacer les cultures, à ne pas replanter et à ne s’engager dans aucune activité liée au trafic de drogue. En retour, le gouvernement s’engagera à mettre en place un plan de réponse immédiate (d’assistance alimentaire) pour les producteurs, les cueilleurs et les métayers. Il a été accepté par les deux partis de traiter la consommation de drogues illicites comme un problème de santé publique et non comme un délit. Un programme national d’intervention intégrale face à la consommation des drogues illicites fournira des accompagnements psychosociaux et d’insertion économique. Le trafic de stupéfiants sera combattu via une réforme de la police criminelle plus orientée vers les investigations contre les réseaux, la lutte contre les actifs bancaires liés au narcotrafic, et la chasse au blanchiment d’argent. Une stratégie pour renforcer la lutte contre la corruption associée au trafic de drogue, et un contrôle plus fort de l’Etat sur la production, l’importation et la commercialisation des intrants et précurseurs chimiques utilisés pour la production de drogues a également été pensé.
La justice transitionnelle et la réparation aux victimes
La majorité des victimes du conflit armé en Colombie sont des civils. Ils attendent réparation et condamnation pour ceux qui ont perpétré des crimes. Cet accord crée un « Système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition ». Ce système est composé de différents mécanismes judiciaires et extrajudiciaires avec comme objectif d’obtenir la réalisation maximale des droits des victimes et d’assurer la responsabilité de ce qui s’est passé pendant le conflit. Il est prévu la création d’une Commission d’éclaircissement de la vérité, du vivre ensemble et de la non-répétition, organe temporaire et extrajudiciaire visant à reconnaître les victimes et contribuer à la réalisation de leur droit à la vérité, établir les responsabilités et promouvoir la réconciliation. Une Unité spéciale de recherche qui, sans remplacer les enquêtes judiciaires, aura la charge d’identifier et rechercher les personnes disparues dans le contexte du conflit armé. La création d’une juridiction spéciale pour la paix, autonome, sera en charge de condamner les acteurs directs et indirects du conflit. Cette juridiction permettra de poursuivre et sanctionner les crimes commis dans le contexte du conflit armé, et en particulier les plus graves. Les peines n’excédant pas 8 ans lorsque les accusés reconnaîtront leur crime, et 20 ans dans le cas contraire. Des mesures de réparation intégrale (restitution, indemnisation, réhabilitation) individuelles et collectives seront accessibles pour les victimes.
Mécanismes de mise en œuvre et de vérification
Finalement, afin de garantir le respect des accords, les mesures suivantes seront adoptées. D’abord, la création d’une Commission de mise en œuvre, de suivi, de vérification et de règlement des différends pour l’accord final sera créée, dont le siège sera à Bogota, et qui sera composée de trois représentants du gouvernement colombien et de trois membres des FARC ou de leur parti politique. Cette Commission sera chargée de résoudre les divergences ou les situations imprévues qui peuvent découler de l’interprétation de l’accord, assurer le suivi de l’accord et vérifier son respect, organiser un système de Commissions thématiques et territoriales pour l’exercice de ses fonctions, avec une large participation citoyenne. Cette Commission discutera et approuvera un plan cadre pour la mise en œuvre de l’Accord sur la base d’un projet préparé par le gouvernement colombien. Ce plan durera dix ans et contiendra les objectifs, priorités et indicateurs nécessaires pour l’accord. Basé sur ce plan-cadre, des plans quadriennaux de mise en œuvre de l’accord final seront préparés sur deux périodes présidentielles.
Les négociations étaient séquentielles, avec l’exception de sous-commissions qui prenaient place en parallèle : celle sur le genre, la sous-commission légale qui travaillaient sur les détails de la justice transitionnelle et la sous-commission technique qui travaillait sur la fin du conflit. Malgré la réticence initiale du gouvernement colombien et des FARC envers l’ONU, l’expertise technique de l’ONU a contribué à gagner la confiance des deux parties et a finalement conduit l’ONU à s’impliquer davantage, au point d’aider à rédiger des parties de l’accord final sur le suivi et la vérification.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’il y avait trois décisions du gouvernement qui ont été réellement influentes dans la façon dont le processus de paix s’est développé et comment la société colombienne l’a perçu. D’abord, poursuivre le dialogue au milieu de la guerre ; puis, avoir une participation limitée de la société civile durant les négociations ; et enfin, de ramener la décision finale au vote populaire via un plébiscite. D’abord, les négociations se sont déroulées dès le départ sans un cessez-le-feu entre le gouvernement et les FARC. Les FARC auraient pu utiliser le cessez-le-feu pour réorganiser et se renforcer militairement, comme ce fut le cas durant les négociations antérieures. Cependant, face à un public de plus en plus sceptique en Colombie, les FARC ont annoncé unilatéralement plusieurs cessez-le-feu, et l’arrêt de la formation militaire de ces combattants. Les FARC se disaient prêts à démobiliser et s’engager dans l’activité politique légale. Puis, bien que la participation ait été limitée, une plateforme en ligne a été créée par le gouvernement pour recevoir les propositions des citoyens, ainsi que des espaces de participation comme les tables de travail régionales et les forums de participation. Ces derniers ont fourni un espace pour que les négociations incluent les contributions de la société civile, mais aussi pour que les discussions soient mieux expliquées aux acteurs de la société civile. En fin de compte, il est difficile de déterminer la plus value de ces espaces, difficile de déterminer si les forums contribuent à changer les points de vue d’un plus large éventail de personnes que les partisans traditionnels au processus de paix. Enfin, l’initiative du Président Santos d’organiser un plébiscite pour que le peuple colombien approuve ou rejette l’accord de paix s’est avérée être sans doute la plus importante de toutes ses décisions au cours du processus. Santos a décidé d’évaluer le soutien public de cette manière non pas parce qu’il était légalement obligé de le faire, mais pour donner à l’accord un cachet de légitimité. Un ensemble de facteurs sont responsables du vote en défaveur de l’accord. Le faible niveau de popularité du président Santos a certainement été un facteur, et l’opposition a réussi à transformer le plébiscite en un concours d’approbation entre le Président Santos et l’ancien président Uribe (fervent du non), et beaucoup ont rejeté l’accord plusi comme un signe d’aversion pour le gouvernement qu’autre chose. Le haut niveau d’abstention (63% de la population n’a pas voté) a probablement aidé la victoire du non. Les arguments envers le non étaient variés : certains refusant de pardonner les FARC pour leur crimes envers les Colombiens et pensant que ce genre de négociations finissait par récompenser ceux qui ont opté pour la violence. La campagne pour le “non” a également été promue par l’église catholique. Enfin, l’accord était long de 297 pages, et une petite part de la population seulement l’a lu dans sa totalité. Enfin, la campagne pour le « non » a été vraiment efficace alors que les efforts du gouvernement pour le « oui » ont été caractérisé d’inefficaces et déconnectés de la perspective du public. Concernant les caractéristiques des votants, alors que le centre du pays a voté « non », la périphérie qui était plus affectée par la guerre a pour sa grande part votée oui, comme les secteurs les plus pauvres du pays et les endroits où l’Etat a moins de présence. Finalement, l’accord a tout de même été signé le 27 novembre 2016 et ratifié par le Parlement colombien.
Le conflit
.
Le conflit colombien provient de la période de la Violence (1948-1960), guerre civile et affrontement violent entre les libéraux et les conservateurs suite à l’assassinat en 1948 du libéral Jorge Eliécer Gaitan. Cette guerre provoqua la mort de 200 000 à 300 000 Colombiens, et la migration forcée de plus de 2 millions de personnes. Dans les années 1950, période de coalition connue comme la Frente Nacional, un accord est signé entre les deux grands partis où il est convenu d’alterner la présidence de l’Etat et de répartir de façon égalitaire les ministères. Cependant, cet accord exclut les mouvements qui ne se reconnaissent pas dans les idéaux des deux partis politiques. La population rurale, dépendante de l’agriculture et affectée par le conflit de la Violencia, constitue des groupes d’autodéfense et estiment que leurs revendications ne sont pas entendues. La création des guérillas dans la continuité de ces groupes d’autodéfense voit le jour dans les années 1960. Les guérillas principales qui se créent sont l’Ejercito de Liberacion Nacional (ELN), inspiré par la révolution cubaine, et les Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia (FARC), d’origine paysanne et d’idéologie communiste. Les FARC se donnent pour mission de combattre les inégalités et l’injustice, de mettre à mal l’exploitation du peuple par les propriétaires des terres et de répartir celles-ci plus justement à travers une réforme agraire. Durant la période de la guerre froide, les guérillas sont soutenues financièrement et militairement par l’URSS alors que les Etats-Unis soutiennent le gouvernement colombien. Les soutiens étrangers et la faiblesse de l’Etat à assumer ses fonctions régaliennes permettent aux guérillas de renforcer leur puissance. Face à cette menace, l’Etat déclare l’état d’urgence et arme les civils, qui par la suite deviendront des organisations paramilitaires. Celles-ci constituent de réelles milices privées, composées de riches propriétaires terriens qui se développeront et commettront des infractions pénales. Un premier processus de paix voit le jour en 1984, suivi d’un second en 1998-2002, dit « Del Caguan » qui aboutit à un échec. Malgré des efforts de l’Etat pour pallier ce phénomène et la condamnation de l’Etat colombien par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, l’activité des paramilitaires n’a pas cessé. Le conflit a fait près de 220 000 victimes – dont plus de 80% de civils – entre 1950 et 2012. Il faut cependant noter que les guérillas ne sont pas les seuls responsables de ces crimes, puisque les groupes paramilitaires ainsi que les forces armées colombiennes y ont également pris parti.
La période de négociation
Au cours de cette période de négociation (2011-2016), les discussions ont connu des hauts et des bas, incluant des moments de réelle crise. Ces négociations sont entamées après l’élection présidentielle de 2010 qui élit Juan Manuel Santos, ancien Ministre de la Défense nationale et qui avait mis en place une politique de lutte contre les FARC. Lors de sa victoire électorale, ce dernier affirme vouloir la fin du conflit avec les FARC et la libération des otages. Ainsi, nous analyserons trois différentes phases. D’abord, les discussions initiales, qui étaient clandestines et se faisaient à la frontière avec le Venezuela, et qui ont commencé dès le printemps 2011. Ensuite, les négociations secrètes à la Havane, à Cuba, qui ont commencé en février 2012. Le but de ces négociations secrètes était de construire un accord cadre qui guiderait les négociations. Les partis se sont rencontrés soixante-neuf fois avant de signer cet accord cadre. Et enfin, les quatre années de négociation marquées par des discussions publiques.
Le contexte régional
Concernant le contexte, à l’époque des négociations à la Havane, les FARC avaient augmenté leur efficacité militaire et présence à travers le pays, notamment du fait du Plan 2010 formulé par le nouveau chef Alfonso Cano pour restructurer l’organisation militaire. Ces unités se concentrent sur des méthodes de guerres plus meurtrières, avec l’utilisation généralisée de mines anti-personnel et de tireurs d’élites, envers les forces armées gouvernementales. Cependant, le contexte de l’Amérique latine favorisait les efforts vers un dialogue pour trouver une solution au conflit avec les FARC. Le président vénézuélien Hugo Chavez, avait des liens proches avec les FARC, et les pressait d’engager des négociations de paix. Le président cubain, Fidel Castro, exhortait également les FARC de se désarmer et de devenir un parti politique. De même, le contexte domestique favorisera les conditions pour un processus de paix : les avantages militaires du Plan Colombia (aide américaine destinée à la lutte contre la drogue et la guerre contre les guérillas) se révèlent de plus en plus affaibli. Les scandales liés aux meurtres extrajudiciaires connu comme « les faux positives » (révélations impliquant des membres de l’armée nationale colombienne dans des assassinats de civils innocents, dans le but de faire augmenter les chiffres des guérilleros morts au combat) ont endommagé la légitimité des forces armées. Ainsi, cela entraîne des pressions croissantes des gouvernements étrangers et du secteur des affaires pour une stabilité dans le pays.
Temporalité
Les rencontres préliminaires
Les rencontres préliminaires du processus de paix commencent par un échange de lettre entre Pablo Catatumbo, membre du secrétariat des FARC et Henry Acosta, un économiste qui avait facilité les contacts entre Bogota et les FARC durant de longues années. Après qu’Acosta se rapprocha du président Santos après l’inauguration en août 2010, Santos envoya un message à la direction des FARC invitant deux de ses représentants à rencontrer deux émissaires gouvernementaux pour commencer les discussions confidentielles. Il était convaincu qu’un certain degré d’isolement des équipes de négociation protégerait les pourparlers de l’influence de la politique nationale. Cuba était décrit comme le parfait hôte, en sachant que les pourparlers devaient être tenus dans un pays qui pouvait garantir en toute sécurité que son système judiciaire ne capturerait pas les membres des FARC, qui avait des mandats d’arrestation internationaux. Bien que cette isolement fut bénéfique, la déconnexion entre la Colombie et ce qui se passait à La Havane pendant une longue période de temps a eu un impact sur le sentiment d’appropriation des Colombiens du processus et a probablement contribué au résultat négatif du plébiscite.
La phase secrète
Les négociations secrètes durèrent de février à août 2012. Le gouvernement présenta devant le Congrès, le “Legislative Act No 1 of 2012, also known as the Judicial Framework for Peace”. Cette réforme constitutionnelle ouvrait la porte à un système de justice transitionnel afin de juger les guérilleros après la période de désarmement, de démobilisation et de réintégration des groupes armés illégaux. Le gouvernement colombien déclarait que, dans le cadre d’un processus de paix, ces groupes pourraient recevoir un traitement différencié concernant leur responsabilité dans le conflit. Cet acte marque la reconnaissance d’un conflit armé en Colombie. Le but de la phase secrète était de construire un accord cadre qui servirait de ligne de conduite les négociations efficacement. Selon certains, le plus grand défi était la construction d’un agenda commun avec les FARC. Cet accord comprend six questions: : la politique agraire, la participation politique, le sort juridique des guérillas et la réparation aux victimes, la fin du conflit, le trafics de drogues, et la mise en oeuvre, la vérification, et le référendum pour mettre en place l’accord. Pour sa part, le gouvernement avait un objectif clair pour les négociations : la fin du conflit armé. Ce n’était en aucun cas gagné d’avance, une grande partie de l’identité des FARC était ancrée dans son statut d’acteur armé et ses membres ont toujours été opposés à l’utilisation des termes traditionnels de DDR (Désarmement, démobilisation, et réinsertion) qui pour eux impliquaient l’acceptation de la défaite militaire. Déposer les armes était pour plusieurs personnes présentes l’une des questions les plus difficiles à régler lors de la phase secrète tout comme lors de la phase publique. Le processus était guidé par la recherche d’un terrain d’entente entre deux visions opposées pour appréhender le conflit en Colombie. Une vision de paix positive de la part des FARC qui reposait sur l’argument qu’il ne peut y avoir de paix jusqu’à l’atteinte d’une complète et pleine justice sociale et la recherche de la « paix négative » du gouvernement qui comprend principalement la paix comme une absence de violence. Il devient alors indispensable d’entamer un processus qui conclurait la fin du conflit armé d’une façon simultanée et complète pour que la Colombie s’engage dans une phase de construction de la paix sur le long terme. Sergio Jaramillo, le Haut Commissariat pour la paix, était chargé de convaincre les FARC d’accepter cette proposition : abandonner la compréhension des causes structurelles de la violence comme nécessitant la perpétuation de la guerre et à la place de percevoir la fin du conflit comme une étape instrumentale vers l’amélioration des conditions matérielles.
La phase publique
Un jour après la signature de l’accord cadre à La Havane, une copie fuite dans les médias, ce qui conduit le 24 septembre, le Président Santos et le leader des FARC, Timoléon Jiménez, a annoncer le début formel des négociations et la sélection de leurs équipes de négociations. Une fois les négociations à la Havane commencées, elles prirent place sous trois formes. La première, appelée « 3×3 » ou la rencontre de trois plénipotentiaires de chaque partie devaient discuter des points les plus délicats menées. Une fois que les deux partis avaient proposé leur vues politiques sur les sujets, les discussions passées à la table « 10 x 10 » où chaque partie apportait dix représentants et où les pays garants étaient présents (sans intervention), pour définir ce qui constituerait la substance même de l’accord afin de passer en commission de rédaction, aussi composé de 10 représentants. Chaque partie écrivait la proposition et soulignait d’une couleur différente les parties qu’ils avaient ajouté aux positions originales comme une reconnaissance et acceptation mutuelle des propositons. Ce processus a marché pour 31 cycles de discussions. Il y a eu deux moments où la vitesse et la dynamique des négociations ont changé radicalement: avant le plébiscite et après le plébiscite.
En mai 2013, l’équipe de négociations représentant les deux parties annonce un accord sur la question de la participation politique. Entre 2013 et 2014, les FARC et le gouvernement sont parvenus à un accord sur la réforme agraire, ainsi que sur la lutte contre le trafic de drogue. Cependant, il convient de noter que ces accords ne sont qu’intermédiaires puisque la philosophie des négociations était que “rien n’est convenu tant que tout n’est pas convenu”. Concernant la réparation aux victimes, les partis s’entendent en juin 2015 sur la création d’une Commission de la vérité. En octobre 2015, les partis s’accordent aussi pour lancer un processus de recherche des personnes disparues. Ainsi, la question la plus difficile à traiter était celle de la justice, et de la réponse à apporter aux violations des droits de l’homme en Colombie. En septembre 2016, le gouvernement et les FARC ont finalisé l’accord et le président Santos annonce qu’un mois plus tard, un plébiscite va être organisé pour que les citoyens s’expriment sur l’accord, permettant au gouvernement d’avoir des pouvoirs spéciaux pour le mettre en oeuvre. Une légère majorité rejette l’accord (50.21%), conduisant le président Santos à faire des réunions avec l’opposition pour discuter de leur objection. Celle-ci comprend la droite conservatrice d’Uribe, les victimes du conflit, ainsi que l’Eglise. En effet, pour beaucoup, l’accord a été rejeté car considéré comme excessivement généreux envers les FARC. Les deux équipes de négociation se rencontrent une fois de plus pour renégocier l’accord. L’épine dorsale de l’accord se concentrait sur la participation politique des FARC et la justice transitionnelle. Cependant, ces mesures représentaient également celles le moins soutenues par la population. Concernant la participation politique, les FARC étaient légalement reconnues comme un nouveau parti politique et avaient donc accès à certains avantages. Par exemple, de 2018 à 2026, quel que soit le nombre de votes pour le parti des FARC, il gardera sa reconnaissance légale alors que les lois électorales requièrent 3% des voix pour être reconnu. Le 12 novembre, les deux partis rendent une seconde version de l’accord de paix qui prend en compte les objections formulées par le « Front du refus » et cette version est signée le 24 novembre. Ce texte a finalement été ratifié par le Parlement, et non pas soumis à un deuxième plébiscite.
Les facteurs du succès
Au cours de ces phases, plusieurs facteurs expliquent le succès de la résolution du conflit. D’abord, l’agenda était limité, alors que les négociations précédentes étaient composées d’un agenda extrêmement long prenant en considération, par exemple, le modèle économique et social que devait suivre le pays. Cet agenda fut un compromis entre les priorités du gouvernement, qu’étaient la fin du conflit, le désarmement et les douze points soulevés par les FARC dans leur « Agenda pour le changement vers une Nouvelle Colombie ». Le désarmement fut la question la plus difficile à traiter afin de trouver un accord durant la première phase. Le fait que le processus de paix prenne place en dehors de la Colombie a également joué un rôle positif, permettant un environnement contrôlé et permettant à aucuns partis de se réorganiser militairement. La communauté internationale a aussi été mobilisée de façon stratégique. Cuba et la Norvège, en tant que pays garants, ont fortement impacté le succès du processus. Le Venezuela et le Chili, agissant en tant que pays « accompagnateurs » ont fourni l’appui régionale nécessaire, et les Nations Unis, malgré un scepticisme initial, ont joué un rôle majeur dans la mise en œuvre de l’accord de paix.
Les accords trouvés
La réforme agraire
L’injuste répartition des terres est l’une des origines du conflit. Ainsi, les négociations ont fait émerger des propositions ambitieuses de réforme afin de restituer la terre aux paysans et de développer les zones rurales. La création d’un fonds de terres pour la distribution de terres aux populations rurales sans terres ou avec des terres insuffisantes a été créé. Ce Fonds disposera de trois millions d’hectares au cours des dix premières années. La création d’une juridiction agraire pour la conciliation et la résolution de conflit sur l’usage et la propriété de la terre couvrant l’ensemble des régions de la Colombie a été conclut. L’amélioration du cadastre qui mettra à jour dans un délai de 7 ans les registres fonciers de tous les cadastres ruraux, et servira de base pour encourager l’utilisation productive des terres et la perception des impôts fonciers et permettra de répondre aux carences en matière de formalisation de la propriété foncière. Le renforcement des Zones de réserve paysanne permettra de renforcer l’économie paysanne et l’agriculture familiale. Des plans nationaux seront mis en œuvre afin de réduire l’extrême pauvreté et réduire la pauvreté rurale de 50% et les inégalités globales d’ici 10 ans notamment grâce à la reconstruction des routes rurales, l’accès à l’électricité, Internet, l’amélioration de l’éducation, du système de soin, de l’accès à l’eau potable, etc.
La participation politique
L’accord prévoit une ouverture démocratique afin de construire la paix avec la création de garanties fondamentales pour l’exercice de l’opposition politique en général et en particulier pour les mouvements qui émergeront à la suite de la signature de l’accord. Des mesures ont été prises notamment la création d’une Commission, composée de partis politiques et de mouvements dotés d’un statut légal, de groupes politiques de l’opposition et de deux experts délégués par les FARC dans le but de définir les orientations d’un nouveau statut de garanties pour les partis politiques ou mouvements qui se déclarent de l’opposition. Après cela, le gouvernement proposera un projet de loi. La mise en place d’un système de sécurité complet pour l’exercice de la politique qui comprendra des modifications réglementaires et institutionnelles, des mesures de prévention et de protection. Il comprendra également des mesures de sécurité pour les leaders des mouvements sociaux et défenseurs des droits de l’homme. Les 16 « circonscriptions transitoires spéciales de la paix » dans les régions les plus touchées par le conflit, seront créées comme des circonscriptions électorales temporaires pour les élections à la Chambre des représentants pendant deux périodes électorales, afin d’assurer une meilleure représentation des zones les plus touchées. Le gouvernement s’est engagé à faciliter l’accès aux médias pour l’opposition à créer une chaîne de télévision institutionnelle pour les partis politiques ainsi qu’une aide financière de l’Etat pour favoriser la création de nouveaux partis politiques. Un Conseil national pour la réconciliation et la coexistence et des conseils territoriaux pour conseiller et assister le gouvernement dans la mise en œuvre de programmes (de réconciliation, de coexistence, et de lutte contre la stigmatisation et promouvoir le respect pour la critique et de l’opposition politique) ont aussi été mis en place.
La fin du conflit
Le but de l’accord CFHBD (en français, litteralement accord de cessation du feu et des hospitalités bilatérales et définitives) est d’assurer la fin définitive des hostilités entre les autorités chargées de la sûreté de l’Etat, des forces de l’ordre et les FARC. Il est prévu un mécanisme tripartite de suivi et de vérification (MMV) composé du gouvernement, de l’ONU et des FARC avec comme but de suivre le respect de l’Accord CFHBD et DA (en français, littéralement, le dépôts des armes) et d’apporter des solutions aux différents facteurs qui pourraient mettre en péril son succès. Le transit des membres des FARC vers des lieux dédiés pour déposer les armes et se réintégrer est également envisagé avec 23 zones villageoises transitoires de normalisation (ZVTN), permettant aux FARC démobilisés d’étudier et de se former, où la population civile et des agents non-armés publics seront présent ; et 8 camps seront créés pour les territoires les plus isolés mais où la population civile ne pourra circuler et en dehors desquels les membres des FARC devront circuler sans armes ni uniforme . Des procédures techniques pour l’enregistrement, l’identification, le contrôle et la vérification de la possession, de la collecte, du stockage, de l’extraction et de l’élimination définitive de tous les armements des FARC ont été rédigées. L’accord prévoit des garanties complètes pour que l’ONU reçoive toutes les armes des FARC et construit avec les armes collectées des monuments pour la paix en Colombie. Il est ainsi garanti qu’après le dépôt des armes validé, le parti politique ou le mouvement qui émerge de la transition des FARC dans la vie politique légale verra son statut juridique reconnu, après avoir respecté toutes les exigences légales nécessaires à l’exception du seuil minimum requis de vote. Le recueil d’informations et le nettoyage des territoires où se trouvent des mines antipersonnel, des engins explosifs improvisés, et des munitions, s’en suivront. Le processus de réincorporation économique et sociale comprend un recensement socio-économique des membres des FARC et l’identification de futurs programmes et projets socialement productifs. Il comprend un accompagnement unique pour démarrer un projet socialement productif, un salaire de base mensuel conditionnel, l’accès au système de sécurité sociale, à des soins de santé et les pensions, ainsi que l’accès à l’éducation, au logement, à la culture, aux programmes de soins psychosociaux et de réinsertion familiale, etc.
Trafic de drogue
La Colombie fait partie des principaux pays producteurs de cocaïne dans le monde depuis plus de trente ans. Cela a entraîné une transformation de la société vers un « narco-modèle » touchant négativement toutes les classes sociales et pénétrant les institutions, l’économie et les médias. L’accord admet l’échec de la politique répressive du Plan Colombia et note qu’il est important de différencier entre petits producteurs et trafiquants. Il est prévu la création d’un ”programme et d’accords de substitution des cultures à usage illicite et de développement alternatif.” Dans ces accords, les populations rurales s’engagent à remplacer les cultures, à ne pas replanter et à ne s’engager dans aucune activité liée au trafic de drogue. En retour, le gouvernement s’engagera à mettre en place un plan de réponse immédiate (d’assistance alimentaire) pour les producteurs, les cueilleurs et les métayers. Il a été accepté par les deux partis de traiter la consommation de drogues illicites comme un problème de santé publique et non comme un délit. Un programme national d’intervention intégrale face à la consommation des drogues illicites fournira des accompagnements psychosociaux et d’insertion économique. Le trafic de stupéfiants sera combattu via une réforme de la police criminelle plus orientée vers les investigations contre les réseaux, la lutte contre les actifs bancaires liés au narcotrafic, et la chasse au blanchiment d’argent. Une stratégie pour renforcer la lutte contre la corruption associée au trafic de drogue, et un contrôle plus fort de l’Etat sur la production, l’importation et la commercialisation des intrants et précurseurs chimiques utilisés pour la production de drogues a également été pensé.
La justice transitionnelle et la réparation aux victimes
La majorité des victimes du conflit armé en Colombie sont des civils. Ils attendent réparation et condamnation pour ceux qui ont perpétré des crimes. Cet accord crée un « Système intégral de vérité, justice, réparation et non-répétition ». Ce système est composé de différents mécanismes judiciaires et extrajudiciaires avec comme objectif d’obtenir la réalisation maximale des droits des victimes et d’assurer la responsabilité de ce qui s’est passé pendant le conflit. Il est prévu la création d’une Commission d’éclaircissement de la vérité, du vivre ensemble et de la non-répétition, organe temporaire et extrajudiciaire visant à reconnaître les victimes et contribuer à la réalisation de leur droit à la vérité, établir les responsabilités et promouvoir la réconciliation. Une Unité spéciale de recherche qui, sans remplacer les enquêtes judiciaires, aura la charge d’identifier et rechercher les personnes disparues dans le contexte du conflit armé. La création d’une juridiction spéciale pour la paix, autonome, sera en charge de condamner les acteurs directs et indirects du conflit. Cette juridiction permettra de poursuivre et sanctionner les crimes commis dans le contexte du conflit armé, et en particulier les plus graves. Les peines n’excédant pas 8 ans lorsque les accusés reconnaîtront leur crime, et 20 ans dans le cas contraire. Des mesures de réparation intégrale (restitution, indemnisation, réhabilitation) individuelles et collectives seront accessibles pour les victimes.
Mécanismes de mise en œuvre et de vérification
Finalement, afin de garantir le respect des accords, les mesures suivantes seront adoptées. D’abord, la création d’une Commission de mise en œuvre, de suivi, de vérification et de règlement des différends pour l’accord final sera créée, dont le siège sera à Bogota, et qui sera composée de trois représentants du gouvernement colombien et de trois membres des FARC ou de leur parti politique. Cette Commission sera chargée de résoudre les divergences ou les situations imprévues qui peuvent découler de l’interprétation de l’accord, assurer le suivi de l’accord et vérifier son respect, organiser un système de Commissions thématiques et territoriales pour l’exercice de ses fonctions, avec une large participation citoyenne. Cette Commission discutera et approuvera un plan cadre pour la mise en œuvre de l’Accord sur la base d’un projet préparé par le gouvernement colombien. Ce plan durera dix ans et contiendra les objectifs, priorités et indicateurs nécessaires pour l’accord. Basé sur ce plan-cadre, des plans quadriennaux de mise en œuvre de l’accord final seront préparés sur deux périodes présidentielles.
Les négociations étaient séquentielles, avec l’exception de sous-commissions qui prenaient place en parallèle : celle sur le genre, la sous-commission légale qui travaillaient sur les détails de la justice transitionnelle et la sous-commission technique qui travaillait sur la fin du conflit. Malgré la réticence initiale du gouvernement colombien et des FARC envers l’ONU, l’expertise technique de l’ONU a contribué à gagner la confiance des deux parties et a finalement conduit l’ONU à s’impliquer davantage, au point d’aider à rédiger des parties de l’accord final sur le suivi et la vérification.
Pour conclure, nous pouvons dire qu’il y avait trois décisions du gouvernement qui ont été réellement influentes dans la façon dont le processus de paix s’est développé et comment la société colombienne l’a perçu. D’abord, poursuivre le dialogue au milieu de la guerre ; puis, avoir une participation limitée de la société civile durant les négociations ; et enfin, de ramener la décision finale au vote populaire via un plébiscite. D’abord, les négociations se sont déroulées dès le départ sans un cessez-le-feu entre le gouvernement et les FARC. Les FARC auraient pu utiliser le cessez-le-feu pour réorganiser et se renforcer militairement, comme ce fut le cas durant les négociations antérieures. Cependant, face à un public de plus en plus sceptique en Colombie, les FARC ont annoncé unilatéralement plusieurs cessez-le-feu, et l’arrêt de la formation militaire de ces combattants. Les FARC se disaient prêts à démobiliser et s’engager dans l’activité politique légale. Puis, bien que la participation ait été limitée, une plateforme en ligne a été créée par le gouvernement pour recevoir les propositions des citoyens, ainsi que des espaces de participation comme les tables de travail régionales et les forums de participation. Ces derniers ont fourni un espace pour que les négociations incluent les contributions de la société civile, mais aussi pour que les discussions soient mieux expliquées aux acteurs de la société civile. En fin de compte, il est difficile de déterminer la plus value de ces espaces, difficile de déterminer si les forums contribuent à changer les points de vue d’un plus large éventail de personnes que les partisans traditionnels au processus de paix. Enfin, l’initiative du Président Santos d’organiser un plébiscite pour que le peuple colombien approuve ou rejette l’accord de paix s’est avérée être sans doute la plus importante de toutes ses décisions au cours du processus. Santos a décidé d’évaluer le soutien public de cette manière non pas parce qu’il était légalement obligé de le faire, mais pour donner à l’accord un cachet de légitimité. Un ensemble de facteurs sont responsables du vote en défaveur de l’accord. Le faible niveau de popularité du président Santos a certainement été un facteur, et l’opposition a réussi à transformer le plébiscite en un concours d’approbation entre le Président Santos et l’ancien président Uribe (fervent du non), et beaucoup ont rejeté l’accord plusi comme un signe d’aversion pour le gouvernement qu’autre chose. Le haut niveau d’abstention (63% de la population n’a pas voté) a probablement aidé la victoire du non. Les arguments envers le non étaient variés : certains refusant de pardonner les FARC pour leur crimes envers les Colombiens et pensant que ce genre de négociations finissait par récompenser ceux qui ont opté pour la violence. La campagne pour le “non” a également été promue par l’église catholique. Enfin, l’accord était long de 297 pages, et une petite part de la population seulement l’a lu dans sa totalité. Enfin, la campagne pour le « non » a été vraiment efficace alors que les efforts du gouvernement pour le « oui » ont été caractérisé d’inefficaces et déconnectés de la perspective du public. Concernant les caractéristiques des votants, alors que le centre du pays a voté « non », la périphérie qui était plus affectée par la guerre a pour sa grande part votée oui, comme les secteurs les plus pauvres du pays et les endroits où l’Etat a moins de présence. Finalement, l’accord a tout de même été signé le 27 novembre 2016 et ratifié par le Parlement colombien.
Romane Ehrhardt
[1] Ces liens concernent notamment des relations entre l’armée et les renseignements vénézuéliens et les membres des FARCS et portent notamment sur la facilitation de conclusion de contrats d’armement et la facilitation des déplacements des FARC sur le territoire du Venezuela.
[2] Le DRR est une des stratégies utilisées dans le cadre des processus de paix
[3] Plénipotentiaire : Représentant de l’État auprès d’un autre État, chargé de pleins pouvoirs pour accomplir une mission
[4] solution politique au conflit; protection des droits de l’homme comme responsabilité de l’Etat; politique agraire; exploitation et conservation des ressources naturelles, structure économique et sociale; appui à l’économie solidaire et coopérative; réformes de la justice, lutte contre la corruption et le narcotrafic; réforme politique pour le renforcement de la démocratie, réforme de l’Etat, etc.
Sources :
ARIAS, G. PRIETO, C.A; PERALTA, M. “Que quieren las FARC? Agendas de negociación en los procesos de paz”, 2010, Informes Fundación Ideas para la Paz, No.11, 1-42.
GARCIA-SANCHEZ, M. CARLIN, R. « The FARC in the public eye: negotiation integration and political participation”, 2020, Journal of Politics in Latin America, 12(3), 239-251
LECOMBE, D. “La paix maintenant ? Une analyse du processus de paix colombien », Sciences Po Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes, 1-20.
OSORIO, C. “Negociación con las FARC-EP en el contexto de la política de paz”, 2015, Contextos, 4(15), 21-41
SEGURA, R. MECHOULAN, D. “Made in Havana: How Colombia and the FARC decided to end the war”, 2017, International Peace Institute, 1-44
No Comment