La politique culturelle italienne : gestion et promotion d’un patrimoine unique
« Superpuissance de la culture et de la beauté » pour Angelino Alfano, alors ministre des Affaires étrangères en 20171, l’Italie est le pays le plus cité sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. Avec 58 sites répertoriés, la péninsule est bel et bien le plus grand musée du monde à ciel ouvert2 . D’une densité exceptionnelle – l’Italie ne représente que 0,20 % de la surface terrestre mondiale ! -, le patrimoine transalpin subjugue le visiteur étranger. Il est aussi une lourde responsabilité à assumer. Premier contributeur volontaire de l’UNESCO, l’agence spécialisée des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, l’Italie ne consacre cependant que 0,3 % de son PIB à la culture3. Ce manque de moyens a par le passé suscité l’émotion devant le délabrement de sites aussi emblématiques que le Colisée ou la cité antique de Pompéi4. Plus récemment, les inondations de l’automne 2019 ont gravement endommagé des joyaux du patrimoine vénitien comme la Basilique Saint-Marc ou le théâtre de La Fenice. Derrière la désastreuse image projetée à l’international, l’Italie serait-elle vraiment incapable de protéger son patrimoine5 ? Laissons retomber la clameur médiatique pour mieux réfléchir sur les enjeux de la gestion et de la promotion de ce patrimoine unique au monde.
Membre de l’UNESCO depuis 1948, institution qu’elle a présidé entre 1958 et 1961, l’Italie jouit pourtant d’un incontestable prestige en matière de conservation du patrimoine. Avec l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, elle fait assurément autorité dans le paysage archéologique européen. En 2020, la péninsule entretient 232 missions archéologiques dans 58 pays répartis sur tous les continents6. Très appréciée sur le terrain, en particulier autour du bassin méditerranéen et au Moyen-Orient, l’expertise italienne est également recherchée pour former nombre d’archéologues, de restaurateurs et autres scientifiques de tous pays. Familière des rouages de l’UNESCO, l’Italie s’implique en outre dans d’innombrables réunions et dossiers techniques. On lui doit par exemple l’adoption d’une première résolution relative à la protection du patrimoine comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU en 2017. Pionnière de l’archéologie sous-marine, l’Italie est engagée de longue date dans la lutte contre le trafic d’art avec ses carabinieri affectés au département de la protection pour le patrimoine culturel. Ses carabinieri entretiennent une base de données regroupant plus de 6 millions d’œuvres d’art volées et consultable par toutes les polices du monde7. Incessant, ce protagonisme au service de la préservation de la culture mondiale, y compris sur les théâtres de guerre, vaut parfois à l’Italie le surnom de « casque bleu de la culture »8. Nous présentons à présent les grandes lignes de la politique culturelle d’un pays, qui, par son génie et son histoire, a si souvent porté la civilisation européenne à un degré de perfection inégalé.
Répartition géographique des sites italiens classés au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2019. La Lombardie, la Vénétie, la Sicile et la Toscane sont les régions les plus primées. (© Wikipédia)
La notion de patrimoine culturel : implications géographiques et juridiques
Existe-t-il un modèle italien de conservation du patrimoine, pour reprendre le titre du livre de Fernand Braudel9 ? À en juger par l’immensité du patrimoine parvenu jusqu’à nous, l’idée de conservation était déjà bien présente dans l’Italie pré-unitaire. En sublimant Florence de musées, de palais et d’œuvres d’art en tout genre, les Médicis ne voulaient-ils pas faire de cette ville la capitale des arts pour la postérité ? D’abord constitué par le collectionnisme du prince à la Renaissance et jusqu’au XVIIIe siècle, le patrimoine culturel italien est ensuite envisagé comme l’un des pans de l’identité culturelle et de la mémoire historique du pays. La notion de patrimoine culturel embrasse en effet un ensemble d’œuvres, de monuments, de musées et de paysages clairement associés à un territoire. En Vénétie, dans la province de Vicence, ce ne sont pas moins de 24 villas palladiennes – du nom de leur architecte Andrea Palladio (1508-1580) – qui ont été inscrites sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1994, contribuant grandement à l’identité de la région. Fondement de l’identité italienne, ce patrimoine fait l’objet d’une organisation géographique et d’un encadrement juridique strict afin d’en assurer la protection.
Dès les premiers temps de l’Unité, le débat est ouvert. Faut-il rassembler toutes ces œuvres dans des musées dédiés à cet effet ou les laisser dans leur environnement d’origine ? Dans un pays aux multiples régionalismes, la réponse à cette question est loin d’être évidente. Parce que certains objets archéologiques sont par définition intransférables, Pompéi vient de rouvrir son Antiquarium ou musée des Antiquités en janvier 202110. Mais c’est bien au musée archéologique de Naples qu’il faut se rendre pour prendre toute la mesure de ce site bimillénaire ! Reflet de la fragmentation politique d’antan de la péninsule, on retrouve cette même implantation locale et « nationale » dans le petit monde des bibliothèques. Capitales successives du Royaume d’Italie, Turin, Florence et Rome disposent toutes de leur Biblioteca Nazionale, au même titre que Naples, ancienne capitale du royaume des Deux-Siciles. En réalité, le modèle italien de conservation du patrimoine tient compte du caractère extrêmement diffus de ses joyaux artistiques et archéologiques. Pas un palais, pas une église, pas un site archéologique, pas une rue de la péninsule ne recèle potentiellement un trésor d’une valeur inestimable. Ainsi institué dans une capillarité irradiant jusqu’au cœur des territoires, le modèle italien est à la fois polycentrique et polymorphe, à l’image d’un pays dont les cités ont toujours rivalisé d’ingéniosité pour se sublimer.
Son organisation géographique assumée, ce patrimoine culturel fait également l’objet d’une législation parmi les plus protectrices au monde11. En Italie, tous les biens patrimoniaux n’appartiennent certes pas à l’État, mais tous ont la particularité de bénéficier de sa protection. Les biens religieux – de l’Église catholique comme des autres confessions – relèvent quant à eux d’une étroite coopération entre l’État et les autorités religieuses et sont inclus dans la définition de bien culturel12. Cette conception identitaire du patrimoine, fidèle à la première loi de 1902 qui dispose déjà que le patrimoine fait partie de « l’intérêt national », a sans nul doute grandement contribué à la bonne conservation générale du patrimoine transalpin jusqu’à nos jours. Elle a depuis connu plusieurs extensions législatives. Si l’article 9 de la Constitution de la République italienne (1947) « promeut le développement de la culture, de la recherche scientifique et technique » et « protège le paysage, le patrimoine historique et artistique de la nation », la protection du patrimoine connaît une nouvelle étape avec l’adoption de la notion de bien culturel par la Commission Franceschini (1964-1967). S’inspirant de la Convention de La Haye (1954) qui pose le principe de protection des biens culturels en cas de conflit armé, la Commission entend qu’un bien culturel « constitue un témoignage matériel ayant valeur de civilisation »13. Très large, cette définition comprend indistinctement les biens présentant un intérêt archéologique, artistique, archivistique, bibliographique, ethno-anthropologique ou historique. Elle intervient dans le contexte tourmenté d’une crue historique de l’Arno qui a ravagé la ville de Florence à l’automne 1966. Ce concept cherche à revitaliser l’image du patrimoine culturel italien, à une époque où ce dernier apparaît secondaire face aux politiques de rééquilibrage économique menées en faveur du Mezzogiorno, le Midi italien. Il introduit l’idée que ce patrimoine possède une valeur que l’on ne saurait négliger sans porter atteinte à l’image de l’Italie dans le monde. Grâce au tourisme, il serait en outre générateur de revenus et créateur d’emplois.
En 1974, la création du ministère des Biens culturels et environnementaux laisse entendre que le patrimoine est élevé au rang de priorité politique. Il en ira pourtant autrement. Faute de moyens suffisants, le nouveau ministère peine à dynamiser et à assurer l’entretien de sites culturels dont il a pourtant la charge. Les récentes crises financière (2007-2008) puis sanitaire (depuis 2020) n’aident pas à la réévaluation du budget d’un ministère de la Culture qui a souvent été cantonné à un rôle de valorisation économique depuis sa création. Cette conception commerciale de la culture a néanmoins démontré ses limites avec les excès du tourisme de masse. À vouloir sacrifier le besoin de protection sur l’autel de la rentabilité, cette orientation politique risque à terme d’endommager la valeur intrinsèque du patrimoine italien. La refondation du ministère du tourisme par le gouvernement Draghi en février 2021, dissocié du ministère de la culture pour la première fois depuis 2013, inaugurera-t-elle ce pilier culturel de la politique que l’on prête au nouveau président du Conseil italien14 ?
Bien que reposant sur de solides bases théoriques, la gestion du patrimoine italien interroge. Nonobstant son rayonnement culturel incomparable, l’Italie abrite près de 5000 musées ouverts au public en 2018, faisant de Rome, Florence, Naples et Venise des incontournables de la culture muséale internationale15, le pays n’a jamais accordé à son patrimoine les fonds nécessaires à son entretien colossal. Voyons comment les acteurs de sa gestion et de sa promotion s’accommodent de ces contraintes.
Administré par le ministère de la culture italien, le château de Miramare à Trieste jouit depuis 2016 d’un régime d’autonomie spéciale. Il peut désormais gérer ses finances et recruter son personnel scientifique comme il l’entend. (© Wikipédia)
Une gestion publique-privée pour sauvegarder le patrimoine italien ?
Comment gérer et valoriser cet immense patrimoine ? Pour répondre à cette question, le ministère de la Culture italien reconnaît qu’il faut d’abord s’assurer d’une bonne connaissance du patrimoine en lui-même pour mieux le divulguer au plus grand nombre et cela dans les meilleures conditions de conservation et de visite possibles16. Ainsi présentée, la valorisation du patrimoine devient un enjeu de développement culturel, conformément aux ambitions fixées par la Constitution. Au-delà de l’indispensable excellence du corps scientifique qui n’a jamais fait défaut à l’Italie, que nous parlions des architectes des monuments historiques, des conservateurs, des restaurateurs ou des historiens17, il faut encore être familier des techniques de management et de gestion. Dans ce contexte, se doter d’une communication efficace composée d’une presse spécialisée, d’offices de tourisme, de services de traduction et de guides touristiques capables d’attirer tous les publics devient indispensable.
En Italie, ces services sont traditionnellement à la charge de l’État, d’innombrables concours et écoles permettant d’accéder à l’ensemble de ces métiers de la culture. Placé sous l’égide du ministère de la Culture, l’Istituto Centrale per il Restauro de Rome joue par exemple un rôle majeur dans l’enseignement, l’excellence de la recherche et de l’expertise italiennes s’agissant des tâches de conservation ou de restauration du patrimoine. Il revient également à l’État d’entretenir plus de 500 musées nationaux, répartis sur l’ensemble du territoire18, à l’exception des musées siciliens, du Val d’Aoste et du Trentin-Haut-Adige, gérés directement par les autorités régionales19.
Cette bipolarité entre centralisme étatique et gestion régionale du patrimoine, est, nous l’avons vu, à l’origine de la conception italienne du patrimoine. Elle permet le développement d’innombrables initiatives locales où le musée régional s’insère dans une logique globale de dilution des flux touristiques vers des territoires à première vue plus confidentiels. Cette valorisation régionale cherche en outre à mieux faire connaître les territoires, en les intégrant davantage dans l’économie touristique nationale et internationale. Poursuivant une logique de simplification administrative et financière, elle a permis la création de poli museali regionali en 2014. Ces regroupements de musées régionaux ont fait émerger un écosystème muséal englobant les institutions publiques et les acteurs privés. La valorisation régionale vise enfin à désengorger les sites touristiques les plus connus.
Bien public, le bien culturel italien appartient à la société civile et chaque membre doit en théorie pouvoir y accéder et en profiter. Les musées italiens sont ainsi parmi les moins onéreux d’Europe, pour ceux qui relèvent de l’État, grâce à une grille tarifaire comportant de nombreuses exemptions accordées aux étudiants, aux personnes en situation de handicap, aux personnes de plus 65 ans et plus généralement aux citoyens européens. Pour louable qu’elle soit, cette intention d’une vie culturelle accessible à tous est néanmoins contredite par l’économie et la géographie touristiques. L’Italie souffre toujours de la surexploitation touristique de ses joyaux patrimoniaux à la plus forte notoriété internationale20. De son côté, la ville de Gênes, pourtant sixième agglomération du pays et abritant l’un des centres historiques les plus remarquables de la Méditerranée partiellement classé à l’UNESCO, ne figure pas parmi les dix villes italiennes les plus prisées des touristes.
Historiquement publique, la gestion italienne du patrimoine prend depuis une quinzaine d’années une tournure public-privée symbolisée par des partenariats entre l’État et des fondations privées. Venue des États-Unis, ces nouvelles pratiques administratives dissocient de plus en plus la gestion, attribut étatique par excellence, de la conservation, qui serait confiée à des entités privées. Si l’État continue d’assurer les dépenses inhérentes à l’entretien du bien, il compte sur son partenaire privé pour en assurer la promotion. Selon une logique mercantile, ce dernier s’investit dans la culture pour en retirer du profit et du prestige. Le risque encouru dans de tels partenariats est bien connu. Les activités de conservation et de recherche scientifique sont sacrifiées au nom de l’impératif économique de rentabilité. Enfin, dans le cas d’une concession d’un bien à un tiers, le droit du travail, passé dans la sphère privée, peut également en pâtir.
Dans cette optique, le patrimoine devient une entreprise comme une autre, là où la conception publique italienne a plutôt une vision d’ensemble des enjeux de gestion et de conservation qui incombent à son patrimoine. Qu’adviendrait-il à un patrimoine dont la valeur fluctuerait selon la douce loi du marché ? La solution se trouve peut-être dans le mécénat et la sponsorisation, strictement encadrés par l’État21. Des pratiques pas encore systématiques en Italie, du fait, notamment, de l’incurie bureaucratique et des éternelles querelles politiques qui ne cessent d’agiter la botte italienne22.
À la différence des musées anglo-saxons, la culture du don est très peu répandue en Italie. Les musées sont donc presque exclusivement dépendants des financements publics ou européens. Quand ces derniers se tarissent sous l’effet d’une crise financière, la soutenabilité financière des institutions transalpines devient critique. Pour cause de réduction de personnels en raison des coupes budgétaires sous le gouvernement Monti (2011-2013) mais aussi Renzi (2014-2016), le musée archéologique de Naples s’est souvent signalé dans les médias pour ses salles fermées aux visiteurs. Pire, ses conditions de conservation ont pu être mises en doute devant la dégradation de la mosaïque d’Alexandre, bientôt restaurée et qui aurait dû être exposée à plat et non comme une peinture murale depuis 191623.
Complexe, la stratégie de gestion et de promotion d’un musée requiert une pluralité d’acteurs publics et privés d’autant plus nécessaire dans un contexte de crise économico-sanitaire. Cette stratégie ne se fera pas sans une plus grande rationalité et lisibilité de l’appareil administratif italien. Elle devra aussi s’appuyer sur des campagnes de sensibilisation, sur une plus grande éducation au patrimoine à l’école, sur une diversification des financements – le Louvre a par exemple servi de décor au film Da Vinci Code en 2006 – et sur la digitalisation des collections24. Elle ne se fera pas non plus sans une volonté nationale de dépasser les tropismes régionaux qui continuent d’irriguer les pratiques culturelles péninsulaires. Parce que la géographie culturelle se superpose aux difficultés socio-économiques de la péninsule, il sera capital d’intégrer le Mezzogiorno, une région qui abrite l’essentiel des sites archéologiques, à la nouvelle gouvernance mondiale de la culture. Ce dernier point est une condition sine qua non au rayonnement culturel mondial de l’Italie. Quelles en sont les manifestations ?
L’Hôtel de Gallifet, dans le 7e arrondissement de Paris, accueille à la fois la représentation permanente de l’Italie auprès des organisations internationales (OSCE, UNESCO) et l’Institut culturel italien (© Wikipédia)
L’Italie dans la gouvernance mondiale de la culture
La gouvernance mondiale de la culture s’intéresse aux politiques culturelles instituées par les gouvernements mais aussi aux politiques menées par les acteurs non-étatiques – sociétés civiles et secteur privé – pouvant influencer le domaine culturel. Définir une gouvernance de la culture est d’autant plus complexe que la culture peut tout aussi bien s’appliquer aux seuls musées ou salles de spectacle qu’à l’art de vivre de tout un pays. L’UNESCO joue un rôle central pour normaliser la culture à l’échelle internationale avec sa liste du patrimoine mondial continuellement actualisée depuis 1978. Les gouvernements suivent régulièrement ses recommandations pour définir leur politique culturelle patrimoniale ou, le cas échéant, tenter de promouvoir leurs sites culturels sur cette fameuse liste. Des initiatives locales ont aussi vu le jour avec l’Agenda 21 de la Culture signé par plus de 500 villes, autorités locales et organisations internationales depuis son approbation par le Forum universel des cultures de Barcelone en 200425. Cet Agenda 21 de la Culture est complété par la Charte de Rome 202026, la capitale italienne prônant une plus grande place des villes et de leurs habitants dans l’élaboration de la culture mondiale.
Très impliquée à l’UNESCO, l’Italie sait tout le prestige diplomatique et l’attractivité touristique qu’elle peut retirer de son appartenance à l’organisation en figurant en tête de liste du patrimoine mondial. Elle vient d’ailleurs d’être réélue pour la sixième fois consécutive au Conseil exécutif de l’organisation, organe décisionnel de l’UNESCO, en compagnie de 57 autres États jusqu’en 202327. Elle a placé ce nouveau mandat sous le signe du développement durable et de la diplomatie scientifique. Concrètement, l’Italie s’engage à protéger les biens qui seraient victimes du changement climatique. Elle met aussi en avant son centre de recherche dédié à l’UNESCO et situé à Trieste. Depuis l’inscription de son premier site sur la liste du patrimoine mondial en 1979 – l’ensemble d’art rupestre du Valcamonica en Lombardie -, elle a patiemment promu son patrimoine au sein de l’organisation. Cet activisme a connu de grandes heures avec pas moins de dix inscriptions de biens transalpins au patrimoine mondial en 1997. Ses 58 sites actuels sont répartis sur tout le territoire, avec une légère prévalence de la Lombardie et de la Sicile.
Mais l’Italie devra aussi prendre garde à ne pas se laisser distancer dans la digitalisation des plus grandes institutions culturelles mondiales, florissante en ces temps de pandémie. Si le Louvre vient de mettre en ligne la quasi-totalité de ses collections28, les musées d’Amsterdam tels que le Rijksmuseum ou le Van Gogh Museum sont eux aussi très engagés dans la valorisation virtuelle de leurs collections. Même si l’Italie compte de plus en plus d’institutions culturelles disposant d’un « fonds digital » – les musées du Capitole à Rome et la Galerie des Offices à Florence sont deux fondateurs du projet Google Arts & Culture lancé en 2011, le site archéologique d’Herculanum est désormais visible en 3D29 -, de trop nombreuses institutions restent encore à la marge de ces nouveaux modes de consommation de la culture, faute d’avoir établi un parcours de visite virtuelle ou un catalogue digital des collections par manque de personnel compétent30.
Pleinement entrée dans la révolution numérique, la nouvelle gouvernance mondiale de la culture se nourrit aussi des géants de l’industrie du voyage sur internet. Un site comme TripAdvisor a par exemple œuvré avec l’UNESCO pour redessiner la carte du Val de Loire en croisant les données culturelles et géographiques d’une région classée au patrimoine mondial comme paysage culturel depuis l’an 200031. En Italie comme ailleurs, TripAdvisor est très consulté pour déterminer les « attractions » à ne pas manquer lors de son voyage. Lorsqu’il classe en 2017 les « 25 meilleurs musées du monde » selon les critiques de ses utilisateurs, le site peut devenir un instrument de valorisation du patrimoine. Cette année-là, aucun musée italien ne figurait aux 10 premières places. Il fallait descendre respectivement à la quatorzième et à la seizième place pour trouver trace du Musée égyptologique de Turin et de la Galerie des Offices de Florence. Même négatives, les critiques peuvent fournir de précieuses informations aux personnels des musées et aux gouvernements pour améliorer l’expérience de visite.
Les défis qui s’imposent à l’Italie en matière de valorisation du patrimoine ne diffèrent en rien de ceux qui s’appliquent aux autres États. L’Italie se doit d’être toujours plus créative si elle veut continuer à faire de la culture un instrument de son rayonnement à l’international. Elle doit pour cela admettre qu’aucune valorisation culturelle ne peut prospérer aujourd’hui sans financement adéquat et se souvenir qu’elle reste avec la Grèce la mère de notre civilisation occidentale. Que deviendrait en effet une civilisation dont son icône laisserait son patrimoine se déprécier ? L’Italie a trop souvent illuminé l’humanité de son génie pour se réduire à une telle extrémité.
Alexis Coquin
[1] Lire ALFANO Angelino, « Italia si conferma superpotenza di cultura e bellezza: saliti a 53 i nostri siti patrimonio Unesco », Rappresentanza Permanente d’Italia – UNESCO, 10 juillet 2017.
https://delegazioneunesco.esteri.it/rappunesco/it/ambasciata/news/dalla%20rappresentanza/2017/07/alfano-ltalia-si-conferma-superpotenza.html
[2] Ces 58 sites comprennent 53 biens culturels et 5 sites naturels. En 2021, trois biens italiens ont été inscrits sur la liste du patrimoine mondial. Il s’agit des cycles de fresques du XIVe siècle de Padoue, des portiques de Bologne et de la ville de Montecatini Terme au titre de la série des « Grandes villes d’eau d’Europe ».
Cf. la liste du patrimoine italien inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO.
https://whc.unesco.org/fr/etatsparties/it
[3] Lire ANGEI Fabio, « Quanto spende l’Italia per la cultura ? », Osservatorio sui Conti Pubblici Italiani, 29 septembre 2020. https://osservatoriocpi.unicatt.it/cpi-Spesa%20cultura.pdf
[4] « Italie : un patrimoine à l’abandon », Euronews, 1er février 2013. https://fr.euronews.com/2013/02/01/italie-un-patrimoine-a-l-abandon
[5] A ce sujet, l’interdiction du centre historique de Venise aux navires de croisière a été abondamment commentée dans la presse française. Lire « Venise : les paquebots ne pourront plus approcher du centre historique », Le Figaro, 25 mars 2021.
https://www.lefigaro.fr/flash-eco/venise-les-paquebots-ne-pourront-plus-approcher-du-centre-historique-20210325
[6] Ministero degli Affari Esteri e della Cooperazione Internazionale (la Farnesina), « Missioni archeologiche , antropologiche, e italiane all’estero », janvier 2021.
https://www.esteri.it/mae/resource/doc/2021/01/tabella_per_sito_2.pdf
[7] Ministero della Difesa, « Le Commandement des Carabiniers pour la Protection du Patrimoine Culturel » .
http://www.carabinieri.it/multilingua/fr/le-carabinieri-tpc
[8] Sur ce concept lire : Rappresentanza Permanente d’Italia – UNESCO, « Protection du patrimoine culturel ».
https://delegazioneunesco.esteri.it/rappunesco/fr/l-italia-all-unesco/cultura/protezione-e-tutela-del-patrimonio.html
[9] Lire BRAUDEL Fernand, Le modèle italien, Flammarion, Paris, 2008.
[10] Lire CHERNER Simon « Après des années de travaux, le musée des antiquités de Pompéi renaît enfin de ses cendres », Le Figaro, 30 janvier 2021.
https://www.lefigaro.fr/culture/apres-des-annees-de-travaux-le-musee-des-antiquites-de-pompei-renait-enfin-de-ses-cendres-20210130
[11] À Rome, le chantier de l’extension du métro démontre chaque jour l’importance de l’archéologie préventive dans la sauvegarde et la valorisation du patrimoine de la Ville éternelle. Lire : Ministero della Cultura – Soprintendenza speciale di Roma « Archeologia e grandi opere, il caso emblematico della Metro C di Roma », 2 juillet 2019. https://www.soprintendenzaspecialeroma.it/eventi/archeologia-preventiva-e-grandi-opere-il-caso-emblematico-della-metro-c-di-roma_61/
[12] Lire CELESTE Giuseppe, « I beni culturali di interesse religioso: nozione e regole di circolazione », La funzione del notaio nella circolazione dei beni culturali. Atti del Convegno tenutosi a Ferrara il 21 e 22 Aprile 2012 (N. 1/2013), Fondazione Italiana del Notariato, 2013. https://elibrary.fondazionenotariato.it/indice.asp?pub=40&mn=3
[13] Ministero della Cultura, « Atti della Commissione Franceschini », 1967. https://www.icar.beniculturali.it/biblio/pdf/Studi/franceschini.pdf
[14] Ministero della Cultura, « Governo, Franceschini: la cultra tra i pillastri dell’agenda di Draghi », 17 février 2021.
https://www.beniculturali.it/comunicato/la-cultura-tra-i-pilastri-dellagenda-di-draghi
[15] Istituto Nazionale di Statistica, « L’Italia dei musei », 23 décembre 2019. https://www.istat.it/it/files/2019/12/LItalia-dei-musei_2018.pdf
[16] Malgré des efforts constants, la signalétique et l’accessibilité des musées italiens laissent parfois à désirer. Des lacunes que l’auteur de cet article a notamment pu vérifier au cours de ses voyages à Rome et à Pise.
[17] Cette excellence scientifique peut aussi venir de l’étranger. L’historien de l’art allemand Eike Schmidt assume la direction de la célèbre Galerie des Offices de Florence depuis 2015. Le Français Sylvain Bellenger est directeur du musée national de Capodimonte (Naples) depuis fin 2015 également.
[18] Cf. la liste établie par le Ministero della Cultura. http://musei.beniculturali.it/musei?da=23
[19] Au nombre de cinq (Sicile, Sardaigne, Trentin-Haut-Adige, Frioul-Vénétie julienne, Vallée d’Aoste), les régions italiennes à statut spécial tiennent compte des particularismes régionaux et linguistiques de ces territoires. La Vallée d’Aoste est officiellement bilingue français-italien, à l’exception de la justice où seul l’italien est utilisé. Ces régions jouissent en outre d’une large autonomie financière.
[20] Lire SANCLEMENTE Marine, « Payer pour visiter Venise ? La ville mérite plus qu’une approche fast food », Le Figaro, 25 août 2021. https://www.lefigaro.fr/voyages/venise-va-imposer-une-taxe-aux-touristes-une-journee-20210825
[21] Notons que le mécénat n’est pas nécessairement étranger en Italie. Lire : CIAVARELLA Michele, « Tod’s restituisce un Colosseo rodeo di colore e di speranza », Il Corriere della Sera, 1er juillet 2016.
https://style.corriere.it/moda/tods-restituisce-un-colosseo-roseo-di-colore-e-di-speranza/
Voir également : « Roma: torna a splendere la Fontana di Trevi restaurata », Il Corriere della Sera, 30 octobre 2015.
https://roma.corriere.it/notizie/cronaca/15_ottobre_30/roma-torna-splendere-fontana-trevi-restaurata-60038ace-7ef1-11e5-882e-dcc202b27802.shtml
[22] Lire VENTURA Claudia, « Le sponsorizzazioni per il restauro del patrimonio culturale : modelli e prospettive », Université méditerranéenne de Reggio de Calabre, 2016.
https://core.ac.uk/reader/268383030
[23] Lire ce communiqué : Museo nazionale archeologico di Napoli, « Restauro del mosaico di Alessandro e Dario », 2021.
https://mannapoli.it/restauro-del-mosaico-di-alessandro-e-dario/
[24] La ville de Macerata (Marches – Italie centrale) s’investit par exemple dans le projet européen Adrinetbook qui vise à digitaliser le patrimoine bibliographique de cinq pays riverains de l’Adriatique (Albanie, Croatie, Grèce, Italie, Serbie, Slovénie) Lire : « Macerata leader del progetto europeo Adrinetbook per la valorizzazione del patrimonio librario », Picchio News, 29 février 2020.
https://picchionews.it/attualita/macerata-leader-del-progetto-europeo-adrinetbook-per-la-valorizzazione-del-patrimonio-librario
[25] Lire : Organisation mondiale de l’union des villes et des gouvernements locaux, Agenda 21 de la Culture, Barcelone, 2004. http://www.agenda21culture.net/sites/default/files/files/documents/multi/ag21_fr.pdf
[26] Lire : La Charte de Rome 2020. Le droit à participer pleinement et librement à la vie culturelle est vital pour nos villes. https://agenda21culture.net/sites/default/files/2020_rc_fra_0.pdf
[27] Le Conseil exécutif est élu tous les deux ans par la Conférence générale de l’UNESCO dont le siège est à Paris. Les langues de travail de la Conférence générale sont l’anglais, l’arabe, le chinois, l’espagnol, le français et le russe. L’italien, l’hindi et le portugais sont pour leur part uniquement langues officielles de la Conférence. Lire : Organisation générale des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Règlement intérieur de la Conférence générale, 2020. https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000373502_fre
[28] Cf. Base de données « Collections ».
https://collections.louvre.fr
[29] Le « Herculaneum 3D Scan ».
https://ercolano.beniculturali.it/herculaneum3dscan/#1598088472664-4a5b8b65-92dc
[30] Lire MAZZA Silvia, « I musei e la sfida della digitalizzazione », Il Giornale dell’Architettura.com, 25 janvier 2021. https://ilgiornaledellarchitettura.com/2021/01/25/i-musei-e-la-sfida-della-digitalizzazione/
[31] Lire GUGGÉMOS Alexia, « TripAdvisor et le château de Montsoreau-Musée d’art contemporain fusionnent tourisme et culture », Le Huffington Post, 08 janvier 2019.
https://www.huffingtonpost.fr/alexia-guggemos/tripadvisor-et-le-chateau-de-montsoreau-musee-d-art-contemporain-fusionnent-tourisme-et-culture_a_23635760/
Bibliographie / Sitographie
- Sources académiques:
BONACASA Nicoletta, « Musei e TripAdvisor: analisi di un nuovo strumento per la promozione e la valorizzazione del patrimonio museale », dans BONACASA Nicoletta et COSTANZO Cristina (dir.) Gestione, Valorizzazione dei Beni Culturali. Esperienze a confronto. Atti della Giornata di studi, Université de Palerme, 2018, p. 189-206.
http://www1.unipa.it/oadi/digitalia/06_atti.pdf
CAGNAZZO Gabriella, I beni culturali di interesse religioso, Université de Pise, département de droit public et d’économie, 2012.
https://core.ac.uk/download/pdf/14703526.pdf
POLLICE Fabio et RINALDI Caterina, La valorizzazione del patrimonio culturale in Italia, Centro Universitario Europeo per i Beni Culturali, Ravello, 2012.
SCARMAGNANI Arianna, La governance del patrimonio culturale: strumenti e forme. Il sito UNESCO. The city of Verona, Université Ca’Foscari de Venise, 2016.
http://dspace.unive.it/bitstream/handle/10579/9541/850675-1191864.pdf?sequence=2
TORCUTTI Elisa, Diplomazia culturale e politica culturale, Université de Trieste, faculté de sciences politiques, 2005.
https://www.ilsegnalibro.com/normativa/tesi_torcutti.pdf
- Le patrimoine italien à la télévision:
ANGELA Alberto, Meraviglie – La penisola dei tesori, Rai 1, 2018-2020, 120 min.
https://www.raiplay.it/programmi/meraviglie
- Associations et sites institutionnels:
Associazione Beni Italiani Patrimonio Mondialehttps://www.patrimoniomondiale.it/?page_id=3159
Commissione Nazionale Italiana per l’UNESCO
http://www.unesco.it/it
Ministero della Cultura – Siti Italiani del patrimonio mondiale UNESCO:
https://www.beniculturali.it/sitiunesco
https://www.unesco.beniculturali.it
Ministero della Cultura – Direzione generale dei Musei
http://musei.beniculturali.it
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