Top Gun : succès hollywoodien, symbole américain, arme géopolitique
Par Côme Bonnet-Badillé
Top Gun divise. Certains le portent en triomphe comme un symbole intemporel et révolutionnaire. D’autres y voient un blockbuster vide sacrifié sur l’autel du kitsch. Il est néanmoins indéniable que le film sorti en 1986 constitue un monument du cinéma ; son réalisateur Tony Scott a redéfini les canons esthétiques hollywoodiens par son identité visuelle et sonore emblématique. Le lieutenant Pete « Maverick » Mitchell, héros effronté, fougueux mais incroyablement talentueux, devient l’icône d’une génération triomphante. Son interprète Tom Cruise devient et restera un pilier d’Hollywood.
Trente-six ans après, le contexte a changé : les plateformes de streaming anesthésient un public qui délaisse le grand écran, et les films à succès sont des hyperproductions dopées aux effets spéciaux et fonds verts, à l’identité artistique pour le moins limitée. La sortie du second opus Top Gun : Maverick, actuellement en salles, fait alors l’effet d’une bombe : tourné intégralement en prises de vues réelles, le film remet au goût du jour l’esthétique emblématique de son prédécesseur et son démarrage canon au box-office lui octroie le costume de sauveur d’une industrie cinématographique à l’agonie.
Or, les grands succès hollywoodiens sont portés par un peuple américain dont les volontés et les craintes fluctuent ; ils sont le reflet des fantasmes et des névroses d’une société dont la place dans le monde ne cesse d’évoluer. Rocky IV (1985) affiche la confiance éclatante dans le rêve américain des années 80, et le succès des sagas du Seigneur des Anneaux et Pirates des Caraïbes témoigne d’une volonté de s’évader dans un univers lointain au moment où le pays se sent menacé après les attentats du 11 septembre 2001. Enfin, l’actuelle omniprésence des blockbusters Marvel, anesthésiants et dépolitisés, détourne l’attention d’un contexte international où les États-Unis sont en perte de vitesse.
Comment décrypter, alors, le carton de Top Gun depuis trente ans (c’est le film le plus diffusé aux États-Unis[1]) et le succès détonnant de Top Gun : Maverick, dont le démarrage au box-office mondial est déjà l’un des trois meilleurs de l’après-pandémie ? Que nous révèlent ces films sur les aspirations et les démons de l’Amérique ?
Les Top Gun : archétypes du cinéma consensuel américain
Dans Hollywood et la Politique, publié en 2020, Claude Vaillancourt explique que certains films hollywoodiens (qui constituent le cinéma du statu-quo) participent directement à la construction politique des États-Unis en créant un consensus autour de certaines valeurs purement américaines. L’individualisme, la famille, et le respect des institutions y sont érigés comme des piliers essentiels. Le Mal y est « absolu », sans origine ni justification – ce qui évite au spectateur d’avoir à réfléchir aux causes des problèmes auxquels le pays fait face…
Certaines idées profondément politiques sont aussi omniprésentes, mais de façon moins évidente ; les films patriotes comme Rocky IV ou Pearl Harbor (2001), les films catastrophe comme Armageddon (1998) ou 2012 (2009) construisent un certain type de peur, bénéfique à l’État fédéral. En effet, l’idée d’un danger constant met en cause la sécurité du pays et favorise une plus grande militarisation. Ces peurs « commodes » détournent aussi l’attention du spectateur des véritables problèmes sociaux ou environnementaux, favorisant les grandes entreprises et la structure hollywoodienne.
Ce mouvement hollywoodien, dont les films Top Gun sont des piliers, ne constitue pas pour autant une généralité. Certains réalisateurs à succès sont à l’origine d’œuvres critiques de ce courant consensuel ; l’excellent Jarhead (2005), de Sam Mendes, fait état de soldats sombrant dans la folie. Platoon (1986) et Full Metal Jacket (1987), d’Oliver Stone et Stanley Kubrick, constituent des anti-Top Gun dont le succès fut tout aussi retentissant (Platoon recevra l’Oscar du meilleur film).
Les films Top Gun et la construction du consensus
Certains traits communs aux deux productions construisent (et exportent) directement les valeurs développées par Vaillancourt.
Le premier est le personnage de Tom Cruise, le pilote « Maverick » : solitaire (il a perdu son père enfant, ne développe aucune relation stable), insubordonné, il enfreint constamment les règles. Mais c’est le meilleur : on lui pardonne donc tout, des passages en rase-mottes à un souffle des tours de contrôle aux majeurs brandis aux pilotes ennemis[2]. Il est l’archétype de l’individualisme américain éclatant, qui récompense ceux qui prennent en main leur destinée et que la réussite amène au sommet, conformément à la vision libérale qui récompense les meilleurs et oublie les médiocres[3]. La compétition est saine et permet d’extraire le meilleur de chacun : l’école Top Gun rassemble les pilotes les plus talentueux et les oppose pour savoir qui sera le meilleur. Les rivalités y sont fortes mais leur fond est toujours bon : Hangman, dépassé par Rooster pour être le wingman de Maverick, lui sauve la vie, et l’image de la réconciliation entre Iceman et Maverick est un symbole pour tout fan de Top Gun[1] .
L’emblématique poignée de mains entre Iceman et Mavericj (Top Gun, 1986 – Paramount Pictures).
Le second symbole est celui de la famille. Dans le film de 1986, il est incarné par le funeste destin de la famille Bradshaw, qui attendrit le spectateur et sanctuarise l’institution. Le pilote Goose meurt en vol, laissant derrière lui une veuve éplorée et un jeune fils… Ce dernier deviendra Rooster, héros du film de 2022 et figure filiale du désormais expérimenté Maverick, meilleur ami de son père. Celui-ci y apparaît plus posé : sa relation avec Penny (Jennifer Connelly) est on ne peut plus représentative du couple américain idéal[5], et sa complicité avec la fille de cette dernière fait de l’incorrigible Dom Juan un père de famille en devenir. Ces symboles rappellent l’importance de la famille dans une société américaine très fortement religieuse, et cimentent la vision selon laquelle elle est la racine dont se nourrit le héros pour réussir.
La troisième idée transversale est celle de la figure du Mal ; dans les deux cas, l’ennemi n’est pas clairement identifié – nous y reviendrons ultérieurement. Les pilotes ennemis à l’écran sont lourdement masqués et muets, profondément impersonnels ; aucune attache émotionnelle n’est possible. Les motivations des pays ennemis sont ignorées. Le Mal est donc absolu, injustifié et insensible. Cette figure omniprésente dans le cinéma consensuel américain est essentielle à l’État fédéral, car elle contribue à construire une vision manichéenne du bien et du mal chez le spectateur, décourageant sa compréhension des enjeux géopolitiques complexes. Cette vision simpliste héroïse les États-Unis comme le pays du bien et favorise la recherche de boucs émissaires ennemis comme Oussama Ben Laden, Saddam Hussein ou plus récemment Vladimir Poutine[6].
1986-2022 : évolution des symboles
Certaines différences sont néanmoins notables entre les deux films. Top Gun sort en 1986, alors que la guerre du Vietnam est passée et les conflits sans fin du Golfe encore loin. L’Amérique est plus triomphante que jamais, et sa jeune génération est pleine de confiance. Le film reflète cet état d’esprit en construisant des sex-symbols à qui tout sourit. L’exemple le plus frappant est la scène culte du beach-volley, qui met en scène l’élite des pilotes jouant torses nus, en Ray-Bans, à grand renfort de ralentis et de plans serrés sur leur musculature. Durant tout le tournage, Tony Scott impose même une température élevée pour que les personnages suent abondamment[7] !
Le récent sequel affiche d’autres préoccupations, révélatrices d’un contexte différent : le Maverick séducteur laisse place à un homme plus posé. Si ce changement s’explique surtout par l’évolution de la carrière de Tom Cruise, il est intéressant de remarquer qu’il est rappelé comme instructeur pour son expérience, valeur ajoutée essentielle en 2022 et absente en 1986. Entre-temps, l’Amérique a vécu et souffert[8] ; le pays ne triomphera plus de ses ennemis grâce à sa fougue et son énergie, mais grâce à son expérience et son statut historique de grande puissance. Une manière de réinventer un idéal américain qui s’essouffle.
Des œuvres pensées directement comme des instruments de soft power
Au-delà des choix scénaristiques, les films Top Gun ont été conçus dans leur entièreté comme une arme de soft power. Leur impact à échelle mondiale est non négligeable ; 9 des 12 plus gros succès au box-office mondial en 2021 sont américains. Ils ne sont donc pas seulement des prototypes du cinéma consensuel américain : ils en définissent les codes et les exportent consciemment.
Or, la mainmise d’Hollywood sur le cinéma mondial offre aux États-Unis une capacité de séduction hors normes. Un film est une œuvre artistique ; il sera, comme toute publication médiatique ou gouvernementale, analysé, décortiqué et critiqué par un public particulièrement large. Mais, contrairement aux médias et gouvernements, sa nature lui octroie le droit de la fiction ; le film déforme par nature la réalité pour en surligner certains aspects. Ainsi le cinéma hollywoodien détient en quelque sorte une licence pour diffuser au monde une version stylisée de la vie, une image largement positive des États-Unis qui permettra ensuite aux corps diplomatiques américains et aux entreprises de s’implanter plus facilement à l’étranger.
Top Gun s’inscrit parfaitement dans cette logique : le film a été conçu dès sa production comme une gigantesque vitrine publicitaire. Trois ans avant de produire Top Gun, les producteurs Jerry Bruckheimer et Don Simpson ont été à l’origine du projet Flashdance (1983), véritable succès qui popularise l’image de la cheerleader dans la culture américaine. Avec Top Gun, histoire de jeunes sportifs compétitifs, les associés récidivent en développant l’image du quarterback[9]. Leur stratégie se précise : ils reprennent des symboles proprement américains et les idéalisent afin de les exporter au monde entier[10]. Ce faisant, ils créent les « high-concept blockbusters », qui dictent des tendances générationnelles en créant celles auxquelles la jeunesse va adhérer plutôt que de suivre celles qui existent déjà[11].
Le choix du réalisateur Tony Scott prend alors tout son sens. En effet, pourquoi confier une telle production à un réalisateur alors inconnu du grand public ? Bruckheimer & Simpson le désignent après avoir vu une publicité dirigée par Scott dans laquelle une voiture fait la course avec un avion de chasse[12]… Top Gun est donc conçu comme une gigantesque bande-annonce qui vend l’armée américaine à une jeunesse mondiale en quête d’aventures et de sensations fortes. La séquence d’introduction du film, qui met en scène des décollages d’avions F-14 au son de l’iconique titre Danger Zone, a tout du clip publicitaire, et les nombreux plans de vol en caméra embarquée (révolutionnaires à l’époque) donnent au film une ambiance de jeu vidéo incroyablement engageant pour le jeune public. Avec succès : la Navy indique que les candidatures pour devenir pilote de chasse ont augmenté de 500% après la sortie du film[14].
Top Gun : Maverick reprend l’esthétique clipesque de l’original, construisant comme un hommage des scènes presque plan par plan identiques à son prédécesseur. Pour autant, la portée du film est beaucoup plus symbolique. Le modèle d’exportation de soft power américain par le cinéma est en effet sérieusement menacé ; d’une part, les États-Unis souffrent de plus en plus de la comparaison à des puissances comme la Chine, plus efficaces économiquement et militairement. D’autre part, Hollywood voit sa mainmise sur le cinéma mondial bousculée ; en 2020, la Chine dépasse les États-Unis pour devenir le premier box-office mondial. Dans un tel contexte, le rôle de Top Gun : Maverick est essentiel : en réactivant les codes du blockbuster triomphant des années 80, le film doit montrer au monde que l’Amérique est éternelle.
Pour cela, la figure de Tom Cruise est centrale : l’acteur est un véritable symbole intemporel. Top Gun, la saga Mission Impossible, Jack Reacher… l’acteur sauve le monde seul contre tous, avec le même succès insolent. La question de la succession de l’acteur de 59 ans se pose, mais personne ne le surpasse. Dans Mission Impossible : Fallout (2018), le personnage incarné par Henry Cavill est introduit comme son successeur désigné : il se révèle être un traître qui mourra défiguré. Le message est clair : pas même Superman ne peut détrôner l’éternel Tom Cruise[15].
En plus d’être immortel, il est celui qui sauve les « high-concept blockbusters » en perte de vitesse. Connu pour réaliser toutes ses cascades lui-même, l’acteur impose que Top Gun : Maverick soit tourné intégralement en prises de vues réelles et sa diffusion se fait exclusivement sur grand écran. L’énorme succès du film est dès lors le symbole que le cinéma hollywoodien « à l’ancienne » n’a pas dit son dernier mot face à l’industrie Marvel, les plateformes de streaming et la concurrence étrangère.
La production de Top Gun : Maverick est donc consciemment entreprise pour remettre le cinéma patriotique au centre du marché mondial. Pour cela, le film met profondément en avant l’individu par rapport aux technologies. La première partie voit l’implacable amiral Chester Cain annoncer à Maverick que les pilotes sont voués à être remplacés par les drones, mais c’est bien grâce au talent de ces derniers que la mission réussit. Maverick et Rooster s’échappent du territoire ennemi à bord d’un emblématique mais obsolète F-14 Tomcat, dominant en combat des avions de cinquième génération. Un tel choix est loin d’être anodin. L’armée américaine se sait rejointe technologiquement par ses rivaux : la Chine a tout récemment développé des avions de combat de cinquième génération potentiellement capables de concurrencer les Lockheed Martin F-35, fleurons de la technologie américaine. Leur stratégie ne passe donc plus par un étalage de l’avancée technologique, comme ce fut le cas dans Top Gun, mais par la mise en avant de la personnalité américaine héroïque et éternelle, avec Tom Cruise comme figure de proue. Pour souligner l’évidence, cette réplique revient comme une litanie : « It’s not the plane, it’s the pilot ».
La stratégie géopolitique des films Top Gun
Chacune des deux productions s’inscrit dans un contexte géopolitique plus large. Le cadre spécifique à chaque film y imprime son identité et informe le spectateur sur la position des États-Unis sur l’échiquier géopolitique mondial et sur la stratégie que le pays adopte.
Inscrire ces films dans leur contexte géopolitique implique de revenir d’abord sur les liens étroits existants entre le Pentagone et Hollywood. Dans les années 1920, un pont se forme entre les industries hollywoodiennes et l’armée ; le Department of Defense (DoD) saisit ensuite l’importance d’une image positive à l’écran et s’implique dans la production de films de guerre par l’allocation de matériel et de moyens financiers. En échange, il possède un droit de regard sur le scénario et la façon dont l’armée y est représentée : l’on assiste alors à un phénomène d’auto-censure des producteurs pour attirer les aides du DoD. Cette transition voit une réécriture de l’Histoire, « sacrifiée au profit du spectacle »[16]. Les exemples sont nombreux : Patton (1970), The Longest Day (1962), ou Pearl Harbor (2001), produit par… Jerry Bruckheimer. Le Pentagone diffuse alors par une image idéalisée de la guerre l’idée que s’engager et mourir pour la défense du pays est louable. Cette stratégie, qui s’applique particulièrement aux jeunes publics, est redoutablement efficace et permet aux États-Unis, d’allouer plus de 12% de son budget annuel à la défense nationale[17] avec l’assentiment populaire.
Les Boeing F-18 Super Hornet en formation durant le tourange de Top Gun : Maverick (Paramount Pictures)
Le Pentagone et Top Gun
Les États-Unis se sont toujours développés (domestiquement et à l’étranger) grâce à la guerre et son image : une dualité s’installe dans l’opinion publique selon laquelle le pays déteste la guerre, tout en y excellant. La guerre du Vietnam marque donc une forte rupture, car c’est le premier conflit non défensif dans lequel les États-Unis s’engagent depuis la première guerre mondiale et, contrairement à celle-ci, la déroute est violente. La nature belliqueuse du pays est exposée publiquement, et sa politique étrangère est de plus en plus controversée. La cote du DoD dégringole, torpillée par les médias et les films comme Apocalypse Now (1979) qui exposent l’étendue des dégâts psychologiques de la guerre sur les soldats.
Dans un tel contexte, Top Gun est un véritable point de rupture qui réhabilite l’armée : symbole de l’américanisme triomphant des années Reagan, ce film idéalise l’US Navy par son atmosphère si particulière qui respire la jeunesse : plus que jamais, l’armée, c’est « cool ». Le Pentagone a tout mis en œuvre pour favoriser le tournage des plus belles images possibles : l’US Navy laisse à disposition de la production[18] le porte-avions USS Enterprise et deux escadrons de chasses d’avions F-14, équipés de caméras embarquées pour l’occasion[19]. Le film s’apparente donc de plus en plus à une bande-annonce à peine déguisée pour l’armée. Au-delà de la seule image positive de l’institution, le Pentagone utilise aussi Top Gun comme une vitrine permettant d’exposer toute la supériorité technologique dont elle dispose alors, notamment par la scène d’introduction qui fait étalage de nombreux décollages et atterrissages sur porte-avion. Une telle stratégie revêt une importance géostratégique capitale : au-delà de l’effet sur les pays adverses, cet étalage permet aux États-Unis de convaincre son propre peuple de sa domination. Ainsi, lorsque le pays entrera en guerre, ses ressortissants n’auront aucune raison de douter de la victoire, ce qui garantira un fort soutien populaire. Cette assurance a ainsi conforté le Pentagone dans ses interventions dans le Golfe quelques années plus tard. Les échecs qui s’ensuivent prouveront au gouvernement que ces convictions sont erronées et que dominer technologiquement n’est pas gagner; le DoD modifiera alors les aspects mis en avant dans les blockbusters hollywoodiens.
Trente-six ans après : la symbolique de Top Gun : Maverick
Top Gun : Maverick reste un exemple de coopération étroite entre le Pentagone et Hollywood, mais les enjeux mis en avant sont différents. Trente-six ans plus jeune que son prédécesseur, le second film de la franchise arrive après des décennies où les plus gros succès hollywoodiens sur la guerre en critiquent les raisons et les conséquences, comme In the Valley of Elah (2007) qui expose la responsabilité des pays dont les soldats meurent ou deviennent fous. Le but de Top Gun : Maverick est donc de revitaliser l’image de l’armée américaine en la renouvelant par la mise en avant de l’avantage humain face à la technologie ennemie. Le DoD change son fusil d’épaule par rapport à l’opus précédent, alors que le pays voit sa domination technologique renversée par des puissances comme la Chine. Désormais, ce sont les héros américains qui sont emblématiques de son armée. L’hommage à Top Gun reprend par ailleurs les codes de la militarisation emblématique des années Reagan, dans des circonstances loin d’être anodines ; le pays se sent en effet de plus en plus menacé par les puissances étrangères. La tension monte dans la zone Indo-Pacifique et au proche Orient, deux aires où les États-Unis ont beaucoup à perdre stratégiquement. Top Gun : Maverick est une projection de ces préoccupations : dans l’original, l’ennemi (une URSS à peine masquée) fait office de figurant uniquement bon à faire valoir la domination américaine.
Dans ce sequel, ce ressort est plus complexe. S’il n’est pas expressément nommé, des indices permettent d’identifier les principales menaces aux États-Unis. La « nation clandestine » développe illégalement de l’uranium, dans une zone montagneuse enneigée à proximité de la côte, des caractéristiques qui font immédiatement penser à l’Iran : le film devait sortir en 2020, quand les États-Unis s’étaient retirés de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien sous la présidence de Donald Trump. Par ailleurs, le film fait état d’avions de combat ennemis de cinquième génération : or, la Chine a récemment développé le furtif Chengdu J-20, chasseur particulièrement énigmatique qui pourrait concurrencer le F-35. Contrairement au premier opus, la mission est particulièrement périlleuse car l’ennemi est bien plus coriace. Invariablement, le succès est au rendez-vous. Mais même le Pentagone doit constater que la difficulté augmente.
Conclusion
Top Gun avait symboliquement ouvert une nouvelle ère dans le cinéma américain et de la géopolitique mondiale ; Top Gun : Maverick est, en digne successeur, un indicateur fort du changement de paradigme sur la scène internationale. Aucun n’est qu’un énième blockbuster hollywoodien. Identifier les mécanismes sous-jacents aux films et leurs contextes de production permet de comprendre ce que chaque œuvre dit sur la façon dont les États-Unis construisent l’image de leur armée. Technologie prédominante ou héroïsme éternel, fougue de la jeunesse ou valeur de l’expérience, domination sans partage ou lutte acharnée… les circonstances changent au gré de la position américaine sur l’échiquier mondial. Les valeurs véhiculées dépendent de la stratégie de soft power de la période. Toutes ces variations s’articulent néanmoins autour d’une constante, fil rouge de la force de frappe d’Hollywood dans le monde : à la fin, c’est l’Amérique qui gagne.
Glen ¨Powell est Hangman dans Top Gun: Maverick (Scott Garfield – 2019 Paramount Pictures)
Côme Bonnet-Badillé
Notes:
[1] IRSEM
[2] Accompagnés d’une réplique qui donne le ton :
« – Que faisiez-vous ?
– De la diplomatie : je lui ai fait un doigt d’honneur »
[3] Vaillancourt, C. p. 44-45
[4] La traduction littérale de Goose est « oie » ; Rooster veut dire « coq », ce qui prolonge le symbole de la famille à travers les deux films.
[5] En témoigne l’omniprésence du drapeau américain dans les plans mêlant les deux acteurs.
[6] Vaillancourt, C. p. 47
[7] IRSEM
[8] Guerres du Golfe, attentats du 11 septembre…
[9] En football américain, le quarterback dirige le jeu offensif. C’est en quelque sorte le leader de l’équipe, comme Tom Cruise est celui des pilotes de Top Gun.
[10] Les deux producteurs sont notamment ceux qui ont popularisé la figure du flic charismatique américain, avec Le flic de Beverly Hills (1984), Bad Boys (1995) et leurs suites.
[11] Weitzmann, 2022.
[12] https://www.youtube.com/watch?v=rRHWMBWL9X
[14] Robb, 2004 p.180-182.
[15] L’acteur Henry Cavill incarne Superman au cinéma depuis 2013.
[16] Formule de Philip Strub, lien emblématique entre le Pentagone et Hollywood entre 1989 et 2018.
[17] Congressional Budget Office
[18] En échange de près de deux millions de dollars (Lamar Jr, 1986).
[19] Les escadrons VF-114 « Aardvarks » et VF-213 « Black Lions », notamment en service durant la guerre de Corée (Baranek, 2012).
Œuvres citées :
Apocalypse Now (1979), de Francis Ford Coppola
Armageddon (1998), de Michael Bay
Bad Boys (1995), de Martin Brest
Flashdance (1983), d’Adrian Lyne
Full Metal Jacket (1987), de Stanley Kubrick
In the Valley of Elah (2007), de Paul Haggis
Jack Reacher (2012), de Christopher McQuarrie
Jarhead (2005), de Sam Mendes
Le flic de Beverly Hills (1984), de M. Brest
Patton (1970) de F. J. Schaffner
Pearl Harbor (2001), de Michael Bay
Pirates of the Caribbean (2003-2006-2007-2011-2017), de Gore Verbinski, Rob Marshall, J. Rønning & E. Sandberg
Platoon (1986), d’Oliver Stone
Rocky IV (1985) de Sylvester Stallone
The Longest Day (1962), de K. Annakin, A. Marton, D. F. Zanuck & B. Wicki
The Lord of the Rings (2001-2002-2003), de Peter Jackson
Top Gun (1986), de Tony Scott
Top Gun: Maverick (2022), de Joseph Kosinski
Victory (1928), de M.A. Wetherell
2012 (2009), de Roland Emmerich
Sources:
Livres:
Baranek, D. Topgun Days: Dogfighting, Cheating Death, and Hollywood Glory as One of America’s Best Fighter Jocks, 2012. Skyhorse. 352 pages.
Robb, D. Operation Hollywood: How the Pentagon Shapes and Censors the Movies, 2004. Prometheus Books, New York. 384 pages.
Vaillancourt, C. Hollywood et la Politique, 2020. Écosociété, Québec. 174 pages.
Articles:
Lamar Jr., J.V. “The Pentagon goes Hollywood : filmmakers and the military enjoy a profitable partnership”, dans Time Magazine, 24 nov. 1986.
Podcasts:
Dans le bunker #18 : « Top Gun » de Tony Scott (1986), par Tony Morin, Le Collimateur, IRSEM, 15 avril 2020. URL: https://soundcloud.com/le-collimateur/retro-collimateur-dans-le-bunker-18-top-gun-de-tony-scott-1986-par-tony-morin
« Top Gun », Tom Cruise ou l’Amérique inusable ? Marc Weitzmann, Signe des Temps, France Culture, 29 mai 2022. URL: https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/signes-des-temps/top-gun-tom-cruise-ou-l-amerique-inusable-3552550
Documentaires:
Danger Zone: the Making Of Top Gun, Crowther, D. de Lauzirika, C., Farsadi, L. & Watson, C., 2004.
Légende de la première image : Tom Cruise est Pete « Maverick » Mitchell dans Top Gun, sorti en 1986 (Photo Spendor Films)
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