L’Australie – depuis plusieurs décennies, ce pays joue le même rôle que les Etats-Unis dans l’imaginaire d’un grand nombre de migrants, venus en particulier d’Asie ou du Moyen-Orient. Il représente la terre promise pour un avenir meilleur. La réalité, cependant, est tout autre; et le choc risque bien d’être brutal.
Les trente ans (1973-2013) de l’abandon de la politique dite d’« Australie blanche », qui favorisait la venue de migrants européens et freinait celle des autres, n’ont pas été fêté dans le même esprit que celui de 1973. L’ancien Premier Ministre australien Kevin Rudd du parti des travaillistes a en effet, dans une dernière tentative désespérée pour redorer son image auprès des Australiens appelés aux urnes fin 2013, fait passer l’Accord Régional de Réinstallation (Regional Resettlement Arrangement ou RRA) le 19 juillet 2013. Celui-ci consiste à enfermer ceux qu’on appelle les boat people [1] arrivés sans visa en Australie dans des centres de rétention situés en Papouasie-Nouvelle-Guinée (PNG) en attendant que leur dossier soit examiné. En échange, l’Australie finance le coût de rénovation des hôpitaux et des universités de Papouasie-Nouvelle-Guinée. Cet accord est couramment appelé la « solution PNG ».
La mise en place de cette mesure a immédiatement été fermement condamnée par plusieurs associations de protection des droits des migrants et dès le 26 juillet 2013 par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), qui s’est déclaré « préoccupé » par cet accord. « Après des visites en Papouasie-Nouvelle-Guinée, le HCR a conclu que le cadre juridique pour la réception et le traitement des demandeurs d’asile en provenance d’Australie présente des lacunes importantes. […] Ces lacunes peuvent s’avérer préjudiciables au bien-être physique et psychosocial des personnes transférées, en particulier pour les familles et les enfants » [2].
Renvoi systématique des migrants sans visa
La « solution PNG » est officiellement présentée par le gouvernement australien comme une manière de décourager les migrants de s’engager dans des traversées en mer souvent périlleuses et de lutter contre les réseaux de passeurs. Depuis 2009, ce sont près de 1 100 personnes en route vers l’Australie qui seraient décédées à la suite d’un naufrage, selon le ministère de l’immigration australien [3]. Avec cette nouvelle politique, les migrants seraient conduits à abandonner l’idée même d’entreprendre le voyage, sachant d’avance qu’ils seront refoulés du territoire.
Electoralement, la stratégie de Kevin Rudd visait à rassurer les citoyens australiens, dont une part croissante s’inquiète de voir affluer tant de boat people depuis plusieurs années (ils auraient été 15 000 en 2013 [4]). Dans les visions les plus extrêmes, ces migrants, souvent très pauvres et sans qualifications, sont perçus comme des sources potentielles de danger : terrorisme, intégrisme religieux, crime organisé… Les migrants jeunes et qualifiés qui apparaissent tout souriants en photo sur le site du gouvernement australien ne sont, eux, bien sûr pas concernés par cette mesure. La raison est simple : on leur accorde volontiers une autorisation de séjour.
Un échec cuisant
Pour ceux que le RRA n’a malgré tout pas découragé, l’avenir est bien sombre. En effet, l’accord indique clairement que les migrants placés en centres de rétention (par exemple sur l’île de Manus, en PNG) pourront y être détenus « indéfiniment », le temps que leur dossier soit traité et accepté par l’office des réfugiés. S’il ne l’est pas, le migrant est renvoyé dans son pays d’origine ou vers un pays tiers voulant bien l’accueillir.
En attendant, le migrant ne doit pas simplement s’armer de patience. C’est une lutte pour sa survie qui s’engage. Les conditions de vie ne sont même plus déplorables, elles sont atroces. La malaria sévit durement, de nombreux cas de viols et agressions sexuelles ont été signalés, et les « détenus » ne mangent pas à leur faim. On estime que près de 2 500 personnes vivent dans ces centres ; des hommes, des femmes, des enfants, des personnes âgées, en famille ou non. Ils sont privés de leurs droits juridiques, ne peuvent prendre contact avec des avocats.
La surveillance des centres est confiée à des sociétés privées, qui ne communiquent pas aisément sur la situation. G4S, entreprise britannique employant plus de 600 000 personnes dans le monde, est la plus importante. Ce géant du secteur de la sécurité est actuellement sous le feu de la critique des associations humanitaires depuis qu’en février dernier, une manifestation violemment réprimée par les gardes d’un centre de l’île de Manus a laissé mort un migrant iranien de 23 ans, Reza Barati, et plus de 70 autres migrants blessés. Les circonstances de la nuit du 17 février restent encore à éclaircir ; parmi les attaquants, certains mentionnent en plus des gardes la police locale et des habitants des alentours – sans qu’il soit possible de déterminer si ces allégations sont vraies ou fausses. Juridiquement, le fait que le centre soit ainsi dirigé par une entreprise privée rend très difficile toute enquête.
Pas de retour en arrière pour les autorités australiennes
Le gouvernement de Tony Abbott (parti des Libéraux) semble bien déterminé, pourtant, à ne pas changer de cap. Il défend bec et ongle son programme de « frontières souveraines » (sovereign borders), lancé peu après son élection en septembre 2013. Les incidents diplomatiques avec l’Indonésie voisine, qui se multiplient depuis cette date, ne le font pas reculer. Le principe est toujours le même : empêcher les migrants n’ayant pas de visa d’accoster en Australie. Il faut savoir qu’une partie des passagers n’est pas transférée dans les centres de détention de Papouasie-Nouvelle-Guinée ; elle est directement renvoyée vers les îles indonésiennes. La police des mers australienne intercepte les bateaux, veille plus ou moins consciencieusement à ce que les personnes à bord soient équipées de gilets de sauvetage, de nourriture et de carburant, puis leur fait faire demi-tour. En décembre 2013 et janvier 2014, deux bateaux furent ainsi contraints de rebrousser chemin.
Qu’ils la regardent s’éloigner de loin sur leur bateau qui fait demi-tour en direction de l’Indonésie ou bien qu’ils soient dirigés vers les centres de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, le message envoyé d’Australie à ces migrants a bien changé. Il n’est plus celui de la terre d’accueil porteuse d’espoir pour une vie moins difficile que celle qu’ils ont connu jusqu’ici. C’est celui de l’exclusion, du rejet – et de la peur.
Notes
[1] boat people = à l’origine, migrants clandestins d’Asie du Sud-Est (Vietnam en particulier) fuyant vers les Etats-Unis ou l’Australie sur des embarcations de fortune.
[2 ]http://www.unhcr.fr/51f6354ec.html
[3] et [4] : voir l’article de Ian Lloyd Neubauer “Australia’s shame”, Time magazine, édition du 31 mars 2014, p. 37
Crédits photographiques
[a] : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2012/02/03/97001-20120203FILWWW00304-papouasienaufrage-centaine-de-disparus.php
[b] : http://www.immi.gov.au/Live/Pages/Live.aspx
[c] : http://www.theguardian.com/world/video/2014/apr/11/140411nowayfromgaus
[d] : http://www.dw.de/australia-pm-abbott-in-indonesia-amid-asylum-seeker-tension/a-17122733
Pour aller plus loin
Charlotte Chabas, « L’Australie durcit encore sa politique envers les boat people », Le Monde, 23 juillet 2013
Disponible en ligne sur http://www.lemonde.fr/international/article/2013/07/23/l-australie-durcit-encore-sa-politique-envers-ses-boat-people_3451441_3210.html
Colin Folliot, « L’Australie renvoie pour la première fois deux bateaux de clandestins vers l’Indonésie », Le Monde, 8 janvier 2014
Disponible en ligne sur http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/01/08/l-australie-renvoie-pour-la-premiere-fois-deux-bateaux-de-clandestins-vers-l-indonesie_4344477_3216.html
Détails de l’opération « Sovereign borders » sur le site officiel du gouvernement australien : http://www.customs.gov.au/site/operation-sovereign-borders.asp
Retour sur les violences de février 2014 dans le centre de Manus : http://www.mediapart.fr/portfolios/asile-manus-les-marques-dune-violence-inouie
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