De quoi la « Chinafrique » est-elle le nom ?

De quoi la « Chinafrique » est-elle le nom ?

Assumer le terme de « Chinafrique » peut surprendre, en particulier les francophones. En effet, il fait écho dans l’imaginaire collectif au terme de « Françafrique », popularisé par François-Xavier Verschave, en 1998, dans La Françafrique, le plus long scandale de la République. Ce terme à la connotation largement péjorative désigne les relations privilégiées, et parfois incestueuses, entre la France et ses anciennes colonies en Afrique depuis leur sortie de la Communauté Française (exceptée l’Algérie) en 1960. Il fait référence à des scandales de corruption, de trafics d’influence, à des privilèges donnés à des entreprises françaises, à l’ingérence française dans des problèmes de l’ordre de la politique intérieure de ces pays Il s’agit surtout de la dénonciation d’une collusion à la fois source d’injustices et d’une domination d’un pays du Nord, ancien colonisateur, sur des pays dont le peuple désire être libre et indépendant.

Pourtant, la Beijing Review, maison d’édition d’un groupe public chinois, continue à publier son magazine Chinafrique, et alimente régulièrement le site internet d’information chinafrique.com. Ce choix de communication intrigue. Est-ce une maladresse de la part de Beijing ? Une inconscience ? Un choix délibéré ? Et si oui, dans quel but ?

En tout cas son activité grandissante ainsi que son effort constant pour montrer un visage conciliant et coopératif de la Chine dans ses relations avec l’« Afrique ». Dépeint dans le blog comme heureux de cette investissement, cet effort montre que ce sujet est central dans la politique extérieure de Beijing.

Nous allons donc creuser derrière l’intrigue, tenter de lever le voile du mot pour en décerner les assomptions, les effets et les nuances.

Source : afrikakom.com
Source : afrikakom.com

Parler de « Chinafrique », c’est se référer au resserrement actuel des relations entre la Chine et de nombreux pays africains. Ce mot composite entre un pays et tout un continent est révélateur du sens de la relation : c’est avant tout la Chine qui s’investit en Afrique. Cela pose une première difficulté. En effet, l’Afrique compte 57 pays, avec des structures sociales et économiques, des cultures, des climats, et des ressources très différents. Parler de ces liens avec l’Afrique avec un grand A, c’est un peu un écran de fumée. Cela ne dit pas ce que la Chine investit, où elle investit vraiment, par quels canaux et dans quels buts.

Les canaux d’une présence chinoise grandissante et incontournable

Cette présence accrue passe en premier lieu par l’économie. En effet, les rapprochements diplomatiques lors des sommets sino-africains sont souvent l’objet d’accords financiers et de rencontres entre gouvernements africains et entreprises publiques chinoises.

D’après la fondation Heritage, le Chine déverse 41 de ses 310 milliards de dollars d’investissement direct en Afrique, soit 15% alors qu’elle n’est réceptrice que de 3,1% des investissements directs mondiaux. Ce sont  l’Afrique du Sud, le Nigéria, la Zambie, la RDC, le Niger, l’Égypte, le Soudan et l’Angola qui reçoivent près des trois quarts de ces flux. Ces pays sont non seulement des leaders économiques, mais aussi les pays les plus influents du continent, et les plus mondialisés, grâce notamment à leurs ressources naturelles: pétrole et minerais. Ce réservoir en matières premières est ce dont la Chine a besoin pour financer son économie. Le pétrole constitue 94 % des exportations angolaises, 80% des soudanaises, et les importations en hydrocarbures représentent 71,7 % des importations chinoises.

Mais la Chine se place aujourd’hui sur d’autres marchés pour faire ses investissements. La stratégie la plus souvent employée ici est parfois appelée le « mode angolais » : « un accord-cadre est conclu avec un gouvernement africain pour un programme d’infrastructures financé par des prêts chinois (concessionnels ou non) et réalisé essentiellement par des firmes chinoises ; en parallèle, cet accord autorise une compagnie nationale chinoise à investir (ou à intervenir comme opérateur) dans l’exploitation des ressources (pétrole, mais aussi bauxite, chrome, minerai de fer, fèves de cacao…) ». Cette stratégie, très profitable aux deux partis, souligne aussi les canaux privilégiés par cette coopération : il s’agit de l’investissement dans des projets d’infrastructures publiques, de l’exportation des ressources naturelles africaines, en permettant une expansion de l’influence de la finance chinoise en Afrique. Ce mode d’attribution permet aux entreprises chinoises de capter l’essentiel des appels d’offre publics, ainsi que ceux pour beaucoup de projets financés par l’aide internationale. L’implantation d’entreprises privées et d’industries a suivi. Assurées d’une position sûre, elles ont pu s’installer sans avoir besoin d’appels d’offre mais en profitant de facilités d’installation grâce à leurs relations avec le gouvernement. Aujourd’hui, plus de 2 000 entreprises chinoises ont investi en Afrique. Cela a permis à la Chine de se positionner de façon privilégiée sur ce marché en pleine expansion de près de 1 milliard de consommateurs qui grandit. Les Africains semblent en effet friands de produits chinois bon marché et la présence accrue des entreprises chinoises dans les pays africains permet la création d’habitudes de consommation et de mécanismes de fidélisation.

Enfin, cet investissement économique en Afrique passe aussi par l’achat de grande surfaces de terrains arables directement aux États. Contrairement aux idées reçues, la Chine investit peu en Afrique pour plusieurs raisons. Elle s’est confronté aux populations locales. En effet, les pays africains en particulier en Afrique de l’Ouest, ont vendu de très grandes surfaces de terres cultivables à des entreprises étrangères mais leur culture a été rendue difficile voire impossible par les populations locales qui ne reconnaissent pas la propriété de ces entreprises. Pourquoi ? Le cadastre n’existe pas dans la plupart des pays d’Afrique, ce qui permet aux États, devant des investisseurs étranger, de clamer la propriété de terres que personne ne possède légalement et de les revendre aux plus offrants. Néanmoins, il existe un droit foncier coutumier, transmis de génération en génération, qui n’est pas répertorié, et parfois connu seulement par le bouche à oreille à l’échelle d’un village. De plus, aujourd’hui, la plupart des pays africains ne sont pas en mesure de se nourrir eux-mêmes avec les terres qu’ils ont, ce qui envoie un signal négatif aux investisseurs chinois, qui, conscients des conflits sociaux et politiques qu’ils risquent d’engendrer, évitent d’investir dans l’agriculture africaine.

Mais un nouveau canal est celui de la démographie. D’après différentes statistiques, entre 750 000 et 1 million de Chinois résideraient en Afrique. Ils sont pour la plupart employés par des entreprises chinoises, publiques et privées. Ces Chinois amènent avec eux un besoin de certains biens et services, mais ils sont aussi sources d’emploi dans certains secteurs,  en temps que consommateurs particuliers.

Une structure sociale nouvelle qui engendre des adhésions et des contestations

Globalement, le bilan pour les pays africains semble positif. En effet, grâce à ces nombreux investissements, les différents pays ont enfin pu faire partie du monde mondialisé, ont eu accès à de nouveaux produits et de nouvelles habitudes de consommation. Néanmoins, dans différents domaines, le bilan est assez mitigé.

Une des premières sources d’inefficacité d’un tel investissement vient de la faiblesse des structures politiques. L’essentiel des ressources économiques apportées par la Chine est capté par les pouvoirs politiques et ce  à différentes échelles. Au niveau local, la demande de compensation  de certains leaders pour tolérer la présence d’activités sur leur territoire, ou acheter une certaine sécurité rend réticents les investisseurs étrangers. Au niveau plus macro, ce sont souvent des gouvernements peu démocratiques qui contrôlent les ressources et gardent pour eux les bénéfices de leurs ventes au lieu de les réinjecter dans la société. D’un point de vue économique, cela crée d’immenses inégalités entre la classe dirigeante et le reste de la population qui ne profite d’aucun mécanisme de redistribution des richesses, et cela constitue un frein à la croissance, carcela empêche les initiatives particulières d’une part, et ne permet pas de créer des conditions propices à des investissement extérieurs plus diversifiés d’autre part. De plus, cela entraîne des contestations d’ordre populaire. En effet, les habitants lésés établissent rapidement un parallèle entre les activités d’entreprises chinoises et celles des entreprises des anciennes puissances coloniales. Les accusations de néocolonialisme se multiplient et sont d’autant plus virulentes que la plupart des collaborations, que ce soit dans l’exploitation des ressources naturelles ou dans la réalisation d’un projet public, ne mettent en relation que des entreprises chinoises.

De plus, des conflits directs entre populations locales et entreprises chinoises sont de plus en plus courants. En effet, une des sources de la recrudescence d’entreprises chinoises en Afrique est le coût attractif de la main d’oeuvre, face à une main d’oeuvre chinoise de plus en plus chère et protégée. Ainsi, les Africains constituent un vivier de main d’oeuvre plus abordable et soumise à un droit du travail souple voire inexistant, ni en termes de salaire, ni d’âge, ni d’heures de travail hebdomadaires. Cela a donné lieu à des révoltes, des conflits sociaux, et parfois des grèves. Cela a aussi permis de donner un prix à la main d’oeuvre africaine sur un marché mondial duquel elle était presque absente car les IDE qu’elle recevait jusqu’alors n’étaient pas créateurs d’emploi. Mais l’application directe du management chinois à des populations peu habituées au monde de l’industrie, souvent même au salariat, a donné lieu à ce qui a été perçu par les ouvriers africains comme des abus. Le nombre d’heures impossibles et le traitement peu respectueux des ouvriers sur le chantier du barrage de Maseru au Lesotho en 2013 a conduit à des nombreuses grèves et un retard sur le chantier. Ce que cette crise a souligné, c’est l’incompréhension entre deux modes de fonctionnement : pendant toute la crise, l’entreprise chinoise en charge du contrat a gardé une position très ferme, tentant d’embaucher des briseurs de grève, utilisant l’expression très violente de « go hang ». Pour les entrepreneurs chinois, une population en manque de travail et dans une situation de grande pauvreté ne doit pas poser de questions sur un travail demandé, même si cela se fait au prix d’une paupérisation de ces travailleurs.

Aujourd’hui, un certain nombre d’observateurs font un constat alarmiste quant à l’avenir de la “Chinafrique”. En effet, les investissements ont tendance à reculer, les Chinois sont de plus en plus frileux face au caractère incertain de l’avenir de leurs projets et aux résistances d’une population réfractaire. Pourtant, la Chinafrique est devenue presque nécessaire, pour l’Afrique. Les modes de consommation des pays les plus intégrés ont totalement changé et un nombre très important d’emplois et d’activités se sont construits autour des investissements chinois. Si la Chine se retirait de l’équation aujourd’hui, beaucoup de pays africains, en particulier les pays dont l’économie repose essentiellement sur l’exportation de ses ressources naturelles, déjà très fragiles économiquement, auraient beaucoup de mal à s’en relever.

Rémy Gendraud

Sources :

http://www.chinafrique.com

https://fr.wikipedia.org/wiki/Beijing_Review

https://fr.wikipedia.org/wiki/Françafrique#Origine_de_l.27expression

http://www.cepii.fr/pdf_pub/lettre/2012/let328.pdf

http://www.diploweb.com/La-Chine-en-Afrique-une-realite-a.html

http://geopolis.francetvinfo.fr/la-course-aux-terres-agricoles-en-afrique-6107

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/07/15/le-reve-vert-de-la-chinafrique_4683956_3212.html

http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/12/04/chine-afrique-le-desenchantement_4823908_3234.html

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/03/l-avenir-incertain-de-la-presence-chinoise-en-afrique-au-menu-du-6e-sommet-sino-africain_4822846_3212.html

http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/02/l-afrique-risque-de-payer-cher-sa-dependance-a-la-chine_4822044_3212.html

http://www.slateafrique.com/96913/la-chinafrique-en-difficulte-economie-societe

http://www.afdb.org/fileadmin/uploads/afdb/Documents/Knowledge/Conference_2007_16-part-III-4.pdf

https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2008-4-page-219.htm

http://sundayexpress.co.ls/chinese-boss-tells-workers-to-‘go-hang’/

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