Cristina Kirchner, actuelle présidente de l’Argentine est une politicienne qui ne laisse pas indifférente. Adulée comme détestée, qualifiée de populiste ou accusée d’autoritarisme ; sa politique cultive les contradictions. Elle est en effet la présidente de la sortie de crise financière comme la présidente de l’hyperinflation, elle est la présidente de l’adoption du mariage homosexuel comme du maintien de l’interdiction de l’avortement. De même, ses deux mandats sont caractérisés par une alternance de forte popularité et de forte impopularité. Après avoir perdu la majorité au parlement en 2009, elle fut réélue dès le premier tour 2 ans plus tard. Aujourd’hui au plus bas dans les sondages, les récentes élections législatives de 2013 ont confirmé un essoufflement de sa politique. Assisterait-on à une remise en cause de la méthode et du style Cristina Kirchner ?
Dans ce dernier article dédié à l’Argentine, Classe Internationale a tenté de dresser le portrait de l’actuelle Chef de l’État argentin
L’EXPLOITATION POLITIQUE DU DÉCÈS DE SON MARI
L’année 2010 fut une année charnière pour la présidente argentine. Suite à la disparition de son mari, Cristina Kirchner se réapproprie la symbolique du deuil en vue des élections présidentielles de 2011. « La force de Cristina » devient le slogan d’une campagne politique visant à illustrer « les capacités propres à continuer à gouverner malgré la douleur »1 de la présidente. A ce slogan s’ajoute une attitude, celle d’une responsable politique ne portant que des vêtements noirs afin de continuer à surfer sur cette image de « femme veuve mais forte ».
CRISTINA KIRCHNER, HÉRITÈRE D’EVA PERON ?
Outre l’instrumentalisation de la symbolique liée au décès de Nestor Kirchner, Cristina a multiplié les références à la figure d’Eva Perón2 . Le but ici n’est pas tant d’être liée à Evita mais d’en constituer une « réincarnation moderne ». Une enquête du journal argentin Clarín3 en a démontré un de ces aspects. À partir de Mars 2010, le visage d’Eva Perón fut systématiquement placé derrière la présidente lors de ses discours à la télévision argentine
De même, Cristina Kirchner a récemment lancé un billet de 100 pesos argentin à l’effigie de cette icône tandis que la façade du bâtiment du ministère du développement social est aujourd’hui ornée du visage de cette dernière
Selon Jean-Louis Buchet4, le parallèle symbolique opéré par Cristina Kirchner a une cohérence car il existe une vraie « similitude de destinée ». En effet, les deux femmes ont su créer un « lien direct et émotionnel » avec leurs partisans par de grands discours populaires. Le but était de s’adresser directement au peuple sans recourir au jeu de la communication politique traditionnelle. Comme Eva le faisait en son temps, Cristina Kirchner se présente « comme une femme seule » qui a besoin du soutien du peuple pour lutter contre les puissants. Toutes les deux s’efforcent en effet de faire triompher les classes sociales défavorisées contre une oligarchie (Eva Perón) ou contre les monopoles et autres corporations (Cristina Kirchner). En outre, toutes les deux ont placé leur action dans le cadre d’une certaine émancipation de la femme argentine. Eva Perón avait fait campagne pour l’élargissement du droit de vote aux femmes tandis que Cristina Kirchner est la première présidente de l’Argentine élue au suffrage universel5. Enfin, leur lutte contre la maladie6 est encore un argument en faveur de la thèse de similitude de destinée qui existe entre les 2 femmes ; d’où la volonté de Madame Kirchner d’apparaître comme « l’héritière naturelle » d’Eva Perón.
Cette réincarnation doit cependant être aussi vue sous l’angle péroniste. Si la comparaison Eva-Cristina est aisée car l’on parle de deux femmes, il ne faut pas oublié qu’il existe aussi une similitude de destinée avec Juan Perón. Ayant tous les deux perdus leur conjoint pendant leur mandature, s’adressant de la même façon à leur public ; il existe certainement autant de Juan Perón que d’Evita chez Cristina.
Qui est donc la chef de l’État argentin ? Certainement l’héritière d’Eva Perón mais avec les traits caractéristiques de son mari Perón(iste).
UNE RÉALITÉ À RELATIVISER
Il existe néanmoins une toute autre réalité qui contraste avec les discours politiques kirchnéristes. Surnommé « La reine du Botox », Cristina Kirchner cultive une obsession pour l’apparence et un goût du luxe qui est en décalage avec son discours en faveur des classes défavorisées. La présidente argentine l’assume et a même déclaré qu’elle se maquillait « comme une voiture volée depuis l’âge de 14 ans ». De plus, d’autres scandales ont contribué à écorner l’image de la présidente notamment des soupçons d’enrichissement illicite (il a été prouvé que le patrimoine des Kirchner a augmenté de près de 928 % entre 2003 et 2010). Cet enrichissement rapide fait d’ailleurs l’objet d’une enquête fédérale qui peine à avancer du fait des menaces proférées à l’encontre du juge qui l’instruit7. A cela se rajoute les accusations récentes d’évasion fiscale portées contre un proche des Kirchner, Lázaro Báez.
De même, les Kirchner sont souvent pointés du doigt pour leur patrimonialisation du pouvoir et leur dérive autoritariste. Dans un pays certes marqué par le péronisme et la personnalisation du régime, ce couple incarne véritablement la politique du pays. Leurs pratiques du DNU (Décrets de nécessité et d’urgence) alimentent les critiques car ces décrets permettent de contourner le pouvoir législatif du Congrès. De même, arrivé au pouvoir largement du fait du prestige acquis par son mari, Cristina souhaite briguer un 3ème mandat consécutif à la présidence argentine. Cette dernière a tenté de contourner l’interdiction constitutionnelle par le vote de la « loi de démocratisation de la justice » avant qu’elle soit déclarée inconstitutionnelle par la Cour Suprême il y a quelques mois. Enfin, les médias argentins n’ont de cesse de noter l’influence grandissante prise par le fils Maximo Kirchner et son mouvement de jeunesse : La cámpora dans le pays. Le jeune et nouveau ministre de l’économie argentine Axel Kicillof est issu de la cámpora si bien que ce mouvement travaille lentement afin d’assurer une succession à Cristina Kirchner et au mouvement politique Kirchnériste.
Ces faits tangibles illustrent bien le décalage qui peut exister entre ce que la présidente cherche à incarner et une réalité qui s’avère être moins glorieuse. À côté de la femme populiste qui incarne les espoirs de la classe populaire subsiste une autre « femme politique froide et hautaine (…) éloignée des désirs de la majorité »8
UN CHANGEMENT DE STYLE RÉCENT ?
Le 4 et 5 décembre dernier, Cristina Kirchner est officiellement réapparue à la télévision argentine après avoir observé un temps de repos du fait de problèmes de santé contractés après une chute lors de la campagne des dernières législatives. Cette apparition télévisuelle a marqué car Cristina Kirchner a voulu témoigner d’un changement. Changements au sein du gouvernement notamment par la nomination du nouveau ministre de l’économie, Axel Kicillof9 comme d’un changement vestimentaire. Pour la première fois depuis des années, Cristina Kirchner est apparue sous une couleur autre que noire ; le blanc.
De même, le 7 mars dernier a été lancé le programme Progresar10 à destination des étudiants entre 18 et 24 ans sans-emplois, travaillant « au noir » ou percevant un salaire inférieur au minimum vital. Cette allocation donne notamment le droit à une aide mensuelle de 600 pesos.
Cristina Kirchner initierait-elle un revirement spectaculaire de style comme de politique. Une chose est néanmoins certaine, drapée « d’un blanc de résurrection » Cristina reste fidèle à sa ligne économique et politique interventionniste.
Fabien Segnarbieux
Précédents articles consacrés à l’Argentine :
→ Boyer Antoine, « Le Kirchnérisme à l’épreuve de la mémoire, 26 février 2014
http://classe-internationale.com/2014/02/26/dossier-argentine-le-kirchnerisme-a-lepreuve-de-la-memoire/
→ Segnarbieux Fabien, « L’Argentine des Kirchner », 28 janvier 2014
http://classe-internationale.com/2014/01/28/dossier-largentine-des-kirchner/
Pour aller plus loin :
→ Vommaro Gabriel, « La construction du péronisme national-populaire par les époux Kirchner en Argentine » in Georges Couffignal (dir.), Amérique latine : Une Amérique latine toujours étonnante, Paris, IHEAL, 2012
→ Pouyat Alice, « Question sur la fortune des Kirchner », lefigaro.fr, 15 mai 2013
(consulté le 18 mars 2014)
http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/15/01003-20130515ARTFIG00499-questions-sur-la-fortune-des-kirchner.php
→ « La présidente argentine Cristina Kirchner n’avait pas de cancer, lemonde.fr, 07 janvier 2012
(consulté le 16 mars 2013)
http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2012/01/07/la-presidente-argentine-cristina-kirchner-n-avait-pas-de-cancer_1627116_3222.html
1. Vommaro Gabriel, « La construction du péronisme national-populaire par les époux Kirchner en Argentine » in Georges Couffignal (dir.), Amérique latine : Une Amérique latine toujours étonnante, Paris, IHEAL, 2012
2. María Eva Duarte de Perón dite Evita Perón (1919-1952) est une chanteuse populaire argentine qui fut l’épouse du colonel Juan Perón (Président d’Argentine de 1946 à 1954 et de 1973 à 1974). Engagé politiquement auprès de son mari, elle fut une icône populaire du fait de ses engagements pour les femmes comme les classes défavorisées. Sa mort prématurée (du fait d’un cancer) en fit une des icônes les plus populaires d’Argentine.
3. Gutierrez Alfredo, « Las dos caras de Evita que cambian de acuerdo al discurso de Cristina », Clarin, 12/03/12 (vu le 14 novembre 2013) http://www.clarin.com/politica/Evita-cambian-acuerdo-discurso-Cristina_0_662333785.html
4. Buchet Jean-Louis,« Argentine : « Cristina », nouvelle Evita ? », RFI, 07/01/12 (vu le 14 novembre 2013) http://www.rfi.fr/ameriques/20120107-argentine-cristina-kirchner-evita
5. Isabel Martínez de Perón (1931-) est la troisième épouse du président Juan Domingo Perón et fut la première femme présidente de l’Argentine (du 1er juillet 1974 au 24 mars 1976). Elle succéda pour la fin du mandat, en tant que vice-présidente élue, à son mari mort en exercice.
6. On diagnostiqua à Cristina Kirchner un cancer de la thyroïde en décembre 2011. L’opération qui en suivi permit d’établir que les cellules n’étaient cependant pas cancéreuses. L’annonce du cancer alors que Cristina venait juste de commencer son mandat présidentiel créa une vive émotion en Argentine comme dans le reste de l’Amérique latine.
7. Pouyat Alice, « Question sur la fortune des Kirchner », lefigaro.fr, 15 mai 2013 (consulté le 05 décembre 2013) http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/15/01003-20130515ARTFIG00499-questions-sur-la-fortune-des-kirchner.php
8. Vommaro Gabriel, « La construction du péronisme national-populaire par les époux Kirchner en Argentine » in Georges Couffignal (dir.), Amérique latine : Une Amérique latine toujours étonnante, Paris, IHEAL, 2012
9. Alex Kicillof est l’économiste keynésien derrière les dernières politiques économiques de Cristina Kirchner
10. « Programa de Respaldo a Estudiantes de Argentina »
Une précision au sujet du Ministère du Développement Social, la symbolique d’Evita est présente sur sa façade même.
Il y a en effet deux portraits. Sur la face nord dirigée vers les quartiers riches de Buenos Aires, un visage apaisé de conciliation envers les classes supérieures.
Sur la face sud dirigée vers les quartiers pauvres, un visage combatif de lutte pour les classes populaires.