Il y a eu Dennis Rodman, le basketteur professionnel, ou encore Eric Schmidt, le Président exécutif du conseil d’administration de Google. C’est à se demander si le nouveau Chef suprême nord-coréen ne serait pas à la recherche de nouveaux amis malgré les multiples menaces qui émanent régulièrement du régime.
En novembre dernier, la Corée du Nord montrait un certain désir de rapprochement avec son voisin russe, comme le rapportait le Korea Times. Le 19 novembre, un proche de Kim Jong-Un a ainsi rencontré Vladimir Poutine, soulignant son souhait de renforcer les liens bilatéraux entre les deux pays dans les domaines politique, économique et militaire. Le dirigeant nord-coréen sera d’ailleurs invité par le président russe à la commémoration de la victoire sur l’Allemagne nazie en 2015 à Moscou. Au-delà du fait d’avoir partagé historiquement une idéologie commune, la Russie est aujourd’hui également mise à l’écart de la communauté internationale du fait du conflit ukrainien. Cette nouvelle est intervenue dans un contexte particulier ; les Nations Unies avaient approuvé la veille un rapport d’enquête de la commission chargée d’étudier la question des crimes contre l’humanité en Corée du Nord.
S’il est important de souligner l’atrocité de ces crimes, il est également intéressant de relever les attitudes russe et chinoise qui se sont abstenues de voter cette résolution de l’Assemblée Générale. Les deux grands alliés de la République Populaire Démocratique de Corée ont toujours cherché à favoriser le dialogue avec le régime en l’incluant à leurs échanges. En mai 2014, Vladimir Poutine ratifiait une loi annulant la quasi-totalité de la dette de 11 milliards de dollars que la Corée du Nord devait à la Fédération russe. L’agence de presse officielle nord-coréenne KCNA précisait que ceci visait à « renforcer les relations économiques et la coopération entre les deux pays ». De même, la Chine bénéficie de la zone économique spéciale de Rason à la frontière où les salaires sont trois à six fois moins élevés. Cette position divergente pourrait être considérée comme un affront envers la communauté internationale et un frein à la recherche d’une solution à la question coréenne. Les négociations de paix impliquent en effet ces deux géants, aux côtés des deux Corées, des États-Unis et du Japon. Les faits montrent cependant que leurs positions successives en faveur du sud ont eu des effets inattendus.
La position ferme des États-Unis d’Amérique depuis la guerre de Corée est en partie responsable des menaces nord-coréennes. En 2013, Pyongyang publiait par exemple une vidéo de New York en flammes, détruite par le feu nucléaire. Cette propagande jugée provocante par la communauté internationale est la réponse à certains responsables américains évoquant l’idée de l’utilisation de l’arme atomique à l’encontre du nord. Au plus fort de la guerre de Corée (1950-1953), le général Douglas Mac Arthur envisageait en effet l’utilisation d’une trentaine de têtes nucléaires, allant même jusqu’à demander l’autorisation au Pentagone. Les révélations polémiques de l’ancien Secrétaire d’état à la Défense de 2011 à 2013, Leon Panetta, dans son livre Worthy Fights: A Memoir of Leadership in War and Peace, paru en octobre dernier, ont également eu l’effet d’une bombe ; le général Skip Sharp, aujourd’hui en charge de la péninsule coréenne n’exclut pas lui non plus l’usage du feu atomique s’il fallait défendre la République Coréenne. Enfin, lorsque dans son discours sur l’état de l’Union en 2002, George W. Bush stigmatisait la RPDC comme pays membre d’un “axe du mal”, le repli nord-coréen et les menaces reprenaient de plus belle.
Face à des positions fondamentalement opposées, la Corée du Sud a envisagé séparément les voies coercitives et celles de la coopération. Ainsi de 1998 à 2002, sous la présidence de Kim Dae-Jung (en fonction de 1998 à 2003), la République de Corée a cherché à trancher avec plusieurs décennies de froid diplomatique en développant des liens forts grâce à sa politique du “rayon de soleil” (햇볕 정책, Haetbyeot jeongchaek). Plutôt que de chercher à absorber le Nord en lui imposant un modèle, le Sud a préféré favoriser la coopération par tous les moyens. Pendant cette période, les échanges ont plus que triplé pour atteindre 700 milliards de dollars en 2002. De même, alors qu’aucun accord économique n’avait été signé par le gouvernement précédent, l’administration de Kim Dae-Jung était parvenue à signer 40 accords bilatéraux, comme la zone de coopération économique à la frontière intercoréenne du parc industriel de Kaesong. L’effet positif de cette politique a valu au président sud-coréen l’attribution du Prix Nobel de la Paix en 2000, la même année où il parvenait à réunir des familles séparées par la partition du pays.
Pour ses détracteurs, la politique du rayon de soleil a cependant eu pour effet de décrédibiliser la Corée du Sud. Bien que celle-ci spécifiait le caractère intolérable d’une provocation armée du Nord, elle s’est traduit par une baisse de la part du budget de la défense dans le PIB du Sud.
L’inverse de cette position officielle s’est donc produit : tandis que le Nord profitait des nouveaux accords économiques, le Sud reposait davantage sur le parapluie militaire américain. Les déclarations du Président Bush ont conduit le gouvernement sud-coréen à progressivement abandonner cette politique de coopération pour favoriser la politique coercitive qui caractérise aujourd’hui la présidence de Park Geun-Hye (en fonction depuis le 25 février 2013).
L’attitude à adopter dans le dossier coréen dépend évidemment des volontés du Nord qui se replie de plus en plus dans son idéologie du “Juche”. Cette idéologie consiste à viser une indépendance politique, économique et militaire, mise en avant par le biais de la propagande. Mais il est important de garder à l’esprit la différence entre l’idéologie officielle de la RPDC qui conduit le pays à l’isolationnisme et les volontés réelles des hauts dignitaires du parti. Cette dichotomie entre l’officiel et l’officieux est peu souvent établie, mais semble essentielle afin de comprendre la vision à long terme de la famille Kim pour la Corée du Nord. D’un côté, l’idéologie prône l’idée d’une Corée unie et érige l’aigle américain en colon impérialiste. La lutte du parti est donc principalement motivée par une libération du Sud des griffes américaines. De l’autre côté, l’ancien Chef suprême Kim Jong-Il (en fonction de 1997 à 2011) avait exprimé son souhait de voir les troupes américaines demeurer sur la péninsule tant elles contribuent à sa stabilité. Ses voyages en Chine et en Russie à l’époque de la politique du rayon de soleil ont montré son intérêt pour la réforme de l’économie du Nord, tout en cherchant à conserver le socialisme, sur le modèle de la Chine au début de ses efforts de restructuration.
Les universitaires américains Tae Hwan Kwak et Seung Ho Joo estiment aujourd’hui, malgré la mise à l’écart de la Corée du Nord, que la coopération est le seul moyen pour régler la question coréenne. L’attitude du Chef suprême Kim Jong-Un est aujourd’hui la réponse du Nord aux politiques coercitives des États-Unis et de leurs alliés. Cependant, les changements idéologiques perceptibles au début des années 2000 chez les hauts dignitaires de la RPDC, sous l’influence de la politique du “rayon de soleil”, se sont traduits par une certaine libéralisation économique. Les anciens échecs en matière de réunification étaient dus à une politisation excessive de la politique extérieure sud-coréenne et à une instrumentalisation du conflit par les États prenant part aux négociations. Plutôt que de chercher à absorber le Nord unilatéralement, peut-être faudrait-il chercher à davantage développer les partenariats économiques que le Nord entretient avec ses partenaires, à commencer par son voisin du Sud.
Bibliographie complémentaire
- The Korean Peace Process and the Four Powers, 2003, Tae Hwan Kwak, Seung Ho Joo
- Essai de la LSE par Pearl Jinju Kwon, The re-evaluation of the sunshine policy : failure or success
Alexandre Verpoort
Très intéressant. L’article donne envie d’en savoir plus.