Le référendum sur l’accord de paix, rejeté à 50,2 % le 2 octobre, a douché les espoirs de voir la réconciliation politique du pays se réaliser dans un futur proche. Retour sur le résultat de ce vote et décryptage des solutions d’avenir pour le pays.
La signature de l’accord de paix le 24 août dernier semblait annoncer une éclaircie dans le ciel politique colombien, après près d’un demi-siècle de conflit. C’était sans compter la surprise que fut le résultat du référendum auquel était soumis le pays. Derrière l’incompréhension internationale, les tensions politiques, sociales et géographiques qui scindent le pays sont exposées au grand jour (1).
Blocage politique et idéologique
Les partisans du “NO“ jugent l’accord de paix trop laxiste concernant les sanctions prévues envers les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Le texte de 297 pages prévoit une amnistie envers les combattants des forces révolutionnaires dans le but de construire un projet politique viable. La campagne pour le “ NO “ menée par l’ancien président Alvaro Uribe, s’est construite autour de plusieurs points d’achoppement.
Le premier concerne l’appareil de justice prévu pour les combattants révolutionnaires. “C’est le principal sujet de polémique entre les opposants à l’accord et ses partisans” souligne El Espectator (2). La création d’une “ juridiction spéciale pour la paix “ prévoyait d’une part des indemnisations pour les victimes et d’autre part des peines substitutives à la prison pour ceux qui reconnaîtront leurs actes, de la prison ferme pour ceux qui ne le feraient pas. Selon Daniel Pécaut, directeur d’études à l’EHESS, “ une certaine impunité, avec une justice aménagée de type transitionnelle pour les ex-FARC… “ qui est insupportable pour une partie de la population, et surtout des proches de victimes du conflit (3). “Le pays ne peut pas oublier la douleur de toutes ces années de guerre” explique une Colombienne dans BBC Mundo (4).
Le second point de blocage est la réinsertion des anciens membres des FARC à la vie civile et politique. Si la Colombie a mis en place depuis 1990 un programme ayant permis de démobiliser 59.000 combattants, l’hostilité vis-à-vis des FARC reste forte dans le pays.
Un autre argument d’ordre idéologique inattendu est venu agiter le débat. Les opposants à l’accord de paix se sont érigés contre “ le risque d’imposer la “théorie du genre” “ (5). Mais quelles sont les raisons qui ont soulevé cet argument ? L’inclusion des différents genres dans l’accord de paix “ des paysans, des paysannes”, “ tous et toutes”, ainsi que la prévision de droits pour la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués) saluée par la communautée internationale, ont déclenché l’opposition des milieux religieux. “ J’ai voté non parce-que je ne veux pas que la Colombie tombe dans les griffes de l’athéisme, du communisme et du pouvoir homosexuel” a tweeté Marco Fidel Ramirez, pasteur évangélique. Deux mois après le débat virulent au sujet de la légalisation du mariage pour tous, l’Eglise catholique et les évangéliques sont repartis en campagne d’opposition.
Par ailleurs, une possible pacification amènerait vers la voie de réformes sociales, que craignent les élites du pays, selon l’analyse de Daniel Pécaut. Dans l’accord de paix, une réforme agraire était effectivement prévue, pour mettre en place une répartition des terres et l’accès au crédit dans les zones de conflit. Un aspect de l’accord contesté par Alvaro Uribe, ancien président, lui-même grand propriétaire foncier. Si les partisans du “ NON “ ont choisi cette voie, le résultat du scrutin n’est pourtant pas représentatif de l’ensemble de la population.
Abstention, météo et désintérêt
L’abstention (62,6%) a été largement pointée du doigt par l’opinion publique internationale. Si celle-ci a été encore plus élevée que lors de précédents scrutins, il faut souligner que plusieurs facteurs peuvent expliquer ce chiffre.
Un premier, d’ordre météorologique, est venu perturber le déroulement du référendum. L’ouragan Matthew, qui a sévi près des côtes colombiennes, a empêché le déplacement des populations de la côte caribéenne, plus favorables au oui, de venir exprimer leur voix.
D’autre part, les différents représentants des formations politiques du pays ne se sont pas autant investis que lorsqu’il s’agit de scrutins qui sanctionnent ou consolident leur politique, autrement dit qui servent leurs intérêts. Il a fallu en plus, dans certaines régions, payer le bus des électeurs pour venir voter, ce qui a pu en rebuter plus d’un (6). La géographie de la répartition des votes permet de saisir les disparités qui fractionnent la société colombienne. Dans les zones les plus touchées par le conflit, le “OUI” était majoritaire. C’est le cas à Choco, où le “ OUI “ l’a emporté à 79%.
Source : Le Journal de Notre Amérique n°18, octobre 2016, Investig’Action
Enfin, le troisième facteur qui éclaire les raisons d’une faible participation est d’ordre géopolitique : la majorité de la population colombienne s’est sentie à l’écart des négociations de l’accord de paix, signé le 26 septembre à La Havane, située à plus de 2000 kilomètres de Bogota. Piloté par l’actuel président Juan Manuel Santos, soutenu par le Venezuela, le Chili, la Norvège et Cuba, l’accord de paix a été décidé entre les dirigeants, sans concerter au préalable la population sur les termes du texte. L’enjeu économique du pays, que convoitent notamment les Etats-Unis était également un aspect dont la population était consciente (7).
Et maintenant ?
Malgré l’échec du référendum, Juan Manuel Santos a affirmé vouloir maintenir le cessez-le-feu bilatéral mis en place le 29 août. De leur côté les FARC ont aussi réitéré leur souhait de poursuivre dans cette voie “ … l’accord de paix signé le 26 septembre à Carthagène (…) reste valable juridiquement et qu’il appartient au gouvernement de trouver une issue politique à la crise ” (8). Une tâche bien difficile à laquelle s’attèle le président Santos. Ariel Avila, chercheur et analyste du conflit de l’Observatoire de la paix et de la réconciliation explique qu’il “ faut trouver une feuille de route, trouver une voie, faire pression sur le Centre démocratique” (9).
Le Congrès pourrait passer en force en ratifiant l’accord, sans prendre en compte le vote, mais ce serait une solution politiquement très risquée. D’autres voies sont possibles, et ont été évoquées dans l’accord de paix. La création d’une assemblée constituante, depuis longtemps évoquée par les forces révolutionnaires permettrait de “ représenter les populations les plus marginalisées et les plus affectées qui n’ont même pas accès au vote “oui” ou “non” “ (10).
Dans une tribune publié le 27 septembre dans Entre Linéas, Dayana Martinez se désole d’un “projet hypocrite” fustigeant un accord peu démocratique, emprunt de corruption et de mensonges. Elle soulève des interrogations quant aux causes profondes des clivages au sein de la société colombienne. Elle regrette aussi que “ les responsables politiques veulent entrer dans les livres d’histoire”. (11)
Elections et stratégie : Uribe, acteur central
L‘ancien président Alvaro Uribe reste à cet égard un acteur central de la politique du pays. Afin de mieux saisir les enjeux de l’implication d’Alvaro Uribe, un article tiré de Le journal de notre amérique intitulé Pourquoi le peuple de Colombie a-t-il voté Non aux accords de paix ? met en lumière des clefs d’analyses intéressantes. A un an et demi de la prochaine élection présidentielle, sa position semble se dessiner clairement à travers l’enjeu de ce référendum. Dans la course à la présidentielle, il s’oppose frontalement à Juan Manuel Santos, son ancien conseiller et actuel président. Alavaro Uribe est, pour sa part, opposé à l’entrée des FARC dans la vie politique du pays, qui est prévue dans l’accord de paix. L’assassinat de son père par le groupe révolutionnaire, il y a 19 ans, contribue à nourrir son hostilité envers eux. A cet égard, les élections législatives prévues pour 2018 sont vues comme une porte ouverte pour les FARC qui obtiendraient dix sièges au Parlement, si l’accord avait été ratifié par le peuple. L’enjeu des élections, présidentielles et législatives futures, agitent les deux clans, qui cherchent à tirer profit de l’issue de ce référendum. Le président actuel en ressort tout de même plus renforcé par les soutiens internationaux dont il dispose.
Prix Nobel de la paix : quelle valeur ?
Malgré ce revers électoral symbolique pour Juan Manuel Santos, le prix Nobel de la paix lui a été décerné vendredi 7 octobre. “Les grands leaders travaillent pour la paix, contre vents et marées, jusqu’au dernier jour de leur vie” tweetait dimanche soir, le président colombien, encore animé d’espoir avant les résultats. Ce titre devrait, sinon le créditer d’un regain de popularité, du moins le parer d’une reconnaissance symbolique qui légitime son action aux yeux de la communauté internationale. Suite à l’annonce de cette distinction, les négociations qui étaient en cours ce matin là , ont permis de mettre en place un nouveau protocole qui a pour but de prévenir les incidents et de maintenir la sécurité. C’est le premier résultat des pourparlers qui ont repris lundi (12).
Difficile d’évaluer aujourd’hui l’impact qu’aura ce prix Nobel de la paix sur la poursuite des négociations et sur la réconciliation nationale tant espérée. Rien n’est sûr tant les résultats du référendum ont rendu la situation aussi complexe qu’incertaine.
Auriane Guerithault
(1) France Culture – Concordance des temps – “ En Colombie : les flux et les reflux d’un peuple déchiré”
(2), (4), (10), (11) Courrier International – n°1353 du 6 au 12 octobre 2016
(3) Le Monde “ Pourquoi la Colombie a voté “non” à l’accord de paix avec les FARC”
(5) Le Monde, édition du 7 octobre 2016, p. 3
(6) Le Monde, édition du 4 octobre 2016, p. 4
(7) Mediapart “ Pourquoi l’échec du référendum en Colombie”, 8 octobre 2016
(8) Le Monde, édition du 5 octobre 2016
(9) L’Obs, “ Colombie : le Nobel, un message aux Colombiens pour parvenir à la paix”
(12) Verdadabierta “ La apuesta para mantener el cese bilateral del fuego”, 7 octobre 2016
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