2020. L’année qui a bouleversé les États-Unis – Épisode 4 : L’élection du 3 novembre 2020, le scrutin qui ébranle l’Amérique
Au soir de l’élection, l’Amérique est déchirée. Déchirée par les violences raciales. Déchirée par la posture indigne et les frasques incessantes de son président. Déchirée aussi par une crise sanitaire sans pitié qui a profité de l’indifférence de la Maison-Blanche pour endeuiller le pays tout entier. Voilà l’état dans lequel se trouve l’Amérique au soir du 3 novembre. Les Américains ont l’avenir de leur pays entre les mains : opter pour le statu quo, au risque, sans doute, de voir leur pays sombrer un peu plus chaque jour dans les abysses de la démagogie ou préférer la raison et l’espoir d’un lendemain meilleur. Autant le dire tout de suite, cette seconde option n’est pas le désir de bon nombre d’électeurs, qui trouvent leurs intérêts dans le projet porté par le président sortant. Pourtant, Donald Trump s’est affirmé au fil des mois comme un président hors-sol, incapable de gérer l’épidémie de Covid-19 qui, au moment du scrutin, a coûté la vie à plus de 230 000 Américains et en a contaminé près de 10 millions. Jamais il n’a pris la mesure de la gravité de la situation, enchaînant mensonges et contrevérités à longueur de journée. Face à lui, l’ancien vice-président Joe Biden s’est posé en candidat de la raison en promettant de soigner l’Amérique et rassembler ses habitants. Le décor est planté. Il ne reste plus que la vox populi pour décider du reste. Retour sur une élection unique qui aura usé du papier, fait beaucoup parler et eu le mérite de montrer qu’au pays de l’Oncle Sam tout peut arriver, même l’impensable.
- Les caractéristiques d’une soirée électorale américaine
On le sait, les résultats des élections présidentielles aux États-Unis ne sont pas connus avant plusieurs heures voire plusieurs jours, et ce pour trois raisons. La première est logistique. En effet, des milliers de volontaires à travers le pays doivent dépouiller plusieurs dizaines de millions de bulletins sur lesquels sont inscrits non seulement le nom des candidats à la présidence mais aussi ceux des candidats au Congrès et/ou à des fonctions locales (gouverneur, shérif, maire). Le fait que chaque État dispose de règles électorales différentes contribue à rallonger le processus. S’ajoutent à cette complexité cette année les votes par correspondance qui prennent plus de temps à être comptabilisés que les bulletins normaux puisqu’ils peuvent parvenir dans certains Etats jusqu’à trois jours après la date du scrutin. La deuxième raison est ensuite géographique. Le pays s’étale sur quatre fuseaux horaires (six si l’on prend l’Alaska et Hawaï) si bien que lorsque les chaînes nationales de télévision, basées pour la grande majorité sur la côte Est, prennent l’antenne vers 18 heures, heure à laquelle sont dévoilées les premières estimations, elles doivent attendre le début de la nuit pour avoir les résultats de la côte Ouest. Autrement dit, lorsque les premiers résultats de Californie, de l’Oregon ou encore de l’Utah tombent vers 18 heures (heure locale), il est 21 heures à Washington et New York où se trouvent les locaux des chaînes de télévision. La troisième raison, enfin, est la nature du système électoral américain. Les États les plus peuplés sont non seulement ceux qui offrent le plus de grands électeurs mais sont aussi souvent considérés comme des swing states. Bien que la Californie, qui offre le plus de grands électeurs (55), se trouve sur la côte Ouest, elle est acquise à la cause des démocrates depuis l’élection de 1992. Les médias américains n’ont donc pas à patienter très longtemps pour connaître le sort de cet État. En revanche, il en est autrement pour la Floride, le Michigan, la Pennsylvanie ou encore le Wisconsin qui sont des États à la fois très denses et qui changent souvent de couleur politique d’un scrutin à l’autre. C’est la raison pour laquelle ils sont étiquetés comme États-clés. Il est difficile de se projeter sur ces États car l’écart de voix y est souvent très faible. Il faut donc attendre plusieurs heures, voire plusieurs jours, pour avoir les résultats de ces États, même s’ils se trouvent à l’Est.
Aux États-Unis, les soirs d’élections, aucun organisme fédéral officiel, ni aucune commission électorale nationale ne donnent les résultats du scrutin. Les Américains s’en remettent aux médias ou plus exactement à certains d’entre eux, dont la précision et la fiabilité ont fait leurs preuves au fil des années, pour en connaître le dénouement. Si leurs projections n’ont aucune validité juridique, il est de coutume que ces derniers annoncent le nom du vainqueur. D’ailleurs, les candidats eux-mêmes se fondent sur ces données pour revendiquer leur victoire ou concéder leur défaite. En 2016, par exemple, Hillary Clinton avait appelé Donald Trump sur la base des projections médiatiques pour le féliciter. Toutefois, il se peut aussi que certains médias s’avancent prématurément ou se trompent, comme ce fût le cas en 2000. Lors de la bataille du décompte des voix entre George W. Bush et Al Gore, qui avait duré des semaines et été tranchée par la Cour suprême, des médias avaient attribué prématurément, dans la soirée, la victoire au candidat républicain ; une décision qui, avant qu’il ne se rétracte, avait amené Al Gore à concéder sa défaite. Depuis 1848, c’est l’Associated Press (AP) qui est l’unique organe de presse habilité à collecter et vérifier les résultats des élections présidentielles. Reconnu pour son intégrité et son exactitude, AP s’appuie sur des sondages à la sortie des urnes mais aussi sur un solide réseau de journalistes locaux ayant une connaissance parfaite du terrain et qui entretiennent des relations de longue date avec les greffiers des comtés et d’autres responsables locaux. En 2000, l’agence de presse avait fait le choix de ne pas se prononcer en raison de l’incertitude du vote. En 2016, alors que la majorité des médias estimait qu’une victoire de Donald Trump était impossible – Reuters avait par exemple évalué à 95% les probabilités de victoire d’Hillary Clinton –, l’Associated Press a été en mesure de donner le soir du scrutin les résultats de chaque État sans se tromper une seule fois. Réunis en consortium, ABC News, CBS News, CNN et NBC News s’appuient, quant à eux, uniquement sur des sondages sortis des urnes. C’est ce qui explique par exemple la différence du nombre de grands électeurs qu’avait Joe Biden au cours de la soirée. AP avait en effet attribué l’Arizona au candidat démocrate, ce qui n’était pas le cas des autres médias.
- 2020, une élection pleine de rebondissements et au dénouement interminable
Mardi 3 novembre donc. Jour d’élection aux États-Unis. Les Américains sont appelés aux urnes pour choisir leurs représentants au Congrès, une partie de leurs sénateurs et de leurs gouverneurs, et dans certains États comme l’Oregon et le New Jersey, s’exprimer sur la légalisation de certaines drogues. Mais plus que tout, les Américains doivent élire leur prochain président. Cette journée vient conclure dix mois d’une campagne électorale usante, parfois violente et qui n’a certainement jamais été aussi clivante dans l’histoire du pays. Malgré la crise sanitaire, les instituts de sondage avaient prédit un taux de participation record. Ils ne s’étaient pas trompés. Près de 155 millions d’Américains se sont rendus aux urnes cette année. Jamais autant d’électeurs ne s’étaient mobilisés pour une élection présidentielle américaine. D’ailleurs, les deux candidats ont pulvérisé le record du nombre de suffrages populaires, établi par Barack Obama en 2008 (69 millions). Joe Biden a ainsi récolté plus de 80 millions de voix (51%) contre 74 millions pour Donald Trump (47%), qui est parvenu tout de même à mobiliser 12 millions d’électeurs supplémentaires par rapport à 2016. À titre de comparaison, Barack Obama avait perdu 5 millions d’électeurs entre 2008 et 2012. Cette participation record atteste à la fois de la volonté profonde d’en finir avec ces quatre années de présidence chaotique et témoigne de l’adhésion massive au trumpisme au sein d’une frange importante de la société américaine. Le vote par correspondance, tant décrié par Donald Trump, qu’il accuse de favoriser la fraude électorale, a été massivement utilisé, Covid-19 oblige. Le recours à ce système a été tel qu’il a représenté plus des deux tiers des bulletins dépouillés. En effet, plus de 100 millions d’Américains ont voté par correspondance. Quant au taux de participation évoqué à l’instant, il s’élève à 66,9%, soit une hausse de 11 points par rapport à l’élection de 2016. Jamais une élection n’avait été aussi vive et mobilisatrice depuis celle de 1900 entre William McKinley et William Jennings Bryan, à l’occasion de laquelle 73,7% de la population s’était rendue aux urnes. Or, à l’époque, la population américaine était de 76 millions d’habitants, soit quatre fois moins que la population actuelle.
Que doit-on retenir des résultats de cette élection ? Alors qu’on aurait pu penser qu’une partie de l’électorat républicain se détourne de Donald Trump au profit de Joe Biden, notamment en raison de la gestion de la Covid-19, ce scrutin n’a rien d’inédit. Il n’a pas dérogé aux traditions électorales du pays : les États historiquement démocrates sont restés démocrates et les États historiquement républicains sont restés républicains. Ainsi, la région des Appalaches (Connecticut, Delaware, District de Columbia, Maine, Maryland, Massachusetts, New Hampshire, New Jersey, New York, Rhode Island, Vermont), au Nord-Est, a été attribuée sans surprise à Joe Biden, ces États votant démocrate à la présidentielle depuis maintenant une trentaine d’années. Rien d’étonnant non plus quand les États du Sud (Alabama, Caroline du Sud, Louisiane, Mississippi, Tennessee, Texas) ont été projetés en faveur de Donald Trump. Les régions des grandes plaines et des montagnes rocheuses (Dakota du Nord, Dakota du Sud, Kansas, Oklahoma, Nebraska, Montana, Wyoming), sont, elles aussi, restées logiquement aux mains des républicains, à l’exception du Colorado. Les résultats des États de la côte Ouest (Californie, Oregon, Washington) ont, quant à eux, accordé comme d’habitude, depuis maintenant près de trente ans, leur confiance aux démocrates avec, selon l’État, une différence de 15 à 30 points par rapport au candidat républicain. Bref, jusque-là, rien d’exceptionnel. Les deux candidats étaient au coude-à-coude en termes de grands électeurs et les résultats des swing states, situés principalement dans la région du Midwest, n’étaient pas encore tombés.
Les choses ont commencé à devenir intéressantes vers 00h30, heure de la côte Est, lorsque les résultats de la Floride sont parvenus au compte-goutte. Cet État, qui a été au cœur de la campagne des deux candidats, est l’État pivot par excellence. D’élection en élection, il balance entre démocrates et républicains. Et finalement, comme il y a quatre ans, Donald Trump est parvenu à le conserver, décrochant ses 29 grands électeurs, avec une marge trois fois plus importante qu’en 2016. Empocher cet État est devenu presque indispensable pour gagner une élection. De quoi donner des sueurs froides à l’équipe de campagne de Joe Biden qui recevait dans le même temps les premières estimations des États-clés de la Rust Belt (Michigan, Pennsylvanie, Wisconsin), cette région industrielle que Donald Trump avait remporté il y a quatre ans et qui semblait de nouveau le donner en tête. Le cauchemar d’un remake de 2016 pointait le bout de son nez, d’autant plus que le président américain remportait l’Ohio et ses 18 grands électeurs, un État-clé qui suscite la superstition puisque, depuis 1944, il a toujours voté pour le futur président, à l’exception de 1960. Alors que quatre ans plus tôt, la soirée électorale s’était achevée aux alentours de 3 heures du matin par une victoire incontestable d’un point de vue constitutionnel de Donald Trump, cette année, les médias américains étaient toujours en breaking news à cinq heures du matin, à attendre les résultats de six États déterminants. La victoire surprise de Joe Biden en Arizona (11 grands électeurs), qui n’avait plus voté pour un candidat démocrate depuis 1996, a permis aux démocrates de reprendre espoir. Ce sera la dernière estimation de la soirée puisque les autorités de Caroline du Nord, de Géorgie, du Michigan, du Nevada, de Pennsylvanie et du Wisconsin ont pris la décision de reprendre les dépouillements le lendemain. Joe Biden et Donald Trump disposaient respectivement au petit matin de 238 et 213 grands électeurs, la majorité étant à 270.
L’avance du président Trump dans la Rust Belt s’est vite apparentée à un mirage rouge plus qu’au dessin d’une victoire. Ce phénomène s’explique par le fait que seul un quart des républicains a recouru au vote par correspondance contre près de la moitié des démocrates, selon un sondage Ipsos. De fait, les premiers résultats sortis des urnes ont mis en lumière une surreprésentation des électeurs du Grand Old Party puisqu’ils ont été majoritaires à se déplacer dans les bureaux de vote le jour de l’élection. Cependant, compte-tenu du délai nécessaire pour dépouiller les votes par correspondance, qui, dans certains États comme la Pennsylvanie, pouvaient être réceptionnés jusqu’au vendredi suivant le jour de l’élection, le décompte des voix au cours des journées qui ont suivi le 3 novembre a fait pencher la balance du côté de Joe Biden ; c’est ce que le professeur Edward B. Foley, spécialiste américain du droit électoral, appelle le blue shift, c’est-à-dire le virage bleu. C’est ainsi que dès le lendemain après-midi, le Wisconsin puis le Michigan, initialement en faveur de Donald Trump, ont été attribués à Joe Biden, qui faisait désormais la course en tête avec 264 grands électeurs. Six de plus et l’affaire était pliée. Cependant, rien n’était joué. Le président américain pouvait encore rêver d’un deuxième mandat s’il l’emportait en Caroline du Nord (15 grands électeurs), en Géorgie (16) et en Pennsylvanie (20) où il bénéficiait d’une avance relative. C’était là aussi sans compter les votes par correspondance puisque les démocrates ont pu revenir petit à petit dans la course et réduire l’écart. Les résultats étant trop serrés pour déterminer un quelconque gagnant, ce processus a mis au total quatre jours avant que les médias soient en mesure de dévoiler le nom du vainqueur. De plus, dans certains États, comme la Géorgie, la loi oblige un recomptage des voix dès lors que l’écart de voix est inférieur à 0,5%. Finalement, le samedi 7 novembre, peu avant midi, CNN a été le premier média à projeter la victoire de Joe Biden en Pennsylvanie, faisant de lui le 46e président des États-Unis. Tout un symbole pour celui qui a grandi dans cet État, berceau de la démocratie américaine où a été rédigée la déclaration d’indépendance.
Quelques jours plus tard, Joe Biden l’emportera dans le Nevada. Et ce n’est que le 19 novembre, soit plus de deux semaines après le jour du scrutin, qu’il décrochera une victoire historique en Géorgie, un État du Sud, traditionnellement républicain, que les démocrates n’avaient plus remporté depuis 1992. Cette victoire n’aurait pas été possible sans l’aide précieuse de Stacey Abrams, cette femme politique afro-américaine qui avait perdu d’un cheveu en 2018 au poste de gouverneur de Géorgie et qui a convaincu durant toute la campagne plusieurs centaines de milliers de Noirs de se rendre aux urnes pour voter en faveur de Joe Biden. Le score final est sans appel : Joe Biden remporte cette élection avec 306 grands électeurs contre 232 pour Donald Trump et plus de 6 millions de votes populaires en plus.
- Donald Trump ou le déni d’une défaite annoncée
L’analyse de ces résultats doit aussi interroger la posture de Donald Trump tout au long de cette soirée et des jours qui ont suivi. Car ce que l’on retient, outre la victoire de Joe Biden, c’est le comportement ahurissant du président déchu qui, depuis l’annonce des résultats, ne cesse de crier à la fraude électorale et refuse d’admettre sa défaite. C’est la première fois dans l’histoire américaine qu’un président battu refuse de reconnaître la victoire de son rival. Pire, un grand nombre d’élus républicains font publiquement corps, et avec complaisance, derrière Donald Trump, reprenant les mêmes éléments de langage que leur leader pour justifier cet échec. Ces derniers deviennent ainsi complices de ce scandale absolu qui ébranle aujourd’hui la démocratie américaine. Cette situation stupéfiante était pourtant si prévisible. Nous nous sommes enfermés dans notre naïveté bien-pensante en se persuadant qu’il ne mettrait pas ses menaces à exécution et que la décence, ou du moins celle de ses conseillers, l’emporterait à la fin. Erreur magistrale. Il suffisait de s’en tenir au discours de Donald Trump lui-même durant la campagne pour s’en convaincre. Il avait prévenu ses supporters que l’élection allait être truquée par les démocrates, un aveu d’échec avant l’heure. Il avait même incité ses électeurs à ne pas voter par correspondance, notamment dans l’État-clé de Pennsylvanie. Comme quoi, sur ce coup-là, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même quand on sait que ce sont ces bulletins qui ont fait basculer cet État en faveur de Joe Biden. D’ailleurs, avec le recul, si Donald Trump avait mis autant d’énergie à gérer la crise sanitaire qu’à alléguer de fausses accusations, l’épidémie aurait certainement pu être contenue et le recours au vote par correspondance limité. En définitive, Donald Trump est le seul et unique responsable de son propre échec.
Trois semaines après l’élection, Donald Trump refuse toujours de reconnaître sa défaite. Cet acharnement est caractéristique de sa personnalité narcissique. Il a grandi avec l’idée que perdre n’est pas acceptable, pas même envisageable. Or, cette défaite le fait passer pour un loser, ce qui expliquerait par la même occasion ses rares apparitions médiatiques depuis le 3 novembre. Sa nièce Mary Trump dresse d’ailleurs le portrait au vitriol d’un homme égoïste et égocentrique dans son livre Trop et jamais assez : Comment ma famille a fabriqué l’homme le plus dangereux du monde dans lequel elle fait état d’une personnalité confuse qui se sait « en train de couler et […] entraîne le pays avec lui ». Donald Trump digère d’autant moins cet échec qu’elle donne raison à ses ennemis jurés : les médias et les sondeurs qui, depuis le départ, avaient annoncé une victoire de Joe Biden. Alors pour sauver la face, il réclame à cor et à cri des recomptages dans les swing states et multiplie les recours en justice. Pas moins de trente requêtes ont été déposées pour fraude électorale. Toutes ont été rejetées, faute de preuve. Le comble est atteint lorsque les avocats de la campagne de Donald Trump se présentent devant les tribunaux et finissent par admettre que ce n’est pas une plainte pour fraude, ce qui n’a rien d’étonnant compte-tenu des conséquences juridiques qu’entrainerait le fait de mentir aux juges sous serment. Même lorsque les recomptages des voix sont menés à bien, cela ne suffit toujours pas. Donald Trump en exige un nouveau sur le champ, déblatérant les mêmes accusations tout en s’en prenant aux autorités compétentes, alors même que certaines d’entre elles sont républicaines. Jenna Ellis, une conseillère de l’équipe de campagne de Donald Trump, a rejeté le résultat du recomptage des voix en Géorgie, qui a confirmé la victoire de Joe Biden, estimant qu’il ne s’agissait que d’un recomptage de « votes illégaux ». Ces résultats ont pourtant été certifiés par le secrétaire d’État de Géorgie, Brad Raffensperger, et le gouverneur de l’État, Bryan Kemp, deux trumpistes de la première heure. Et ce n’est pas fini… Alors que la justice et les autorités de contrôle des élections affirment qu’il n’y a eu aucune fraude électorale dans le pays, le 19 novembre, lors d’une conférence de presse lunaire, Rudolph Giuliani et Sidney Powell, les avocats en chef du président, ont affirmé (encore) que Donald Trump avait largement gagné l’élection et qu’elle lui avait été volée, entre autres, par une conspiration menée par la Chine et le Vénézuéla. Et pour pousser encore plus loin l’indécence, les deux avocats ont affirmé que l’argent communiste cubain et l’ancien président vénézuélien Hugo Chavez étaient aussi derrière ce complot. Sauf que voilà, Hugo Chavez est mort en 2013. A croire qu’ils se tendent eux-mêmes le bâton pour se faire battre.
Une telle situation, que même Hollywood n’aurait pas osé imaginer dans ses scénarios, démontre l’étendue de la crise que traverse la démocratie américaine. Cette crise institutionnelle et politique est l’aboutissement de quatre années de populisme et la marque indélébile d’un président qui n’aura eu de cesse de porter atteinte aux valeurs de la démocratie américaine. Donald Trump est comme un virus. Il a contaminé la société entière jusqu’à atteindre les fondements les plus essentiels d’une démocratie avec toujours plus de mensonges, de fausses informations et de discrédit porté aux médias. Pour se rendre compte du péril dans lequel se trouve la démocratie américaine aujourd’hui, il suffit de constater le nombre d’Américains qui, par dizaines de millions, continue de soutenir coûte que coûte leur commandant en chef en embrassant ses inepties et autres thèses conspirationnistes absurdes. Le complotisme est le récit parfait dans ce grand temps d’incertitude et d’intolérance au risque. Il vient sécuriser par le pire des millions d’individus en quête de sens. Et comme il est impossible de contre-argumenter, car tout signe vient renforcer la thèse émise, le complotisme permet de donner un terrain absolu aux biais de confirmation, c’est-à-dire aux biais cognitifs qui consistent à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues. Tout ce qui sera dit, entendu ou vu viendra consolider la thèse complotiste. C’est l’une des raisons pour lesquelles Donald Trump a su rassembler autant d’Américains.
- Une transition présidentielle inédite
Face à cette situation totalement inédite, la transition présidentielle se retrouve complètement bloquée. Cette période, longue de deux mois et demi, est habituellement un moment fort de la vie démocratique américaine durant lequel les rancœurs partisanes sont mises de côté dans l’intérêt du pays et l’administration battue travaille de concert avec l’équipe entrante dans le but de faciliter la prise de fonction de celle-ci. Sont notamment portés à la connaissance du président élu les dossiers concernant la sécurité nationale. Joe Biden a dû attendre plus de trois semaines avant d’y avoir accès, et ce pour une raison très simple. La directrice de l’Administration des services généraux, Emily Murphy, est l’obstacle qui a empêché la transition de démarrer. C’est elle qui doit signer le document qui donne le coup d’envoi du processus de transition. Il s’agit de l’ascertainment qui ouvre les portes des différentes administrations aux hommes du président élu avant même son entrée officielle en fonction en janvier. Il autorise les fonctionnaires des autres services à coopérer avec l’équipe de transition, donne accès à des bureaux sécurisés pour consulter les documents confidentiels, passer des coups de fils à des dirigeants étrangers ou encore être briefé sur les dossiers sensibles relevant de la sécurité nationale. La signature de ce document débloque également environ 6 millions de dollars qui sont mis à disposition du président élu afin de lui permettre de commencer à organiser sa future administration. Jusqu’au 23 novembre, Emily Murphy s’est refusée obstinément à apposer sa signature en bas de ce document essentiel alors que c’est généralement l’un des premiers actes qui intervient après le scrutin. Cette obstination révèle en réalité que cette fonctionnaire de seconde zone est une loyaliste jusqu’au-boutiste prête à bloquer le processus démocratique dans l’unique but de plaire au président. En 2018, c’est elle qui avait bloqué le déménagement du FBI de ses locaux en plein cœur de Washington. Un changement d’adresse qui déplaisait à Donald Trump car il libérait un immeuble qui pouvait, potentiellement, être transformé en un hôtel de luxe concurrent à côté de son célèbre Trump International Hotel, l’un des joyaux de son empire immobilier, avait conclu une commission d’enquête de la Chambre des représentants. Voyez combien la dramaturgie de cette élection est bien pensée. Au-delà d’Emily Murphy, cette situation grotesque illustre à quel point un rouage de l’administration peut faire dérailler le processus démocratique américain. L’ancien sénateur républicain Tim Talent résume, non sans une pointe de condescendance, la situation : « Il est quand même insensé que, dans les faits, la responsabilité de valider le résultat de l’élection présidentielle repose sur les épaules de la personne qui s’occupe de gérer l’immobilier du gouvernement, c’est-à-dire celle qui, dans les faits, décide des fournitures à acheter pour les bureaux de l’administration ».
Avoir eu la garante de la transition présidentielle dans la poche a permis à Donald Trump de maintenir son cap et d’envisager toutes les stratégies. Constatant que les recours en justice n’aboutissaient à rien de plus que des débâcles cinglantes, le président américain n’avait plus rien à espérer par la voie légale. Aussi a-t-il choisi de tenter sa chance sur un chemin bien plus hasardeux mais là aussi à la finalité peu concluante. Une obstination qu’il faut tout de même saluer mais qui atteste avant tout de la difficulté pour les démagogues populistes comme lui d’admettre que leur fin est proche. L’idée donc de Donald Trump était d’empêcher la certification des résultats d’un État avant leur date butoir de manière à ce que ce soit aux parlements locaux, dont certains comme en Pennsylvanie ou en Géorgie sont à majorité républicaine, de nommer eux-mêmes les grands électeurs en faisant basculer le vote du collège électoral en faveur de Donald Trump, le 14 décembre prochain – ce qui aurait été un coup d’État constitutionnel remarquablement orchestré. Mais voilà, encore une fois, ce calcul tenait plus du désespoir que de la raison car de nombreux élus républicains ont fait savoir qu’ils respecteraient la décision populaire. Si cette stratégie n’avait donc aucune chance d’aboutir, celle de la délégitimation fonctionne, quant à elle, relativement bien. Les fausses allégations de fraude et les théories du complot évoquées ci-dessus sont parvenues à s’imposer comme une réalité alternative dans la tête d’une grande partie de l’électorat trumpiste. Selon un sondage Reuters-Ipsos, 52% des républicains pensent que Donald Trump a « légitimement gagné » l’élection présidentielle. Pour tenter de mener à bien ces différentes stratégies, Donald Trump a veillé à ce que ses troupes rentrent dans le rang. Et gare à tous ceux qui viendraient lui faire barrage. Il a entamé une purge des républicains déloyaux en limogeant d’abord le secrétaire à la défense, Mark Esper, coupable de s’être opposé au retrait accéléré des troupes en Afghanistan, puis le directeur de l’agence de cybersécurité et de sécurité des infrastructures, Christopher Krebs, qui avait déclaré que « l’élection du 3 novembre a été la plus sûre de l’histoire des États-Unis ». Et pendant ce temps, les affaires du pays ne sont même plus gérées par le président, qui passe la majeure partie de son temps à jouer au golf. Pour preuve, son agenda est vide depuis le 3 novembre. Pire. Alors que le G20 virtuel se tenait les 21 et 22 novembre derniers, la réunion des dirigeants sur la coordination de la réponse mondiale à la pandémie a été avortée car Donald Trump était absent, en train de jouer au golf.
Joe Biden s’adapte malgré tout à cette situation. Au lieu d’être à Washington, le président élu constitue son équipe depuis son fief de Wilmington, dans le Delaware. Faute de recueillir les informations confidentielles nécessaires à la conduite des affaires pendant trois semaines, il s’est appuyé sur des sources non gouvernementales et les comptes-rendus donnés par les services de renseignement, à sa future vice-présidente, Kamala Harris, dans le cadre de ses activités de sénatrice. Rapidement, Joe Biden a nommé Ron Klain comme chef de cabinet, fonction qu’il connaît bien puisqu’il occupait déjà ce poste entre 2009 et 2011, lorsque Joe Biden était vice-président de Barack Obama, et entre 1995 et 1999 lorsqu’Al Gore était vice-président de Bill Clinton. D’autres noms connus montrent un souci de rajeunissement, de diversité et de féminisation au sein de sa garde rapprochée. C’était d’ailleurs une promesse de campagne. Ainsi, Cédric Richmond, élu afro-américain de Louisiane, sera son principal conseiller. Julia Chavez Rodriguez, qui a dirigé la campagne de Kamala Harris, deviendra la directrice des affaires intergouvernementales. Annie Tomasini sera, quant à elle, chargée des opérations du Bureau ovale. Côté cabinet, les quelques nominations qui ont eu lieu pour l’heure aux postes stratégiques de la sécurité et des affaires étrangères traduisent une continuité du mandat de Barack Obama. Beaucoup d’analystes parlent d’ailleurs de troisième mandat d’Obama. En réaction à la promesse de Joe Biden de réintégrer les Accords de Paris dès le premier jour de son mandat, John Kerry, ancien secrétaire d’Etat entre 2013 et 2017, est nommé envoyé spécial pour le climat. Anthony Blinken, lui aussi pilier de l’administration Obama, devient le nouveau chef de la diplomatie américaine. Alejandro Mayorkas est le premier Hispanique à la tête du Département d’Etat à la sécurité intérieure, dont il avait été le secrétaire adjoint entre 2013 et 2016. Enfin, Avril Haines est la première femme à être nommée à la direction du renseignement national, elle qui avait été directrice adjointe de la CIA entre 2013 et 2015, puis conseillère adjointe à la sécurité nationale entre 2015 et 2017. Pour le reste, rien n’est encore arrêté. Le nom d’Elizabeth Warren, une figure de proue de l’aile gauche du parti démocrate, circule pour le département du trésor, tout comme celui de Bernie Sanders, au travail. Cependant, ces deux nominations seraient un pari risqué car ils devraient quitter leur siège de sénateur ce qui fragiliserait les rangs des démocrates au Sénat où ils n’ont pas encore la majorité – les démocrates comptent 48 sénateurs contre 50 pour les républicains. Il faudra attendre le 5 janvier prochain pour connaître la couleur de la majorité au Sénat américain puisque les deux derniers sièges à attribuer se joueront le 5 janvier prochain en Géorgie. Sans cette majorité, Joe Biden aurait beaucoup plus de difficultés à mener à bien sa politique.
- Quels sont les enseignements électoraux à retenir de cette élection 2020 ?
Le premier enseignement de cette élection est que, contrairement à 2016, les sondages avaient parfaitement prédit l’issue de ce scrutin. Parce que la victoire de Joe Biden a été longue à se dessiner et que la résistance de la base électorale pro-Trump a été sous-estimée, bon nombre de médias ont entamé une critique majeure des sondages en pointant le fait qu’ils avaient annoncé une vague bleue alors que le score a été très serré, au point que Donald Trump pouvait l’emporter. Pourtant, jamais une seule fois les instituts de sondage n’ont annoncé une vague bleue. L’avance mesurée de 7 points de Joe Biden au plan national a été traduite et reformulée par certains journalistes et commentateurs comme l’assurance d’une « vague bleue ». Le scénario le plus probable avancé par les sondeurs était celui d’une victoire démocrate à la présidence et à la Chambre des représentants mais d’un maintien de la majorité républicaine au Sénat (50% de probabilité), sans toutefois écarter la possibilité d’une victoire démocrate plus nette leur permettant de remporter le Sénat (30% de probabilité) ou d’une réélection sur le fil de Donald Trump (20%). De plus, les sondeurs ont bien insisté sur le fait que Joe Biden se trouvait dans une situation bien plus favorable qu’Hillary Clinton il y a quatre ans. En bref, cette élection 2020 est marquée par un sans-faute des instituts de sondage. Comme ils l’avaient mesurée pendant toute la campagne, l’avance de Joe Biden au niveau national est bel et bien très nette (6 millions de voix de plus). De plus, la veille du scrutin, ils avaient annoncé que de nombreux swing states se joueraient à peu de choses, la marge d’avance du vainqueur étant inférieure à 2 points dans cinq d’entre eux (Arizona, Géorgie, Wisconsin et Pennsylvanie pour Joe Biden, Caroline du Nord pour Donald Trump).
Le deuxième enseignement est que cette élection laisse apparaître de nouvelles tendances dans les votes des Américains. En effet, Donald Trump a gagné plus de voix auprès des Hispaniques et Afro-Américains que lors du précédent scrutin de 2016. La communauté latino-américaine vote toujours majoritairement pour le parti démocrate lors de l’élection présidentielle. Or, cette année, une partie de ces électeurs ont préféré Donald Trump à Joe Biden. En 2016, Donald Trump avait remporté 28% du vote latino alors que, cette année, il a obtenu un soutien de l’ordre de 32%. Cela s’explique principalement par le fait que durant sa campagne, Donald Trump a très souvent dépeint Joe Biden comme étant une marionnette de l’extrême gauche et des communistes. Il faut analyser ce vote au regard de l’influence du pays d’origine des électeurs latino-américains. La communauté latino-américaine vivant en Floride, qui a permis de faire basculer cet État en faveur de Donald Trump, est surtout constituée de Cubains et de Vénézuéliens. On sait que les Cubains sont essentiellement des réfugiés ou des descendants de réfugiés anticastristes et les Vénézuéliens, des réfugiés qui ont fui le chavisme. Cet électorat a donc forcément une image extrêmement négative du socialisme et de la gauche radicale. Pour Melissa Michelson, professeure en sciences politiques au Menlo College à Atherton, en Californie, certains Latinos ont également préféré Donald Trump à Joe Biden parce qu’ils voient en lui un dirigeant fort, qui défend l’Amérique. En somme, quelqu’un qui est plus concentré sur le fait de remettre l’Amérique au travail, mettre fin au confinement mis en place par les autorités locales à cause de l’épidémie et leur permettre de payer leurs factures et donc de garder leurs petits commerces ouverts. Donald Trump a également renforcé ses soutiens au sein de la communauté afro-américaine lors de ce scrutin 2020. Quatre ans plus tôt, il avait obtenu 8% des voix alors que cette année les Noirs Américains ont voté en sa faveur à hauteur de 12%. Cet intérêt pour la candidature de Donald Trump peut étonner car le président sortant s’est régulièrement illustré par ses propos racistes tout au long de son premier mandat à la Maison-Blanche. En fait, il est parvenu, d’une manière bipartisane, ce qui est rare aujourd’hui à Washington, à faire passer une loi de réforme de la lutte contre la criminalité et une autre loi visant à réduire la population carcérale ce qui a permis de financer des aides aux personnes incarcérées, majoritairement noires. De plus, jusqu’à la crise sanitaire, son bilan économique est assez florissant, notamment en ce qui concerne les taux de chômage extrêmement bas de la communauté noire. Enfin, il s’est entouré d’évangéliques Afro-Américains tout au long de la campagne. Ces trois éléments ont pour beaucoup contribué à mobiliser l’électorat noir autour de sa candidature.
Le troisième enseignement, moins déterminant mais qui mérite tout de même d’être analysé, a été le score de Donald Trump au Texas, deuxième plus grand État du pays (38 grands électeurs). Dans les derniers jours de la campagne, le président américain n’était plus en tête que de 2,3 points laissant les démocrates espérer une victoire historique dans ce bastion républicain qui n’avait plus voté bleu depuis Jimmy Carter en 1976. Finalement, il n’en sera rien. Donald Trump l’emportera avec un écart de 5,6 points. Néanmoins, scrutin après scrutin, les résultats montrent que l’érosion républicaine dans le « Lone Star State » est réelle. En 2016, le milliardaire l’avait emporté de 9 points, une marge déjà plus faible que celle de Mitt Romney en 2012 contre Barack Obama (+ 15 points) et surtout de George W. Bush, l’enfant du pays, qui avait devancé John Kerry de 23 points en 2004.
- La démocratie américaine en péril ?
Depuis l’élection de Donald Trump en 2016, la société américaine a considérablement changé. Les relations entre les États-Unis et le reste du monde n’ont pas été épargnées non plus. Peut-on dire que cette réalité est due à un seul homme ? Oui, dans une large mesure. Donald Trump a été élu à une époque où les populismes fleurissaient partout en Europe. Il s’est imposé comme le candidat qui parlait à l’Amérique profonde, à celle oubliée par l’establishment de Washington. Malgré sa fortune et son ignorance totale de la vie quotidienne des classes populaires, son côté trompeur de self-made man a réussi à séduire cette Amérique. C’est là que réside la force de la démagogie. Ses électeurs maintiennent encore aujourd’hui qu’il est comme le peuple et qu’il comprend ses priorités. Mais les faits sont là. Au cours de ses campagnes de 2016 et 2020, et tout au long de sa présidence, Donald Trump a prononcé plus de 20 000 fausses informations. En 2017, lors d’une manifestation de la droite radicale américaine qui a dégénéré en causant la mort d’une contre-manifestante, le président Trump n’a pas condamné le suprématisme blanc et le néonazisme. Il a même osé déclarer qu’il y avait des gens bien des deux côtés. Dans le cadre de sa politique migratoire, les enfants de migrants ont été séparés de leurs parents. Les images d’enfants en pleurs derrière les barreaux ont fait le tour du monde, suscitant l’indignation de la communauté internationale. Il a participé à la diffusion de théories du complot. Il a menti sans vergogne à ses concitoyens, notamment sur la gravité de la crise sanitaire, mettant en danger des millions d’Américains. Il a balayé les codes politiques et les principes constitutionnels américains. L’un des points de bascule a été la controverse entre lui et l’Ukraine. Le président américain a fait pression sur les autorités ukrainiennes pour qu’elles enquêtent sur les affaires de Hunter Biden, le fils de Joe Biden, en Ukraine. Alors que les preuves étaient irréfutables, la majorité républicaine au Sénat a rejeté la procédure d’impeachment à l’égard de Donald Trump pour abus de pouvoir et obstruction au Congrès. Le fait est que les élus républicains ont préféré sauver leur chef plutôt que de faire respecter la loi, uniquement pour des raisons politiques. Cette attitude montre que les principes qu’ils ont juré de respecter n’ont plus de sens pour eux. Depuis bien longtemps, la politique partisane a pris le pas sur l’idéal démocratique. Si nous revenons à l’actualité, le comportement actuel de Donald Trump est tout simplement honteux. Il conteste les résultats des élections simplement parce qu’il n’a pas gagné. Il considère que les bulletins de vote par correspondance, qui ont été massivement utilisés par les démocrates en raison de la crise sanitaire, encourageaient la fraude. Il a déposé plus d’une trentaine de plaintes sans apporter la moindre preuve. Il s’accroche au pouvoir comme le feraient des dictateurs. Ces faits parlent d’eux-mêmes. Ils suffisent à prouver que la démocratie américaine est en danger parce que le comportement indécent de son plus haut représentant est antidémocratique. Et c’est bien là le problème, car ce comportement déteint sur des millions de partisans, qui à leur tour refusent de s’avouer vaincus. Cela a contribué à fracturer la société en deux camps irréconciliables. Le président américain représente les États-Unis et toute sa population. Il parle en leur nom. De ce fait, lorsque ce même président fait une erreur, ment à son peuple, refuse de reconnaître sa défaite et insulte ses adversaires politiques, il discrédite la nation tout entière et porte un coup grave à la démocratie.
Cependant, il ne faut pas préjuger de l’état de santé de la démocratie américaine uniquement sous un prisme politique. Il faut aussi prendre le pouls de la société. Deux grands mouvements démocratiques majeurs ont émergé ces quatre dernières années : #MeToo et Black Lives Matter. A la suite du scandale Weinstein, des centaines de milliers de femmes sont descendues dans la rue pour dire une fois pour toute : ça suffit ! Ces manifestations ont conduit à la formation du mouvement #MeToo, d’abord aux États-Unis, puis dans le monde entier. Ce mouvement a contribué à libérer la parole des femmes et à mettre en avant la cause féministe et toutes les luttes qui restent à mener dans ce domaine. Les États-Unis ont été les premiers le théâtre de ce profond changement social. Sur le sujet des violences policières, la mort de George Floyd a été un catalyseur des protestations afro-américaines. Cet assassinat par la police, car c’est bien de cela dont il s’agit, a permis au mouvement Black Lives Matter, créé en 2013, d’être sur le devant de la scène. Cependant, les manifestations autour de ce mouvement ont rapidement dégénéré entre pro et anti-Trump. Plusieurs villes dans le pays ont été témoins de scènes apocalyptiques de pillages, d’incendies et de combats entre groupes armés, pendant plusieurs jours d’affilée. Un retour aux années 1970 qui en dit long sur l’état dans lequel se trouve la société américaine. Ces deux mouvements ont ainsi montré à la fois la vitalité de la démocratie et de la société américaine mais aussi la violence qu’elle contient. En résumé, la démocratie américaine reste vivante mais s’exprime souvent violemment. La raison de cette violence est assez simple. Depuis 2016, Donald Trump cristallise les tensions et exacerbe les divisions dans tout le pays. Il est parvenu à monter les Américains les uns contre les autres par des discours haineux et des pratiques antidémocratiques. En somme, Donald Trump a échoué dans sa mission de rassembler le peuple américain. C’est en ce sens que le scrutin de novembre 2020 a montré qu’il n’était plus apte à diriger ce pays. Cependant, cette élection a aussi eu le mérite de prouver que la démocratie américaine n’est pas totalement morte. Et quoi de mieux pour faire vivre la démocratie que de voter. Au-delà des frasques et autres mensonges du président concernant cette soi-disant fraude électorale, jamais autant d’Américains ne s’étaient déplacés dans les bureaux de vote. La crise sanitaire n’a même pas déstabilisé la tenue de cette élection. Des millions d’Américains ont trouvé une alternative au vote traditionnel en utilisant les bulletins par correspondance. Voilà une belle preuve que la démocratie américaine peut s’accommoder de tout, même du Covid-19 et de Donald Trump. La question est désormais de savoir à quel prix ? Si Trump quitte la Maison-Blanche, l’Amérique trumpiste est toujours là et semble s’être ancré pour un moment dans le paysage politique.
Dire que la démocratie est en déclin serait donc voir le problème uniquement d’un point de vue politique. Si nous nous en tenons aux années Trump et au scandale qui est en train de se dérouler en ce moment, alors oui, il est aisé de dire que la démocratie américaine a été gravement ébranlée. Cependant, quand on regarde de plus près la façon dont la société américaine se prend elle-même en main quand les excès du pouvoir sont aussi nombreux, on peut dire au contraire que la démocratie américaine est encore pleine de vitalité. Les Américains doivent se souvenir de l’idéal que les pères fondateurs ont voulu atteindre et se remémorer les mots d’Alexis de Tocqueville : « quand le passé n’éclaire plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ».
Théo Quiers
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