La défense européenne, à la croisée de l’autonomie stratégique et de la dépendance aux États-Unis

La défense européenne, à la croisée de l’autonomie stratégique et de la dépendance aux États-Unis

    À la fin de la Seconde Guerre mondiale, s’organise progressivement la construction de deux blocs. Le bloc de l’Est avec l’URSS et les États satellites, le bloc de l’Ouest, dominé par les Américains et comprenant l’Europe occidentale. Dans le cadre du blocus de Berlin se crée, en 1949, l’Alliance atlantique, instituée par le Traité de Washington le 4 avril. Il s’agit d’une alliance politico-militaire défensive, regroupant à l’origine les États-Unis, le Canada, et dix pays européens : la France, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas, l’Islande, le Danemark, l’Italie, la Norvège, le Portugal et le Royaume-Uni. L’OTAN s’élargit ensuite à la Grèce et à la Turquie le 18 février 1952 et à l’Allemagne le 5 mai 1955. Elle vise exclusivement la défense du territoire européen contre la menace soviétique, et est sous domination États-unienne. Les projets d’une défense proprement européenne ne sont alors qu’embryonnaires et c’est dans le cadre de la relation transatlantique que les paradigmes stratégiques sont élaborés. Faisant face au Pacte de Varsovie, l’Alliance soviétique mise en place en 1955, l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord lie profondément et durablement les intérêts américains et européens. On parlera à cet égard d’Europe atlantique. L’article 5 du Traité en est un des piliers, indiquant qu’une attaque armée contre un des États membres est considérée comme une attaque contre tous les membres et doit engager une réponse mutuelle. Le principe est donc la défense collective et la solidarité. 

Si à la fin de la Guerre froide, la question de la permanence de l’OTAN s’est posée, une réponse est apportée dès 1990 avec le Sommet de Londres. Forte d’un nouveau concept stratégique, adopté au Sommet de Rome l’année suivante, et adapté au nouvel environnement international, la défense du continent européen est encore assurée dans le cadre de l’Alliance, dont les États-Unis sont de loin les plus grands pourvoyeurs. 

Néanmoins, en parallèle de l’OTAN se développe l’Europe de la défense. Revendiquant ses intérêts propres, pas forcément alignés sur les intérêts américains, les pays européens construisent une coopération en matière de défense. C’est le sens du deuxième des trois piliers adoptés dans le Traité sur l’Union européenne de Maastricht en 1992 : l’édification d’une politique étrangère et de sécurité commune. Toujours dans la visée de développer une défense européenne, le Sommet de l’OTAN à Bruxelles en 1994 soutient l’«Identité européenne de sécurité et de défense ». Cependant, les relations UE-OTAN sont toujours dominées par les États-Unis et leur pensée stratégique, d’autant plus que certains États européens, comme la Roumanie, voient encore la Russie comme une menace existentielle contre laquelle le rempart américain est le plus solide. Il n’y a donc pas de front uni pour une défense européenne qui soit complètement autonome des États-Unis. Il faut attendre 2016, avec le Brexit et l’élection de D.Trump à la présidence américaine, pour que des projets d’envergures de défense européenne voient le jour, appuyé par E.Macron en 2017 lors de son discours à la Sorbonne. La plupart des textes officiels de la politique de sécurité et de défense commune, instaurée par le Traité de Lisbonne en 2007, reconnaissent désormais le concept « d’autonomie stratégique ». 

Ces bases ainsi posées, notre étude cherchera à démontrer que  le développement de « l’Europe de la défense », bien que redéfinissant le projet européen, doit nécessairement être compatible et s’articuler avec l’Alliance. De fait, si l’OTAN est un acteur  historique de la défense européenne contre la menace soviétique, à l’ombre duquel s’est développée une politique européenne de défense à ambition très limitée, l’émergence de la politique de sécurité et de défense commune dans le contexte post-Guerre froide, en plus de ne pas avoir remis en cause le rôle de l’Alliance, ne s’est faite que de manière très graduelle. 

  • L’OTAN au centre de la politique de défense européenne 

Source: wikimédia

    L’opposition stratégique, politique et idéologique entre les deux superpuissances – États-Unis et URSS – s’est matérialisée par la construction de deux blocs antagonistes. En 1949 est signé le Traité de Washington qui porte création de l’OTAN. Organisation multilatérale, dotée d’organes militaire, civil, et politique, l’Alliance instaure une véritable solidarité de défense collective du continent européen. Elle n’a d’autre but que de veiller à la défense du territoire européen contre les agressions soviétiques. C’est également dans son cadre que sont établies les doctrines stratégiques. Dominée par les États-Unis, l’organisation est influencée par la Maison Blanche.

Parallèlement à la création de l’Alliance, la fin de la Seconde Guerre mondiale marque le début de la construction européenne. Le 25 mars 1957 est signé le Traité de Rome, instituant la Communauté économique européenne. Sa visée est exclusivement économique, ayant pour objet de créer un marché commun entre ses membres. Ce n’est cependant pas le premier mouvement de rapprochement entre les États européens après la guerre. De fait, un projet de Communauté européenne de Défense avait été proposé par la France. Cette initiative bénéficie du soutien des États-Unis, qui engagés en Corée souhaitaient voir les États européens davantage contribuer à leur propre défense. Cependant malgré sa ratification par certains États, le traité est rejeté par l’Assemblée Nationale française en 1954 qui refuse de transférer à un organisme supranational l’une des compétences régaliennes les plus importantes de l’État. Néanmoins, un embryon de coopération européenne dans le champ de la défense est instauré la même année (1954), à la suite de la signature du Traité de Bruxelles modifié par les Accords de Paris. C’est la naissance de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), sur les traces de l’Union occidentale de 1948 entre la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg. L’UEO élargit l’alliance à la RFA et l’Italie.

signature du traité de Bruxelles par Ernest Bevin Crédit : Wikimédia

Ne remettant pas en cause la participation à l’OTAN, ni sa primauté de jure et de facto, tous les membres de l’Union de l’Europe Occidentale sont d’ailleurs membres de l’Alliance. L’UEO n’est pour l’heure qu’une instance de dialogue sur les questions de sécurité et de défense. Ce n’est en ce sens pas un concurrent de l’OTAN. Les États-Unis continuent alors à organiser en pratique la défense du continent européen. En 1960 on estime que  340 milles soldats américains sont déployés en Europe, et que 3000 têtes nucléaires sont stockées. C’est sans commune mesure et cela fait de l’OTAN l’organisation de défense par excellence. 

À la suite du rapport Davignon en 1970 les six États membres de la CEE développent de façon informelle des habitudes de concertation quant à la politique étrangère. Cette « Coopération politique commune » (CPE) n’est pas à proprement parler une politique commune mais permet de développer des mécanismes de coopération dans un domaine jusque-là réservé aux États. Ces pratiques sont institutionnalisées avec l’acte unique européen en 1986 qui instaure un secrétariat permanent de la CPE. Malgré tout, les questions de défense restèrent entièrement dominées par l’OTAN et la pensée stratégique atlantique. La sécurité collective du continent n’est ainsi assurée que dans le cadre de la relation avec les américains. 

   Il faut attendre 1984 pour que l’UEO resurgisse dans l’arène politique.

  •  La relance de l’Union d’Europe occidentale et l’émergence de « l’identité européenne de défense ».

    Dans le contexte de rebond de la Guerre froide, au début des années 1980, accompagné par la crise des euromissiles, l’UEO est promue comme instance de discussion des questions de sécurité et défense.  À cet égard, la Déclaration de Rome de 1984 appelle à la définition d’une identité de sécurité européenne et l’harmonisation progressive des politiques de défense des États membres. C’est un pas important dans la construction d’une Europe de la défense indépendante des États-Unis. Bien que l’OTAN reste l’organisation paradigmatique sur les questions de défense, les Européens prennent conscience que la construction européenne ne peut se faire qu’en s’étendant aux domaines de sécurité et de défense. C’est ainsi que les États membres de l’UEO adoptent en octobre 1987 à La Haye une « plate-forme sur les intérêts européens en matière de sécurité ». L’objectif est de viser à renforcer le pilier européen de l’Alliance. Il n’est pas question de concurrence mais de complémentarité entre les deux, l’OTAN englobant le projet de défense européenne. Dit autrement, la construction d’une identité européenne en matière de défense ne se pense qu’à travers le partenariat plus large du 4 avril 1949. Ceci s’explique encore une fois par le fait que dans le contexte de la Guerre froide, l’Alliance atlantique, par ses capacités et ses moyens, demeure le principal instrument de défense collective des Européens.

    Si à l’issue de la chute de l’Union soviétique le choix est fait de conserver l’OTAN, se développe en parallèle une défense européenne.

  • Un réveil européen sous la surveillance des Américains

    Le Traité de Maastricht, fondant l’Union européenne et signé le 7 février 1992, instaure la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Son article J.4 dispose que « L’Union demande à l’UEO (…) d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense ». En ce sens, l’UEO devient le véritable bras armée de la PESC, à caractère opérationnel. C’est une des étapes fondatrices d’une indépendance certaine, mais limitée, d’avec la relation transatlantique. Au mois de juin de la même année, la déclaration de Petersberg vient préciser les missions que l’UEO peut effectuer en matière de défense et de gestion de crises. Ces dernières se comptent au nombre de trois, à savoir les missions humanitaires et d’évacuation, les missions de maintien de la paix ainsi que les missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris les opérations de rétablissement de la paix. Ces accords pris par les européens répondent à deux besoins majeurs : faire évoluer le système de sécurité en Europe, et gérer le conflit en ex-Yougoslavie. 

Cependant, il n’est pas question pour l’OTAN de se laisser concurrencer par l’UE. Au Sommet Atlantique de 1996 est inventé le concept de « forces séparables mais non séparées », permettant à l’UEO de mener des opérations au titre de l’identité européenne, sans compromettre l’Alliance. L’OTAN reste ainsi le tuteur des déploiements extérieurs menés sous le nom de l’UE. 

Le Sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998 est à cet égard intéressant. Relançant le projet d’Europe de la défense, cette réunion est marquée par des ambitions fortes, dont le développement « d’une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, afin de répondre aux crises internationales ». Néanmoins, la Secrétaire d’État américaine M.Albright invente la même année le concept des « Trois D ». Cette stratégie vise encore une fois à contrôler les tentatives européennes de s’émanciper de l’Alliance et de la concurrencer. Ainsi, selon ses prescriptions, les membres de l’UE peuvent développer leur propre politique de défense collective à condition qu’il n’y ait « ni Découplage entre l’Europe et les États-Unis, ni Duplication des moyens de l’Otan, ni Discrimination à l’égard des alliés européens de l’Otan non-membres de l’UE ». En somme, ce principe vient réduire les acquis du Sommet de Saint-Malo, en mettant sous tutelle l’auto affirmation européenne. 

Malgré cela, un poste de Haut représentant pour la PESC est créé lors du Conseil européen de Cologne de juin 1999, et confié à l’ancien Secrétaire général de l’OTAN M. Javier Solana. Cela marque à la fois les liens très proches entre les deux organisations, mais également la dynamique européenne à l’autonomisation. En outre, à cette occasion est également créé un Comité politique et de sécurité, un Comité militaire ainsi qu’un état-major. De plus, le Conseil européen de Cologne initie une « Politique européenne de sécurité et de défense », partie intégrante de la PESC. Ce nouvel instrument permet à l’UE de développer une capacité opérationnelle ainsi que de jouer un réel rôle sur la scène internationale. Effectivement mise en œuvre avec le Traité de Nice de 2001, la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) reprend la plupart des activités de l’UEO. Ainsi, l’Europe de la défense prend forme. 

Ces initiatives européennes sont perçues sous un angle favorable par Washington. En effet l’engagement américain au Moyen-Orient n’est pas compatible avec le maintien d’une présence forte en Europe. 

Par la suite, si le Sommet de Prague de 2002 ouvre la voie à une coopération politique et militaire entre l’UE et l’OTAN, il faut attendre les accords de « Berlin Plus » de mars 2003 pour voir la naissance des fondements de cette coopération. Forme de partenariat stratégique, ces accords permettent à l’Union européenne d’accéder aux moyens et aux capacités de commandement de l’OTAN pour des opérations qu’elle dirige. Ces accords  officialisent ainsi la coopération entre les deux organisations. Auparavant les relations entre les institutions étaient informelles et reposaient sur des rencontres entre le secrétariat général du conseil de l’UE et le secrétariat général de l’OTAN. Sur la base de ce partenariat, l’UE lance en Bosnie Herzégovine ainsi qu’en Macédoine ses deux premières opérations militaires, succédant donc à des opérations de l’OTAN. De fait, l’opération « EUFOR Althéa » succède à l’opération SFOR et l’opération « Harmonie Alliée » est remplacée par « EUFOR Concordia ». Preuves de la complémentarité entre l’UE et l’OTAN, ces deux exemples illustrent le respect des « Trois D ». 

Par ailleurs, cette articulation complémentaire se formalise implicitement au cœur de la stratégie européenne de sécurité de 2003. En effet, si celle-ci vise à évaluer les menaces auxquelles est soumises l’UE, afin d’assurer « une Europe sûre dans un monde meilleur», nous remarquons que ces dernières présentent des similarités avec les menaces qui pèsent sur l’OTAN : le terrorisme et la prolifération des armes de destruction massives notamment. 

Pour finir, le Traité de Lisbonne signé en 2007 instaure la Politique de sécurité et de défense commune, en remplacement de la PESD, sans remettre en question la complémentarité du partenariat naissant entre l’UE et l’OTAN. 

    Cependant, la fin des années 2000 voit à la fois la remise en cause du partenariat UE/OTAN, et plus largement la stagnation du projet  d’une Europe de la défense. 

D’une part, il arrive en effet qu’une certaine concurrence entre les deux organisations intervienne, malgré Berlin plus. Ce fut par exemple le cas lorsque l’UE lança fin 2008 l’opération EUNAVFOR Atalante pour mettre fin à la piraterie au large de la Somalie, mais que le Conseil de l’Atlantique Nord prit la décision en 2009 de lutter contre ce même fléau, dans la même région, avec l’opération Ocean Shield. 

D’autre part, les changements liés à l’adhésion d’une dizaine de pays d’Europe orientale et centrale à l’UE – déjà membres de l’Alliance – pour lesquels leur sécurité est assurée par l’OTAN contre la menace Russe, marque un coup d’arrêt pour la construction de la défense européenne. Ils y sont réticents. Enfin, il ne faut pas oublier que la conjoncture de la crise économique de 2008 voit s’affirmer d’autres priorités plus urgentes.

Il faut attendre 2016 pour assister au réveil de ce sommeil stratégique, engagé par le couple Franco-Allemand.

  • 2016, l’année qui marque un véritable tournant dans la construction d’une autonomie stratégique européenne et son développement capacitaire.

    Cette année est marquée par deux évènements majeurs, le Brexit et l’élection de D.Trump à la tête des Etats-Unis. « Cette double crise chez les Anglo-Saxons amènera très vite les Européens continentaux à se poser la question de leur avenir stratégique » selon la titulaire de la chaire Union européenne du Conservatoire national des arts et métiers, N.Gnesotto. De fait, dans ce contexte d’incertitude, avec notamment le chef d’Etat américain qui qualifie l’OTAN d’« obsolète », les européens sont réveillés malgré eux de leur engourdissement stratégique. En ce sens, à partir de 2016, une série de projets voient le jour, en parallèle de l’OTAN, sans être soumis au refus britannique. L’objectif est de combler les lacunes capacitaires européennes en la dotant de vrais moyens d’action, de favoriser une indispensable interopérabilité des équipements en harmonisant les programmes militaires, pour ainsi viser la constitution d’une autonomie stratégique et conforter notre rôle dans le voisinage. De plus, le service européen pour l’action extérieur a publié une stratégie globale appelant à acquérir une autonomie stratégique tout en renforçant la relation avec l’OTAN.

D’une part, cette consolidation d’une défense européenne se fait en coordination avec l’Alliance atlantique. De fait, le Sommet de l’OTAN de Varsovie de 2016 marque le commencement d’une nouvelle coopération stratégique entre l’UE et l’OTAN. Plus précisément, sept domaines d’actions communes sont établis, dont la cyberdéfense et la lutte contre les menaces hybrides. D’autre part, au cours de cette même année naissent également des projets proprement européens. En effet, la Commission européenne a présenté en 2016 un « Plan d’action pour la Défense européenne », comprenant plusieurs propositions, dont la mise en place d’un Fonds européen de Défense (FEDef). Incluant un volet capacité ainsi qu’un volet recherche, ce fonds vise l’émergence d’une base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE). Le but final est de favoriser l’innovation et moderniser les industries de défense européenne, au service de l’intérêt propre de l’UE. Cela représente donc une étape importante dans la construction d’une autonomie stratégique. 

Néanmoins, bien que le Vieux continent ne représente plus l’enjeu majeur de la politique extérieure américaine, qui a effectué le « pivot » vers l’Asie sous la présidence de B.Obama, l’OTAN souhaite conserver une certaine mainmise sur la défense européenne. En effet, son Secrétaire général M.Jens Stoltenberg déclara en 2018 que « l’UE ne doit pas se substituer à ce que fait l’Otan». 

Le 9 juin 2018, à Charlevoix (Canada), le président américain Donald Trump fait face à ses homologues à l’occasion du G7• Crédits : JESCO DENZELAFP

Ceci n’empêche cependant pas l’UE de développer une Coopération structurée permanente (CSP) adossée à l’Agence européenne de défense, comprenant notamment des projets terrestres, cyber, et maritimes. Ses membres, c’est-à-dire tous les États européens à l’exclusion du Danemark et de Malte, affirment à cet égard que la CSP permettrait d’ouvrir « la voie à une Défense commune ». Renforçant ainsi le domaine capacitaire, indépendamment de l’OTAN, cette coopération pourrait permettre à des projets de grande ampleur, comme le Système de combat aérien du futur (SCAF) de voir le jour, bien que de fortes dissensions internes demeurent. 

Par ailleurs, en 2018, sous l’impulsion de la France, est également lancée l’Initiative européenne d’intervention (IEI). Ayant pour objectif de réunir ses dix participants pour créer les conditions préalables à la conduite d’engagements opérationnels conjoints, l’IEI marque un pas de plus dans l’autonomie stratégique continentale. Il ne s’agit pas de concurrencer l’OTAN ou de la remplacer, mais de considérer que les Européens ont des intérêts propres à faire valoir. Une Europe de la défense peut permettre à l’UE d’avoir son agenda, pas forcément aligné sur l’agenda américain, comme l’a montré la politique de D.Trump vis-à-vis de l’Iran par exemple. 

Ayant ainsi pour ambition de combler les lacunes opérationnelles européennes, l’IEI pourrait permettre de conforter notre rôle dans le voisinage, et de défendre le multilatéralisme, sans compromettre la coopération entre l’UE et l’OTAN. 

C’est d’ailleurs là un des sens de la boussole stratégique européenne. En effet, si un livre blanc doit être finalisé en 2022, et doit permettre la mise en place d’une stratégie globale de l’UE pour l’horizon 2030 sur les enjeux de sécurité et de défense, il contient notamment un volet capacitaire ainsi qu’un volet partenariats. Les deux ne sont pas antinomiques, mais doivent se compléter pour assurer la sécurité collective des citoyens européens.

                                                          ✶✶✶

    Ainsi, bien que l’OTAN ait dominé la conceptualisation de la défense collective durant la seconde partie du XXème siècle, les jalons de l’Europe de la défense ont progressivement été posés. Ces deux organisations doivent viser à l’articulation de leurs actions, afin de solidifier un pilier européen de l’OTAN. Permettant de concevoir une autonomie stratégique et la définition d’intérêts propres, la défense européenne n’a toutefois pas la taille pour concurrencer l’Alliance. Cette dernière demeure ainsi l’organisation paradigmatique, mais il apparaît nécessaire de concéder aux européens la possibilité de s’en émanciper lorsque la réalisation de missions ayant trait à l’UE peuvent se faire dans le cadre de la PDSC. Pour cela, il faut également que les Etats membres s’accordent sur les moyens à donner à cette politique de défense, permettant de résoudre l’équation de sécurité européenne. Cette dernière est encore aujourd’hui un polynôme à trop d’inconnues, comme l’illustre notamment la division par deux du budget accordé au FEDef par rapport aux 13 milliards d’euros initiaux. 

La complémentarité UE/OTAN doit ainsi s’approfondir, tout comme la construction de la défense européenne, afin de gérer les crises de demain et répondre à des menaces en constante évolution.

Etienne Chaumeau et Maxime Traoré

Références bibliographiques ( indicatif )

F.Dumas, La construction de l’Europe de la défense : dur mais juste chemin vers l’indépendance, dans Les Champs de Mars, 2019/1 (N°32) pp.125-137.

L.Gautier, L’affirmation stratégique des Européens dans Revue Défense Nationale, 2019/6 (N°821) pp.20-29, « Le désarroi européen « .

N.Gnesotto, L’affirmation stratégique des Européens dans Revue Défense Nationale, 2019/6 (N° 821) pp.50-55, « Europe européenne ou Europe atlantique : histoire de deux illusions« .

M.Vaïsse, La France et l’OTAN : une histoire dans Politique étrangère, 2009/4 (Hiver) pp.861-872.

RAPPORT D’INFORMATION déposé par la Commission des Affaires européennes de l’Assemblée Nationale : L’Europe de la Défense et son articulation avec l’OTAN, 2018.

RAPPORT D’INFORMATION déposé par la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat : Défense européenne; le défi de l’autonomie stratégique, 2019.

Site internet : Toute l’Europe, Otan / Union européenne : quelle coopération ?

(1954): Traité de Bruxelles modifié. Available online at https://www.cvce.eu/obj/traite_de_bruxelles_modifie_paris_23_octobre_1954-fr-7d182408-0ff6-432e-b793-0d1065ebe695.html.

TUE (1992): Traité sur l’Union Européenne. Available online at https://www.cvce.eu/content/publication/1997/10/13/5a6bfc79-757f-4d53-9379-ad23cc2cc911/publishable_fr.pdf.

Service european pour l’action extérieure (Juin 2016): Shared Vision, Common Action:A Stronger Europe. A Global Strategy for theEuropean Union’s Foreign And Security Policy. Available online at https://eeas.europa.eu/sites/default/files/eugs_review_web_0.pdf

Scheeck, L. (2008). Concurrence, coopération et complémentarité dans le paysage européen de la sécurité et de la défense : vers un découplage silencieux entre l’UE et l’OTAN ? [1]. Les Champs de Mars, 1(1), 87-102. https://doi.org/10.3917/lcdm1.019.0087

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