La médiatisation du conflit israélo-palestinien et la Résistance Populaire Non-Violente moderne (à partir de 2000) – Partie 3

La médiatisation du conflit israélo-palestinien et la Résistance Populaire Non-Violente moderne (à partir de 2000) – Partie 3

Par Yann Vignals

Les médias internationaux et la Résistance Populaire Non-Violente : points de vue cruciaux

    En juin 2001, la BBC, chaîne de télévision britannique à portée mondiale, publie une enquête sur le rôle d’Ariel Sharon, nouveau premier ministre, dans les massacres de Sabra et Chatila de 1982, alors qu’il était ministre de la défense. The Accused (Limor Pinhasov, 2018), un documentaire acerbe sur l’action israélienne, fait l’objet de critiques. Cependant, il témoigne d’un engagement notable de la presse et de l’opinion internationale dans la question palestinienne, engagement qui permet de souligner les actions de la Résistance Populaire Non-Violente.

La Résistance Populaire Non-Violente, succès international

    Accused et son lot de controverses symbolise l’importance que trouve la question palestinienne en Occident. D’après Jérôme Bourdon1, la Grande-Bretagne est coutumière des critiques d’Israël, qu’elles soient caricaturales (caricature d’Ariel Sharon dans The Independant en janvier 2003) ou factuelles comme dans Accused. Cependant, si la Résistance Populaire Non-Violente tire un avantage indirect de cette critique, cela ne fait pas d’elle un mouvement mieux connu. Pour cela, elle doit mettre en place des actions suffisamment retentissantes pour que la couverture médiatique touche ses réussites et non les échecs d’Israël. C’est ainsi qu’en 2001 apparaît  le mouvement international de solidarité. Le but est clair : soutenir les Palestiniens avec la protection internationale d’une résistance non-violente. Grâce à l’aura – bien qu’encore peu développée – de cette nouvelle organisation, des militants étrangers viennent de toutes parts apporter leur soutien aux manifestants, parfois même par leur présence physique qu’ils pensent dissuasive pour l’armée israélienne. En 2003, une militante américaine se fait ainsi rouler dessus par un véhicule militaire israélien2. Cet événement obtient tout de suite une portée médiatique internationale. Si la couverture est une fois de plus tirée « en faveur » d’une erreur de l’État hébreu plutôt que d’une réussite de la RPNV, le contexte est différent. Ici, on ne critique pas la politique générale d’Israël mais la répression du mouvement non-violent, donnant par là même une résonance à ce dernier. 

La mobilisation de l’opinion pour favoriser la diffusion des valeurs et des revendications de la RPNV obtient aussi des résultats. En 2004, les chaînes satellitaires arabes alors en plein développement dans le monde appuient et relaient la demande de condamnation du mur par la Cour internationale de Justice3. Cette action réussit, la juridiction rappelant la «  pertinence historique et politique des résolutions des Nations Unies, particulièrement la résolution 242 ». On constate dans ce cadre que le relai de la RPNV par les médias internationaux n’est pas seulement une manière de souligner ses actions, mais aussi de contribuer à sa réussite lorsqu’ils la jugent importante. La presse mondiale bénéficie ainsi d’une influence directe sur le devenir de la RPNV. 

On retrouve cette influence dans la médiatisation du village de Bil’in, symbole de la Résistance Populaire Non-Violente et déjà évoqué dans le premier article. Cette bourgade, divisée par le mur, a fait l’objet d’une couverture internationale. Ce qui partait d’une initiative locale est devenu en quelques années « un village international dans le champ de la lutte populaire »4. Chaque année y est organisée une « conférence internationale sur la résistance non-violente de Bil’in ». Ce lieu devient ainsi le symbole de la mobilisation internationale en faveur de la résistance non-violente palestinienne. Bénéficiant de ce fait d’une force de taille, le comité et à sa tête Abdallah Abu Rahma lance des actions en justice aux forts retentissements. Exemple plus récent des bénéfices engendrés par la médiatisation internationale pour la RPNV, celui d’Ahed Tamimi. Adolescente palestinienne, elle est filmée en train de gifler un soldat israélien lors d’une manifestation pacifique. Réaction épidermique liée à la blessure infligée à son cousin, l’image d’Ahed fait le tour du monde, relayant la cause de la RPNV : une jeune manifestante, désarmée, répondant de manière désespérée à la violence qui l’entoure.

Happy Birthday Ahed Tamimi4, Stephen Melkisethian – Manifestants pacifiques pour la libération d’Ahed Tamimi.

La question palestinienne est ainsi largement diffusée dans le monde, et avec elle des images bénéficiant à la résistance non-violente. Si la RPNV parvient à tirer parti de la couverture de ses initiatives ainsi qu’indirectement de celle des erreurs israéliennes, la violence est souvent mieux retransmise. Plus sensationnalistes, les actes meurtriers perpétrés par les deux parties du conflit obtiennent les faveurs des gros titres de la presse mondiale.

Le relais international des actes violents, handicap pour la RPNV

    La couverture par la presse des initiatives comme celles du village de Bil’in s’inscrivent dans la durée. Cela intéresse, puis désintéresse, comme tout sujet médiatique. Au contraire, les actes violents et meurtriers sont généralement passagers : ils choquent par leur force et les dégâts qu’ils occasionnent là où la résistance pacifique ne peut engager et bénéficier de l’opinion que par solidarité durable. Le choc est passif, la solidarité est active. De ce fait, les violences dépeintes par les médias trouvent généralement plus de résonance dans l’opinion que les manifestations pacifiques. Bernard Ravenel, dans la cinquième partie de son ouvrage, décrit ainsi l’attention que reçoit la RPNV dans la presse internationale comme infime par rapport à celle de la résistance violente. 

Dans ce cadre, Jérôme Bourdon distingue en Occident, médiatisation américaine et européenne5. D’après lui, les États-Unis montrent souvent un soutien à Israël. Cela a d’ailleurs particulièrement été le cas sous Donald Trump. De ce fait, les enquêtes poussées sur la question palestinienne sont rares dans les médias, une grande partie de l’opinion étant déjà convaincue. Ainsi, Jérôme Bourdon pointe une différence de connaissance du problème palestininien entre les États-Unis et l’Europe. Seuls les événements passagers, tels des électrochocs y sont évoqués. Patrick O’Connor, de l’International Solidarity Movement, critique cette couverture tournée vers la violence, citant le New-York Times, l’un des journaux américains les plus lus6. D’après lui, le quotidien parle très régulièrement du conflit israélo-palestinien, mais rarement de la tendance non-violente (à peine trois fois entre 2002 et 2005). Ce constat rend compte d’une propension à la marginalisation des revendications réelles de la RPNV au profit d’actes violents. M. O’Connor cite pour appuyer ses dires un article du New-York Times concernant Bil’in : dans le cadre de manifestations hebdomadaires dans le village, il est écrit dans le journal qu’« il y a eu quelques blessés et de nombreuses arrestations, un soldat a perdu un œil par un jet de pierre ».

Cette méconnaissance des enjeux palestiniens, en particulier de la Résistance Populaire Non-Violente, est selon Jérôme Bourdon moins présente chez les Européens. Selon lui, les médias du vieux continent ont tendance à être assez critiques envers Israël, comme le montrent les documents britanniques évoqués précédemment. L’Europe serait axée sur le respect du droit international et des résolutions de l’ONU, ce qui va d’une certaine manière dans le sens de la RPNV : se battre différemment. Cependant, les médias ont tendance à instaurer un rapport colonial entre Israël et Palestine, évoquant les guerres de libération arabes à titre de comparaison7. À l’aide du prisme du passé, on ne voit en les relations colonisateur/colonisé qu’une tendance à un conflit souvent violent.

« On remarque une vraie fascination sur ce conflit, et une focalisation sur les aspects dramatiques » – Vincent Georis, journaliste à L’écho.

Autre point de vue intéressant, celui du Centre Communautaire Laïc Juif de Belgique. Dans un article publié en 2018 (« Israël dans les médias, un traitement à part ? »), une membre de l’organisation livre une critique acerbe de la couverture européenne des combats israélo-palestiniens. D’après l’article, le traitement des conflits entre musulmans d’une part et entre Israéliens et Palestiniens de l’autre, est différent. Dans ces derniers, la violence est montrée, soulignée par des images et des documents vidéos. Concernant la Syrie en revanche, où les morts sont plus nombreux et la violence plus développée, on ne montre les massacres que de manière très occasionnelle, avec des images chocs. Ainsi, Vincent Georis, journaliste à L’écho, écrit : « On remarque une vraie fascination sur ce conflit, et une focalisation sur les aspects dramatiques ». 

Ici, on ne se concentre pas sur les violences palestiniennes ou israéliennes. Les deux sont relayées dans les médias occidentaux. Si les journaux américains sont plus généralistes, marginalisant la RPNV, la presse européenne se fait quant à elle le relais de la non-violence mais aussi le principal témoin de la brutalité du conflit. Comme dit précédemment, le choc retient plus souvent l’attention. Lorsque la violence est montrée ou discutée, la question palestinienne ne devient souvent pour le spectateur qu’une opposition armée entre Israël et la Palestine. Ce biais marginalise de fait le combat de la RPNV pour le pacifisme. Illustrant les enjeux liés à cette couverture médiatique occidentale, l’accueil des journalistes dans les endroits où les combats font rage témoigne des objectifs médiatiques de chacune des parties. Il démontre aussi la transition que la résistance pacifique a engagé dans les esprits, d’un côté comme de l’autre.

L’accueil des journalistes étrangers à Gaza : un enjeu de taille

    Dans un conflit armé, on distingue victoire morale et victoire militaire. Lors de l’opération Bordure Protectrice à Gaza en 2014, la couverture médiatique permet de mieux comprendre cet enjeu. Si ce dernier n’est pas directement lié à la résistance non-violente, il a des conséquences indéniables sur les résultats, l’aura ainsi que la popularité du mouvement pacifique. On peut aussi y voir les conséquences du développement de la Résistance Populaire Non-Violente dans la façon dont les mentalités changent. L’opération israélienne de 2014 témoigne parfaitement de l’enjeu que les médias représentent pour les différentes parties du conflit armé. Une émission de France Culture, Le secret des sources – quel a été le traitement médiatique de la guerre de Gaza ?, fait intervenir plusieurs reporters occidentaux envoyés sur place. Ils témoignent sur les conditions de travail dans le cadre de ce conflit.

Pour couvrir la guerre depuis la bande de Gaza, il s’agit pour les reporters d’avoir deux accréditations : une carte israélienne, qui s’obtient généralement 2 jours après avoir fait la demande et une autorisation palestinienne, délivrée par le gouvernement du Hamas, sur place. Durant toute la durée de la guerre, le reporter titulaire de cette attestation est sous la tutelle d’un homme chargé de sa surveillance et de sa sécurité. Les témoignages des journalistes mettent ensuite en valeur la violence inhérente au conflit. Ludovic Piétenu, grand reporter pour France Culture, souligne les pluies de roquettes qui s’abattent sur le territoire de manière permanente. Les manifestations de Bil’in sortent alors des pensées…

Life in Gaza, United Nations Photo 

L’armée israélienne est « l’armée la plus morale du monde » – Forces armées israéliennes, 2009. 

Outre cette atmosphère de brutalité, on dégage une affaire qui avait eu un retentissement international : celle de quatre enfants, tués sur une plage de Gaza par un obus en provenance d’un navire israélien. En comparaison, on évoque des roquettes du Hamas visant une plage israélienne, arrêtées par le système de protection aérienne du pays. Élevant ce contraste, on s’interroge alors sur la raison pour laquelle l’État hébreu, revendiquant lui-même avoir l’armée « la plus morale du monde »8, autorise en 2009, cinq ans plus tard, les journalistes européens à entrer à Gaza pour constater l’inverse. Pour Guillaume Oda, journaliste iTélé envoyé sur place, l’idée du gouvernement est claire : laisser passer ce genre d’image pour que les exactions du Hamas puissent être filmées de la même manière. En somme, Israël souhaite éviter le manichéisme constaté en 2008-2009 lors de l’opération Plomb Durci, puis largement popularisé en Europe par la couverture médiatique de la Résistance Populaire Non-Violente et de sa répression. 

Constat intéressant, la RPNV contribue donc à changer la façon qu’a Israël d’accueillir les journalistes étrangers lors de conflits armés. La politique du Hamas s’adapte quant à elle au « changement de paradigme » imposé par le mouvement pacifique et décrit par Bernard Ravenel dans son ouvrage (Partie 5). Hélène Sallon, grande reporter pour Le Monde, affirme que durant la guerre de Gaza en 2014, il était impossible d’interviewer ou même de voir des combattants. Ces dires sont confirmés par Sébastien Laugénie, journaliste pour France Inter. Il ajoute que, guidé par son accompagnateur, il devenait difficile de filmer les roquettes que le Hamas tirait depuis les zones civiles. Alors que le parti participe depuis 2010 à la conférence internationale de Bil’in9, il semble vouloir étouffer sa propre violence, alors même qu’elle se situe dans la charte du parti. La RPNV, puissante dans l’opinion palestinienne, change peu à peu les lignes et rend la brutalité de moins en moins acceptable alors qu’elle a prouvé l’existence de luttes alternatives. Dans ce cadre, le Hamas cesse peu à peu la glorification de ses faits de guerre, axant sa lutte sur le déséquilibre du rapport de force.

Cette médiatisation internationale, qui met en valeur la violence, n’épargne aucune partie. Actrice indirecte, la Résistance Populaire Non-Violente modifie le traitement de la presse de chaque côté, alors qu’il était auparavant impossible pour les journalistes de pénétrer à Gaza. Victime d’une brutalité exacerbée et largement relayée, la cause pacifique est cependant mise en sourdine. Chacun de leur côté, Hamas et Israël cherchent à obtenir une victoire morale auprès de l’opinion mondiale, minimisant leur violence ou exacerbant celle de l’ennemi… en oubliant sans doute que le vainqueur n’est pas toujours le plus bruyant.

Conclusion : La médiatisation de la RPNV comme changement de paradigme. 

    On a pu remarquer que la médiatisation soulève des enjeux majeurs pour la Résistance Populaire Non-Violente palestinienne. Si la nouvelle couverture palestinienne a permis un développement de la communication autour du mouvement pacifique, le monde médiatique dans son ensemble peut jouer en sa faveur ou en sa défaveur. La presse, médiatisant les faits violents de chacune des parties, marginalise nécessairement la cause de la RPNV. Au contraire, les reportages axés sur les actions pacifiques ou les voix s’élevant du terrain représentent un avantage non-négligeable pour elle. La RPNV peut aussi être représentée comme une victime collatérale d’une médiatisation de la brutalité, stratégique pour des questions d’audience ou d’idéologie. Au delà, elle représente un facteur de changement des mentalités dans la couverture du conflit israélo-palestinien. 

L’idéologie de la non-violence, présente dans les esprits, fait se rejoindre Israéliens et Palestiniens, peuples meurtris par une opposition qui apparaît comme sans fin. Le grand gagnant d’une guerre meurtrière est souvent celui que l’on regrette le plus après avoir vu le bilan humain : le pacifisme. Au centre même de ce paradoxe, la cause pacifique transforme petit à petit le conflit israélo-palestinien en un débat entre violence et non-violence. Les médias, consciemment ou non, jouent le premier rôle dans ce changement de paradigme. 

Yann VIGNALS

1Jérôme Bourdon, Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias, Chapitre 6.

2Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 3.

3Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 3.

4La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 4.

5Jérôme Bourdon, Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias, Chapitre 6.

6« La résistance non-violente en Palestine et les médias aux Etats-unis » – Patrick O’Connor

7Jérôme Bourdon, Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias, Chapitre 6.

8Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence, partie 4.

9Ibidem

Bibliographie

Note préalable : Les notes de bas de page ne concernent que les références des événements précis cités par les auteurs ainsi que leur argumentation personnelle. Lorsque l’écriture s’inspire des ouvrages évoqués ci-dessous pour le contexte, cela n’est pas expressément précisé.

Ouvrages

Par ordre d’importance dans la recherche–  Bernard Ravenel, La résistance palestinienne, des armes à la non-violence,
L’Harmattan, 2017.

–  Jérôme Bourdon, Le récit impossible. Le conflit israélo-palestinien et les médias
Paris : De Boeck /Institut national de l’audiovisuel – 2009

–  Nicolas Dot-Pouillard, La Mosaïque éclatée : une histoire du mouvement national
palestinien (1993-2016)
, Sindbad / Actes Sud – 2016.

Émissions
– France Culture, Le secret des sources – quel a été le traitement médiatique de la guerre de Gaza – 2014

Articles et publications
Par date de publication croissante–  « La résistance non-violente en Palestine et les médias aux États-unis », Patrick O’Connor – 2005

–  « Le développement des médias de la résistance est l’une des priorités de l’action palestinienne après le retrait de Gaza », Centre Palestinien d’Information – 2007

–  « De la Résistance pacifique palestinienne, l’exemple de Bil’in », Les blogs de Mediapart, Hassina Mechaï – 2014.

–  « La e-communication du Hamas », Jean-François Legrain – 2017.

–  « Israël dans les médias, un traitement à part ? », Regards n°1028, Perla Brener – 2018.

–  « La jeunesse palestinienne riposte sur les réseaux sociaux », Amjad Ayman Yaghi –
2019

ClasseInternationale

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