“Peuples autochtones au Québec – Diplomatie, militantisme et réconciliation” : Lecture critique
Par Véïa Schwaller
Le premier ministre Justin Trudeau serre la main du chef de l’Assemblée des Premières Nations, Perry Bellegarde, lors de la cérémonie pour l’exonération du chef Poundmaker de sa condamnation pour trahison en 1885, le 23 mai 2019 à Saskatchewan.
Crédit : La Presse canadienne / Liam Richards
I. Présentation de l’ouvrage et des auteurs
Le gouvernement canadien définit le processus de réconciliation avec les peuples autochtones comme « un processus continu permettant aux peuples autochtones et à la Couronne de travailler ensemble à établir et à maintenir un cadre de vie commune fondé sur le respect, pour favoriser des nations autochtones solides, saines et durables au sein d’un Canada fort » [1]. Ces dernières années, et notamment depuis l’élection en 2015 de Justin Trudeau comme Premier ministre du Canada, cette question est devenue particulièrement centrale dans la société.
Dans l’essai Peuples autochtones au Québec – Diplomatie, militantisme et réconciliation, publié le 6 octobre 2020 aux éditions L’Harmattan, Réjean Côté et Gilbert Pilot proposent une réflexion alliant rappel historique de l’évolution du traitement de la question autochtone au Québec et pistes afin d’améliorer, selon eux, la situation.
La co-écriture de cet ouvrage permet une lecture croisée du traitement sociétal et juridique des peuples autochtones au Québec, avec d’une part la vision d’un membre et représentant de ces peuples et d’autre part une vision davantage universitaire et internationale. Gilbert Pilot est en effet issu de la communauté Uashat mak Mani Uteman, l’une des Premières Nations Innues reconnue au Québec, qui vit sur le côté nord du fleuve Saint-Laurent et comporte une population de 4 608 membres en 2016. Il s’est notamment fait connaître dans les années 1980 en tant que militant pour la défense et la protection des droits du peuple innu en se rendant de nombreuses fois à Genève pour défendre en personne cette cause devant les Nations Unies. S’il prônait à l’époque une stratégie assez offensive dans la conquête des droits des peuples autochtones, il semble privilégier dans ses derniers écrits une logique de dépassement des tensions préexistantes pour parvenir à une potentielle réconciliation des peuples autochtones avec les gouvernements québécois et canadiens. Avec cette approche assez personnelle de la question autochtone s’articule une approche plus académique, proposée par Réjean Côté, ancien professeur de sociologie et d’anthropologie s’étant spécialisé au cours de sa carrière internationale sur la question autochtone. Ce dernier a notamment été gestionnaire aux Nations Unies et a travaillé dans la gestion de programmes d’aide suite à des crises humanitaires avant de devenir pendant plusieurs années consultant auprès des peuples autochtones.
Cet ouvrage est le second qu’ils écrivent ensemble. Le premier, publié en 2018, avait pour objectif avoué de contribuer à améliorer les relations entre les nations en constituant une proposition utopique de Charte entre les gouvernements du Canada, du Québec et les Premières Nations [2]. L’ouvrage qui nous intéresse aujourd’hui s’inscrit dans cette même logique en tentant de retracer les raisons de l’échec de la politique de réconciliation mise en œuvre et en esquissant des solutions qui pourraient permettre de les dépasser.
Nous relaterons dans un premier temps les idées principales développées par les auteurs dans cet ouvrage (II), avant de s’interroger sur leur pertinence au regard d’éléments extérieurs (III).
II. Idées principales développées dans cet ouvrage
- Un ouvrage s’ouvrant sur une chronologie des relations entre peuples autochtones et non-autochtones depuis 1455
Comprendre les enjeux de la réconciliation avec le peuple autochtone ne peut se faire sans avoir en mémoire un certain nombre d’événements et faits marquants. Les auteurs ont donc fait le choix de débuter l’ouvrage par une longue chronologie, débutant à l’arrivée des Européens aux Amériques et allant jusqu’à 2020.
Cette chronologie met conjointement en lumière l’apparition d’un certain nombre de principes clefs qui subsistent aujourd’hui encore sur la scène internationale et l’application pour le moins hésitante qu’en a fait le Canada concernant les autochtones habitants sur son territoire. Ainsi, le Canada a pu affirmer que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, affirmé clairement par les Nations Unies [3] ne s’appliquait pas aux Indiens, qui ne seraient « pas le bon type de personnes concernées par ces traités ». Par ailleurs, malgré une volonté affirmée d’établir des relations harmonieuses avec les nations autochtones du Québec (avec notamment l’adoption en 1983 par le Gouvernement du Québec de quinze principes sur le statut et les droits des autochtones ou encore l’instauration d’un Fonds de développement pour les Autochtones en 1999), des profondes inégalités de traitement tant juridiques que sociales subsistent et impactent négativement les relations entre les peuples. En 2004, à l’occasion d’une visite au Canada, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones M. Rodolfo Stavenhagen a ainsi déclaré qu’il existe des « écarts inacceptables entre les [autochtones] canadiens et le reste de la population en ce qui consiste la réussite scolaire, l’emploi et l’accès aux services sociaux de base » [4].
Depuis plusieurs décennies, la lutte des Nations Unies contre les inégalités touchant les minorités autochtones a pris une place de plus en plus prépondérante dans le débat public international. Entre 1995 et 2004, l’ONU a proclamé la Décennie internationale des populations autochtones, qui a conduit à la création en 2003 de l’Instance permanente sur les questions autochtones. Une nouvelle étape clef de la défense des droits des populations autochtones est franchie le 13 septembre 2007, au moment de l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Là encore, le Canada a initialement refusé d’y souscrire, de même que la Nouvelle-Zélande, les Etats-Unis et l’Australie, craignant selon les auteurs que cela remette en cause leur souveraineté. Ce n’est qu’en 2010, sous la pression des peuples autochtones fortement mobilisés, que le Canada finit par annoncer son soutien à la DNUDPA « dans le respect intégral de la Constitution et des lois canadiennes », précisant immédiatement que cette déclaration ne constitue pas à ses yeux une norme de droit international et ne peut donc modifier les lois canadiennes. Dans le même temps, il déclare « sa volonté de nouer avec les Inuits, les Premières nations et les Métis une relation fructueuse, constructive et fondée sur notre histoire commune, le respect et le désir de faire face à l’avenir ensemble, et ce, pour accroître le bien-être des Autochtones ». Au-delà de l’aspect reluisant de ces déclarations, il apparaît donc rapidement que leur force juridique est très réduite, ce qui va empêcher de réelles améliorations des relations entre les peuples.
Une peinture murale faite sur un immeuble du boulevard Saint-Laurent, à Montréal, rend hommage aux femmes autochtones disparues et assassinées, le 18 avril 2015.
Crédit : Radio-Canada/Ralph-Bonet Sanon
Malgré cette réticence apparente à remettre en question un ordre établi, le Canada met en place un certain nombre de Commissions d’enquêtes. En 2008 est créée la Commission de vérité et de réconciliation, qui a pour mandat d’enquêter et de recueillir des témoignages des victimes des pensionnats autochtones dans tout le Canada. En 2016, une Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées est lancée par le Gouvernement. En 2016, le gouvernement canadien finit par annoncer appuyer sans réserve la DNUDPA, y compris le droit à l’autodétermination pour les peuples autochtones. La même année, il affirme par le biais de la Ministre de la Justice que la relation avec les peuples autochtones est une priorité absolue pour le Canada [5].
Malgré ces annonces et actions, force est de constater que la réconciliation entre les gouvernements canadien, provinciaux et les communautés autochtones est encore loin d’être achevée. En 2020, le ministre des Affaires autochtones du Nouveau-Brunswick et la mairesse de Montréal ont tous les deux admis l’existence d’un racisme systémique envers les peuples autochtones dans leurs circonscriptions, dans le contexte de mobilisations mondiales contre le racisme dans la police. Par ailleurs, un certain nombre d’affaires judiciaires sont encore en cours, certains groupes autochtones reprochant à l’Etat canadien d’avoir autorisé des projets comme la construction d’oléoducs sur leurs territoires sans les consulter, alors même qu’il s’agit d’une obligation légale de l’Administration.
- Un ouvrage cherchant à identifier les raisons de l’échec de la réconciliation afin de trouver comment les dépasser
Partant du constat que la politique, réaffirmée à de nombreuses occasions, de réconciliation avec les peuples autochtones n’est pas suffisamment efficace, les deux auteurs se penchent alors dans un second temps sur ce qui pourrait être mis en œuvre pour la parfaire.
Ils cherchent tout d’abord à identifier les raisons de l’échec de cette politique de réconciliation et en identifient plusieurs, notamment la crainte d’une perte de souveraineté de la Couronne et les enjeux contradictoires qui s’opposent au sein de cette politique.
Pour le gouvernement, la mise en œuvre de la DNUDPA telle qu’elle a été conçue par les Nations Unies entraîne nécessairement une remise en question de la conception de l’État canadien comme un État unitaire, ce qui explique leur réticence. En effet, les peuples autochtones ne constituent pas des minorités au sens des Nations Unies mais bien des nations, ce qui signifie qu’en théorie le gouvernement canadien devrait traiter avec eux sur une base égalitaire, et d’autre part qu’il faudrait, comme l’a proposé le Ministre de la Justice et Procureur général du Canada David LAMETTI que « les traditions juridiques autochtones [soient] reconnues à part entière et appliquées aux côtés de la tradition juridique occidentale ». Dans un État qui a déjà souffert de nombreuses tensions du fait de traditions différentes au Québec et qui a peiné à faire naître un véritable sentiment d’unité nationale, cela semble compliqué à admettre de peur de voir une nouvelle fois la souveraineté de la Couronne remise en cause. Certains autochtones soutiennent ainsi que la DNUDPA devrait être intégrée à la Constitution canadienne et que des autorités juridiques autochtones soient reconnues, d’autres au contraire affirment que les tribunaux canadiens devraient traiter le droit autochtone comme s’il s’agissait d’un droit étranger, afin de ne pas devoir l’interpréter. Au niveau juridique, cela pose de nombreuses questions d’articulation potentielle de différents ordres au sein d’un même État et de reconnaissance mutuelle des décisions adoptées. Les auteurs soulignent de fait un fort sentiment de méfiance des populations autochtones envers les gouvernements, qui auraient tendance à les traiter avec condescendance et continuent de leur refuser une reconnaissance pleine et entière de leur souveraineté sur leurs territoires en tant que nations autonomes. Par ailleurs, il est arrivé à plusieurs reprises dans le passé que les gouvernements ne tiennent pas leurs engagements de traiter avec les Premières Nations comme avec des égaux, expliquant le doute subsistant aujourd’hui quant à la bonne foi du gouvernement dans la mise en œuvre d’une politique de réconciliation. Les efforts déployés par le gouvernement canadien pour s’assurer que la DNUDPA ne soit en pratique pas juridiquement contraignante ne font que renforcer cette crainte, alors même que la déclaration est censée engager la responsabilité des États nations quant à la protection des droits de la personne et des peuples autochtones. Ces derniers se disent notamment particulièrement inquiets du fait que le gouvernement fédéral puisse essayer de s’approprier leurs droits humains fondamentaux, qui ont pourtant une validité permanente et sont protégés par un certain nombre d’accords, pour privilégier ses intérêts économiques, comme nous allons le développer dans un second temps.
En effet, la mise en œuvre effective de la DNUDPA signifie pour les gouvernements admettre un recul des intérêts économiques. Les enjeux sociaux, comme l’importance de respecter les différences dans un État comme le Canada qui s’enorgueillit de son multiculturalisme ou encore la nécessité de parvenir à rompre les cercles vicieux qui ont pu se mettre en place dans le passé comme le problème récurrent de l’alcoolisme chez les autochtones ayant subi les pensionnats et leurs descendants, se heurtent violemment à ces enjeux économiques majeurs. L’économie canadienne est en effet fondée en grande partie sur les ressources naturelles et le droit d’exploiter ces dernières, or celles-ci sont fréquemment situées entièrement ou en partie sur des terres ancestrales autochtones, sur lesquelles ils sont censés avoir le pouvoir d’administration [6]. La question du contrôle des ressources et des territoires traditionnels constitue le point le plus clivant de la politique de réconciliation, or selon l’ONU le droit à l’autodétermination inclut l’autodétermination économique, et donc le contrôle des ressources, terres et territoires traditionnels. Il découle de ce principe que les peuples autochtones disposent du droit d’être informés des projets de mise en valeur prévus sur leurs terres ancestrales, dès lors que ceux-ci peuvent impacter leurs ressources ainsi que leurs manières de vivre et disposent du droit d’y consentir ou non. A plusieurs reprises, le gouvernement Trudeau a (malgré ses déclarations d’intention) semblé outrepasser ces droits, ravivant les doutes des peuples quant à ses réelles intentions et priorités. D’ailleurs, l’ancien Premier ministre M. Harper avait admis en 2007 s’opposer à la DNUDPA par crainte que la reconnaissance de ces droits économiques ne confère aux peuples autochtones un droit de veto à l’égard des projets du gouvernement québécois.
Il semblerait donc que les gouvernements canadien et provinciaux soient obligés d’opérer un arbitrage entre ces intérêts divergents voire parfois contradictoires, faisant nécessairement des déçus.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement peine à faire respecter les droits ancestraux des peuples autochtones par ses propres ministères, nécessitant fréquemment plusieurs rappels à l’ordre voire des actions en justice. Pourtant, conformément au principe de l’honneur de la Couronne, le gouvernement fédéral et ses ministères sont censés agir dans leurs rapports avec les peuples autochtones avec bonne-foi, équité et intégrité et donc appliquer la DNUDPA avec diligence. Les auteurs notent de plus de profondes divergences entre les applications au niveau fédéral, déjà imparfaites, et au niveau des États provinciaux, qui font parfois preuve de très peu de bonne volonté. L’exemple de la protection des langues autochtones en est un exemple frappant : alors que celles-ci sont aujourd’hui en passe de disparaître, le Canada n’a toujours pas mis en oeuvre à l’heure actuelle les droits linguistiques découlant de la DNUDPA, ou du moins pas de manière suffisante (notamment le droit pour les autochtones d’établir leurs propres établissements scolaires ou encore le droit d’être entendus et compris dans leur langue dans divers contextes privés et publics). Par ailleurs, la mise en œuvre de la déclaration supposait la prise en compte des modes de gouvernance traditionnels des peuples autochtones, et notamment l’organisation sociale et politique préexistante. Les auteurs admettent une réelle difficulté à articuler les échelles entre elles : les peuples ont le droit d’être autonomes, d’être traités en égaux par le gouvernement du Canada, mais en même temps peuvent participer pleinement à la vie politique, économique et socio-culturelle de l’Etat.
Ces problématiques se posent tout particulièrement pour les peuples autochtones dont les territoires ancestraux sont enclavés sur le territoire québécois, cette province étant tout particulièrement attachée à l’affirmation d’un Québec indivisible disposant du droit de conserver ses frontières si jamais il venait un jour à accéder à son indépendance. Cherchant à s’affirmer sur la scène nationale, la prise en compte des peuples autochtones comme des égaux qui pourraient limiter les politiques de mise en valeur du territoire apparaît comme un véritable frein à l’affirmation d’un particularisme québécois et tend à raviver des tensions préexistantes.
Les auteurs appellent à la fin de l’ouvrage à une reconnaissance officielle du fait que les peuples autochtones soient porteurs de traditions juridiques solidement établies, à la mise en place d’un dialogue honnête entre les différentes échelles du gouvernement et les peuples autochtones, à davantage de bonne-foi de la part du gouvernement canadien, ou encore à une meilleure sensibilisation à l’échelle nationale aux problématiques autochtones, tant dans les programmes scolaires que dans les médias. Un véritable processus de réconciliation passe selon eux nécessairement pas une refonte totale du système, évoquant notamment la possibilité d’intégrer un nouvel ordre autochtone dans le gouvernement canadien.
III. Validité scientifique de l’essai et critiques
En s’appuyant sur une bibliographie composée de rapports parlementaires et de think tanks, de déclarations officielles des différents acteurs impliqués et de leurs expériences personnelles, les auteurs parviennent dans cet essai à porter un regard intéressant sur les raisons de l’échec de la politique de réconciliation mise en œuvre depuis une dizaine d’années. Ils se placent, sans s’en cacher, du côté de la défense des intérêts des autochtones, une question qui a transcendé l’intégralité de leurs carrières respectives et est en cohérence avec le positionnement contemporain des Nations Unies, qu’ils ont tous deux fréquentés pendant de nombreuses années.
Bien que les intérêts du Canada, et notamment sur le plan économique, soient également présentés en filigrane, il demeurerait intéressant d’analyser comparativement la vision des acteurs économiques majeurs de cette région, qui sera nécessairement fondamentalement différente . En 2013, l’ancien ministre du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation Clément Gignac affirmait ainsi que le Québec serait dans un futur relativement proche contraint d’exploiter ses propres ressources naturelles pour maintenir le niveau de vie existant, qui repose aujourd’hui sur la péréquation grâce aux provinces de l’Ouest [7].
En outre, bien que la réflexion soit intéressante, il semble que les solutions proposées par les auteurs soient pour la plupart orientées vers un trop long terme, reposant notamment sur une refonte en profondeur du système politique et judiciaire. Ces idées posent de nombreux problèmes à la fois politiques et juridiques, notamment quant à la possibilité de prévoir un tel système permettant le respect de l’autonomie des peuples et une articulation complexe entre les différents systèmes juridiques coexistants. Pour assurer leur efficience à long terme, de tels projets doivent faire l’objet d’une réflexion approfondie, dont cet essai pourrait constituer la première phase. Il me semble toutefois qu’en parallèle de ce travail de recherche, l’effort de réconciliation doive avant tout se matérialiser dès maintenant à l’échelle de chaque communauté, si ce n’est à l’échelle individuelle, car il y a une véritable urgence sociale.
L’auteur de la préface Pierre Bélanger, avocat à la retraite et ancien professeur au Cégep de Sept-Îles, arrivait à la conclusion en se basant sur plusieurs situations dont il a été directement témoin que le racisme existant à l’encontre de ces populations était avant tout systémique, ce qui le rendait plus difficile à combattre. Ainsi, 81 % des Québécois non-autochtones auraient une bonne opinion des Premières Nations au Québec, selon une étude menée par la firme Léger en 2020 citée par l’ouvrage. Le travail contemporain de réconciliation ne peut se faire sans modification du système de fonctionnement même des relations entre les gouvernements canadien, québécois et les représentants du peuple autochtone. Cela passerait notamment par le fait de traiter avec ces peuples, dont le droit à l’autonomie a été reconnu, d’égal à égal et non pas avec la certaine condescendance qui a longtemps marqué leurs relations ; et par le respect des engagements juridiques pris. Il s’agit avant tout à court terme pour le gouvernement Canadien comme pour le gouvernement Québécois de montrer leur bonne-foi et leur attachement au respect des droits des autochtones, ce qui contribuerait à long terme à diminuer la méfiance des peuples à leur égard.
Un pensionnat autochtone à Red Deer en Alberta au début du 20e siècle
Crédit photo : Archives de l’Église Unie du Canada
Le travail de mémoire, qui se traduit notamment aujourd’hui par l’ouverture de cours portant sur l’histoire autochtone, est encore largement insuffisant. Malgré les réparations financières accordées aux victimes des pensionnats, le choc occasionné par la découverte en 2021 de plus d’un millier de tombes près d’anciens pensionnats [8] montre que la population non autochtone n’a pas encore suffisamment connaissance de l’histoire autochtone. En outre, il faut noter que ces pensionnats ont continué de fonctionner jusqu’en 1996, et que de nombreuses victimes continuent de souffrir des suites des mauvais traitements qu’ils y ont subis. Dans son ouvrage de fiction Aussi longtemps que les rivières couleront, le premier lieutenant-gouverneur autochtone de l’Ontario James Bartleman fait un lien entre le passage dans les pensionnats et le véritable problème d’alcoolisme dont souffre la génération victime de ces pensionnats comme les suivantes. Selon lui, en enlevant les enfants à leurs familles et donc en les privant d’affection et en les coupant de leurs racines, les pensionnats ont contribué à la naissance d’un sentiment chez ces enfants de n’être chez eux nulle part, ayant souvent perdu leur langue maternelle et leurs traditions au pensionnat mais ne s’identifiant pas non plus aux mœurs occidentales, ce qui a pu entraîner l’alcoolisme de certains. Devenus parents, ils n’ont eu aucun exemple de comment éduquer un enfant avec amour, entraînant une nouvelle vague d’alcoolisme et de suicides chez les adolescents [9]. La réconciliation ne peut alors se faire qu’en apportant un soutien psychologique aux victimes directes ou indirectes aux victimes, en plus d’un soutien économique notamment fourni par l’Eglise du Canada, qui reconnaît aujourd’hui partiellement ses torts. A court terme, il s’agira également d’intensifier les politiques visant à la préservation des cultures et des langues autochtones, qui ont été grandement perdues depuis les générations ayant été conditionnées par les pensionnats.
Par ailleurs, et je suis d’avis que ces actions devraient être prioritaires à celles d’une réforme de système politique dans son ensemble car à la fois plus efficaces et plus rapides à mettre en œuvre, les auteurs ont souligné à juste titre l’existence de réelles disparités dans l’accès aux services entre les populations autochtones et les populations non-autochtones. Cette réalité est d’autant plus problématique quand on considère qu’en 2021 encore une trentaine de communautés autochtones ne disposaient toujours pas d’eau potable [10], malgré la promesse de J. Trudeau en 2015 lors de sa campagne électorale. De réelles mesures pour tenir cette promesse pourraient permettre aux gouvernements de montrer leur bonne foi et leur volonté de considérer les Autochtones comme de véritables égaux, ce qui constituerait déjà une première étape décisive de la réconciliation.
Il faut enfin noter que la réflexion menée dans cet ouvrage dans le cadre du traitement social et juridique des autochtones au Québec est en réalité une question au rayonnement international bien plus large, qui pourrait également se poser de manière très intéressante dans les autres pays initialement hostiles à l’adoption de la DNUDPA, notamment en Australie et aux Etats-Unis. De la même manière, malgré des déclarations de principe nombreuses, les autochtones de ces pays ont encore le sentiment d’être marginalisés et considérés comme des citoyens de seconde zone. Cela est d’autant plus problématique que ces pays, tout comme le Canada, cherchent à jouer un rôle important sur la scène internationale et condamnent fréquemment les atteintes aux droits de l’Homme commises dans d’autres États, alors même qu’ils ont encore eux-mêmes un véritable travail de fond à effectuer sur la question.
Véïa Schwaller
SOURCES:
[1] https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/principes-principles.html – Principes régissant la relation du Gouvernement du Canada avec les peuples autochtones
[2] Pacte socio-économique entre le gouvernement du Canada, le gouvernement du Québec et le peuple innu, Gilbert Pilot et Rejean Côté, 5 septembre 2018
[3] Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adoptés par l’ONU en 1966
[4] UN Declaration on the Rights of Indigenous Peoples Not Merely Aspirationnal, 22 juin 2013, cité p.50 de l’ouvrage étudié
[5] Allocation d’ouverture devant l’Instance permanente sur les questions autochtones des Nations Unies, Jody WILSON-RAYBOULD, mai 2016
[6] Article 4 DNUDPA : « Les peuples autochtones, dans l’exercice de leur droit à l’autodétermination, ont le droit d’être autonomes et de s’administrer eux-mêmes pour tout ce qui touche à leurs affaires intérieures et locales, ainsi que de disposer des moyens de financer leurs activités autonomes »
[7] « Le Québec doit-il exploiter ses ressources pour dépendre moins de la péréquation ? », in La Presse, 19 février 2013 [consulté le 10 décembre 2021]
[8] « Tombes découvertes dans d’anciens pensionnats : l’Eglise du Canada fait son devoir de mémoire », in Le Monde, 24 septembre 2021 [consulté le 15 novembre 2021]
[9] Dans le même sens, voir « Les déclencheurs du suicide chez les atikamekw et les anishabek », in Drogues, santé et société, n°1, Avril 2018 [consulté le 2 décembre 2021]
[10] « Le traumatisme du manque d’eau potable », in radio-canada.ca, 12 septembre 2021 [consulté le 2 décembre 2021]
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