La Syrie : de la Révolution à la guerre de positions

La Syrie : de la Révolution à la guerre de positions

Le vendredi 3 mai, Classe internationale a organisé une conférence sur la Syrie à la Sorbonne, avec le concours de Mohamed-Nour Hayed. Voici un compte-rendu des propos tenus pendant cette conférence.

Présentation de Mohamed-Nour Hayed

Mohamed-Nour Hayed est arrivé en France en 2014, à l’âge de 12 ans. Originaire d’Alep, il a demandé l’asile politique au consulat de France à Istanbul, qui a été accepté. Il a ensuite suivi des cours de langue française avant d’entrer en quatrième dans un collège de région parisienne. Il a enfin intégré une prépa-licence avant de rejoindre le Master Relations Internationales et Action à l’Etranger de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Mohamed-Nour Hayed a souffert du syndrome du survivant et d’un sentiment d’illégitimité. Pendant un certain temps, il s’est retrouvé dans une situation où il n’avait aucune autre volonté que celle de tourner la page, en refusant de lire les journaux et d’écouter l’actualité concernant la Syrie. Cela a changé lorsqu’en classe de troisième, il a découvert la Shoah. Il s’est rendu compte que la souffrance faisait partie de l’histoire de l’humanité et que les peuples qui en avaient été victimes avaient réussi à en faire une force. Mohamed-Nour Hayed a réalisé qu’il pouvait en faire autant en tant que Syrien. Rencontrer la rescapée Ida Grinspan lui a également redonné espoir, notamment lorsqu’il a effectué un travail de groupe sur le convoi 77, le dernier convoi de France envoyé à Auschwitz. C’est en discutant avec cette rescapée de 80 ans, mais surtout en voyant son tatouage, qu’il a compris l’étendue des horreurs qu’elle avait vécues.

Mohamed-Nour Hayed s’est alors dit qu’il pouvait agir pour les siens grâce à la puissance des mots, qui unissent les foules en Syrie, et s’est attelé à la rédaction d’un livre. Il a envoyé des manuscrits entamés lorsqu’il était au lycée à une maison d’édition. Ceux-ci ont débouché en 2020 sur son premier roman, Ryässe ou le peuple oublié, en hommage à un manifestant pacifique torturé à mort par le régime syrien.

Dans cette continuité, il s’est engagé publiquement à partir de 2022, d’abord en soutenant le mouvement « Femme, vie, liberté » en participant à ses manifestations, puis en organisant des soirées culturelles syriennes. Le 6 février 2023, il est ressorti grandi des deux tremblements de terre en Turquie et en Syrie, lors desquels sa petite sœur a perdu la vie. Il a alors entamé des actions politiques avec son comité, dans l’objectif de faire revenir la Syrie sur le devant de la scène médiatique, notamment en intervenant au Parlement européen à Strasbourg pour soutenir des actions plus concrètes que les simples prises de paroles dans les médias, rapidement oubliées.Aujourd’hui, Mohamed-Nour Hayed cherche à sensibiliser la jeunesse par l’intermédiaire de l’ONG Eye on Syria, en donnant des conférences expliquant en détail la situation en Syrie, ses causes et ses conséquences, sans se contenter de relever des faits.

Le mouvement « Femme, vie, liberté » a pris de l’ampleur après le décès de Mahsa Amini – source : L’anticapitaliste / Couverture de l’ouvrage de Mohamed-Nour Hayed – source : Librairie Pedone

Retour sur l’histoire de la Syrie

Pendant de nombreuses années, la Syrie a été occupée par l’Empire Ottoman, avant d’être attribuée au Royaume-Uni et à la France par la Société des Nations (SDN), dans l’objectif de mener sa population vers l’indépendance. Ali al-Assad a alors accepté le projet de la SDN en échange de son maintien au pouvoir et de l’instauration d’un régime communautaire. Mais la division de la zone par la France a ensuite mené à la grande révolution syrienne, ce qui a forcé l’hexagone à reconnaître une « Syrie en devenir ». Alors que le chemin vers l’indépendance de la Syrie prenait son temps, le régime de Vichy a changé la donne en 1940 en revenant sur les accords et en maintenant la Syrie sous mandat français, en dépit de la résistance armée. En 1942, le Général De Gaulle a reconnu le peuple syrien et en 1946, le dernier soldat français a quitté le territoire, donnant lieu à la Fête de l’évacuation. Le drapeau syrien est apparu à cette époque, ses trois étoiles représentant les trois États composants la Syrie.

Le fils d’Ali al-Assad, Hafez al-Assad, était ministre de la Défense syrien lors de la guerre arabo-israélienne (ndlr : Guerre des Six Jours en 1967 / Septembre noir en 1970-1971), où l’armée syrienne a été détruite. Hafez al-Assad est revenu au pouvoir par un coup d’Etat militaire en 1970. Il a été soutenu dans son action par le Parti Baas syrien, le « parti de la résurrection », dont les origines remontent à 1947 et dont l’objectif est d’aboutir à « une seule nation arabe avec un message éternel ». Il existe trois branches du Parti Baas (syrien, jordanien et irakien), dont le trait commun est le penchant pour l’autoritarisme.

Le régime syrien s’est construit sur une chose qui n’avait jamais été expérimentée auparavant :  la création d’un « Etat des renseignements ». Celui-ci contrôlait le territoire grâce à un réseau de personnes payées pour dénoncer les autres. Le régime était ainsi capable d’agir en tout lieu et sans aucune limite de pouvoir, au point que même les membres de la famille al-Assad n’étaient pas à l’abri. Un régime de terreur s’est ainsi installé au milieu des années 1980, favorisant la naissance d’une opposition pro-démocratie. Pour garantir sa domination, Hafez al-Assad a accusé ses opposants d’appartenir aux Frères musulmans, une société prônant un islam politique et rigoriste alors en pleine croissance. Entre 40 000 et 100 000 personnes ont ainsi été tuées le 2 février 1982, traumatisant le peuple syrien.

En 2000, le deuxième fils de Hafez al-Assad, Bachar al-Assad, est devenu président avec 98 % des voix. Promettant initialement aux dirigeants occidentaux tels que Jacques Chirac une démocratisation de la Syrie et des réformes, le régime de la terreur et le système policier ont rapidement repris.

Ce totalitarisme syrien s’est construit autour du culte de la personnalité, notamment dans les écoles (portraits dans les salles de classe, uniformes aux insignes du parti, salut du drapeau, colonies d’été dédiées aux exercices militaires…). Le régime Assad s’est par ailleurs approprié le concept d’arabité, qui prône l’existence d’une seule ethnie arabe. Or la Syrie, en plus d’être un pays ayant joué un rôle dans le développement du christianisme, comporte des minorités kurdes, arméniennes, turkmènes… Toute sa diversité se trouve alors effacée.

Portrait de Hafez al-Assad à Damas, peint par des artistes nord-coréens – source : Alarabiya news

La révolution syrienne

En 2010, en plein printemps arabe, les manifestations s’amplifient en Egypte contre l’absence de liberté. Les pays européens, après les avoir considérés comme des troubles à l’ordre public et avoir songé à envoyer des militaires pour soutenir les policiers égyptiens, commencent à soutenir les résistants. Des tentatives d’appel à la manifestation voient le jour sur les réseaux sociaux et participent à la propagation du mouvement.

En mars 2011, des enfants syriens d’une dizaine d’années inscrivent les slogans « Dieu, Syrie, Liberté », « Le peuple veut la chute du régime » et « Ton tour est arrivé, docteur », entendus à la télévision, sur un mur. Ils sont arrêtés puis torturés par les forces du régime Assad, en dépit des supplications de leurs parents. Très vite, les protestations se propagent dans toute la Syrie. Les forces de polices sont déployées dans la capitale mais face à la violence de la répression, des officiels de l’armée syrienne refusent de tirer sur la population et créent l’Armée syrienne libre.

L’objectif de celle-ci est de mener la révolution contre le régime Assad. Grâce aux mutineries, de plus en plus nombreuses au sein du régime, elle obtient l’avantage stratégique : les rebelles contrôlent jusqu’à 70 % du territoire syrien et reçoivent un important soutien des pays européens, comme la France. Les massacres perpétrés par le régime Assad permettent à la communauté internationale de voir le vrai visage de Bachar al-Assad. La nuit du 25 mai 2012, plus de 100 personnes sont égorgées et abattues dans le village de Houla. Par la suite, le 3 mai 2013, deux massacres font plus de 500 morts, actant la déchéance de Bachar al-Assad sur la scène internationale. Mais c’est le 23 août 2023 qu’un degré inimaginable de barbarie et d’inhumanité est atteint : le régime envoie un gaz mortel lourd s’immisçant dans les sous-sol d’un village où la population avait l’habitude de se réfugier pour se protéger des bombardements. Bien que le président des Etats-Unis, Barack Obama, promette de riposter en cas de franchissement de la ligne rouge, la communauté internationale ne fait qu’exprimer son indignation après ce massacre.

Le régime Assad passe alors à la guerre à grande échelle en recourant à l’aviation : hélicoptères chargés de barils d’explosifs, avions de chasse soviétiques chargés de bombes à vides (des missiles supersoniques qui entrent dans les fondations des immeubles avant de les faire tomber)… A cela s’ajoute une politique de la « terre brûlée », lors de laquelle les soldats exterminent les survivants.

Houla après le massacre du 25 mai, dans lequel le gouvernement syrien nie toute implication – source : Spiegel

Daech en Syrie

Pour ne pas être discrédité par la communauté internationale, le régime Assad adopte une stratégie consistant à se présenter comme défenseur des minorités, qu’il a pourtant lui-même effacées. Pour appuyer ce narratif, le régime contribue à l’émergence de Daech, une organisation djihadiste créée dans le contexte de la guerre d’Irak, prônant la réunion des musulmans et défendant les musulmans persécutés. En 2006, le régime Assad libère les membres des Frères musulmans pour qu’ils aillent en Irak. Mais ceux-ci reviennent en Syrie, où ils sont emprisonnés avant d’être libérés dans les zones rebelles. Là-bas, ils reforment des réseaux terroristes qui justifient l’intervention du régime.

Daech emploie une méthode similaire à celles des SS et des SA pendant la Seconde Guerre mondiale, qui consiste à capter des personnes démunies et fragiles pour prétendre leur redonner une identité et leur apporter la gloire. Cette stratégie fonctionne et Daech prend progressivement le contrôle des localités. En 2014, Daech s’étend de l’Irak à la Syrie. L’idéologie de l’organisation djihadiste se fonde sur la répression des femmes, qui perdent toute existence civile. Des lois politiques arriérées et insensées voient le jour, tandis que Daech règne par la terreur.

Peut-on dire qu’aujourd’hui, en 2024, que Daech a été vaincu ? Combattre l’idéologie terroriste réclame un sursaut et une action universels. Daech, en plus d’être très bien armé, était doté d’une stratégie efficace et d’une capacité de propagande inégalée dans l’Histoire. Si Daech a quasiment disparu aujourd’hui, on peut encore facilement retrouver des vidéos faisant son apologie sur Internet. Ce mal doit être attaqué à sa racine, qui est l’ignorance.

La situation de Daech en 2015 – source : La croix

La Syrie aujourd’hui

Aujourd’hui, la Syrie est devenue la première base militaire russe en dehors de la Russie. Des puissances du monde entier se battant sur le territoire syrien, on peut se demander si l’appellation « guerre civile » est toujours valide. Désormais, la révolution syrienne ne peut réussir que par une libéralisation du pays. En effet, le fait que la révolution n’a pas réussi à battre le régime al-Assad s’explique en partie par le siège d’Alep par la Russie en 2016, la chute d’Alep marquant la fin de l’Armée syrienne libre.

La Syrie abandonnée par la communauté internationale, voit des villes telles qu’Idlib devenir  de véritables camps à ciel ouvert pour 3 à 4 millions de Syriens. La Syrie est aujourd’hui un Etat failli, contrôlé par les puissances étrangères et le régime Assad, isolé du reste du monde. Au niveau humain, on compte près d’un million de morts sur les 25 millions d’habitants au début du conflit et plus de 200 000 prisonniers et disparus. Tout cela résulte notamment de l’art de la torture employé par le régime Assad, qui s’inspire des techniques nazies. Alors que certains enfants sont nés en prison durant la révolution et n’ont jamais pu en sortir, les anciens prisonniers ont perdu toute volonté de vivre.

Au niveau économique, 80 % de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté et ne peut se nourrir dignement. Plus de la moitié des Syriens ont aussi été déplacés de chez eux et ont dû fuir leur pays, comme les 100 000 Syriens aujourd’hui réfugiés en France.

Le régime Assad parvient à se réhabiliter en 2023 après que des responsables internationaux et européens tels que Thierry Mariani se sont rendus en Syrie et ont évoqué un renouvellement de leurs relations diplomatiques. Mais un autre danger voit le jour, celui du narcotrafic de captagon, une drogue synthétique produite par le régime Assad. Ainsi, démanteler le régime Assad reviendrait à démanteler le terrorisme.

De leur côté, les réfugiés syriens souffrent de xénophobie dans des pays tels que la Turquie ou le Liban, qui appellent à « défaire » les dommages causés par leur immigration. Des pogroms sont organisés contre des magasins de Syriens, qui sont battus, tandis que d’autres sont déportés du Liban vers la Syrie. Ce sujet a notamment été au cœur des débats lors des dernières élections présidentielles en Turquie où Erdogan, bien que se présentant en défenseur des Syriens, a en réalité favorisé leur retour forcé en Syrie.

La chute d’Alep est retracée dans le film documentaire Pour Sama de Waad al-Kateab et Edward Watts, sorti en 2019 – Source : BIFA

Classe Internationale remercie Mohamed-Nour Hayed pour son investissement. Il est rappelé que les propos tenus n’engagent que Mohamed-Nour Hayed et non pas l’association.

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