Ils n’auront pas la Palestine

Ils n’auront pas la Palestine

Pour ce carnet de voyage, Classe Internationale vous livre les impressions de Marie sur Israël : surprise, étonnement, découverte, voilà un pays qui ne laisse pas indifférent.

Mi-avril, j’ai décidé de partir profiter du soleil israélien, après six mois passés dans le froid de Moscou. C’est Maud, Française en échange à l’université d’Herzliya, qui m’a fait visiter sa terre d’accueil. Après Israël, nous avons traversé la Cisjordanie jusqu’à Hébron, une ville fantôme coupée en deux.

Israël, en voilà un pays passionnant à visiter. Mais après avoir profité des plages de Tel Aviv, de la vieille ville d’Acre et des ruelles de Jérusalem, Maud et moi avons décidé de prendre un autobus à destination des Territoires palestiniens. Après Bethléem, nous avons mis cap sur Hébron, au sud. Maud n’avait jamais visité cette ville palestinienne, sous contrôle israélien partiel.

En ce début d’après-midi ensoleillé, nous prenons donc un sheirout – grand taxi collectif – depuis Bethléem. Nous avons déjà dépassé le mur de Cisjordanie dans la matinée, en quittant Jérusalem. Cette « barrière de sécurité » coupe le « pays » en deux : d’un côté Israël, de l’autre la « West Bank » (Cisjordanie). Cinq mètres de haut de béton dont les rares touristes s’approchent volontiers, du côté palestinien, pour se faire photographier devant les graffitis d’artistes comme le britannique Banksy. Effet de mode ou remake du mur de Berlin ?

Hébron 0 (640x430)Graffiti de Banksy sur le mur de Cisjordanie

Nous ne sommes pas restées longtemps à Bethléem. C’est une petite ville palestinienne sans grand intérêt à mes yeux, où les pèlerins se pressent pour embrasser le lieu présumé de naissance du petit Jésus, situé sous la basilique de la Nativité et marqué au sol par une simple étoile. Des cars touristiques déversent un flot continu d’étrangers qui se hâtent vers la fameuse « grotte », où les attend une file d’attente de deux heures, et cinq secondes de prosternation sur le lieu saint. Après avoir admiré nombre de postérieurs, je remonte dans l’église, elle-même en cours de restauration. Un gardien me confie que l’échéance des travaux n’est pas encore connue, qu’« avec les Palestiniens, on ne sait jamais ». En ressortant de l’édifice, Maud et moi rencontrons un Palestinien chrétien, dont la boutique ne vend rien d’autre que crucifix en bois et cartes postales du « mur de la honte ». L’homme parle sept langues. Puis, nous voilà sur la route pour Hébron. Notre fier sheirout traverse la campagne et emprunte des pistes de terre battue. Signalisation plus que sommaire, klaxon à tous les coins de rue, la conduite du chauffeur nous endort néanmoins.

A notre arrivée à Hébron, quelle surprise de ne plus rencontrer aucun touriste occidental dans la rue. Les commerçants, artisans, passants et enfants de la vieille ville nous apostrophent, nous souhaitent la bienvenue, nous offrent des pâtisseries. Certains nous suivent même à la trace. Nous nous dirigeons vers le tombeau des Patriarches, ou plutôt la mosquée, lieu saint pour les juifs comme pour les musulmans. Traversant le centre historique, quel agréable dédale de rues étroites, sombres, authentiques, qui rappelle Jérusalem. Au-dessus de nos têtes, des bâches, toiles, grilles, installées là pour protéger les commerçants palestiniens des agressions de leurs voisins. Les colons israéliens occupent en effet le vieux centre d’Hébron, tout comme la rue principale de la ville, depuis une vingtaine d’années. Les deux communautés ne cessent de se déchirer, si bien que certains colons se sont mis à jeter détritus et pierres du haut de leurs balcons, quand d’autres urinent sur la rue. Situation dramatique qui ne semble plus étonner personne.

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Bâches protégeant les commerçants palestiniens des projectiles israéliens, dans la vieille ville d’Hébron

En sortant du tombeau des Patriarches, édifice abritant mosquée et synagogue, notre chemin croise celui de soldats israéliens sans doute plus jeunes que nous. Que font-ils devant le monument ? En fait, le lieu est passé sous contrôle israéliens en 1994 après le massacre par le sioniste Baruch Goldstein de 29 musulmans en prière devant la mosquée. Résultat, le tombeau a été coupé en deux, pour permettre aux juifs comme aux musulmans de venir se recueillir sur les sépultures des patriarches et matriarches des deux religions monothéistes.

Choix ou ignorance ? Aucun des soldats israéliens en poste ne répond précisément à nos questions sur la situation géopolitique d’Hébron. La rue où nous nous trouvons fait-elle partie de la zone A, B ou C des Territoires palestiniens ? A savoir : tandis que l’Autorité palestinienne a un contrôle total sur les zones A des Territoires (en majorité des villes) et partiel sur les zones B (surtout des villages), les zones C, qui couvrent 60% de la Cisjordanie, sont entièrement contrôlées par l’armée israélienne. A ce titre, Hébron, ville composée à 20% de colonies israéliennes, fait figure d’exception dans le paysage palestinien, puisqu’elle est coupée en deux, entre zones H1 (contrôle palestinien) et H2 (contrôle israélien). Evidemment, la présence de soldats juifs nous convainc que nous nous trouvons alors en zone H2, qui inclut le centre-ville et la rue principale de la ville, déserte et renommée « rue des Martyrs ». De jeunes militaires, dont le service dure entre deux et trois ans, occupent donc cette rue, pour protéger les colons israéliens vivant sur place. Ils ne semblent d’ailleurs pas considérer la ville autrement qu’« israélienne ». La logique des « zones » ne leur est guère familière, sans doute ignorent-ils l’actualité du conflit israélo-palestinien. Mais comment leur en vouloir…

Depuis les accords d’Oslo de 1993 et malgré l’attribution de la ville d’Hébron à l’Autorité palestinienne, les colons israéliens sont revenus s’installer en masse dans la vieille ville et aux alentours, justifiant notamment leur retour par la seconde Intifada (2000). Il s’agit donc de la seule ville palestinienne contrôlée partiellement par l’armée israélienne. Il s’agit aussi de la plus grande : elle compte plus de 160 000 habitants.

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Rue principale d’Hébron, ou « rue des Martyrs ». Tous les commerces palestiniens ont fermé boutique en 2010, chassés par l’armée israélienne.

Nous empruntons alors la fameuse « rue des Martyrs », rue principale d’Hébron, désertée par les Palestiniens depuis quinze ans. Les Israéliens leur interdisent d’y vivre, d’y travailler et même d’y passer. Les rares Palestiniens que nous rencontrons sont contraints de faire un large détour pour passer d’une partie de la ville à l’autre. Sur les façades des maisons, des textes de propagande israélienne sur l’origine juive de la ville et sur les attentats perpétrés par des Palestiniens, des drapeaux nationaux, mais surtout des volets fermés. Les rares passants sont des joggeurs israéliens et de nouveaux soldats. L’un deux est français. Originaire du 13e arrondissement de Paris, il a récemment fait son « alya » (« ascension » en hébreu, immigration en Terre sainte) et s’est installé en Israël. Après son service militaire, il pourra reprendre ses études ou chercher un emploi en Israël. Ses camarades et lui semblent s’ennuyer à mourir, enfermés qu’ils sont dans leur tour d’ivoire, une tour de vigie israélienne au milieu de la rue, fantôme. Seule distraction, le distributeur automatique de boissons, encagé. Toutes les dix minutes, l’un des soldats vient chercher un Coca, qu’il saisit à travers les barreaux.

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Soldats israéliens sur la rue principale d’Hébron

Après vingt minutes d’attente dans la rue fantôme, un bus israélien passe et nous prend : direction Jérusalem. Le retour dans la capitale sainte s’effectue dans des conditions étonnantes. Le chauffeur s’arrête dans chaque colonie qui entoure Hébron. Des Israéliens montent à chaque fois, aucun Palestinien évidemment. Arrivés au mur de Cisjordanie, pas de contrôle. Le bus passe le checkpoint sans marquer le moindre arrêt. C’est dire si les militaires israéliens connaissent l’origine du convoi. Maud me raconte que lorsqu’elle prend un bus avec des Palestiniens, l’arrêt dure parfois plus d’une heure au point de contrôle, ceux-ci ayant à descendre pour montrer leurs papiers et leur permis d’entrer en « Terre d’Israël ». Ma camarade française a oublié son passeport, pourtant personne ne nous le demandera, une simple carte d’étudiante occidentale suffit pour passer la « frontière ».

Arrivée à Jérusalem : nous descendons du convoi, et de retour en Terre sainte, plus le moindre Palestinien à l’horizon. Il nous faudra plusieurs semaines pour digérer l’« expérience Hébron ». Israël, en voilà un pays passionnant à visiter.

Marie ALBERT

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