Dans l’esprit de Gbagbo (2) : Pourquoi le cacao pourrait le sauver.

Dans l’esprit de Gbagbo (2) : Pourquoi le cacao pourrait le sauver.

Après l’épisode de la nationalisation des banques, Laurent Gbagbo a décidé d’agir sur le cacao en annonçant la prochaine réquisition des stocks des firmes multinationales, bloqués suite à l’embargo sur les ports d’Abidjan et de San Pedro. Le point sur le cacao ivoirien, un des derniers espoirs pour Gbagbo de s’accrocher, encore, au pouvoir.

On l’attendait. Laurent Gbagbo a abattu une des cartes maîtresses dans le jeu qui l’oppose à Allassane Ouattara pour le fauteuil de président de la République de Côte d’Ivoire, auquel il s’accroche désespérément. Le 7 février dernier, le président sortant, non reconnu par la communauté internationale, a officialisé un décret faisant de l’Etat l’acheteur et le vendeur exclusif du café et du cacao ivoiriens. Pactole estimé si les exportations ne reprennent pas avant 31 mars, date butoir de l’ultimatum : des saisies de cargaisons entreposées sur les quais de Côte d’Ivoire valant plus de 1,5 milliard de dollars et environ 140 millions de dollars de taxe, selon Gilbert Ano, le président très pro-Gbagbo du Comité de gestion de la filière café-cacao ivoirien.

Après la nationalisation des banques Bicici (BNP Paribas) et de la Française Sgbci (filière de la Société Générale), Laurent Gbagbo s’attaque ainsi à une autre des sanctions de l’Union européenne. En effet, suite à l’interdiction d’exportation de cacao et de café décrétée par Alassane Ouattara, les multinationales ont gelé leurs activités et l’Union européenne a de fait mis en place un embargo sur les exportations en demandant aux navires européens de ne plus travailler avec les ports d’Abidjan et de San Pedro, premier port exportateur de cacao ivoirien.

Et l’embargo n’a pas tardé à faire effet. De façon double. Il prive en effet Laurent Gbagbo d’une manne financière immense alors même que la survie de « son » Etat ne tient, en grande partie, qu’à sa capacité à délier les cordons de sa bourse, personnelle ou non. Sa fortune personnelle, si colossale soit-elle, ne pouvant ainsi définitivement le maintenir à l’abri d’une désolidarisation de l’armée et de la fonction publique, Gbagbo n’avait d’autre choix que de faire main basse sur la filière du café-cacao, d’autant qu’elle assure la survie d’Abidjan, de San Pedro et, au delà, du pays tout entier.

Récupérer le cacao, garder le marché et séduire

Au delà des enjeux de la conquête de la présidence, la filière fait vivre des millions de paysans et génère environ 40% des recettes d’exportations du pays. Il ne fait donc aucun doute qu’un embargo de longue durée serait une catastrophe économique et sociale pour la nation ivoirienne.

En effet, une partie, bien que faible, de la production contourne d’ores et déjà l’embargo en passant illégalement par le Ghana voisin, deuxième producteur mondial et la situation politique, si elle devait perdurer, pourrait bien favoriser un changement dans la hiérarchie des pays exportateurs (voir diagramme) au profit du Ghana ou du Nigeria, en poussant les multinationales à revoir leurs engagements.

Mais, si l’argent est le nerf de la guerre, l’opinion publique n’est pas moins importante. Et cette réquisition des stocks des entreprises multinationales ne manquera sans doute pas de ramener à Gbagbo de nombreux soutiens, si d’aventure celui-ci parvenait à contourner l’embargo.

Ainsi, ce chef de village de l’Agnéby, dans le sud-est du pays, soutien historique de Gbagbo, interrogé sur RFI, en marge d’un sommet des producteurs de cacao, organisé à Abidjan le 15 février : « Si aujourd’hui on ne nous paye plus notre cacao, c’est la pauvreté dans nos campagnes. Nous n’arrivons plus à vendre, nous avons tout gardé.(…) Si ça moisit on jette, donc la solution c’est de débloquer cette situation pour que le port puissent fonctionner et que le cacao puisse nous produire notre intérêt ».

Relancer l’emploi, permettre aux producteurs de l’arrière-pays d’écouler leur production… autant d’atouts de poids dans la conquête des citoyens ivoiriens. D’autant que Gbagbo n’excelle jamais autant que dans la harangue contre le péril étranger.

Carte nationaliste et « cacao de sang »

Car ce sont principalement les entreprises multinationales qui, en bloquant leurs exportations, apparaissent comme responsables aux yeux des producteurs locaux. La plupart des grands exportateurs, les entreprises américaines Cargill et Archer Daniels Midland par exemple, ont ainsi respecté le vœu d’Alassane Ouattara et de l’Union européenne, empêchant toute marchandise de quitter le pays.

Gbagbo joue donc une nouvelle fois la carte nationaliste contre internationaliste, quitte à s’attirer un peu plus les foudres des gouvernements occidentaux. Ainsi, Philip J. Crowley, porte-parole du gouvernement américain, a qualifié devant des journalistes à Washington la tentative de Gbagbo comme s’apparentant purement et simplement à du « vol », les marchandises stockées sur les ports prêtes à l’exportation étant propriétés des entreprises exportatrices.

Même indignation du côté de la Haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Catherine Ashton, qui a déclaré dans un communiqué que Gbagbo ne pouvait être « habilité à effectuer des nationalisations ou des confiscations dès lors qu’il n’est plus le président légal du pays. Ceci représente la dernière étape en date d’un pillage d’Etat, après la saisie illégale des banques commerciales le mois dernier », a-t-elle ajouté, avant d’aller plus loin : « Nous ne voulons pas que les consommateurs européens mangent du chocolat fabriqué à partir de « cacao de sang. » »

Un axe « Abidjan-Shanghai » ?

Mais, si les Européens ne sont pas prêts à acheter du « cacao de sang », il semblerait que d’autres gouvernements moins sensibles soient disposés à prendre leur place. En effet, Laurent Gbagbo ne verrait pas d’un mauvais œil une redirection des exportations ivoiriennes : s’écarter des États-Unis et de l’Europe – 90% des exportations sont destinés aux États-Unis et aux Pays-Bas (voir carte) – , pour se diriger encore davantage vers l’Asie avec la Russie et le géant chinois, dont le marché n’est évidemment pas négligeable. D’autant que, si, un Chinois ne mange que 100 grammes de chocolat par an en moyenne (contre 10kg pour un Européen), c’est dans l’empire du Milieu que le marché progresse le plus, au rythme de 10 % à 20 % par an.

Le Directeur Général du Port Autonome d’Abidjan, Marcel Gossio, a ainsi avoué à la radio ivoirienne, vendredi 11 mars, sa satisfaction quant aux missions menées pour la recherche de nouveaux partenaires : « Les négociations sont sur de bonnes voies et on note l’enthousiasme des opérateurs chinois », s’est-il exprimé.

Les sociétés chinoises Shanghai Construction Group, China Sceco Group, Cpm Corporation et Taxing Sunhoo Shipbulding semblent ainsi s’être positionnées comme partenaires et seraient prêtes à accompagner le port d’Abidjan dans sa politique de diversification. Elles exercent dans les domaines de la construction de ports, de ponts et de routes, du transport de marchandises et de l’industrie de construction ferroviaire.

Les échanges entre la Côte d’ivoire et la Chine s’évaluent aujourd’hui à 2,5 millions de tonnes mais devraient s’accroître avec le lancement prochain d’une ligne maritime directe entre le port de Shanghai (premier mondial) et celui d’Abidjan. D’autant que Laurent Gbagbo souhaite depuis longtemps renforcer les exportations de cacao vers la Chine, peu présente malgré l’exploitation des ressources halieutiques avec le thon ou minières avec les gisements de manganèse de Lauzoua – les hydrocarbures, minerais et métaux représentent les premières importations chinoises en provenance d’Afrique – . Les Chinois devaient également participer à l’agrandissement du port d’Abidjan vers l’île Boulay.

Une course contre la montre à enjeux multiples

Gbagbo est en fait engagé dans une course contre la montre. Sans la relance de la filière cacao-café, sa situation risque fort de se fragiliser de jour en jour, d’autant que l’avancée des troupes rebelles pourrait à terme atteindre le port de San Pedro, premier port exportateur de cacao au monde. Les Forces nouvelles (FN) loyales à Alassane Ouattara ont ainsi pris une quatrième ville de l’ouest ivoirien, jusqu’alors aux mains des troupes pro-Gbagbo et s’approchaient, le 14 mars, selon RFI, de Bloléquin , dans la région de Toulépleu qui leur ouvrirait l’accès au port de San Pedro, dont l’annexion fait partie du plan d’étouffement économique prôné par Ouattara mais également par l’Onuci (Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire) et la France en particulier. (voir carte de l’avancée des Forces nouvelles)

En trouvant de nouveaux partenaires – et en confiscant les stocks des entreprises exportatrices (il leur a laissé jusqu’au 31 mars pour reprendre leur activité) -, Gbagbo pourrait bien relancer la filière, au moins dans le port d’Abidjan. Il porterait alors un coup important aux intérêts d’Allassane Ouattara, d’un point de vue politique et stratégique, mais également au niveau économique aux multinationales originaires de l’Europe et des États-Unis en grande partie.

Il pourrait également s’adjuger un joli profit du point de vue commercial. En effet, l’embargo sur les exportations en provenance de Côte d’Ivoire n’a pas manqué de faire grimper les prix du cacao, le prix de la tonne étant monté la semaine dernière à New York jusqu’à 3.775 dollars, un sommet depuis 1979. Point besoin de préciser que, si Gbagbo récupérait les stocks, estimé à 400 000 tonnes, et parvenait à les vendre à leur prix actuel, l’ampleur des gains issus de l’opération serait colossale.

Mais avec un Laurent Gbagbo disposant des ressources nécessaires, via Abidjan, au maintien de « son » État et un Ouattara possible maître, d’ici quelques jours, du premier port exportateur de cacao, le pays serait alors plus que jamais promis à la division.

Mathieu OLIVIER

Pour aller plus loin :

 

Quand la Chine s’éveille à l’or brun, LaRevue.info
Cacao : Le marché reste suspendu aux soubresauts de la Côte d’Ivoire, AFP
Les partenariats ivoiriens en Asie et au Moyen-Orient, Site Officiel
Côte d’Ivoire : Toulépleu aux mains des FN ; les combats à Abobo continuent, Jeune Afrique
Dossier La crise post-électorale ivoirienne, Courrier International
La Chine en Afrique, une réalité à nuancer, par François LAFARGUE, Diploweb.com
Production de manganèse : L’avenir s’annonce prometteur pour l’Afrique, AfriqueAvenir.org
Dans l’esprit de Gbagbo (1) : Pourquoi il ne négociera pas avec Ouattara, Inter-Action.tk

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2 Comments

  1. Le cacao est une ressource essentielle pour la Côte d’Ivoire, car il représente environ 40 % des recettes d’exportation du pays et fait vivre des millions de paysans. Gbagbo, en s’attaquant à ce secteur, cherchait à relancer l’économie ivoirienne malgré l’embargo imposé par la communauté internationale. Le cacao, bloqué dans les ports, aura pu rapporter des milliards s’il était vendu, ce qui aurait permis à Gbagbo de maintenir son pouvoir. Cependant, les grandes entreprises multinationales et les sanctions internationales compliquaient cette stratégie. Le défi était donc de contourner l’embargo tout en trouvant de nouveaux partenaires commerciaux, comme la Chine, pour écouler cette précieuse marchandise. Aussi, le cacao est toujours aussi vitale pour la Côte d’Ivoire : https://www.ivoireland.com/10905/cacao-agriculteurs-demandent-augmentation-prix

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