La régulation des banques, entre nécessité et incohérences mortifères
Bâle I, Bâle II, Bâle III, les accords se succèdent et se ressemblent. Retour sur une régulation des banques à la fois nécessaire, absurde, et génératrice d’effets pervers.
« Les banques sont-elles bien régulées ? » Vaste question. C’était le thème de la conférence organisée le 9 novembre dernier à Lyon dans le cadre des journées de l’économie, les JECO. La régulation en question, c’est la réforme dite « Bâle III ». Petite dernière de la fratrie, elle est issue des travaux du Comité de Bâle, lequel est chargé de renforcer la solidité du système financier mondial ainsi que l’efficacité du contrôle prudentiel.
Etaient présents des professionnels issus du milieu bancaire, ainsi que Jean-Paul Redouin, sous-gouverneur de la Banque de France et membre de l’ACP (Autorité de Contrôle Prudentiel). A peine le débat avait-t-il commencé que les divergences naissaient de toutes parts. Si Jean-Paul Redouin est convaincu de l’efficacité future de Bâle III, les banquiers, eux, en doutent. Un accord dénoncé avant même son application, augurant les incohérences de la réglementation des banques. Parmi elles : le décalage spatio-temporel.
Des cadences très différentes
13 ans, c’est le temps qu’il a fallu au Comité pour accoucher de Bâle I. Entre 1975 et 1988, le Comité a élaboré un accord prévoyant un ratio prudentiel, afin de prévenir le risque d’insolvabilité des banques. Une mesure qui ne devait prendre effet qu’à partir du 1er janvier 1993, date à laquelle les banques devaient respecter un ratio de 8 % entre le total de leurs actifs et leurs fonds propres. Bâle II a fait son apparition en 2004, après cinq ans de travaux. Aujourd’hui, il est loin d’être par tous appliqué, alors même que Bâle III a d’ores et déjà vu le jour.
Précisons que ces documents ne sont pas contraignants juridiquement en eux mêmes, mais constituent un engagement moral. En Europe pourtant, Bâle I, II, et III ont été transposés dans des directives européennes. Très encourageant, certes, mais il y a un hic. Si aujourd’hui les banques européennes sont tenues d’appliquer Bâle III avant 2019, « les banques américaines sont tout juste en train de songer à l’éventualité d’appliquer Bâle II », regrette Jean-Bernard Mateu, président du Directoire de la Caisse d’Epargne Rhône Alpes, intervenant lors de la conférence de Lyon. Cela s’appelle de la distorsion de concurrence.
Une régulation néanmoins nécessaire
Malgré cette distorsion, tout n’est pas à rejeter en bloc. Car des cadres réglementaires sont on ne peut plus nécessaires, comme en témoigne un employé des risques opérationnels chez Natixis. Selon lui, Bâle II a eu un véritable impact, en introduisant par exemple la notion de risque opérationnel. Entendez par là tous les risques liés à des catastrophes naturelles, des erreurs humaines, des fraudes… l’épouvantail suprême en la matière étant le bien connu Jérôme Kerviel. Aujourd’hui, la banque de financement et d’investissement qu’est Natixis compte un service dédié à la gestion de risques opérationnels, lequel est d’ailleurs relativement déconsidéré. « Normal, explique-t-il, nous, aux yeux de certains métiers, nous sommes des emmerdeurs, des empêcheurs de tourner en rond. »
Emmerdeurs peut-être, il n’en reste pas moins qu’ils ont du pain sur la planche. En matière de risques opérationnels, les déconvenues peuvent être très coûteuses. Ainsi chez Natixis, une fraude a récemment fait perdre plusieurs dizaines de milliers d’euro à l’entreprise. Une histoire de fausse identité, au terme de laquelle le délinquant en col blanc s’est évanoui dans la nature. Il poursuit : « Au-delà de 50 000 euros, c’est considéré comme un incident grave. Là, la personne en charge de l’opération n’avait manifestement pas été mise au fait des procédures de contrôle. C’est pourquoi le service des risques opérationnels doit également faire de la sensibilisation auprès du personnel. »
Oui, les réglementations ont un impact réel. Reste toujours le problème de la lenteur. Chez Natixis, les mesures de Bâle II en matière de fonds propres ne seront appliquées qu’à l’horizon 2016. Quant à Bâle III, notre employé est catégorique : « Bâle III ? On n’en parle pas ». Et pour cause. Selon Patrick Artus, directeur de la Recherche et des Etudes chez Natixis, présent à la conférence, Bâle III est une mauvaise réforme, pour la simple raison qu’elle pourrait avoir l’effet contraire à l’objectif recherché, en augmentant les risques liés au financement de l’économie.
Les risques inhérents aux réglementations de Bâle
Bâle III incite les banques à augmenter leurs fonds propres, comme le faisait Bâle I en son temps. « Or, souligne Patrick Artus, il a été démontré que la simple augmentation de fonds propres, sans pondération par les risques conduisait les banques à prendre encore davantage de risques. » Cela s’appelle un effet pervers, et ce n’est pas le seul.
Pondérer les fonds propres par le risque de recouvrement des créances, tel était précisément le principe de Bâle II. « C’était une très bonne chose », précise le directeur de service. N’est-ce pas pourtant sous Bâle II qu’a éclaté une certaine crise des subprimes ? La faute au contournement de cet accord via la titrisation à outrance, entre autres. Une technique financière permettant aux banques d’effacer sur le papier certaines créances de leur bilan.
De plus, Bâle III instaure un ratio de liquidité qui pousse les banques à renforcer leur passif à court terme. Problème : qui d’autre que les banques ira faire de la transformation financière ? Celle qui consiste à faire le lien entre l’épargne à court terme et les prêts à long terme ? Selon Patrick Artus, les banques n’auront d’autre choix que faire de la désintermédiation, afin de sortir de leur bilan les financements à long terme. Cela s’appelle de la titrisation, une fois de plus. Bye bye le crédit bancaire : les entreprises seront contraintes de se financer davantage sur le marché, comme c’est le cas aux Etats-Unis. « Or si le marché va mal, les PME meurent » : Patrick Artus est sentencieux.
Bâle III serait donc un frein au financement à long terme de l’économie ? C’est tout de même un comble. A l’heure où BNP Paribas annonce la suppression de 1400 postes pour renforcer ses fonds propres, il est plus que pertinent de se poser la question soulevée par la banque dans sa dernière campagne de communication. Un client s’adresse à son agence et demande : « Avec la crise, vous allez continuer à prêter ? »
Léia Santacroce
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