Fiche de lecture : Jacques Follorou, Démocratie sous contrôle : la victoire posthume d’Oussama Ben Laden
Jacques Follorou, Démocratie sous contrôle : la victoire posthume d’Oussama Ben Laden, Paris, CNRS Editions, 2014, 55p, ISBN 978-2-271-08298-5
Jacques Follorou est un journaliste d’investigation travaillant pour le quotidien Le Monde. Il s’est tout d’abord concentré sur le milieu du crime organisé particulièrement en Corse.
Spécialiste des services de renseignement, et de l’anti-terrorisme, il écrit dans Le Monde des articles sur le Moyen Orient, l’Etat islamique, le conflit en Syrie et les djihadistes. Il a également travaillé sur le dossier Snowden et les révélations de la NSA.
Ce livre s’inscrit parfaitement dans l’actualité, et s’intègre dans le contexte de lutte anti-terroriste, due à l’expansion de groupes djihadistes tels que l’Etat islamique en Syrie et en Irak ou Boko Haram au Nigéria. Il y a aujourd’hui un phénomène massif, inédit pour les démocraties européennes, de mouvements de jeunes partant faire le djihad en Syrie et en Irak. Le départ de ses ressortissants, mais surtout de leur retour, entretient un sentiment d’insécurité, car seraient susceptibles de commettre des attentats sur le sol européen.
L’auteur n’émet pas de thèse mais souhaite ouvrir un débat qui selon lui, devrait être posé sur la table.
Les puissances occidentales sont aujourd’hui engagées dans une forte lutte anti-terroriste face à la principale menace qui les guette, le risque d’attentats qui viserait leur territoire. Il ajoute que cela à un prix, dont nous n’avons pas assez conscience, au nom de la lutte anti-terroriste certains Etats ont mis en place des systèmes de surveillance très performants et intrusifs, en l’absence de contrôle ces systèmes comportent des risques de dérives liberticides.
« De son vivant, tel un devin maléfique, Ben Laden se félicitait déjà des effets de ce poison lent. Cet Occident, qu’il connaissait bien, allait se renier et compromettre ces valeurs de libertés et de droits de l’homme qu’il porte en étendard dans le monde entier. Le 21 octobre 2001 il commente, devant la caméra d’un correspondant d’Al Jazeera, les attentats du 11 septembre : « Je vous le dis, affirmait-il, la liberté, et les droits de l’homme en Amérique sont condamnés. Les gouvernement des Etats-Unis entrainera le peuple américain – et l’Occident en général- dans un enfer insupportable et une vie étouffante »» (p.8).
Ces coups portés à l’Etat de droit ont été le fait des Etats eux-mêmes. La menace terroriste s’est imposée aux yeux des gouvernements et des opinions publiques européennes comme le danger principal auquel ils sont confrontés. Pourtant l’auteur constate un écart important entre la menace réelle sur nos vies, et le sentiment d’insécurité.
Jacques Follorou nous décrit d’abord que les Etats-Unis ont mis en place une « Guerre sans frontières » aux pratiques douteuses. Il prend comme exemple les programmes de la CIA de transfert des prisonniers étrangers dans des centres de détention où la torture est pratiquée, notamment vers des installations des services secrets afghans (NDS). Ces pratiques américaines sont donc clairement contraires au droit international. Puis l’auteur nous décrit le recours de plus en plus systématique aux forces spéciales américaines, le JSOC (Joint Spécial Operation Command), principal outil de cette guerre sans frontière. Cette unité comprend plus de 10 000 hommes qui ont largement contribués à la stratégie de sécurité américaine, en ayant recours à de nombreux assassinats ciblés. « Même si cela ne plait pas à l’état-major qui veut laisser croire que l’armée est un tout, m’indiquait début février 2013 pour le Monde un général français à Kaboul, ce sont les forces spéciales qui ont fait cette guerre, associés au renseignement électronique et aérien. » (p18). Enfin cette guerre antiterroriste des Etats-Unis s’appuie sur le recours aux drones, plus important encore sous Obama que sous W. Bush. Les drones, chefs de file de cet art de la guerre asymétrique américain, posent les questions de respect du droit international, de souveraineté territoriale et de morts « collatérales » de civils. « L’argument central des Etats-Unis face à ces griefs tient en un mot : « auto défense ». Ce mot justifie selon les dirigeants politiques et militaires américains l’ensemble de la politique antiterroriste » (p.23).
Ainsi pour les victimes civiles de ces drones la voie judiciaire est compliquée voire inexistante. De plus, en Grande-Bretagne on constate l’existence de « tribunaux secrets » statuant sur les questions civiles concernant le terrorisme, qui ne respectent pas une procédure garantissant plusieurs droits fondamentaux qu’une cours est censée protéger.
L’auteur nous explique que depuis 2001, il y a eu une réorganisation du renseignement américain ayant pour but de créer une base de données presque exhaustive de l’ensemble des communications téléphonique et numériques à travers le monde. Il s’est opéré un bouleversement dans le monde du renseignement, à la faveur de la révolution technologique, qui donne la capacité aux Etats de collecter de façon massive l’essentielle des données personnelles qui transitent pour 80% par des câbles sous-marins (appels, data). « La collecte est massive et systématique car, disent les autorités américaines, « je ne connais pas mon ennemi de demain et ces éléments me seront nécessaires quand il surgira dans cinq, dix ou trente ans. » (p.34). Ainsi la révolution numérique a bousculé le renseignement, et sous prétexte d’une lutte antiterroriste, certains Etats procèdent de la collecte du plus grand nombre d’informations de manière indiscriminée, notamment au détriment du droit à la liberté privée.
Ce n’est que depuis les révélations de documents de la NSA par Edward Snowden que l’on a pu prendre conscience de l’ampleur de ce phénomène, qui échappe à tout contrôle démocratique. Jacque Follorou nous montre que le but de Snowden était de faire émerger un débat inexistant, sur ce système néfaste pour nos libertés, dans un Etat se disant « démocratique ». En effet, « les libertés ont été mises en danger par de vastes complexes sécuritaire qui ont peu à peu échappé au pouvoir politique et au contrôle des élus » (p.10).
Puis l’auteur nous révèle que des pièces de Snowden transmises au Monde ont montré qu’il existait de véritables liens étroits entre la Direction générale des services extérieurs (DGSE) française, la NSA et le GCHQ britannique. Cela met en lumière la coopération qui s’est mise en place concernant le renseignement technique, au nom de la lutte antiterroriste. En effet, les principales agences de renseignements s’échangent les informations collectées, posant le problème de la fuite des données. Puis l’auteur nous explique que la proximité des opérateurs de télécommunications aux renseignements permet cette collecte massive de données.
Enfin, Jacques Follorou dégage que cette surveillance de masse, entravant nos libertés, sous prétexte d’une politique anti-terroriste n’est en réalité pas adaptée à cette menace : « Selon une association d’anciens haut responsables de la NSA (Veteran intelligence professionals for security), (…) « la collecte massive de données est inefficace pour prévenir les attaques terroristes et attentatoires à la liberté privée » (p.45).
Les Etats-Unis se sont focalisés sur la captation du plus grand nombre de données plutôt que sur l’exploitation de celles-ci, ce qui réduit leur efficacité en termes de lutte antiterroriste. Le terrorisme est une menace qui a été grossie, il y a en réalité dans les pays occidentaux peu de victimes d’actes terroristes en chiffres, comparé aux morts sur la route par exemple. Cependant on exige du terrorisme un objectif zéro.
L’auteur relève l’amalgame fait entre le terrorisme et les violences politiques ou religieuses, aujourd’hui tout est montré du doigt comme du terrorisme, ce qui entretient un climat anxiogène, et justifie donc encore la surveillance de masse. De plus l’assimilation de beaucoup de personnes et groupes à des « terroristes » ne fait que créer la violence de demain.
Ainsi le problème majeur pour l’auteur est que ce système ne fait pas ou peu réagir l’opinion publique, ni les parlementaires, qui ne prennent donc pas leurs responsabilités politiques. Pour lui, dénote seulement la réaction du Parlement européen, seul à avoir réagi aux révélations de Snowden, en les condamnant.
Ainsi, nos démocraties sont sous contrôle, par les services de renseignements qui se sont transformés depuis les attentats du 11 septembre pour devenir un système de surveillance d’Etat, trouvant ses limites dans les entraves à la liberté privée qu’il engendre. C’est donc la victoire d’Oussama Ben Laden car les Etats occidentaux et particulièrement les Etats-Unis vont eux-mêmes à l’encontre des valeurs qu’ils prônent et opposent aux « terroristes ».
Notre avis
Ce livre, bien que très court, nous permet d’avoir une analyse documentée du travail de Jacques Follorou, une synthèse de ses articles sur notre idéologie sécuritaire et donc des dérives qu’elle entraine. Cet ouvrage est conforté par de nombreux témoignages et citations d’agents de services de renseignements, et d’extraits de documents confidentiels. De plus il analyse quelques pièces du dossier Snowden, ce qui en fait un condensé bref mais complet du système de renseignement et de collecte de données massives, sous prétexte de la lutte anti-terroriste. Le point de vue de ce journaliste et auteur est intéressant car il a travaillé directement avec Glenn Greenwald sur les documents de la NSA pour Le Monde, seul quotidien en France à disposer de ce matériel.
Ainsi il nous amène à réfléchir sur cette thématique, pose les bonnes questions, et donne envie d’en savoir plus, du fait de son faible nombre de pages. Il est donc important, pour compléter la lecture, de lire les articles de Jacques Follorou sur le site du Monde, dont ce livre nous en fait une synthèse, qui reste tout de même assez exhaustive.
Amélyse Menei
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