Quelle géopolitique des matières premières ?
Mercredi 9 décembre, dans les locaux de Grenoble École de Management, une conférence était donnée en partenariat avec le Diploweb sur le thème Géopolitique des Matières Premières.
La première intervenante, Bernadette Mérenne-Schoumaker, professeur de géographie à l’Université de Liège a traité du sujet de la géopolitique des matières premières, tandis que le second, Sébastien Abis, chercheur à l’IRIS (Instituts des RI et stratégiques) et analyste politique pour les questions de développement et d’alimentation en Europe et en Méditerranée, s’est lui concentré sur la Géopolitique du Blé.
Géopolitique des Matières Premières – Conférence de B. Mérenne-Schoumaker
B.Mérenne-Schoumaker définit les matières premières comme étant les « matières tirées du sol (aussi bien de la terre que de la mer), sans transformation, mais issues de l’action des hommes. »
Ces matières, qui ont vu leur croissance multipliée par 8 au XXème siècle, sont des facteurs de puissance, car elles représentent des enjeux stratégiques, des défis au sein des territoires et des hommes.
Contextualisation
Depuis 1950, la population mondiale a été multipliée par 3. Ceci est à mettre en parallèle avec l’augmentation des niveaux de vie, et la croissance économique dans de nombreux endroits du globe. De fait, la demande pour les matières premières augmente.
Les matières premières présentent des enjeux pour plusieurs raisons :
- Elles sont réparties inégalement dans le monde. C’est d’autant plus vrai pour les hydrocarbures, dont la Chine abonde particulièrement.
- De nombreux acteurs s’intéressent à ces matières premières (les groupes énergétiques, les groupes miniers, mais elle cite également les firmes de négoce), car les marchés mondiaux pour ces ressources sont relativement peu régulés, mais grandement interconnectés et mondialisés.
Le cas des Etats-Unis (et dans une certaine mesure, le Canada): le pétrole
Les Américains sont de gros consommateurs de pétrole (en 2005, 25% du pétrole était importé du Golfe Persique), en concurrence avec la Chine et l’Inde, deux autres pays consommateurs, mais leurs réserves domestiques sont relativement faibles (autour de 3%).
B. Mérenne-Schoumaker souligne pourtant que depuis 2005, les Etats-Unis ont instauré une politique de contrôle des fournisseurs, afin de soutenir leur propre industrie pétrolière. Du fait de la crise économique, les Américains se sont tournés ver leurs propres réserves, notamment en hydrocarbures non-conventionnels (par opposition au forage traditionnel), comme le gaz de schiste, obtenu par fracturation hydraulique. Ces hydrocarbures perçoivent par exemple des subventions pour couvrir les coûts élevés de l’extraction du pétrole.
Cette politique a provoqué la baisse des importations (modification des fournisseurs de pétrole) et de la consommation, mais une nette hausse de la production américaine (autour de 68%).
En 2013, les Etats-Unis sont les premiers producteurs de gaz et de pétrole, ce qui traduit leur montée en puissance dans ce domaine, mais des questions subsistent :
Les USA peuvent-ils maintenir leur production d’hydrocarbures non-conventionnels, vus leurs coûts de production ? Peuvent-ils devenir auto-suffisants ? Peuvent-ils, à terme, fournir gaz et pétrole à l’Europe, à des prix compétitifs ?
Quelle est la ligne de l’Arabie Saoudite ou de la Russie sur la question, alors que les prix du pétrole sont en baisse ?
Le cas de la Russie : le gaz
Le gaz russe représente 23% des réserves mondiales, il se situe donc « au cœur de la reconquête du Kremlin. » Ceci s’illustre avec la société Gazprom, détenue à 50% par le gouvernement russe, et par qui 86% de la production de gaz passe. Elle est le principal partenaire des pays importateurs de gaz en Europe, notamment la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne ou l’Italie. Mais la crise en Ukraine et les nouvelles politiques de libéralisation des marchés sont venues remettre en cause le monopole russe du gaz en Europe. L’Ukraine dépend à 60% du gaz russe, donc la Russie en faire un outil de pouvoir, en « instrumentalisant les prix, et les royalties, notamment liées aux gazoducs. »
Ces gazoducs, justement, représentent un enjeu majeur pour la Russie, qui possède le plus grand réseau du monde. Elle projette d’agrandir son réseau, mais du fait de tensions, les nouveaux tracés ont une signification importante. Afin d’éviter l’Ukraine, le projet du Nord Stream a été envisagé dès 1997 par Gazprom afin de relier la Russie à l’Allemagne. Un autre projet, South Stream, envisagé en 2007, et qui devait passer par la Biélorussie a cependant été annulé, sous la pression de l’Union Européenne. La Russie semble désormais vouloir se tourner vers la Chine, en atteste la mise en place du projet Force de Sibérie.
Le cas de la Chine : les terres rares
B. Mérenne-Schoumaker explique tout d’abord ce que sont les terres rares : il s’agit de « métaux, d’oxydes, tels que l’yttrium, ou le scandium, principalement utilisés dans la haute technologie et l’électronique, du fait de leurs composante électromagnétique ».
La Chine comprend vite l’importance de ces minerais pour son économie, puisque en 1992, Deng Xioping dira « Le Moyen Orient a du pétrole, la Chine a des terres rares. »
La Chine adopte dès les années 1980 des stratégies de contrôle et de structuration de la filière mondiale, et engage de grandes entreprises de recherche, pour développer son industrie. L’idée sous-jacente est de garder les terres rares sur son territoire pour forcer les entreprises de haute-technologie à s’implanter en Chine.
Cependant, un contrôle des exportations et une politique de bas prix mèneront à une flambée des prix en 2011, forçant la Chine à alléger ses régulations sur les terres rares.
Bien que la demande soit aujourd’hui en baisse, B. Mérenne-Schoumaker pense que la Chine a encore de beaux jours devant elle, puisque ses gisements présentent des minerais de qualité, que la main d’œuvre pour les exploiter reste relativement bon marché, et que les normes environnementales chinoises sont moins contraignantes que dans d’autres pays plus développés.
Elle conclut sa présentation sur l’idée que les énergies non-renouvelables constituent un enjeu, lié au poids croissant de la géopolitique, et des défis économiques, sociaux, démographiques et environnementaux. Dans l’idéal, il faudrait se tourner vers une nouvelle gouvernance de ces matières premières si l’on veut qu’elles perdurent.
Le blé, « Produit vital pour la sécurité mondiale » – Conférence par S. Abis
Pourquoi lier blé et géopolitique ? Parce que la nourriture et l’agriculture ont une dimension géostratégique. L’alimentation est « l’énergie des hommes », en particulier en période de croissance démographique. L’agriculture a permis aux hommes de se sédentariser et donc, de se développer. Le blé en particulier est « aspiré par cette croissance démographique, mais aussi par l’urbanisation. » Il explique notamment que le blé est un constituant essentiel de notre alimentation, et que plus les populations s’urbanisent, plus elles en consomment (à travers le pain ou les pâtes par exemple).
Chaque jour, 700 milliards de tonnes de blés sont produites, et cette augmentation de la production est proportionnelle de la croissance démographique. Des pays comme l’Inde ou la Chine sont devenus les premiers producteurs de blé (en quantité) simplement parce qu’il en va de leur sécurité alimentaire nationale.
Il fait cependant remarquer quelque chose d’intéressant : jusqu’ici, l’augmentation des capacités de production a pu répondre à la demande croissance en blé, sans qu’il n’y ait augmentation des terres, simplement des rendements. La moitié des États produisent du blé, mais 90% de la production est concentrée dans 10 puissances, dont le Canada, les Etats-Unis et la France. Ces trois pays couvent leurs besoins, mais de nombreux pays n’y arrivent qu’en important. Par exemple, le Maroc importe de grandes quantités de blé dur depuis le Canada, afin de produire sa semoule. La demande en blé pour les continents africain et asiatique va être encore amenée à augmentée du fait de la croissance démographique prévue d’ici à 50 ans.
La question environnementale est également à prendre en compte, puisque, comme le fait remarquer S. ABIS, « l’agriculture est le seul domaine qui dépend entièrement du climat. » et que 1/3 de l’humanité dépend de cette activité. Cela est à mettre en parallèle avec les conflits et la pauvreté. En effet, il souligne le fait que les « cartes de la faim se superposent avec celles des conflits. » La sécheresse en Syrie en 2008 a créé une situation de crise humanitaire grave (famine, chômage) ayant des répercussions politiques (violentes émeutes).
De plus, des conflits dans les zones productrices de pétrole auront des répercussions sur le prix du blé. En 2008 toujours, le prix du blé a très fortement augmenté, du fait d’une flambée des prix du pétrole. Or le blé a besoin d’être acheminé vers les pays importateurs par voie maritime ou terrestre, acheminement directement lié au pétrole.
Des acteurs comme Daesh profitent d’être dans des zones de conflits pour contrôler l’accès au blé, et de fait, instrumentaliser les populations, en influant sur leur alimentation.
Et la France dans tous cela ?
S. ABIS met l’accent sur le fait que la France est le 3ème producteur de blé, avec 13% des exportations mondiales. Un de ses atouts principaux est production constante, qui la fait peser sur la scène mondiale. Ceci s’explique par le fait que pratiquement tout le territoire français contient des champs de blé, et qu’ils s’agit d’une industrie importante : la filiale céréalière emploie 500 000 personnes aujourd’hui (en comptant les emplois liés au transport, avec le port de Rouen, premier port céréalier européen).
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