Pour la Food and Agriculture Organization (FAO), la sécurité alimentaire désigne une situation dans laquelle toutes les personnes d’un territoire ont un accès continu physique, social et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive, qui permet de couvrir leurs besoins et leurs préférences alimentaires, pour une vie active et équilibrée. La nourriture doit donc être quantitativement et qualitativement suffisante. En 2015, 795 millions de personnes étaient en situation de sous alimentation dans le monde. Bien que toujours balbutiante, l’agriculture urbaine apparaît comme une réponse efficace et peu onéreuse pour pallier ce problème.
La crise alimentaire de 2007-2008 a mis en lumière les problèmes d’insécurité alimentaire dans le monde et notamment dans les villes dépendant fortement des produits importés. Elles font parties des lieux les plus propices au développement de cette insécurité en raison de la production lointaine des fruits et légumes au cycle de conservation court et de la forte dépendance à la qualité des voies de communication. Face à cela, 800 millions de personnes s’alimentent grâce à l’agriculture urbaine, une forme d’agriculture présente depuis des années mais que les crises successives ont rendu plus visible et plus nécessaire. Si l’on prend la définition de Moustier et M’Baye, l’agriculture urbaine est l’agriculture localisée en ville ou à sa périphérie dont les produits et les services sont essentiellement à destination de la ville. Donc il s’agit d’une agriculture qui partage avec la ville des ressources (foncières, main d’œuvre) susceptibles de faire l’objet d’usages complémentaires ou concurrents, essentiellement à cause de l’alternative entre un usage urbain agricole et non agricole de celles-ci.
La réponse des populations urbaines face à l’insécurité alimentaire
Bien que différentes, Antananarivo et Détroit sont deux villes confrontées à l’insécurité alimentaire. L’agriculture urbaine, présente depuis des décennies dans ces territoires, apparaît alors comme une des solutions pour pallier cette situation.
Quand les villes manquent de provisions : l’exemple d’Antanarivo
La FAO a estimé en 2012 que plus de 40% des ménages urbains en Afrique subsaharienne conduisent des activités agricoles en ville. La capitale de Madagascar, Antananarivo, en est un bon exemple.
Géographiquement il s’agit d’une ville tropicale d’altitude, qui occupe un ensemble de collines et de vallées, avec une population de 2 millions d’habitants, en augmentation de 3% par an. Cette nouvelle population se concentre surtout dans les bas fonds de la capitale. Le régime alimentaire de base des Malgaches est constitué de nourriture périssable, or la ville est très mal approvisionnée à cause des voies de communications en mauvais état. De plus, le pays a dû faire face à de nombreuses crises politiques entre 2002 et 2003 et entre 2009 et 2013, entravant son développement. Ainsi l’agriculture urbaine s’est développée car il n’y avait pas d’autres choix pour fournir des produits frais. Elle représente aujourd’hui 43 % de la surface de la Communauté Urbaine d’Antananarivo (CUA). Elle permet ainsi de répondre aux besoins alimentaires de base de la population. La tomate, le chou-fleur, le riz et le cresson, qui constituent l’essentiel du régime alimentaire malgache, sont majoritairement produits grâce à cette forme d’agriculture.
Accéder à une nourriture diversifiée : l’exemple de Détroit
Aux Etats-Unis, on estime que 46,6 millions de personnes perçoivent des aides alimentaires et que plus de 60 millions y sont exigibles en 2012.
Détroit est la principale ville du Michigan avec 700 000 habitants en 2012, mais sa population a été divisée par 2,6 depuis les années 1960 et elle a été fortement touchée par la crise immobilière de 2007-2008 en raison de l’effondrement du secteur automobile. Ainsi 38% des habitants vivent sous le seuil de pauvreté.
Cela a entraîné un double phénomène. D’une part, la ville dispose dorénavant de nombreux espaces vides car un tiers de la ville est en friche. La disparition des épiceries et le développement des fast food a conduit, d’autre part, à l’apparition des food desert , des espaces pauvres où les habitants ne peuvent se procurer de la nourriture saine à un prix abordable ce qui fait que l’on consomme avant tout une nourriture peu chère mais peu saine et de mauvaises qualités, à l’origine de maladies comme le diabète et l’obésité
L’agriculture urbaine est donc apparue comme une option de sortie de crise. 1600 jardins communautaires et fermes urbaines se sont ainsi développés et des programmes d’alimentations, vendant des productions à prix modiques ou organisant la distribution au détail par les soupes populaires, ont été créés.
Héritages et nouveaux modes de productions
Le rôle des acteurs et de la situation géographie dans l’installation d’une agriculture urbaine
Le système fonctionne avant tout grâce à l’implication de nombreux acteurs, comme les ONG ou les acteurs internationaux. Par exemple le programme AULNA à Antananarivo, « Agriculture Urbaine Low Space no Space », est organisé par des ONG locales avec le soutien de la Région Ile de France, de la CUA et de l’Institut National de la Recherche Agronomique. Cela a permis d’initier des familles à la culture de légumes sur des dispositifs à faible emprise spatiale, comme les tours de pneus ou les tables de culture. Au Yaoundé des financements internationaux ont soutenu des projets de recyclage des ordures ménagères pour favoriser le développement des fumiers organiques
Cependant ce sont généralement les individus sur place qui vont engager spontanément des initiatives d’agriculture urbaine. Tout d’abord par des pratiques héritées. Ainsi Détroit a toujours connu l’agriculture urbaine. Au XIXème siècle la migration des populations Afro-Américaines provenant des États ségrégationnistes du sud des États-Unis vers les villes du nord a introduit des pratiques liées aux habitudes de ces nouveaux arrivants, celle de disposer d’un jardin potager. Les difficultés économiques ont, quant à elles, favorisé le développement de nouvelles pratiques qui s’adaptent aux contraintes et aux opportunités de la crise, notamment grâce au Do It Yourself.
La situation géographique joue un rôle dans l’importance du développement de l’agriculture urbaine. Douala, au Cameroun, est un site d’estuaire au sol pauvre (sablo-limoneux) et ainsi les pratiques d’agriculture urbaine sont peu développées et la ville est donc très pénalisée en cas de défaillance d’approvisionnement alimentaire. Au contraire, Yaoundé ou Bafoussam profitent de conditions plus favorables et de l’héritage d’une agriculture multifonctionnelle.
Typologies des systèmes de production
On distingue le plus souvent quatre systèmes de production :
-le système vivrier, qui constitue le modèle le plus répandu, avec une logique d’autoconsommation et d’appropriation foncière.
-le système maraîcher (dans les vallées et bas fonds) où l’on cultive des légumes, tomates ou encore des condiments consommés au quotidien. Les filières sont de plus en plus structurées et professionnalisés grâce au modèle du circuit court de distribution alimentaire urbaine promu par les ONG.
-le système agro-forestier, hybride car à la fois vivrier et fruitier.
-le système d’élevage urbain ou péri-urbain, de plus en plus présent et qui dégage des revenus. Ce système structuré est organisé par des associations de la société civile.
À Antanarivo, par exemple, se sont développées des fermes bovines dans les zones péri-urbaines. Elles servent à la production de lait mais aussi à la vente de fumiers servant à fertiliser des terres médiocres
Au sein de ce système, il existe plusieurs façons, collectives ou individuelles, de développer l’agriculture urbaine :
– les jardins privés
– les jardins communautaires qui sont ouverts au public, gérés collectivement par leurs membres et pouvant comporter un jardin potager. Ainsi, à Détroit, la Georgia Street Community Garden, fondé en 2002, dans l’East Side est un jardin avec des chèvres et des poules qui jouxte un centre communautaire dédié aux enfants
– les fermes urbaines à petite échelle. Earthworks, au coeur de Détroit, a été construit en 1997 sur un idéal de justice alimentaire à partir de donations et du bénévolat. Dans ce cadre ont été mis en place des programmes éducatifs, tout comme une vente hebdomadaire de production à la ferme et au marché d’Eastern Market.
– des fermes urbaines au statut commercial
L’agriculture urbaine a aussi des conséquences économiques et sociales. En effet, elle permet de dégager des revenus liés à la vente des produits de culture. On voit ainsi se développer des micros circuits de commercialisation locaux et informels. Cette agriculture favorise aussi l’autonomisation des agents et le développement d’une vie de quartier autour de la production urbaine.
Critiques et problèmes de l’agriculture urbaine
Les problèmes liés à la production et à son financement
La production reste encore faible dans certains espaces au Nord. À Détroit la ville ne produit que 165 tonnes de fruits et légumes par an, ce qui permet de nourrir 275 personnes. On estime que si elle utilisait tout l’espace disponible, elle pourrait produire assez de nourriture pour un million de personnes, soit plus que la population de la ville.
La production présente aussi des risques. Ainsi, le cresson consommé à Antananarivo est produit intra-urbain et le plus souvent dans des eaux usées. La prolifération des bactéries fait donc courir un grand risque de propagation des maladies. Contrairement à ce que veut la tradition, les habitants de la ville ont décidé de le faire cuire pour écarter tout danger. La consommation de cresson constitue alors un marqueur social : les plus riches vont pouvoir en acheter à la campagne et le consommer cru.
Des pratiques encore peu reconnues
L’agriculture urbaine peut s’avérer génératrice de conflits. En effet, dans les pays du Sud, elle relève souvent de pratiques spontanées, encouragées par les ONG locales, et bien plus rarement par les autorités publiques. Ces dernières y voient surtout une forme d’ingérence portant atteinte à leur souveraineté.
Au Cameroun, par exemple, l’agriculture urbaine pose un double problème. Concernant d’une part la définition ainsi que la reconnaissance de cette activité. Pour les pouvoirs publics il s’agit souvent d’une occupation de l’espace public. Sous prétexte d’inquiétudes paysagères, sécuritaires et environnementales, les autorités entrent dans une logique d’interdiction. L’acceptation de l’agriculture urbaine dépend du bon vouloir de l’administration municipale ou du préfet. D’autre part les autorités publiques peuvent être réticentes vis-à-vis de la promotion d’une civilisation urbaine universelle. Pour eux l’agriculture est synonyme d’un enlaidissement du paysage urbain, de maladies, de l’insécurité, de la pauvreté. On les considère alors comme des « gîtes de criminalité ». On interdit en conséquence ce type d’agriculture dans le cadre d’une stratégie d’embellissement et de restauration de l’autorité de l’État. Il s’agit cependant d’une exception : les autorités laissent le plus souvent faire, ne pouvant assurer au mieux la sécurité alimentaire des populations.
Benoît Bimbault
Bibliographie :
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MORGAN Kevin, « Nourishing the city : the rise of the urban food question in the Global North », Urban Studies 1-16, Mai 2014.
NAHMIAS Paula et LE CARO Yvon, « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales », Environnement Urbain / Urban Environment .
PADDEU Flaminia, « L’agriculture urbaine à Detroit : un enjeu de production alimentaire en temps de crise ?. », Pour 4/2014 (N° 224) , p. 89-99.
YEMMAFOUO Aristide, « L’agriculture urbaine camerounaise. Au-delà des procès, un modèle socioculturel à intégrer dans l’aménagement urbain », Géocarrefour, 89/1-2 | 2014, 85-93.
Les sites de la FAO regorgent de données et d’exemples sur l’agriculture urbaine dans les pays du Sud.
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