Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest niché sur la côte atlantique, bordé au Nord par le Sahara et à l’Est par la Mauritanie, fait figure de grand champion de la démocratie dans cette partie du monde. Bien que le premier président de cette république, Léopold Sédar Senghor, soit resté en poste près de 20 ans, le Sénégal connaît des élections régulières depuis 1989. Son président actuel, Macky Sall (élu en 2012), a décidé d’en faire une vitrine de l’Afrique de l’Ouest avec son « Plan Sénégal Emergent ». Ce Plan a pour visée de développer le tourisme et d’attirer les investisseurs étrangers. Mais les attaques terroristes récentes chez ses voisins, au Mali le 20 novembre, au Burkina le 16 janvier et plus récemment en Côte d’Ivoire, font craindre aux autorités sénégalaises des attaques sur son sol du fait de sa position stratégique et des nombreux intérêts étrangers qui s’y côtoient.
La première menace est AQMI (Al Qaïda au Maghreb islamique) mais Boko Haram constitue également un sujet d’inquiétude. Des ressortissants sénégalais (entre dix et trente individus) se trouvent dans les rangs de ces deux organisations terroristes ainsi qu’en Libye dans la région de Syrte où ils combattent pour l’Etat islamique. Ceux-ci se mettent régulièrement en scène sur les réseaux sociaux où ils affirment qu’ils souhaitent rentrer au Sénégal pour mener le djihad. Longtemps négligentes, les autorités prennent désormais cette menace très au sérieux. En effet, en octobre et novembre 2015, un réseau de présumés terroristes a été démantelé à Kaolack, au sud-est de Dakar. Un imam salafiste, Alioune Badara Ndao, est soupçonné d’appartenir à un réseau en lien avec Boko Haram. D’autres complices ont été arrêtés à Rufisque, une ville proche de Kaolack.
Pourquoi le Sénégal est-il une cible potentielle ?
Le Sénégal est d’abord considéré, en Afrique de l’Ouest, comme un pays sûr, démocratique, un Etat stable où vivent de nombreux ressortissants européens. De plus, c’est un allié stratégique de Paris et Washington dans la lutte contre le terrorisme sur le continent. Un contingent sénégalais de 500 hommes est présent, à ce titre, au sein de la MINUSMA (Mali). Déjà en décembre 2015, Jeune Afrique relatait l’arrestation « d’un groupe de Sénégalais qui envisageaient, selon toute vraisemblance, de créer dans leur pays une branche de Boko Haram et qui auraient même élaboré un projet d’attentat dans la capitale ». Ils avaient été arrêtés à la frontière entre le Nigéria et le Niger. En réalité, ils venaient de la forêt de Sambissa, une base de Boko Haram dans le nord-est du Nigéria. Ce groupe appelé le groupe de Diokahné (du nom de leur chef) a combattu auprès de Boko Haram et vivait dans cette forêt depuis un an. Leur chef leur aurait demandé de rejoindre le Sénégal pour créer un réseau djihadiste. En janvier 2016, a été démantelé un réseau lié à l’organisation État islamique en Afrique de l’Ouest (ex-Boko Haram), au Niger et au Nigeria, qui préparait, selon des sources judiciaires, une action terroriste au Sénégal. Ce « réseau » mettrait en cause une demi-douzaine d’imams influents dans le pays. Il semblerait que l’arrêt des travaux de construction de la mosquée de l’aéroport de Dakar soit une conséquence de ces arrestations.
Le 6 janvier 2016, un membre d’AQMI, Cheikh Ould Saleck, évadé d’une prison mauritanienne se serait introduit dans la ville de Saint-Louis. Celle ville est séparée de la Mauritanie par le fleuve Sénégal. La présence de Saleck n’a pas été avérée même si des membres de la Division des investigations criminelles sénégalaises ont été dépêchés dans le quartier de Goxxu Mbacc. Il s’agit d’un quartier pauvre de Saint Louis « assez fréquenté notamment par les contrebandiers, [qui] a toujours été une porte d’entrée pour certaines personnes en provenance du territoire mauritanien », comme rapportait le 6 janvier 2016 Le Quotidien.
En effet, la menace est d’autant plus forte du fait de la porosité des frontières comme l’affirme Henri Ciss, porte-parole de la police sénégalaise : « Avec la proximité de la Mauritanie, qui est une porte ouverte sur la Libye, il peut y avoir une entrée de djihadistes au Sénégal. On a créé de nouveaux postes frontaliers à la frontière mauritanienne. Il y a un maillage sécuritaire plus dense. À Rosso, où il n’y avait que la gendarmerie, on a ouvert un nouveau poste frontalier. Mais il est évidemment toujours possible de traverser la frontière. Il y a des zones à risques, comme au nord de Saint-Louis avec le quartier de Goxxu Mbacc, qui jouxte la frontière mauritanienne ».
En tout, entre novembre 2015 et mars 2016, aux termes d’un vaste coup de filet, près 1 700 personnes ont été convoquées par la police pour être interrogées et, quelquefois, perquisitionnées afin de déterminer la nature de leurs activités. Les autorités doivent faire face à la méfiance de la population. En effet, dans la cour de la grande mosquée de Saint-Louis, l’imam, à propos de ces arrestations reconnait « les temps sont difficiles pour les imams avec la pression de l’État, nous souffrons beaucoup, nous nous sentons menacés », dit-il. On dénonce, autour de lui, une « répression sans fondement ».
Sur ce sujet, les autorités sénégalaises sont dans une situation très délicate puisque la population sénégalaise, très religieuse, n’a jamais connu d’attentat djihadiste sur son sol et elle est donc d’autant moins encline à accepter une répression.
La question religieuse au Sénégal
L’idéologie wahhabite est présente au Sénégal depuis les années 1990. Mais les confréries soufies ont empêché son extension dans la mesure où elles jouissent d’un contrôle social très fort. Le Sénégal est un pays composé à 94% de musulmans, les chrétiens principalement catholique constituent 5% de la population et les croyances traditionnelles sont créditées de 1% mais sont pratiquées également par les musulmans et les chrétiens. Il existe quatre confréries soufistes : la tijaniya, le mouridisme, la qadiriyya et le layénisme. Selon Abdourahmane Seck, chercheur au Centre d’étude des religions de Saint Louis « les confréries sénégalaises ont effectivement joui, dans l’ordre de la logique étatique de leur institutionnalisation, d’une réputation de creuset d’islam socio-religieusement tolérant et politiquement non engagé ».
Mais les confréries sont elles-mêmes dans le viseur des terroristes. En effet, les personnes arrêtées en novembre 2015 projetaient de commettre un attentat à Touba et Tivaouane, lieux de pèlerinage des confréries mouride et tidjani. Pour les islamistes radicaux, ces confréries constituent une perversion religieuse.
Selon un rapport sur la paix et la sécurité dans l’espace CEDEAO, le Sénégal vit depuis les années 1970 une islamisation de la contestation politique. En effet, les cadres francophones sont contestés par une élite arabophone formée dans des universités islamiques à l’étranger. Cette élite dénonce « la faillite du pays » menée par ces cadres francophones. On assiste également au développement du « mythe de la conscience islamique ». Ce mouvement est destiné à toutes les franges de la population sénégalaise. Il défend l’idée de faire renaître l’oumma, la communauté transnationale de croyants. Les courants islamistes usent de ce mouvement pour créer une « alliance objective » avec les déçus des confréries. En effet, cet héritage colonial de la proximité entre le pouvoir et les confréries est extrêmement important au Sénégal. Selon ce rapport, les déçus « se dirigent, de plus en plus, vers un islam dit « rationalisé », recrutant même dans l’élite intellectuelle dite « francophone ». Cela conduirait, paradoxalement, avec un « élitisme » de l’extrémisme, vers une sorte d’islam des « ingénieurs » dépouillé des marques culturelles locales comme au Moyen-Orient (Frères musulmans en Égypte) et au Maghreb (Algérie, Tunisie et récemment au Maroc). »
Le centre du pays, wolofone, étant tout acquis aux confréries, les prêcheurs se tournent alors davantage vers les zones frontalières du Nord, du Sud et de l’Est. L’Arabie saoudite serait présente dans le Sud afin de contrer l’implantation d’un courant chiite selon Bakary Sambe, chercheur au centre d’étude des religions, de Saint-Louis. L’idée pour ces prêcheurs radicaux serait de détruire « la zone grise » c’est-à-dire la majorité de la population non acquise à un islam radical.
Toutefois, dans des villes comme Dakar, Rosso ou encore Kaoloack, des mosquées ont été financées par des pays étrangers. Les autorités sénégalaises ont longtemps occulté la provenance de ces fonds. La donne a changé comme l’explique Henri Ciss, porte-parole de la direction de la police nationale : « Avant, construire une mosquée était forcément une bonne action ; aujourd’hui, on surveille la provenance des financements. Ainsi, la construction de la mosquée de l’aéroport de Dakar a été stoppée, car il y avait de forts soupçons sur des liens avec des ramifications de réseaux djihadistes ».
Le pire scénario pour les autorités sénégalais serait la création d’une cellule terroriste sur le sol national notamment créée par d’anciens combattants. Ces derniers pourraient rentrer très facilement sur le sol sénégalais du fait des frontières particulièrement poreuses.
Quels sont les moyens utilisés pour faire face à cette menace ?
Pour faire face à cette menace, le Sénégal développe une coopération militaire avec ses partenaires au premier rang desquels se trouvent la France et les Etats Unis. Par exemple, à Dakar, Paris dispose d’un officier de liaison au ministère de l’Intérieur et d’un représentant de sa Direction générale de la sécurité intérieure chargé de coopérer avec ses homologues sénégalais.
En 2013, un partenariat a été créé avec Frontex. Il s’agissait, en premier lieu, de dissuader les candidats à l’exil mais une section visant à lutter contre le terrorisme a été mise en place. Cette même année, a été lancé un Pacte d’action contre le terrorisme. La France l’a financé à hauteur de 700 000 euros. L’idée est de renforcer les services de renseignement et de sécurité qui ont été réorganisés en juillet 2014. Le budget de l’armée a été augmenté notamment en matière d’outils de surveillance. Les directions générales des renseignements intérieurs et extérieurs (DGRI et DGRE) sont aujourd’hui placées sous la tutelle d’une Délégation générale au renseignement national (DRN), dirigée par l’amiral Farba Sarr. Une cellule anti-terroriste a également vu le jour.
Les restaurants, les grands hôtels, les bâtiments officiels font l’objet d’une haute surveillance. Dans ce sens, une circulaire a été diffusée auprès des hôteliers par le ministère de l’intérieur. Il leur est demandé de renforcer leur sécurité sous peine d’une fermeture administrative. Les patrouilles à l’aéroport Léopold Sédar Senghor ont également été renforcées. La sécurisation de ces sites vulnérables est faite par les effectifs de police mais également par des sociétés privées.
Le phénomène djihadiste s’étend en Afrique de l’Ouest, une région marquée par la porosité des frontières. Le Sénégal n’est pas à l’abri d’une attaque terroriste du fait de sa position stratégique, de ses accointances avec la France et les Etats-unis. Ce petit pays est également traversé par la propagation de l’idéologie islamiste accélérée par l’intervention française au Mali. Le rempart social que pouvait constituer les confréries se fragilise de plus en plus.
Les faiblesses des services de renseignement sénégalais couplées au caractère transnational de cette menace font peser de nombreuses limites quant à la gestion de cette menace. En outre, c’est une expertise sécuritaire et globale qu’il faut mettre en place et qui doit traiter des enjeux sociologiques, culturels, sociaux, géopolitiques et idéologiques. En effet, le Sénégal est marqué par la pauvreté, un chômage des jeunes, des inégalités importantes, une éducation duale qui n’offre aucune perspective à sa jeunesse mise à part deux choix. Une jeunesse se tournant vers le chemin de l’exil, qui prend le risque d’une mort dans les eaux méditerranéennes pour une vie meilleure. Cette autre jeunesse frustrée qui se tournera alors vers le chemin de la contestation politique facilement récupérable par les mouvances extrémistes. C’est véritablement sur la manière d’empêcher cette fracture sociale profonde que repose l’avenir du « pays de la terenga ». Il apparaît alors plus que nécessaire que l’Etat réaffirme sa présence, oeuvre à une véritable politique d’éducation, offre un avenir possible à cette jeunesse, à ses citoyens en devenir.
Ramata N’diaye
Sources :
http://www.jeuneafrique.com/mag/298462/politique/terrorisme-senegal-vive/
http://www.slate.fr/story/112945/senegal-terrorisme-aqmi
http://www.dakaractu.com/Menace-terroriste-au-Senegal-Abdoulaye-Daouda-Diallo-compteblinder-les-sites-vulnerables_a104680.html
http://www.afrik.com/menaces-terroristes-au-senegal-et-en-cote-d-ivoire-alerte-washington
http://www.senenews.com/2016/03/24/senegal-menaces-terroristes-un-presume-jihadistesinterpelle-avec-neuf-puces-telephoniques_151923.html
http://www.seneweb.com/news/Sécurité/menace-d-rsquo-attentat-terroriste-le-senegal-alerte-parla-france-et-les-usa_n_107305.html
http://afrique.lepoint.fr/actualites/terrorisme-senegal-dakar-retient-sonsouffle-15-03-2016-2025512_2365.php
http://www.ndarinfo.com/Menaces-terroristes-Un-presume-djihadiste-interpelle-au-Senegal-avecneuf-puces_a15242.html
https://www.issafrica.org/uploads/ECOWAS-Report-3-FR.pdf
http://www.diploweb.com/Geopolitique-du-Senegal-une.html
No Comment