Le 70ème anniversaire du Franc CFA en décembre 2015 a réactivé les polémiques sur son fonctionnement et son impact sur le développement économique des pays africains en dépendant.
Cette monnaie aujourd’hui vivement controversée apparaît en 1945, lorsque la France ratifie les accords de Bretton Woods et procède immédiatement à sa première déclaration de parité au Fonds monétaire international (FMI). Franc CFA signifie alors « franc des Colonies Françaises d’Afrique ». Soixante-douze ans plus tard, franc CFA signifie “franc de la Communauté Financière d’Afrique pour les pays membres de l’Union économique et monétaire ouest-africaine” (UEMOA), et “franc de la Coopération Financière en Afrique centrale pour les pays membres de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique Centrale” (CEMAC), auxquelles le franc comorien vient se greffer. Aussi, si l’Afrique Occidentale Française (AOF) et l’Afrique Equatoriale Française (AEF) se sont libérées de la tutelle coloniale, les nouveaux États n’ont pas obtenu leur pleine indépendance économique.
Aujourd’hui, le franc CFA est utilisé par près de 155 millions de personnes dans 14 pays répartis au sein de l’UEMOA et de la CEMAC, auxquels s’ajoutent les Comores. Dans chacune de ces deux zones, la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) pour l’UEMOA, la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC) pour la CEMAC et la Banque centrale des Comores sont les chevilles ouvrières des accords monétaires de la zone franc. Malgré les avantages du Franc CFA pour les pays de la zone, les limites économiques, politiques et sociales conduisent à des réflexions sur les possibilités de réforme, et même de sortie.
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Le Franc CFA : des promesses de croissance, de stabilité, d’intégration
Dès 1999, l’euro remplace le franc comme monnaie de référence pour les francs CFA et le franc comorien (FC), sans modification des parité, soit 1 € = 655,957 FCFA et 1 € = 491,96775 FC. Les principes de coopération monétaire entre les pays membres de la zone franc CFA et la France se trouvent dans la Convention de coopération monétaire entre les Etats membres de la zone d’émission de la BEAC et la République française du 23 novembre 1972, ainsi que dans l’Accord de coopération entre les pays membres de l’UEMOA et la République française du 4 décembre 1973. Il existe quatre principes fondateurs. La convertibilité est garantie par le Trésor français, les parités sont fixes sans limitation de montants, les transferts sont libres à l’intérieur de la zone. Enfin, les États membres centralisent leurs réserves de change auprès de leur banque centrale, et les banques centrales les centralisent, en partie, auprès du Trésor français. Initialement de 65 % des avoirs extérieurs nets, la proportion centralisée auprès de la Banque de France a été abaissée à 50 % en 2005 pour la BCEAO et en 2009 pour la BEAC. Pour les Comores, elle reste de 65 %. En 2015, ces réserves étaient estimées à 13 000 milliards FCFA, soit plus de 19 milliards d’euros.
Ces principes sont mis en place avec le mécanisme des comptes d’opérations, mécanisme de liaison entre le Trésor français et les Banques centrales de la zone franc. En cas de situation créditrice sur le compte d’opération, celui-ci est rémunéré au profit des Etats africains membres. A l’inverse, en cas de déficit, une rémunération est prévue, dans certaines conditions, au profit de la France. Un dispositif de sauvegarde a été mis en place pour éviter qu’une situation de déficit ne s’éternise.
Les dépôts obligatoires effectués par les Banques centrales de la zone sont protégés des fluctuations monétaires, et sont rémunérés par le Trésor français au taux de la facilité de prêt marginale de la BCE. La rémunération pour les dépôts excédant la quote-part établie pour les compte d’opérations correspond au taux des opérations principales de refinancement de la BCE.
La coopération monétaire présente plusieurs avantages pour les pays de la zone franc.
Tout d’abord, la fixité des parités favorise la stabilité monétaire et financière des pays de la zone. L’inflation est par exemple mieux maîtrisée dans ces pays que dans le reste de l’Afrique subsaharienne. En 2016, l’inflation dans la zone UEMOA s’est établie à 0,3 %, bien au-dessous de la norme communautaire des 3 %. La zone franc est toujours parvenue à maintenir une inflation en-dessous des 3 % et une dette inférieure à 70 % du PIB. De plus, la convertibilité des francs CFA et du franc comorien améliore la crédibilité de cette monnaie au niveau international, permettant d’assurer la circulation d’une monnaie stable et l’accès aux devises extérieures, dans une zone pourtant souvent secouée par des crises politiques, économiques et sociales. Cette crédibilité sur le plan international est l’argument de l’économiste congolais Noël M. Ndoba qui demande “qui viendrait investir dans un pays instable avec une monnaie faible ?”.
Ensuite, supprimer le risque de change à l’intérieur de la zone permet une meilleure pénétration des pays de la zone franc dans la mondialisation. Les différentes règles (union monétaire, liberté de mouvement de capitaux) qui régissent la zone sont génératrices de solidarité et d’intégration régionale. Aussi, le franc CFA a réussi à accompagner la croissance des pays membres. En 2016, la croissance dans l’UEMOA est estimée à 6,7 %, un niveau notablement supérieur à la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (1,3 %). Le système de la zone permet des réserves de change équivalentes à cinq mois d’importation, soit deux mois de plus que les trois mois requis par l’une des règles du mécanisme du FCFA.
Plusieurs experts pro franc CFA s’appuient sur le cas de la Côte d’Ivoire pour défendre le système de la zone et voient en son histoire récente un argument solide en sa faveur. Le président ivoirien Alassane Ouattara estime que la zone UEMO, avec ses 90 millions d’habitants, « est gérée. Les ressources en devises sont importantes. Le taux d’inflation maîtrisé (-2 %), la croissance économique est forte (6,8 %), la dette extérieure fait l’objet de toutes les attentions ».
Une perte de souveraineté et de compétitivité ?
Les avantages précédemment cités doivent être nuancés par un certain nombre de limites économiques.
D’abord, la stabilité monétaire grâce à l’arrimage à l’euro peut être vue comme une rigidité, les pays membres de la zone n’étant pas libres de leur politique monétaire. La non détermination de la politique monétaire (émission de monnaie, taux d’intérêt) peut contraindre le crédit au secteur privé, source d’investissement et de croissance. Ce crédit représentait 36,5 % du PIB entre 2004 et 2011 pour la région Afrique subsaharienne dans son ensemble, alors que ce ratio n’était que de 12,7 % pour la zone franc.
En outre, une grande partie des pays membres considèrent que l’euro est surévalué et entrave leur compétitivité, donc leurs exportations. La région souffre de sérieux problèmes de compétitivité par rapport à d’autres régions d’Afrique. La dévaluation de 1994 a permis aux deux zones (CEMAC et UEMOA) d’être plus compétitives sur le marché international, mais par la suite, le taux de change s’est apprécié avec le renforcement de l’euro, pénalisant de nouveau ces régions.
En dépit de l’utilisation du franc CFA depuis des dizaines d’années, l’intégration régionale ne semble pas avoir réellement progressé, les échanges au sein de la zone restant relativement limités (15 % du volume total du commerce en 2016). Ce manque d’intégration ne permet pas une réduction des différences entre les régions de la zone, notamment en termes de compétitivité. Les structures restent différentes, avec des économies sahéliennes à faible revenu et vulnérables aux risques climatiques, d’autres économies côtières tirées par leurs exportations, et enfin certaines avec un secteur des services développé (Sénégal, Cameroun, Côte d’Ivoire). La compétitivité reste inégale entre les pays mais aussi entre les deux zones, et ce malgré leurs monnaies identiques. Ainsi, sur le long terme, les IDE ont été plus importants pour la région CEMAC (fort potentiel hydrocarbure) que pour la région UEMOA. En outre, la croissance des exportations a été plus lente mais plus diversifiée pour la région UEMOA que pour la région CEMAC. Les tendances économiques actuelles ne respectent pas cet avantage relatif de la CEMAC sur l’UEMOA : la chute des cours mondiaux du pétrole affecte durement les pays de la CEMAC, qui ont vu leur croissance chute. Le Tchad, par exemple, a connu une croissance de 10,1 % en 2012, puis 7,4 % en 2013, 6,3 % en 2014, 1,8 % en 2015 finalement -6,4 % en 2016 selon la Banque Mondiale.
Plus qu’un enjeu économique, l’utilisation du franc CFA soulève des enjeux politiques de souveraineté au Tchad. La société civile en dénonce les impacts négatifs. Si certains opposants estiment qu’il est urgent pour le pays d’abandonner le CFA, d’autres émettent des réserves et proposent de mesurer les enjeux économiques de cette alternative.
En 2015, le ministre de la Justice a pris position sur la question lors d’une allocution : “Des dirigeants qui ont osé se retirer du Franc CFA ont pris pour leur coup. Aujourd’hui, on va oser puisqu’il s’agit de notre destinée”. Le Président de la République, Idriss Déby, avait déjà appelé l’Afrique à frapper sa propre monnaie et à abandonner le Franc CFA. « Nous avons la possibilité de frapper notre monnaie comme nous voulons. Le Franc CFA aujourd’hui c’est du papier. En deux ans, ça devient du chiffon, on peut même pas l’utiliser ». Il réclamait également la révision des accords historiques avec la France, “ un frein au développement » du continent.
Toutefois, la question fait débat au sein même du gouvernement. Le ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Ahmat Mahamat Hassan a affirmé en 2016, qu’avec le débat actuel sur la monnaie Franc CFA, il y aura des conséquences néfastes sur la stabilité de certains États africains. « Nous sommes des petites sous-préfectures de la métropole », a-t-il expliqué, faisant allusion à l’Afrique francophone.
Quelles alternatives ?
Dans un contexte de mondialisation, les mécanismes de protection vont à l’encontre des dynamiques de libéralisme, et s’opposent aux engagements souscrits auprès de l’OMC ou l’Accord de Partenariat Economique. Les monnaies complémentaires pourraient pallier ces inconvénients en limitant la fuite des capitaux qui empêche une relance efficace. Il serait possible d’introduire une monnaie binaire, qui fait cohabiter à l’intérieur du système une monnaie majeure : le CFA convertible et une monnaie mineure, destinée à l’achat de produits locaux.
La solution la plus simple serait une forme particulière de monnaie binaire appelée Monnaie-Trésor. Cette monnaie repose sur deux mécanismes fondamentaux. Le premier est la plateforme binaire : l’attractivité d’une telle monnaie est liée à un pouvoir d’achat perceptible par les populations, d’où la nécessité d’une plateforme de biens et services stratégiques, qui comprend toutes les recettes publiques (impôts, péages, amendes), les transactions avec toutes les structures à participations publiques (la poste, le téléphone, les médias d’État), mais aussi les biens stratégiques sous contrôle étatique (électricité, eau, pétrole, gaz etc). Le second mécanisme est le marché binaire qui régit les rapports entre les deux monnaies et leur taux de change. De par sa nature d’obligation négociable, la monnaie trésor a une valeur spécifique définie par le marché.
Ce système est conçu de manière à compenser la grande attractivité du CFA par la perte du pouvoir d’achat sur les biens de la plateforme et par suite, des autres biens locaux. Par exemple, “si je n’aime pas le Franc-Trésor et l’échange contre moins de CFA, alors je perds ma faculté de payer les impôts moins cher”… L’existence d’une telle symétrie assure une attractivité de la Monnaie-Trésor.
La Monnaie Trésor permet donc une régulation du budget de l’Etat en titrant la dette intérieure que les bénéficiaires utiliseront comme monnaie, entraînant en circulant l’annulation de la dette publique en CFA. Elle apporte également une protection économique rationnelle poussant à la consommation des biens locaux en créant un marché captif alimentant l’industrie locale de manière viable. Enfin, elle réduit les menaces identifiées par les Accords de Partenariats Economiques et respecte les engagements conclus auprès de l’OMC.
De nombreux détracteurs du franc CFA souhaitent en sortir et adopter une nouvelle monnaie, qui resterait commune à l’UEMOA et à la CEMAC, et que certains aimeraient même voir se développer à l’échelle de l’Afrique. Les objectifs sont les suivants :
En premier lieu, l’abandon du nom « franc CFA », afin de retirer toute connotation historique à la devise et, dans cette même idée, sortir la France des instances de gestion.
D’autres proposent de placer les réserves des pays de la zone non plus à la Banque de France, mais à la BCE, afin de conserver la stabilité et la crédibilité de la nouvelle monnaie induites par le lien à l’euro. Si le principe de mise en commun des réserves de change ne semble pas discuté, ceux qui souhaitent une monnaie véritablement indépendante de l’Europe proposent de placer les réserves de change dans les banques centrales de l’UEMOA et de la CEMAC. Les partisans de la création d’une nouvelle monnaie souhaitent qu’elle corresponde à l’économie de la zone. Pour cela, des économistes recommandent de changer le régime de change. La solution la plus souhaitée est l’instauration d’un système de taux de change flottant en fonction d’un panier de monnaies composé des devises des principaux pays partenaires (euro, yuan, dollars). La flexibilité de la nouvelle monnaie des pays de la zone devrait encourager la production locale, la rendre plus compétitive par rapport aux produits importés, et l’exportation de produits finis permettrait l’entrée de plus de devises que l’exportation de seules matières premières.
Enfin, une dévaluation du CFA ou une nouvelle monnaie plus faible serait davantage ajustée à la conjoncture économique et favoriserait les exportations.
En définitive, le Franc CFA, monnaie héritée de la colonisation française, est sujet à controverses pour des raisons économiques et politiques. Les manifestations à son encontre sont régulières, la dernière en date étant celle du 16 septembre à Dakar au Sénégal, à Douala au Cameroun et à Cotonou au Bénin. Selon eux, le Franc CFA servirait les intérêts de la France et non ceux des pays qui l’utilisent. Plus qu’un simple changement de nom, les manifestants souhaitaient une monnaie souveraine pour que les pays de la zone définissent eux-mêmes leur politique monétaire, primordiale pour le développement de l’économie selon eux.
Jeanne INGLEBERT, Lisa VERRIERE, Séphora SAADI
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