Depuis l’apparition de la navigation et du commerce maritime, les navires ont vu leur sécurité menacée par des pirates. Ce délit, l’un des plus anciens du droit des gens, et relevant de la compétence universelle, est loin d’être le vestige d’un passé révolu ni même un épiphénomène géographique. Il constitue une réalité cruelle et récurrente. En effet, les pirates isolés ou travaillant dans des structures criminelles ont été, en 2017, à l’origine de 180 actes de piraterie et de brigandage maritime contre des navires, selon les statistiques du Bureau maritime international (IMB) de Kuala Lumpur. La même année, 136 navires ont été abordés par des pirates, 22 autres ont subi des tentatives d’attaques, 16 ont été la cible de tirs et 6 ont été détournés.
Qu’est-ce que la piraterie maritime ?
La piraterie maritime est définie dans l’article 101 de la Convention des Nations Unies sur le droit des mers de 1982 (CNUDM) comme « acte illicite de violence ou de détention ou toute déprédation commis par l’équipage ou des passagers d’un navire ou d’un aéronef privé, agissant à des fins privées ». Aussi, la piraterie est un phénomène protéiforme, qui s’appuie sur une multiplicité de modes opératoires, dont les principaux restent l’abordage et la prise en otage contre rançon.
Si historiquement, la piraterie était circonscrite à la haute mer, les espaces marins ont évolué : ils se sont fragmentés et leur régime juridique se complexifie à mesure de l’application des normes concernant la piraterie dans la Zone Économique Exclusive (ZEE) des États. Dans les faits, la menace reste polarisée autour de “foyers” tels que le Golfe de Guinée, la Corne de l’Afrique et l’Asie du Sud-Est. S’y ajoutent les cas particuliers du Golfe du Bengale, le large du Brésil et les Caraïbes.
En somme, “la piraterie s’implante dans les endroits offrant à la fois un terrain de chasse suffisamment rémunérateur, un niveau de danger modéré, et des refuges proches” résume Martin Murphy, analyste politique et stratégique, reconnu pour son expertise dans le domaine. La piraterie soulève donc un enjeu sécuritaire de taille pour la traversée des mers, mais également économique, puisque 90% du commerce mondial transite par la mer, selon l’Organisation Maritime Internationale (OMI).
Pour répondre à la résurgence de cette menace qui se transnationalise depuis le début des années 1960, une coopération internationale s’est progressivement développée. Les outils juridiques, matériels, diplomatiques, militaires et économiques sont déployés et coordonnés à l’échelle mondiale pour contrer la piraterie par le droit et la force.
Ces alliances ne sont désormais plus cantonnées aux acteurs étatiques mais s’appuient également sur des acteurs privés pour endiguer ce phénomène. L’un des défis les plus importants de la coopération est aujourd’hui la multiplication des acteurs, tant du côté des pirates que de celui de la communauté internationale qui lutte contre une menace protéiforme et évolutive.
Les fondements juridiques et militaires internationaux de lutte contre la piraterie
Pour endiguer la menace pirate, la communauté internationale peut compter sur les juridictions développées par le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’OMI.
Les résolutions 1814 et 1816 du Conseil de sécurité sur la situation en Somalie de 2008 ont posé les jalons juridiques de l’intervention navale contre la piraterie dans la Corne de l’Afrique, menée par une coopération inter-étatique. Par la suite, le Conseil a développé ces prémices de coordination avec les résolutions 2018 et 2030 sur la piraterie et vols à main armée en mer dans le Golfe de Guinée en 2011 et 2012, qui promeuvent des patrouilles régionales et l’élaboration de centres de coordination.
Quant à l’OMI, elle se charge du volet prévention auprès des États des zones à risque et propriétaires de navires. Cette prévention se matérialise notamment par la résolution A1025 de l’organisation, qui propose un code pratique sur les crimes de piraterie et vol à main armée contre les bateaux. En juin 2009, l’OMI a publié les circulaires 1333 et 1334 traitant des recommandations s’adressant cette fois aux différents gouvernements.
Outre ces textes qui encadrent la piraterie maritime et la lutte contre ce phénomène, les acteurs internationaux peuvent faire appel à la force contraignante d’opérations militaires. Grâce à la mise en place d’escortes, les acteurs internationaux ont sécurisé l’acheminement de l’aide humanitaire, ou encore le transit commercial dans les zones à risques. De plus, les programmes de l’OMI encouragent les navires de plaisance et de commerce à se doter d’escortes privées, à des fins dissuasives.
Enfin, les résolutions du Conseil de sécurité permettent une coordination continue des opérations Atalante (Union Européenne), Ocean Shield (OTAN), et Combined Task Force One Five One (CTF 151) ainsi que les forces nationales déployées à titre individuel par l’Inde, la Russie, la Chine et le Japon. Ces missions ont principalement des mandats de dissuasion et d’interception des actions de piraterie.
Une prise de conscience individuelle des Etats : la coordination régionale à l’épreuve de la piraterie
Si les organisations internationales sont des acteurs clés dans la lutte contre la piraterie maritime, la menace qu’elle représente et la rapidité de son expansion pousse les États à s’investir unilatéralement par coopérations locales dans la lutte contre la piraterie.
L’Accord de Coopération Régionale sur la lutte contre la piraterie et le vol à main armée contre les navires en Asie (ReCAAP) est le premier accord régional visant à promouvoir et renforcer la coopération en Asie. A ce jour, 20 États en sont parties contractantes et un centre de partage d’information est opérationnel pour recenser et prévenir les incidents.
Dans la Corne de l’Afrique, un autre centre de partage d’information a été développé sous le nom de Centre de Sécurité Maritime de la Corne de l’Afrique (MSCHOA) et un code de conduite, dans la lignée des circulaires de l’OMI a été diffusé (cf. Code de Conduite de Djibouti). Dans le reste du continent, la Communauté économique des États d’Afrique Centrale, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Commission du Golfe de Guinée et l’Organisation Maritime pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale ont lancé des initiatives diverses pour sécuriser le Golfe de Guinée, résultant en une amélioration significative de la sécurité de la zone.
Outre les coalitions et opérations régionales, des États ou fédérations d’Etats dont le territoire est pourtant hors de la zone à risque prennent part à la lutte contre la piraterie unilatéralement. C’est le cas de l’Union Européenne, dans le cadre de l’opération Atalante qui se charge notamment d’escorter les convois maritimes du Programme Alimentaire Mondial (PAM), également sous la protection d’une initiative française, l’opération Alcyon, lancée en 2007.
Ainsi, la combinaison des outils internationaux de lutte contre la piraterie et des actions coordonnées des États ont montré leur efficacité, notamment en Asie du Sud Est, où le nombre d’attaque a considérablement diminué ces dernières années. Toutefois, malgré ces résultats encourageants, la piraterie continue de s’étendre dans d’autres zones, notamment au large des côtes africaines.
Quelles capacités d’adaptation face à aux mutations de la piraterie ?
L’évolution constante de la piraterie en fait une menace de premier plan, tant dans une perspective sécuritaire qu’économique. Le droit international, bien que chaque année enrichi de nouvelles résolutions, conserve des faiblesses et des zones d’ombre qui fragilisent sa capacité à répondre à la complexité de l’hybridation récente de la piraterie.
Un flou juridique notoire encadre la piraterie
Définir juridiquement la piraterie ne s’avère pas être une tâche aussi facile que l’on pourrait le penser. La première tentative pour en cerner précisément les contours remonte à 1958 et à la Convention de Genève sur la haute mer, complétée par la Convention de Montego Bay de 1982, avant celle du Conseil de sécurité. Aujourd’hui, le droit international ne reconnaît un acte comme relevant de la piraterie maritime qu’à certaines conditions. Il doit être commis avec violence, à des fins privées, par un navire pirate civil contre un autre navire. Aussi, si seul un navire est concerné et que les assaillants naviguent sur un autre type d’embarcation, le droit international ne considère pas cet acte comme relevant de la piraterie. Pour contrer le point faible de cette clause dite “des deux bateaux”, l’OMI admet également les “vols à main armée” contre les navires. Toutefois, cette définition, à titre de résolution indicative, est non-contraignante.
Outre cette limitation dans la définition même de la piraterie, les acteurs internationaux doivent faire face à la restriction de son champ d’action : la haute mer. Si un acte de piraterie est commis dans des eaux territoriale, la compétence revient à l’État en question, et non à la communauté internationale. Aussi, la fuite des pirates poursuivis par des navires étrangers ne pouvant pénétrer dans les eaux territoriales sans autorisation préalable est l’une des conséquences directes de cette faille juridique.
D’autre part, la sanction infligée aux pirates arrêtés dans les zones à risque pose question. Selon un rapport de Martin Murphy pour le CIWAG (Center on Irregular Warfare and Armed Groups) en 2012, les États envoyant des patrouilles navales dans les eaux somaliennes sont encore réticents à mettre ces pirates en prison : “ les pirates savent que s’ils sont capturés, il y a de grandes chances pour que le pire qu’il puisse leur arriver soit d’être privés de leurs armes, leurs échelles d’abordage et éventuellement de leur zodiac”. En effet, l’acte de piraterie en lui même est prévu dans le droit international, les sanctions à prendre contre les auteurs de ces crimes ne le sont pas.
La piraterie maritime, une menace protéiforme et évolutive
Avec la montée et l’étendue des violences politiques et criminelles, la menace pirate a muté, à la fois au niveau géographique et organisationnel, mais également au niveau de la finalité des attaques, formant ainsi une menace hybride.
Deux modus operandi se distinguent aujourd’hui :
- Dans la Corne de l’Afrique, on prend en otage un navire et son équipage afin de demander une rançon. Les pirates de cette région profitent de points d’ancrage stratégiques ainsi que d’un soutien opérationnel à terre afin de pouvoir retenir les navires de quelques semaines à un mois. Ces groupes sont lourdement armés, mais font peut de morts et de blessés parmi les otages.
- En Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud-Est, la priorité est donnée à la récupération des marchandises et biens de valeur afin de les revendre, puis ré-utilisation du navire. Ces opérations sont plus violentes et l’équipage peut être éliminé au profit de la cargaison. Les prises d’otages sont plus rares car les points d’ancrage à terre sont moins nombreux.
D’autres aspects de la piraterie maritime moderne tendent à lier la violence criminelle organisée et la violence politique. On constate dans la région des Caraïbes et au large du Brésil une piraterie directement liée aux trafics de drogue et d’armes. Par le jeu des alliances issu de la violence politique apparaît le terrorisme maritime. Il n’en existe aujourd’hui pas de définition commune, mais le Conseil de Coopération pour la Sécurité en Asie-Pacifique (CSCAP) le qualifie d’ « usage de la violence en mer ou à l’encontre d’un navire ou d’une plateforme fixe, à des fins politiques, incluant l’usage de la violence dans le but de créer un sentiment de peur envers le public ». Il est d’autant plus difficile de distinguer les actes de piraterie maritime des actes de terrorisme maritime lors de l’arrestation des auteurs de telles violences criminelles, complexifiant à nouveau la question des sanctions à prendre.
Séphora SAADI
BIBLIOGRAPHIE
OUVRAGES
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REVUES
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CIRCULAIRES ET RESOLUTIONS
Conseil de Sécurité des Nations Unies (CSNU) :
- CSNU, Résolution 1814, La situation en Somalie, 5 mai 2008, S/RES/1814
- CSNU, Résolution 1816, La situation en Somalie, 6 novembre 2008, S/RES/1816
- CSNU, Résolution 2018, La piraterie et les vols armés en mer dans le Golfe de Guinée, 31 octobre 2011, S/RES/2018
- CSNU, Résolution 2039, La piraterie et les vols armés en mer dans le Golfe de Guinée, 29 février 2012, S/RES/2039
- CSNU, Rapport du Secrétaire général sur la situation concernant la piraterie et les vols à main armée au large des côtes somaliennes, 21 octobre 2013, S/2013/623
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- OMI, Résolution A.1025 (26), « Code of Practice for the Investigation of Crimes of Piracy and Armed Robbery », 2 décembre 2009, 26/Res.1025
- OMI, Circulaire 1333, « Recommendations to Governments for preventing and suppressing piracy and armed robbery against ships », 26 juin 2009, MSC.1/Circ.1333
- OMI, Circulaire 1334, « Guidance to shipowners and ship operators, shipmasters and crews on preventing and suppressing acts of piracy and armed robbery against ship », 23 juin 2009, MSC.1/Circ.1334
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