Les 100 jours de Joe Biden : parler peu, gouverner fort.
30 avril 2021. Voilà 100 jours que Joe Biden est arrivé à la Maison-Blanche. Son obsession ? « Réparer l’Amérique » si durement abîmée par quatre années de trumpisme. Une date anniversaire que les médias américains attendent avec impatience pour tirer un premier bilan de la nouvelle administration. Et s’il fallait déjà faire un résumé de l’action gouvernementale depuis le 20 janvier, il tiendrait en quelques mots : parler peu, gouverner fort. Pour preuve, le président démocrate se fait très discret dans les médias. Mis à part quelques interviews à la télévision et dans la presse, il aura fallu 64 jours après sa prise de fonction pour qu’il tienne sa première – et seule à ce jour – conférence de presse, le 25 mars dernier. Un record par rapport à ses 15 prédécesseurs qui s’étaient livrés à cet exercice périlleux souvent moins d’un mois après leur arrivée au pouvoir. Donald Trump avait en effet rencontré la presse pour la première fois au bout de 27 jours, Barack Obama dès le 20e jour.
Joe Biden se fait également rare sur la scène publique. Il a effectué en février dernier ses premiers déplacements officiels depuis son investiture. Dans le Wisconsin d’abord, où il a participé à une émission-débat avec des Américains. Dans le Michigan ensuite, où il a visité une usine de fabrication de vaccins Pfizer. Au Texas enfin, où il a rencontré le personnel d’un centre d’urgence reconverti en banque alimentaire et centre de vaccination. Côté international, le président américain n’a, pour le moment, réalisé aucun voyage. Âgé de 78 ans, sa garde rapprochée souhaite limiter le plus possible ses contacts et ses déplacements, surtout par temps de crise sanitaire. Il s’agit aussi de ne pas donner l’image de déplacements imposants, qui attirent beaucoup de personnes, alors qu’on demande aux Américains d’éviter, dans la mesure du possible, les voyages intérieurs et extérieurs. Ce sont donc ses ministres, plus jeunes, qui le représentent, à l’instar des secrétaires d’État et de la Défense, Anthony Blinken et Lloyd Austin, qui se sont rendus en mars au Japon, puis en Corée du Sud. Pandémie oblige, l’administration Biden a délibérément retardé ses premiers voyages diplomatiques, menés d’habitude à un rythme effréné après l’arrivée d’un nouveau locataire à la Maison-Blanche.
Pour autant, si Joe Biden ne s’est pas montré très présent dans les médias, il n’en reste pas moins que le 46e président américain agit bien et agit vite. Après deux jours au pouvoir, ce sont plus d’une vingtaine de décrets présidentiels qui ont été signés par Joe Biden, dont 13 qui annulaient les décisions prises par Donald Trump. Ainsi, en à peine 48 heures, les États-Unis étaient de retour dans les Accords de Paris sur le climat, finançaient de nouveau l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ouvraient leurs frontières aux pays à majorité musulmane qui avaient été bannis par l’administration précédente, annulaient la prolongation du mur à la frontière avec le Mexique, mettaient fin au projet de pipeline Keystone allant jusqu’au Canada – qui aurait pu avoir des effets écologiques extrêmement néfastes – interdisaient les forages en Arctique ou encore autorisaient les personnes trans à servir dans l’armée. Le tout ficelé par une communication efficace sur les réseaux sociaux qui reprend jour après jour les mesures prises par l’administration Biden. En l’espace de 10 jours, le président démocrate a signé 36 décrets, soit bien davantage que les précédents présidents. Cette frénésie rompt avec le rythme présidentiel habituel. En effet, Joe Biden agit bien plus vite que ses quatre prédécesseurs. Toujours entouré de sa vice-présidente, Kamala Harris, présente à chaque réunion et devenue une véritable figure du cabinet, Joe Biden n’hésite pas à la mettre sur le devant de la scène. Preuve en est, il lui a confié l’épineux dossier des migrants qui arrivent par milliers à la frontière avec le Mexique. Entre mesures drastiques pour lutter contre la Covid-19, plans d’investissements massifs pour relancer l’économie et nécessité de remettre sur pied la diplomatie américaine écornée sur la scène internationale par l’imprévisibilité de Donald Trump, le président Joe Biden étonne par sa politique progressiste et détonne par sa rapidité d’action. Retour sur les 100 jours de la présidence Biden que beaucoup d’Américains, même républicains, qualifient de sans-faute.
- La lutte contre la Covid-19 : une priorité nationale.
Il a le pas fragile, le verbe parfois tremblant ou maladroit, mais il montre un goût du risque dont peu de chefs d’État peuvent se prévaloir aujourd’hui. À l’aube de ses 100 premiers jours au pouvoir, Joe Biden déjoue tous les pronostics et impose un train d’enfer pour faire de l’Amérique la locomotive de la reprise mondiale. À rebours des choix républicains, qui laissaient la responsabilité de la gestion de la crise sanitaire aux États fédérés, la stratégie du président démocrate consiste à apporter des réponses centralisées, dans la limite des prérogatives permises par le fédéralisme du pays. Le gouvernement fédéral entend ainsi aider davantage les États à financer la prise en charge des tests et de la vaccination, le remboursement des patients ou encore la mise aux normes des écoles – fermées pour beaucoup d’entre elles depuis mars 2020 –, et ainsi pouvoir rouvrir dans des conditions de sécurité sanitaire maximale.
Le 21 janvier dernier, au moment où les États-Unis dépassent la barre des 400 000 morts de la Covid-19, parmi les nombreux décrets que signe Joe Biden dans le bureau ovale devant un parterre de caméras, dix d’entre eux précisent les dispositions de lutte contre la pandémie. Dans une critique à peine voilée aux méthodes controversées de son prédécesseur, il déclare : « Notre stratégie se fonde sur la science, pas sur la politique, sur la vérité, pas sur le déni ». Par ce biais, le président Biden annonce d’abord que toute personne arrivant par avion aux États-Unis depuis un pays extérieur devra se faire tester avant de partir et observer une quarantaine à son arrivée. Il a également assuré à l’OMS le soutien financier plein et entier des États-Unis après que Donald Trump ait décidé de quitter l’organisation en pleine pandémie. Il a également rendu obligatoire le port du masque dans les transports et les bâtiments publics, ce que Donald Trump n’avait endossé qu’à reculons.
Côté vaccin, Joe Biden a qualifié « d’échec funeste » la campagne vaccinale lancée à la mi-décembre 2020 par l’administration Trump, surnommée « Opération Warp Speed » (en français, opération vitesse de l’éclair). Celle-ci avait pour but de coordonner l’acheminement des vaccins partout dans le pays. Un défi logistique de taille, requérant la participation des laboratoires, de l’armée et des entreprises postales publiques et privées. Dix milliards de dollars ont été consacrés à l’opération. Devant initialement vacciner 20 millions de personnes avant le 1er janvier, les résultats n’ont pas été au rendez-vous. À cette même date, à peine 25% de l’objectif avait été atteint. Prenant le contrepied de son prédécesseur, Joe Biden avait affiché dès son investiture son objectif de 100 millions de vaccinés en 100 jours. Il était loin d’imaginer l’efficacité de sa politique sanitaire, amplifiée par une campagne de communication rondement menée promouvant avec force le port du masque et l’importance des tests et de la vaccination. Ayant explosé avec un mois d’avance son premier objectif, il a doublé la mise pour viser 200 millions de doses administrées avant la fin avril. Pari tenu avec une semaine d’avance. Pour illustrer la cadence avec laquelle les autorités fédérales procèdent aux vaccinations, il faut se pencher sur les chiffres. 30 millions de personnes sont vaccinées par semaine. Plus de 50% de la population adulte, 80% des Américains de plus de 65 ans et 80% des personnels soignants et enseignants du pays ont reçu au moins une dose. Depuis le 19 avril dernier, tous les Américains, quel que soit leur âge, peuvent recevoir leur première dose de vaccin.
Cependant, malgré cette campagne vaccinale massive, un étrange phénomène se produit aux États-Unis. En effet, la courbe des contaminations ne baisse plus depuis la fin du mois de mars. Totalisant plus de 32 millions de cas et près de 600 000 morts depuis le début de l’épidémie, les États-Unis sont le pays le plus touché au monde et, en dépit des mesures qui ont été prises depuis plusieurs mois, les contaminations semblent augmenter légèrement, notamment chez les plus jeunes. La chute était pourtant vertigineuse depuis le début de l’année. Cette augmentation serait due à la circulation du variant britannique, mais surtout au relâchement des gestes barrières. En faisant passer le message à la population que de plus en plus de personnes sont immunisées, celle-ci ressentirait un sentiment de sécurité et aurait donc tendance à négliger un peu plus les gestes de protection. Ce phénomène n’est pas propre aux Etats-Unis. Il est également constaté au Chili ou encore à Malte, deux pays bons élèves de la vaccination. Le défi est donc désormais de faire comprendre à la population qu’il faut rester encore prudent, même vaccinée, pendant encore plusieurs mois.
- Un New Deal pour relancer l’économie : Joe Biden dans les pas de Franklin Roosevelt.
Joe Biden est sur tous les fronts. En même temps que soigner l’Amérique, comme il aimait le déclarer au cours de la campagne électorale, le président démocrate entreprend une relance économique inédite et une refonte totale du paysage américain. L’épidémie de Covid-19 a affecté l’économie des États-Unis comme jamais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’année 2020 a vu en effet la première récession depuis la crise financière de 2008 et la pire depuis 1946. Le produit intérieur brut (PIB) a reculé de 3,5% par rapport à 2019, selon une estimation du département américain au commerce. Une contraction qui a entraîné la destruction de près de 9 millions d’emplois. Pour relancer l’économie, Joe Biden avait fait campagne en scandant « Build back better » (« Mieux reconstruire »), un programme économique combinant une action de soutien à court terme, par le biais de plans de dépenses massifs se chiffrant en milliers de milliards de dollars, et des orientations de long terme, avec notamment un projet pharaonique de renouvellement des infrastructures vieillissantes du pays. Il s’inscrit ainsi dans les pas de ses illustres prédécesseurs démocrates Franklin Delano Roosevelt, Bill Clinton et Barack Obama qui, après les différentes crises économiques qui ont jalonné leurs mandats, avaient mis en place des plans de relance économique historiques.
C’est après des heures de débats, de négociations frénétiques et un vote marathon sur de nombreux amendements que le Congrès a approuvé le 10 mars dernier le « plan de sauvetage américain » de 1 900 milliards de dollars souhaité par le président Joe Biden. Ce projet de loi n’a pas fait de consensus partisan puisqu’il a été adopté grâce aux seules voix des sénateurs démocrates, par 50 votes contre 49, mais a été plébiscité par 70% des Américains. Le chef de la minorité républicaine à la chambre haute du Parlement, Mitch McConnell, a déploré que le Congrès ait dépensé autant d’argent de « façon aussi incohérente ou après un processus aussi peu rigoureux ». De bonne guerre. Ce plan de relance exceptionnel, le troisième approuvé par le Congrès depuis le début de la pandémie, le premier de l’administration Biden, prévoit tout d’abord un chèque de 1 400 dollars destiné aux foyers gagnant moins de 75 000 dollars par an et aux couples mariés dont la rémunération ne dépasse pas 150 000 dollars. Au-delà, les paiements diminuent progressivement avant de disparaître pour les particuliers dont les revenus atteignent 80 000 dollars et 160 000 dollars pour les couples mariés. Sont également prévus 1 400 dollars par personne à charge. En tout, ce sont quelque 400 milliards de dollars qui sont injectés directement dans le compte en banque des ménages américains. Ces chèques viennent ainsi compléter ceux de 600 dollars envoyés dans le cadre du plan de relance adopté fin décembre, sous l’ère Trump. L’administration Biden cible également les familles les plus modestes en leur accordant des crédits d’impôts substantiels comme celui pour la garde d’enfants. Ainsi, 3 600 dollars pour les enfants jusqu’à 5 ans et 3 000 dollars pour ceux âgés de 6 à 17 ans sont prévus pour chaque famille américaine, quel que soit leur revenu.
Au niveau fédéral, le plan de Joe Biden prévoit 350 milliards de dollars d’aides aux États et aux collectivités locales. C’était d’ailleurs la grosse pomme de discorde avec les républicains qui estimaient que cette aide était du « gaspillage ». 75 autres milliards de dollars sont destinés à la lutte contre la pandémie de Covid-19 (15 milliards pour la distribution des vaccins, 50 milliards pour le dépistage et la recherche, 10 milliards pour la production de vaccin). Les écoles, de la maternelle au lycée, vont quant à elles bénéficier d’une enveloppe de 126 milliards de dollars et 39 milliards seront consacrés aux crèches. De nombreux établissements sont restés fermés pendant un an faute de pouvoir mettre en place les protocoles sanitaires nécessaires pour accueillir les élèves. Le plan inclut également 40 milliards pour les universités. En revanche, la proposition d’inclure dans la loi l’augmentation du salaire minimum à 15 dollars – contre 7,25 dollars actuellement – a été, pour le moment, abandonnée.
Ce n’est pas tout. En plus de ce plan de 1 900 milliards de dollars, Joe Biden a annoncé le 31 mars dernier, lors d’un discours à Pittsburg, en Pennsylvanie, que son administration allait investir quelque 2 000 milliards de dollars supplémentaires, cette fois-ci dans le but de rénover les infrastructures du pays. L’objectif est clair : lutter contre le réchauffement climatique en lançant des projets verts tout en créant des millions d’emplois américains. Ces investissements massifs seraient étalés sur huit ans et financés par une hausse de l’impôt sur les sociétés de 21 à 28% ainsi que celui des individus gagnant plus de 400 000 dollars par an. Ce plan prévoit d’injecter 620 milliards de dollars dans les transports, pour notamment moderniser plus de 32 000 kilomètres de routes et autoroutes, et réparer près de 10 000 ponts à travers les États-Unis. La plupart des infrastructures américaines datent en effet des années 1950 et leur état de délabrement ne fait pas débat. Dans une interview donnée en 2017, Kristina Swallow, présidente de l’American Society of Civil Engineers (Société américaine de génie civil), rappelle que 40% des 614 387 ponts ont au moins 50 ans. Et d’ajouter que parmi eux, 56 000 sont « structurellement imparfaits » et pourtant toujours en exploitation. En tout, c’est environ une trentaine d’États qui ne bitument plus leurs routes, faute d’argent public. Dans chacun de ses rapports, publiés tous les quatre ans, l’ASCE attribue une note à chaque type d’infrastructure. Le graphique ci-dessous démontre que pratiquement aucun progrès n’a été réalisé ces trente dernières années. Dans son rapport de 2021, sur 17 catégories, 11 ont reçu la note D dont les écoles, les équipements aéroportuaires, les routes ou encore les transports en commun. Elle estime à 2 590 milliards de dollars les besoins totaux en infrastructures du pays au cours des 10 prochaines années, soit peu ou prou la valeur du plan de Joe Biden. Ainsi, s’il est adopté par le Congrès – ce qui n’est pas forcément gagné aujourd’hui – il parviendrait à redessiner complètement le paysage américain, ce qu’aucun prédécesseur depuis Franklin Roosevelt n’est parvenu à faire. Cependant, dégager un consensus politique n’est pas une mince affaire. D’autant que la majorité démocrate au Sénat est très fragile (50-50). Les deux prédécesseurs de Joe Biden, Donald Trump et Barack Obama, avaient eux aussi fait de grandes promesses sur ce thème. Elles sont restées lettre morte. Le secrétaire aux transports, Pete Buttigieg, qui sera en première ligne sur ce dossier, assure que tout sera différent cette fois, que les astres sont alignés. La tâche s’annonce toutefois ardue. A suivre donc…
Dernier point ô combien important à souligner sur le plan économique : l’augmentation du salaire minimum. En effet, le président Biden a signé le 27 avril dernier un énième décret, qui vise cette fois-ci à relever à 15 dollars (contre 10,95 dollars aujourd’hui) le salaire horaire des travailleurs contractuels du gouvernement fédéral, c’est-à-dire des salariés qui travaillent pour des entreprises ayant un contrat avec le gouvernement fédéral (agents de maintenance ou d’entretien dans les bâtiments fédéraux, serveurs dans les cafétérias des administrations, ou encore infirmières qui s’occupent des vétérans de guerre). Cela représente plusieurs centaines de milliers d’employés. Un grand pas vers la promesse de campagne d’augmenter à ce niveau le salaire minimum pour tous les salariés. En revanche, cette mesure ne prendra effet qu’à partir du 30 mars 2022. À noter toutefois que la hausse du salaire minimum pour l’ensemble des salariés du pays à 15 dollars d’ici 2025 contre 7,25 dollars actuellement, était une promesse de campagne de Joe Biden et qu’elle avait dû être abandonnée dans la première mouture du plan de relance afin d’obtenir un accord au Sénat pour que le reste du plan soit voté.
- Le retour en force du multilatéralisme
En parallèle de la refonte totale du modèle économique et fiscal américain, Joe Biden s’attache aussi à redorer le blason d’une Amérique abîmée par quatre années de trumpisme sur la scène internationale. L’opération séduction a démarré dès le jour de son investiture, lorsqu’il a annoncé le retour des États-Unis dans l’accord de Paris qu’avait quitté Donald Trump. Elle a culminé le 22 avril dernier, à l’ouverture d’un sommet international sur le climat dont il est l’instigateur, regroupant les principaux leaders mondiaux, dont les présidents russe et chinois Vladimir Poutine et Xi Jinping. En effet, Joe Biden a frappé fort en annonçant d’entrée de jeu que les États-Unis s’engageront lors de la Conférence des Nations unies sur le climat (COP26), programmée en novembre prochain à Glasgow, à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre de 50 % à 52 % d’ici à 2030. L’objectif est plus ambitieux que celui pris par Barack Obama, qui visait une réduction comprise entre 26 % et 28 % de 2005 à 2025. En 2019, les États-Unis avaient réduit leurs émissions de 13 %, en raison notamment de la fermeture massive des centrales à charbon remplacées par le gaz de schiste et les énergies renouvelables. Ce chiffre aurait atteint 21 % en 2020, selon l’Agence de protection de l’environnement, en raison de la pandémie de Covid-19, mais n’est donc pas significatif, et devrait rebondir fortement en 2021 avec la réouverture de l’économie. Mettant en garde contre « le coût de l’inaction » et vantant les bénéfices économiques « extraordinaires » qui peuvent découler des réformes écologiques, Joe Biden a exhorté le reste du monde à suivre l’exemple américain au nom d’un « impératif moral et économique ». « Nous devons passer à l’action, nous tous », « nous devons accélérer », a-t-il affirmé, rappelant qu’« aucun pays ne [pouvait] résoudre cette crise tout seul ». Ainsi, en replaçant les États-Unis au cœur de la diplomatie climatique, Joe Biden remet l’Amérique au centre de l’échiquier international et renoue avec le multilatéralisme. Preuve en est, la Russie et la Chine, conviées à ce sommet, ont mis de côté leur rivalité respective avec les États-Unis pour faire corps avec le président américain sur le plan climatique.
La Chine et la Russie, il en est justement question dans ce bilan des 100 premiers jours de l’administration Biden. Car les relations entre les trois blocs n’ont pas été de tout repos depuis le 20 janvier dernier. Entre rencontre tendue entre officiels chinois et américains, joutes verbales puériles entre Joe Biden et Vladimir Poutine, et sanctions diplomatiques à l’encontre de dignitaires russes, les relations entre les États-Unis et les deux anciennes puissances communistes ne sont pas au beau fixe. Loin de là. En ce qui concerne la Russie, d’abord. Dans une interview diffusée en mars dernier, Joe Biden a estimé que Vladimir Poutine était « un tueur », et promis qu’il paierait « le prix » de ses actes. Une déclaration très mal perçue à l’Est et pas franchement habile de la part du président américain, dont on connaît le côté gaffeur. Ce dernier est pourtant considéré par ses pairs comme un expert chevronné des relations internationales, lui qui a été membre – et président de 2001 à 2003, puis de 2007 à 2009 – de la prestigieuse commission des affaires étrangères du Sénat durant ses 36 années de mandatures. En réaction à cette offensive verbale, soigneusement préparée à l’avance à n’en pas douter, la Russie a rappelé son ambassadeur Anatoli Antonov et Vladimir Poutine en a profité pour se fendre d’une réplique digne d’une cour de récréation, rétorquant ainsi à son homologue américain : « c’est celui qui dit qui l’est ». Bien que le Kremlin assure vouloir éviter des dégradations irréversibles avec son plus fidèle ennemi, disant espérer que « les Américains sont conscients des risques », le torchon brûle entre Moscou et Washington. Les relations entre les deux pays souffrent depuis des années de crises à répétition, de l’Ukraine à la Syrie en passant par des accusations d’ingérence électorale, d’espionnage ou, plus récemment, de cyberattaques. Peu avant cette interview, le département d’État américain avait annoncé étendre les restrictions d’exportation vers la Russie dans l’affaire de l’empoisonnement du principal opposant russe Alexeï Navalny, dont les services de renseignement américains attribuent la responsabilité au Kremlin. À peine un mois après cette joute verbale, les tensions ont été ravivées. En réponse à la vaste affaire de cyberespionnage de l’entreprise américaine SolarWinds, concepteur de logiciels informatiques, et aux ingérences dans l’élection présidentielle de 2020 attribuées à Moscou, le gouvernement des États-Unis a annoncé, le 15 avril dernier, une série de sanctions financières contre la Russie et l’expulsion de dix diplomates russes. L’annonce des sanctions américaines a provoqué une nouvelle vague d’indignation dans les couloirs du Kremlin, ainsi que la promesse de contre-représailles. Si tout cela ne favorise en rien l’amélioration des relations américano-russes, Joe Biden assure pourtant vouloir construire « une relation stable et prévisible » entre les deux puissances, assurant que « le moment de la désescalade est venu ». Le président démocrate a d’ailleurs fait part à Vladimir Poutine de son souhait d’une rencontre bilatérale cet été. « Partout où il sera dans l’intérêt des États-Unis de travailler avec la Russie, nous le ferons » a-t-il précisé, avant de conclure fermement : « là où la Russie cherchera à violer les intérêts des États-Unis, nous répondrons ». Joe Biden a donc choisi la diplomatie du bâton et du rameau d’olivier avec la Russie. Le décor est planté. Poutine prévenu.
Concernant la Chine, là aussi, les relations ne sont pas franchement apaisées. Pourtant, l’Empire du milieu reste bien le défi central de la politique étrangère américaine. Le rapport publié le 3 mars dernier sur les choix stratégiques de la sécurité nationale et le premier discours du secrétaire d’État, Antony Blinken, l’évoquent dans les mêmes termes : « Il s’agit du seul concurrent potentiellement capable de combiner pouvoirs économique, diplomatique, militaire et technologique pour constituer un défi prolongé à l’égard d’un système international stable et ouvert ». C’est « le plus important test géopolitique » de ce siècle, a ajouté le chef de la diplomatie américaine. Après le tumulte et la guerre douanière lancée par Donald Trump – une stratégie commerciale qui n’est aujourd’hui pas remise en cause par l’administration Biden – comment rendre la politique des États-Unis vis-à-vis de la Chine stratégiquement efficace ? En fait, la tactique de Joe Biden est assez simple : marcher dans les pas de son prédécesseur en changeant toutefois diamétralement de méthode. En effet, comme sous l’ancienne administration, l’équipe du nouveau président américain lie étroitement la stratégie vis-à-vis de la Chine à la politique intérieure américaine. À la mi-mars, Anthony Blinken et son homologue chinois Wang Yi se sont rencontrés à Anchorage, en Alaska. Ce sommet intervient dans un contexte de vives tensions bilatérales entre Pékin et Washington sur plusieurs points, parmi lesquels la situation à Hong Kong et Taïwan, les droits de l’Homme, la rivalité technologique, l’espionnage, ou encore le traitement de la minorité ouïghoure au Xinjiang. Cette rencontre avait surtout pour objectif de montrer que les États-Unis entendent bien continuer à jouer un rôle de premier plan dans la région, en coordination avec le Quad indopacifique (Inde, Australie, Japon, Etats-Unis). Il s’agit aussi de rétablir des mécanismes de dialogue formels et de « stabiliser la compétition » selon l’expression de Blinken. À quelques heures du grand rendez-vous, Pékin a assuré que « tous les sujets seraient mis sur la table », tout en prévenant qu’elle « ne ferait aucun compromis sur des sujets concernant sa souveraineté, sa sécurité et ses intérêts ». En réaction, Anthony Blinken a immédiatement accusé la Chine de se montrer de plus en plus répressive sur son sol, et « de plus en plus agressive à l’étranger ». Il est vrai que Xi Jinping se montre très menaçant à l’égard de Taïwan. Le chef des forces américaines dans la région indopacifique, l’amiral Philip S. Davidson, a d’ailleurs affirmé devant le Congrès que la Chine pourrait envahir l’île de Formose au cours des six prochaines années. Officiellement, Washington s’est engagé à défendre Taïwan mais craint de tomber dans le piège des provocations. Pékin revendique aussi des zones maritimes en Mer de Chine méridionale. Suffisamment d’éléments donc pour aboutir à une escalade très rapide dans cette zone maritime. Le secrétaire d’État américain a promis que les relations avec Pékin seront un mélange de « compétition quand ce sera sain » de « collaboration quand ce sera possible » et d’antagonisme « quand ce sera nécessaire ». En somme, la même stratégie qu’avec la Russie.
Les délégations américaines et chinoises lors d’un sommet à Anchorage, en Alaska, les 18 et 19 mars 2021.
Dans la continuité des mesures chocs que Joe Biden égrène depuis le début de son mandat, une autre a frappé fort les esprits, à tel point que même les élus républicains, Donald Trump en tête, se sont félicités de cette décision. En effet, le président démocrate a annoncé à la mi-avril le retrait définitif des troupes américaines déployées en Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021, soit 20 ans jour pour jour après les attentats, mettant ainsi fin à « la plus longue guerre de l’Amérique ». Le retrait total des troupes, qui sera accompagné d’un désengagement des alliés de l’OTAN, avait été négocié avec les talibans en 2020 par Donald Trump. Barack Obama puis Donald Trump avaient déjà commencé à y travailler, le nombre de militaires américains passant de 100 000 en 2010 à 8 400 six ans plus tard. Ce retrait, qui débutera dès le 1er mai, répond surtout au souhait d’un peuple américain lassé face à une guerre sans fin, et dont l’issue ressemble à une défaite pour Washington. Comme le souligne Zalmaï Haquani, ancien ambassadeur d’Afghanistan en France, « les Américains n’ont pas réussi à amener une paix durable, ni à lutter contre le terrorisme qui est toujours là […] c’est un échec pour eux ». Et d’ajouter : « l’Afghanistan n’est jamais sorti de la guerre malgré l’intervention de 46 pays, et cette guerre s’est aggravée avec les talibans. La guerre n’a été ni bien préparée ni bien menée ». Il est vrai que le bilan est lourd pour les États-Unis, mais aussi surtout pour l’Afghanistan. Plus de 2 400 soldats américains sont morts et près 2 000 milliards de dollars ont été dépensés dans cette région, soit l’équivalent du plan de relance de Joe Biden. Côté afghan, les victimes se comptent en dizaines de milliers. Pour justifier le retrait américain, Joe Biden explique que l’armée était intervenue pour « s’assurer que l’Afghanistan ne serve pas de base pour attaquer à nouveau » l’Amérique. Un objectif « rempli » selon lui, même si les doutes autour de la stabilité du pays sont nombreux. La Russie dit redouter une « escalade » qui « pourrait saper les efforts » de paix, alors que certains alliés des États-Unis ont aussi exprimé leurs réserves sur l’annonce américaine qui, selon la Belgique, risque de « diminuer la pression sur les talibans ». En effet, les insurgés, qui avaient été chassés du pouvoir en 2001 par les Américains, ont progressivement repris du poids dans le pays. Ils ont entamé des négociations de paix directes inédites avec le gouvernement de Kaboul et le président afghan Ashraf Ghani, mais ces pourparlers piétinent. Ce qui fait craindre une éventuelle reprise des combats après le retrait américain. Pour Gilles Dorronsoro, spécialiste de l’Afghanistan, le retrait des troupes américaines ouvre la voie à deux scénarios : « un gouvernement d’union nationale qui permettrait aux talibans de s’installer à des postes de gouvernement et de prendre progressivement le pouvoir » ou « une vague d’offensives des talibans » dès le départ américain en cas d’absence d’union avec le gouvernement afghan.
Enfin, durant ses 100 premiers jours à la Maison-Blanche, Joe Biden a également eu le temps d’envisager une révolution fiscale à l’échelle mondiale. La négociation cruciale pour une meilleure taxation des multinationales à travers le monde, en pourparlers depuis plusieurs années à l’OCDE, avait du plomb dans l’aile. Donald Trump lui avait asséné de rudes coups. Le nouveau président américain et sa secrétaire au Trésor, Janet Yellen, viennent de la ressusciter. Pour financer son plan d’investissement massif dans la transition énergétique et les infrastructures, Joe Biden veut augmenter le taux d’imposition fédéral sur les sociétés aux États-Unis de 21 % à 28 %. Parallèlement, il promet de mettre en place une imposition minimale des multinationales américaines de 21 %, quel que soit le pays dans lequel elles opèrent. Autrement dit, si un pays taxe, comme l’Irlande, les profits de Google à 12,5 %, les États-Unis prélèveront un complément sur l’activité irlandaise de 8,5 %. De quoi dissuader la stratégie de la concurrence fiscale qui tire à la baisse les taux d’imposition, y compris au sein de l’Union européenne. Un accord pourrait être conclu d’ici à la fin de l’année. Il s’appliquerait aux plus grandes et aux plus rentables des multinationales du monde entier, bien au-delà des seuls GAFA. S’il venait à être entériné par les pays membres du G20, quelques 100 milliards de dollars rentreraient chaque année dans les caisses des États. Plus qu’une avancée, c’est un véritable aggiornamento fiscal qui se prépare. Car avec un tel taux plancher, exit la délocalisation des profits dans les paradis fiscaux, les États se mettant d’accord pour récupérer la différence entre l’impôt acquitté à l’étranger par leurs entreprises nationales et l’impôt qu’elles auraient dû acquitter sur leur sol. Toutefois, malgré le renversement de la position américaine, après l’obstruction de Donald Trump, l’accord est encore très loin d’être conclu, notamment parce que la proposition Biden doit passer par les fourches caudines du Congrès. C’est loin d’être gagné. Le taux de 21 %, en particulier, pourrait être écarté…
- La crise des migrants à la frontière avec le Mexique : défi intérieur et extérieur
Exception faite du coronavirus, dont sa gestion est difficilement critiquable, Joe Biden affronte la première crise sérieuse de sa présidence du côté de la frontière avec le Mexique. Il paie le prix de sa politique, plus humaine, mais aussi de ses discours, plus accueillants que ceux de son prédécesseur. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden a suspendu le financement du mur prévu à la frontière, appliqué un moratoire de 100 jours sur les expulsions de sans-papiers et commencé à admettre des demandeurs d’asile qui depuis des mois patientaient dans des camps au Mexique. Autant de mesures qui ont été interprétées comme un feu vert par les candidats à l’immigration et les réseaux de passeurs. Résultat, l’administration américaine est débordée et le gouvernement fait tout pour rectifier le tir. Le secrétaire à la sécurité intérieure, Alejandro Mayorkas, lui-même fils de réfugiés cubains, a fait le tour des plateaux de télévision avec toujours le même message, martelé en anglais et en espagnol : « Non, la frontière n’est pas ouverte. Nous expulsons les familles et les adultes clandestins ». Même Joe Biden a lancé cet appel: « Ne venez pas aux États-Unis ». En février, plus de 100 000 personnes ont été arrêtées par les gardes-frontières, 28% de plus qu’en janvier. Un nouvel afflux est attendu en mars, le plus important depuis 20 ans. Cette crise est d’autant plus préoccupante que nombre de ces clandestins sont des enfants non accompagnés. Ils seraient aujourd’hui 15 000 sur le territoire américain, bien au-delà du pic enregistré sous la présidence Trump. Sur le plan intérieur, cette crise migratoire n’est pas loin de devenir une crise politique : Joe Biden est accusé par les républicains, mais aussi par certains démocrates, d’avoir créé un appel d’air et de faire peser des risques sur la sécurité des États-Unis.
Dareli Matamoros, une fillette originaire du Honduras, demandant au président Biden de la laisser traverser la frontière américaine à Tijuana.
Cette situation devient un véritable test politique pour le président Biden, qui semble tergiverser de plus en plus sur son ambitieuse réforme d’accueil et de régularisation. Le rétropédalage de la Maison-Blanche sur les quotas de réfugiés admis aux États-Unis a souligné combien les sujets liés à l’immigration empoisonnent son début de mandat. En effet, si mi-avril le président américain a annoncé l’annulation des restrictions discriminatoires imposées par Donald Trump à certains réfugiés selon leur pays d’origine (Somalie, Syrie, Yémen), il a décidé de conserver le plafond historiquement bas, fixé par son prédécesseur, de 15 000 admis cette année aux Etats-Unis. Joe Biden avait initialement annoncé que le pays accueillerait jusqu’à 62 500 réfugiés lors de l’année budgétaire en cours, qui s’achève en octobre, avant de porter le plafond à 125 000 pour la suivante. Une multiplication par huit du niveau légué par Trump, et l’une de ses promesses de campagne. Le tollé de ce rétropédalage, au sein de son propre camp, a été immédiat. « Inacceptable », a critiqué le sénateur démocrate de l’Illinois Dick Durbin. L’élue de New York et figure de l’aile gauche du parti présidentiel, Alexandria Ocasio-Cortez, a accusé Biden de « conserver les politiques xénophobes et racistes de l’administration Trump », et de trahir ses électeurs. À peine quelques heures plus tard, la Maison-Blanche a reconnu que l’annonce avait semé « une certaine confusion », et assurait que le plafond n’était que provisoire et serait revu à la hausse d’ici à mi-mai.
Le président affiche néanmoins sa volonté de s’attaquer aux « causes profondes » de ces migrations centraméricaines – pauvreté, violence des gangs, corruption –, pour mieux les décourager. Il veut verser, au cours de son mandat, 4 milliards de dollars d’aides additionnelles aux pays d’Amérique centrale, l’une des propositions de son ambitieuse réforme de l’immigration, annoncée dès son premier jour à la Maison Blanche et introduite peu après au Congrès. Sa mesure phare : un chemin vers la régularisation des 11 millions de clandestins vivant aujourd’hui aux États-Unis, qui leur permettraient, en huit ans selon certains critères, d’obtenir la citoyenneté américaine. Malgré des permis de travail inadaptés et très insuffisants face aux besoins élevés de main-d’œuvre dans l’agriculture, les usines de transformation alimentaires ou le bâtiment, le système migratoire américain n’a pas été réformé depuis trente ans. C’est à ce titre que Joe Biden a chargé sa vice-présidente Kamala Harris de cet épineux dossier. Si elle avait jusqu’ici « activement participé aux efforts de Joe Biden visant à maîtriser la pandémie de Covid-19 et relancer l’économie », la VP n’avait pas encore de portefeuille officiel. Kamala Harris se voit ainsi confier un rôle similaire à celui joué par M. Biden lorsqu’il était vice-président et qu’il dirigeait les efforts diplomatiques de l’administration Obama face à l’augmentation du nombre de migrants et de mineurs non accompagnés à la frontière. Une mission difficile qui comporte un risque politique immense pour celle que l’on prédestine à occuper un jour le bureau ovale.
- A quoi s’attendre pour les 1 285 prochains jours de Joe Biden à la Maison-Blanche ?
Si beaucoup a déjà été fait, il reste encore bon nombre de sujets à traiter. En complément de son plan de relance et de son plan sur les infrastructures, Joe Biden a annoncé, le 28 avril, un troisième plan, cette fois-ci destiné aux familles américaines, d’un montant de 1 800 milliards de dollars. Celui-ci a pour objectif d’investir en faveur de l’éducation et des familles : augmentation des allocations familiales, gratuité des deux premières années à l’école maternelle ainsi que de deux années en universités communautaires (équivalent de l’IUT en France), congés parentaux ou augmentation des budgets alloués aux crèches. Il vise également à instaurer un programme national de congés payés de 12 semaines et élargir jusqu’en 2025 un crédit d’impôt pour les familles ayant des enfants, qui réduirait considérablement la pauvreté infantile. Pour financer ce nouveau plan astronomique, au même titre que ceux de relance et sur les infrastructures, Joe Biden frappe fort et compte révolutionner la politique fiscale américaine, rompant radicalement avec celle de l’administration Trump. En effet, le président Biden veut mettre fin au traitement fiscal préférentiel qui a profité aux riches ces dernières années, comme il l’avait promis durant sa campagne. Il prévoit ainsi de passer de 37% à 39,6% le taux d’imposition marginal (celui auquel est soumise la tranche de revenus la plus haute) et d’augmenter celui sur les gains en capital à 43,4%. De quoi renverser un siècle de sous-imposition des investissements par rapport aux salaires. Cependant, ces mesures n’affecteraient que peu de foyers puisque seuls 0,32% des contribuables américains ont déclaré un revenu brut supérieur à 1 million de dollars, selon les données des services des impôts pour 2018. Il n’empêche que, symboliquement, ces nouveaux taux d’imposition ont de quoi inquiéter les Américains les plus fortunés. En outre, Joe Biden prévoit de supprimer une disposition du code des impôts qui réduit les impôts des riches héritiers lorsqu’ils vendent des biens dont ils héritent. Des mesures fortes donc qui font du 46e président américain un véritable réformateur comme les États-Unis n’en avaient plus vu depuis la moitié du XXe siècle.
Sur le terrain du racisme systémique dans la police, Joe Biden aura également fort à faire. La condamnation de l’ex-policier blanc Derek Chauvin pour le meurtre de George Floyd doit ouvrir une nouvelle page « vers la justice en Amérique » a-t-il déclaré. Il a promis d’« en faire beaucoup plus » contre le « racisme systémique ». Un terme fort que même Barack Obama, pourtant premier président noir américain, n’avait jamais osé prononcer, note Alexis Pichard, chercheur en civilisation américaine à l’université Paris-Nanterre. Armé d’une empathie qui faisait défaut à son prédécesseur, Joe Biden compte bien, là aussi, agir bien et agir vite. Un projet de réforme de la police et des droits civils – dit le « George Floyd Justice in Policing Act » – a été déposé au Congrès en février. Il prévoit d’interdire la prise d’étranglement dont a été victime George Floyd, ainsi que les perquisitions surprises à l’origine de la mort de Breonna Taylor, une ambulancière afro-américaine de 26 ans, tuée par balle par des agents de la police de Louisville, dans le Kentucky, dans la nuit du 12 au 13 mars 2020. Le projet de loi doit aussi permettre d’établir un fichier national pour compiler les plaintes déposées contre les agents de police et lever l’immunité qualifiée de la profession. Un effort doit aussi être fait pour former les policiers afin de lutter contre les violences racistes.Validé à la Chambre des représentants, le projet de loi doit encore passer l’épreuve du Sénat où la majorité démocrate est extrêmement fragile. Profitera-t-il de l’émotion du pays pour faire bouger les lignes au Congrès et convaincre les républicains les plus malléables de voter en faveur de ce texte ou butera-t-il sur le refus obstiné des conservateurs de participer à l’effort bipartite ? Rien n’est sûr pour le moment mais le fait de proposer une telle loi est déjà une avancée considérable.
Sur un autre sujet tout aussi sensible, Joe Biden a annoncé une série de mesures par décret visant à limiter la prolifération des armes à feu aux États-Unis, alors que le pays est victime d’au moins une fusillade par jour. Dernièrement, une tuerie de masse à Indianapolis a fait huit morts et une autre a causé le décès brutal de quatre personnes dont un enfant dans la ville d’Orange, en Californie. Ces dispositions restent cependant limitées, le président américain sachant pertinemment qu’il n’est actuellement pas en position de faire adopter au Congrès des actions plus audacieuses sur ce sujet ultra-sensible. Par conséquent, aucune grande avancée n’a par exemple été annoncée sur le sujet de la vérification des antécédents judiciaires ou psychologiques des acheteurs d’armes individuelles. « Nous devons également interdire les fusils d’assaut et les chargeurs à grande capacité », souvent utilisés dans les tueries, a déclaré Joe Biden, répétant un vœu pieux maintes fois énoncé en son temps par Barack Obama. Pour rappel, les armes à feu ont fait plus de 43 000 morts, suicides inclus, aux États-Unis en 2020, selon le site Gun Violence Archive. L’organisation a dénombré 611 fusillades de masse – qui comptent au moins quatre victimes – en 2020, contre 417 l’année précédente. Depuis le 1er janvier, plus de 11 000 personnes ont déjà été tuées par une arme à feu. Bien que l’actuel président soit résolu à réformer en profondeur les États-Unis, le doute et une certaine fatalité subsistent quant à sa capacité à changer véritablement les choses sur ce qu’il appelle lui-même l’« épidémie de la violence par arme à feu ».
À 78 ans, celui que son prédécesseur surnommait « Sleepy Joe », est loin d’être endormi. Bien au contraire. Il se présente chaque semaine davantage comme l’héraut de l’Occident. En même temps que réformer son pays à vitesse grand V, comme peu de ses prédécesseurs l’ont fait auparavant, il remet en selle les États-Unis sur la scène internationale. Se dépêcher, il a raison de le faire car en novembre 2022, soit dans un an et demi déjà, les élections de mi-mandat redistribueront les cartes du Congrès – l’intégralité de la Chambre des représentants et un tiers du Sénat. La majorité présidentielle et la minorité républicaine sont à 50-50 à la chambre haute et les démocrates n’ont qu’une avance de 6 sièges à la chambre basse. La perte tout à fait probable du Congrès, ou au moins d’une des deux chambres, comme souvent lors d’une élection en cours de mandat, rendrait vaine toute manœuvre politique pour réformer de la part de l’actuel locataire de la Maison-Blanche, qui serait alors confrontée au blocage obstiné de ses adversaires conservateurs. Pour éviter une telle situation, il doit donc agir vite et montrer à ses électeurs, notamment les classes pauvres et ouvrières, qu’il réforme pour eux. Si Barack Obama a marqué l’histoire pour sa personnalité et déçu pour sa politique, Joe Biden, à la personnalité vieillissante et empathique, souhaite tourner la page de 40 ans d’ultralibéralisme et ainsi rentrer dans l’histoire comme le nouveau Roosevelt.
Théo Quiers
Bibliographie
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Biden promet que Poutine paiera « le prix » de ses actes, Moscou rappelle son ambassadeur. France 24 avec l’AFP. 17 mars 2021. https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210317-vladimir-poutine-accus%C3%A9-d-%C3%AAtre-un-tueur-par-joe-biden-moscou-rappelle-son-ambassadeur
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Joe Biden annonce un plan contre « l’épidémie » de violence des armes à feu. France 24 avec l’AFP. 8 avril 2021. https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20210408-%C3%A9tats-unis-joe-biden-annonce-un-plan-contre-l-%C3%A9pid%C3%A9mie-de-violence-des-armes-%C3%A0-feu
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