Située au carrefour de l’Asie du Sud, du Sud-Est et du Nord-Est, la mer de Chine méridionale est au cœur des convoitises géopolitiques des États qui la bordent. Cette zone maritime contiendrait d’importantes ressources en hydrocarbures. Les estimations font état de près de 11 milliards de barils de pétrole et de plus de 5 000 milliards de mètres cubes de gaz. Face à ces évaluations, les pays riverains que sont la Chine, le Vietnam, les Philippines, la Malaisie, ou encore l’Indonésie et le Sultanat de Brunei revendiquent depuis plusieurs décennies la souveraineté sur les ressources énergétiques que recèle la région. Ces différends territoriaux se cristallisent principalement autour des archipels Spratleys et Paracels.
Depuis l’arrivée de Xi Jinping à la tête du Parti communiste chinois en 2012, la conjoncture stratégique en mer de Chine méridionale se caractérise par l’avancée belliqueuse de la marine chinoise dans les eaux contestées. Afin de limiter sa dépendance énergétique vis-à-vis du Moyen-Orient, le groupe énergétique public chinois China National Offshore Oil Corporation explore depuis l’été 2012 des blocs pétroliers autour des archipels convoités.
Face aux violations des normes internationales concernant la liberté de navigation dans ces eaux, le précédent président américain Donald Trump avait décidé d’imposer des mesures coercitives contre la compagnie pétrolière chinoise. Quant à Joe Biden, son administration entreprend de contrer les revendications stratégiques chinoises par le biais de groupes de coalition régionaux américains – notamment le Quad : composé de l’Australie, de l’Inde, du Japon et des États-Unis et plus récemment avec l’alliance AUKUS : composée de l’Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis.
Malgré l’implication accrue des États-Unis dans les questions stratégiques de la région indo-pacifique, le PCC poursuit ses ambitions stratégiques maritimes. Récemment, l’administration chinoise a décidé unilatéralement d’établir une nouvelle loi obligeant les navires étrangers à donner un préavis avant de pénétrer dans les eaux qu’elle revendique comme étant les siennes. Bien que l’Australie et les États-Unis, en particulier, aient publiquement contesté le nouveau diktat de la Chine, la situation actuelle est révélatrice de la volonté du PCC de saper le droit international. En affichant sa souveraineté en mer de Chine méridionale, Pékin entraîne la région sur une pente glissante vers la guerre avec les États-Unis.
La position du Quad
La rivalité entre la Chine et les États-Unis en matière de puissance, qui a débuté sous l’administration Trump, se transforme en une confrontation avec la présidence Biden. À cette fin, depuis le début de son mandat, Joe Biden a mis l’accent sur la coopération entre les alliés traditionnels des États-Unis dans l’indo-pacifique : Australie, Japon et Inde, dans la lutte contre l’endiguement de la Chine en mer et sur terre. Le Quad, une alliance informelle créée dans les années 2000 entre Washington, Tokyo, New Delhi et Canberra pour une toute autre raison que la géopolitique : coordonner l’aide humanitaire des quatre pays après le tsunami de 2004, s’était réuni en sommet virtuel au cours des premières semaines du mandat du président Biden pour renforcer la coopération et la coordination entre les quatre démocraties contre la montée en puissance de la Chine.
Depuis lors, la coopération maritime entre les quatre démocraties dans les eaux contestées de l’indo-pacifique s’est développée. En avril, les pays du Quad et la France ont lancé un exercice naval militaire de trois jours auquel ont participé plusieurs destroyers à missiles guidés, sous-marins et avions de reconnaissance des cinq pays dans la baie du Bengale. En août, l’interopérabilité des quatre navires de guerre du Quad a été renforcée par des exercices militaires sur la base américaine de Guam, siège du commandement indo-pacifique des États-Unis. En somme, ces exercices avaient pour but de signaler que le Quad s’engage à assurer la sécurité des principales voies de navigation utilisées pour le commerce international.
Cela n’a toutefois pas incité la Chine à revoir à la baisse ses ambitions de modernisation navale, qui se sont accrues à pas de géant, avec la construction de nouveaux sous-marins nucléaires, de sous-marins conventionnels et de nouveaux navires de guerre. Désireuse de montrer ses capacités navales, la marine de l’armée populaire avait notamment lancé le déploiement de missiles balistiques anti-navires en mer de Chine méridionale, quelques jours avant le début de l’exercice naval Malabar 2021. Pour Pékin : dès lors que le Quad projette sa puissance en mer, elle est par conséquent contrainte de contrebalancer cette décision stratégique. La progression de cette toile de fond ne fera qu’accentuer l’instabilité géostratégique de la région.
Five Eyes
L’alliance Five Eyes, connue sous le nom de Groupe des Cinq, est une alliance de cinq pays anglophones : Australie, Royaume-Uni, Canada, Nouvelle-Zélande et États-Unis, constituée pendant la Seconde Guerre mondiale, a entrepris au cours des dernières années d’élargir la portée de l’alliance pour couvrir les actions belligérantes de la Chine. Cet élan a été particulièrement porté par les membres britanniques depuis leur sortie de l’Union européenne – en novembre 2020, les cinq pays avaient notamment convenu de publier une déclaration commune condamnant la répression de la démocratie à Hong Kong. Mais l’alliance de cinq pays démocratiques anglophones avait subi au cours des derniers mois des tensions sans précédent, après la décision de la Nouvelle-Zélande de ne pas soutenir les déclarations communes sur les politiques de la Chine en mer et au Xinjiang.
Ce bouleversement s’explique du fait que la ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Jacinta Ardern avait préalablement déclaré qu’elle ne souhaitait pas que les relations complexes de Wellington avec Pékin soient dictées par les Five Eyes. Avec 29 % de ses recettes d’exportation provenant de la Chine, Pékin reste le principal partenaire commercial de la nation insulaire. Contrairement à l’Australie, la Nouvelle-Zélande exporte peu de produits que la Chine ne pourrait s’approvisionner ailleurs. Il n’est donc pas surprenant que Wellington adopte une approche prudente dans ses relations avec son principal marché d’exportation. Le même problème demeure pour Ottawa, qui reste le seul membre du Groupe des cinq à ne pas avoir interdit la participation du géant Chinois Huawei à la construction de son réseau 5G.
Depuis lors, face aux appréhensions suscitées par les actions militaires menées par le PCC en mer et sur terre dans la région indo-pacifique, Canberra, Londres et Washington ont renforcé leur convergence stratégique à l’égard de la Chine en annonçant le 15 septembre la formation d’une nouvelle alliance militaire, appelée AUKUS. À travers ce partenariat tripartite, les trois « Five Eyes » entendent accroître la coopération stratégique dans le domaine de la défense et de la sécurité. La première initiative de cette coopération renforcée sera d’aider l’Australie à acquérir des sous-marins nucléaires dans un délai de 18 mois, en s’appuyant sur les capacités industrielles des États-Unis et du Royaume-Uni – au détriment, donc, de la France, qui avait passé un accord. En informant la France au dernier moment du nouveau partenariat stratégique, l’administration Biden a toutefois fortement offensé un allié de longue date et un partenaire étroit prêt à faire respecter, si nécessaire par la force armée, l’ordre régional fondé sur le droit en mer de Chine méridionale. Compte tenu de la fragilité et de l’instabilité des tensions en mer de Chine méridionale, Washington ne peut perdre un allié aussi important, surtout si les tensions avec la Chine continuent de s’aggraver.
Kareem Salem
Bibliographie
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