Milan dans le football international

Milan dans le football international

En Italie, le football est un fait social qui dépasse parfois l’entendement. Symboles de l’italianité, les exploits de la Juventus de Turin ou de la Squadra Azzura, l’équipe nationale, sont suivis par toute la péninsule. Dans un pays qui détient très certainement le plus beau palmarès du football européen avec l’Allemagne, aussi bien en clubs avec 42 Coupes d’Europe remportées jusqu’ici1, qu’en sélection nationale avec 4 Coupes du monde glanées – à une longueur du Brésil -, on pouvait s’attendre à un tel engouement. Championnat phare de la fin des années 1980 et pendant toutes les années 1990, la Série A italienne connaît une relative éclipse européenne depuis une dizaine d’années. Avant son sacre de championne d’Europe en 2021, la Nazionale ne s’était pas qualifiée pour la Coupe du monde 2018, une première depuis 1958. Très proche de régner à nouveau sur l’Europe avant les finales perdues de la Juventus en Ligue des champions (2015, 2017) puis de l’Inter Milan en Ligue Europa (2020), l’Italie n’a plus remporté de compétition européenne depuis la Ligue des champions 2010. Seulement devancée par l’Espagne au nombre de finales dans cette dernière compétition, elle reste pourtant un pilier du football européen. 

Engagée depuis 1956 dans la lutte pour l’hégémonie continentale, date de la création de la Coupe d’Europe des clubs champions européens sur une initiative du journal L’Équipe, l’Italie cède d’abord le pas au Real Madrid et au Benfica Lisbonne avant de connaître ses premiers succès dans la compétition. Dès cette époque, la rivalité est bien instituée entre les deux clubs milanais, l’Associazione Calcio Milan, couramment dénommé AC Milan, et le Football Club Internazionale Milano, plus connu sous le nom d’Inter Milan. Les deux clubs milanais triomphent d’ailleurs coup sur coup du Benfica Lisbonne et du Real Madrid pour s’imposer entre 1963 et 1965. Ils seront ensuite rejoints par la Juventus au rang des vainqueurs italiens de la plus prestigieuse des compétitions européennes en 1985. Ce triptyque de l’Italie septentrionale, symbole de sa vitalité économique, structure encore aujourd’hui l’aura du football transalpin à l’international. Uniques vainqueurs de la Ligue des champions, l’AC Milan, l’Inter et la Juve sont aussi les seuls clubs italiens à compter au moins un lauréat au palmarès du Ballon d’or2.  

Dans cette présentation du football italien, Milan occupe assurément une place à part. La capitale de la Lombardie est en effet la seule ville à s’être imposée en Ligue des champions avec deux clubs différents. Elle dispute en outre l’hégémonie nationale à Turin, puisque les deux Milan et la Juve ont remporté tous les Scudetti depuis 2002, écusson aux couleurs du drapeau italien, qui symbolise par métonymie le gain du championnat. Turin et Milan ont également été le théâtre des joutes sportives des grandes familles du capitalisme italien pendant des décennies. À la Juve des Agnelli répondaient fièrement le Milan AC de Berlusconi et l’Inter des Moratti. Les rachats de l’Inter (2013) puis du Milan (2017) par des investisseurs indonésiens puis chinois (Inter), chinois puis américains (Milan), ont fait entrer le football italien dans l’ère de la mondialisation du sport. Cette dernière peut-elle ramener les clubs lombards au sommet de la hiérarchie européenne ? Pour le savoir, regardons d’abord l’histoire de ces deux institutions, leur insertion dans le modèle du football business désormais triomphant et l’impact de l’internationalisation de la Série A sur leur image et leur réussite sportive respectives.

Avec cinq Ligue des champions remportées, Paolo Maldini incarne la gloire du Milan AC (© Wikipédia)

Petite sociologie du football lombard : le Milan ouvrier et l’Inter bourgeoise

L’histoire du football est d’abord celle d’un sport confidentiel devenu universel. Au Royaume-Uni, patrie de nombreux sports s’il en est, il divise plus qu’il ne rassemble dans la seconde moitié du XIXe siècle. Dans le Nord du pays, la pratique du football est d’abord ouvrière, une caractéristique sociologique qui ne s’est jamais démentie jusqu’à aujourd’hui. Pensons seulement au bouillant derby de la Mersey entre le Liverpool Football Club et l’Everton Football Club, véritable totem de la culture ouvrière ! Au Sud, l’esprit de club élitiste domine au All England Lawn Tennis and Croquet Club, éternel organisateur du tournoi de tennis de Wimbledon depuis 1877. Londres est néanmoins le berceau de l’Arsenal Football Club en 1886, club promis à un brillant avenir et qui doit son nom aux arsenaux royaux du sud-est de la ville où travaillaient ses premiers ouvriers-joueurs. Cette dichotomie entre origines « nobles » et « populaires »  se retrouve ailleurs dans le monde. Concurrencé par d’autres sports rois de l’empire britannique comme le cricket, le hockey sur gazon ou le rugby, le football ne s’est jamais imposé en Inde, au Pakistan ou en Australie. Il connaît en revanche une expansion fulgurante en Amérique du Sud. Au Brésil, il est d’abord le sport aristocratique par excellence avant de connaître le succès que l’on sait. Même chose en Argentine où les clubs de River Plate et de Boca Juniors se disputent le cœur des supporters porteños dans une opposition figée entre bourgeoisie et classes populaires. Il en va de même à Milan où l’AC Milan, club de fondation italo-anglaise en 1899, est d’abord le club des ouvriers des usines du fabricant de pneumatiques Pirelli avant d’être concurrencé par l’Inter Milan à partir de 1908.

Évocateur, l’Inter Milan doit son nom en réaction à la décision de la fédération italienne de football d’interdire son championnat aux joueurs étrangers à partir de 1908. Ne jouant plus qu’avec des joueurs italiens, le Milan AC traverse une longue période de disette sur la scène nationale qui ne prend fin qu’avec le titre de champion conquis en 1951. Fort de son contingent de joueurs étrangers, l’Inter devient le porte-étendard de la bourgeoisie milanaise. Au milieu des années 1960, le club domine son championnat et l’Europe en remportant trois Scudetti et deux Coupes des clubs champions européens sous la houlette de son entraîneur argentin Helenio Herrera. L’Inter n’a depuis jamais cessé de cultiver un lien très fort avec l’Argentine en accueillant de nombreux joueurs italo-argentins dans ses rangs. Vice-président et joueur le plus capé du club, Javier Zanetti est la figure emblématique de ce lien singulier.  

Cette internationalisation des origines de l’Inter Milan ne doit pas nous illusionner. Au tableau d’honneur des deux clubs, on remarquera que le meilleur buteur rossonero – le rouge et le noir sont les couleurs du Milan – est suédois en la personne de Gunnar Nordahl depuis 1956. Côté nerazzurri – les Noirs et Bleus -, il faut remonter à Giuseppe Meazza, ancienne gloire du football fasciste et vainqueur des Coupes du monde 1934 et 1938 pour trouver trace du meilleur buteur du club. L’AC Milan a également connu la gloire au tournant des années 1980-1990 avec ses internationaux néerlandais Marco Van Basten, Ruud Gullit et Frank Rijkaard. Ces sept victoires en Ligue des champions, une marque seulement dépassée par le Real Madrid (13), lui assurent une renommée internationale supérieure à celle de son voisin.   

En 2021, l’Inter est toujours le deuxième club italien le plus suivi sur Facebook, loin derrière la Juventus, mais devant l’AC Milan3. D’innombrables sondages montrent que l’ancrage septentrional des deux clubs est quasi-similaire, le Piémont, la Lombardie, la Vénétie et le Frioul-Vénétie Julienne supportant aussi bien l’une ou l’autre équipe4. À Milan, le Derby della Madonnina – du nom de la statue de la Vierge Marie qui coiffe la flèche du Duomo, la cathédrale de la ville –  scinde littéralement la ville en deux. Sans qu’il soit possible d’opérer un strict zonage géographique à l’instar du derby romain entre l’AS Rome et la Lazio Rome5, les tifosi soutiennent inconditionnellement leurs deux clubs de cœur. Le temps passant, les socles sociologiques se sont élargis, si bien qu’il devient difficile de dégager un portrait type du tifoso. Le « virus » rossonero ou nerazzurro continue néanmoins de traverser des générations d’Italiens. L’Inter et le Milan partagent en outre le même stade, appelé Giuseppe-Meazza par l’Inter et San Siro par le Milan, et projettent de disposer d’une nouvelle enceinte commune6. Si le derby milanais reste d’abord un événement lombard et italien, il est de plus en plus un rendez-vous télévisuel mondial sous le double effet de la mondialisation digitale et du football business. Ce modèle économique agressif, consubstantiel à la globalisation de l’économie, est un acteur décisif de l’internationalisation de ce sport.  

Sous l’ère Silvio Berlusconi (1986-2017), le Milan AC s’impose comme un grand d’Europe avant de décliner dans les années 2010. (© Wikipédia)

Le foot business : Milan dans la mondialisation footballistique

S’appuyant dès 1886 sur l’International Football Association Board pour la codification des règles du jeu, le football s’est vite doté des institutions nécessaires à sa promotion avec la création de la Fédération internationale de football (FIFA) en 1904. Initiateur de la première Coupe du monde de l’histoire en Uruguay (1930), le Français Jules Rimet est assurément l’une des grandes figures de l’émergence du football mondial. 

À l’heure de la mondialisation, les difficultés d’organisation de cette Coupe du monde à l’autre bout de la planète ne sont plus qu’un lointain souvenir. Depuis l’arrêt Bosman (1995) qui a ouvert la voie à la libre-circulation des joueurs européens en Europe et l’explosion du montant des droits télévisuels liée à la concurrence toujours plus accrue entre les diffuseurs depuis une quinzaine d’années, les clubs de football sont désormais des entreprises multinationales. Places fortes de la globalisation financière, ils se sont écartés du simple modèle d’association de joueurs comme la rappelle encore la dénomination de l’AC Milan lui-même. Tout grand club digne de ce nom est aujourd’hui coté en bourse, cherche à vendre ses droits télévisuels en priorité sur les marchés émergents asiatiques et dans le reste du monde au plus offrant, à jouer toujours plus sur le terrain du merchandising pour pousser le consommateur à l’achat, à trouver le sponsor le plus généreux qui lui assurera des revenus confortables7. Confrontés aux turbulences de la crise financière de la fin des années 2000, les clubs de football ont décidé d’harmoniser leurs pratiques économiques et commerciales pour mieux limiter leurs pertes. Autrement dit, l’investissement record à fonds perdus, marque de fabrique du Chelsea de l’oligarque russe Roman Abramovitch, propriétaire du club londonien depuis 2003, n’était plus envisageable pour nombre d’équipes. C’est dans cet esprit que l’Union des associations européennes de football (UEFA) instaure le Fair-play financier en 2010. Dorénavant, les clubs de football engagés dans des compétitions européennes ne peuvent plus dépenser plus que ce qu’ils gagnent. L’AC Milan n’a ainsi participé à aucune compétition européenne en 2019-2020 pour violations récurrentes des règles du Fair-play financier. Ébranlée par cette nouvelle, la presse transalpine et internationale prédisent une fin prochaine à cette mesure8. Quoiqu’il en soit, avec des pertes estimées à plus de 8 milliards d’euros depuis le début de la crise sanitaire de la Covid-19, le football européen devra faire preuve d’imagination pour doper ses recettes.

Quand ils ne sont pas pris entre les griffes du Fair-play financier, les clubs sont bien sûr dépendants des ventes des joueurs, de la qualité de leur centre de formation, des recettes de la billetterie et des diverses entreprises qui les soutiennent financièrement. Ces attributs classiques du football avant sa mondialisation sont aujourd’hui complétés par la valorisation de la « marque-club ». Comme pour n’importe quelle entreprise qui mettrait en avant la qualité de ses produits, l’Inter Milan est engagée dans une démarche de vente permanente, quitte à mythifier son histoire. Pour plus de visibilité à l’internationale, elle a simultanément changé de nom et de logo. L’Internazionale Milano est devenue Inter Milano et son logo s’est épuré. En rapprochant l’image du club à celle d’un Milano synonyme ordinairement de capitale de la mode et du luxe à l’italienne, ses propriétaires chinois espèrent que l’Inter gagnera en notoriété, elle qui a vu sa valeur boursière s’effriter sous l’effet du tassement de ses résultats sportifs depuis 2010. Comble de la mondialisation, l’historique Pirelli vient d’être remplacé par des sponsors chinois et une application mobile maltaise9!

Pensés comme outils de communication et aimants pour de futurs – riches – tifosi, l’Inter s’investit massivement sur les réseaux sociaux, au point d’entretenir une présence omnichannel. De Facebook à Twitter, en passant par Instagram, YouTube, LinkedIn et WeChat, le Whatsapp chinois, plus rien n’échappe à la nouvelle Inter 2.0. Derrière la course aux followers, motif d’orgueil purement communicationnel qui permet de bien figurer dans les classements les plus divers, il s’agit de créer une « communauté Inter » qui consomme l’Inter à chaque instant. En alimentant son compte Twitter en arabe, indonésien, japonais, turc ou portugais, l’Inter s’assure potentiellement des marchés les plus lucratifs pour écouler ses maillots ou donner envie aux intéristes des quatre coins du monde de venir séjourner à Milan. Telle une étude de marché pour n’importe quel produit, l’Inter tient compte des spécificités culturelles de chaque pays pour mieux atteindre ses objectifs. Il est peu probable que le club fasse la promotion d’une chope de bière au sein de sa twittosphère arabophone ! Envisagé comme un produit marketing, le joueur devient quant à lui un rouage incontournable du football business. Il est par exemple très appréciable de disposer d’un joueur de football japonais dans son effectif pour gagner en audience ou doper ses ventes au Japon. Le foot business sert enfin à accroître la notoriété parfois confidentielle de ce sport à de nouveaux territoires, comme le rappelle la prochaine Coupe du monde prévue au Qatar en décembre 2022.

Entreprises globales, les clubs de football italiens sont engagés dans une quête mondiale de rentabilité et de célébrité. À l’exception notable de la Juventus, ils ne figurent pas à ce jour dans les dix clubs les plus riches du monde10, ou comptant le plus grand nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux11. Il leur faudra certainement affiner leurs stratégies commerciales pour y parvenir. Attirer les meilleurs joueurs et moderniser leurs stades pour retrouver les cimes du football mondial devrait être leur ambition première pour prospérer davantage.     

L’Inter Milan parviendra-t-il à renouer avec les grandes soirées européennes grâce à ses propriétaires chinois ? (© Wikipédia)

La mondialisation de la Série A : un viatique pour retrouver les sommets ?

Popularisés en Angleterre avec le Chelsea de Roman Abramovitch ou le Manchester City des Émirats arabes unis, les rachats des clubs de football européens par des puissances financières étrangères sont devenus monnaie courante depuis le milieu des années 2000. Longtemps bastion des grandes familles du capitalisme transalpin, le football italien a lui aussi cédé à cette tendance avec le rachat de l’AS Rome par l’Italo-Américain James Pallotta en 2011. En difficulté financière après le quintuplé historique de l’Inter en 201012, la famille Moratti cède finalement le club à un investisseur indonésien en 2013. Silvio Berlusconi en fait de même avec le Milan, club qu’il a présidé pendant 30 ans et qu’il revend à un homme d’affaires chinois. L’ancien président du Conseil italien n’arrivait plus à supporter le fardeau économique que supposaient ses investissements dans un club qui n’avait plus connu la Ligue des champions depuis la saison 2013-2014 avant cette année. Aucune de ces ventes ne s’est révélée fructueuse pour les deux clubs lombards. Bien plus, on est en droit de s’interroger sur leur quasi-simultanéité et ce qu’elles supposent pour l’avenir du football italien. 

Quand ils reprennent ces deux géants du football mondial, quelle était la vision de l’investissement de M. Erick Tohir et de M. Li Yonghong ? En premier lieu, il ne semble pas que le football soit le sport roi en Indonésie comme en Chine. Mais ces deux pays traversent à l’époque une période de très forte croissance économique couplée à un fulgurant boom de l’Internet. Le chinois et l’indonésien sont d’ailleurs devenus deux des cinq premières langues de l’Internet. On imagine donc facilement le nombre colossal de potentiels consommateurs si les clubs milanais renouent avec leurs succès sportifs d’antan. Au-delà de la seule promotion du club,  les investisseurs asiatiques voient dans le football un moyen de pénétrer d’autres secteurs de la vie économique européenne. 

Revendue depuis à Suning, un groupe chinois spécialisé dans l’e-commerce en 2016, l’Inter est entrée dans la sphère d’influence de Pékin. Prévue à l’automne 2021, la substitution du sponsor historique Pirelli par le promoteur immobilier Evergrande est manifeste de cet interventionnisme chinois qui dépasse largement le football. Suning produit aussi des smartphones et des télévisions, qui sont autant de supports pour regarder des matchs de football. De son côté, l’Italie, membre de la Belt and Road Initiative depuis 2019, ne s’opposerait sans doute pas à une refonte complète de ses stades de football. Souvent critiqués pour leur vétusté, ces derniers constituent un instrument crucial de l’attractivité future de la Série A. De même, Pékin se verrait bien construire de nouveaux centres d’entraînements et autres équipements sportifs dans la péninsule. Autrement dit, la Chine exerce son soft power sur le football transalpin pour mieux se doter d’un savoir-faire managérial européen qu’elle applique à son marché intérieur par la suite. Le nouveau plan quinquennal chinois (2021-2026), centré sur le développement de son marché intérieur est cependant en passe de rebattre les cartes. En restreignant fortement les perspectives d’investissement chinois dans le sport italien et dans le sport en général, le gouvernement central de Pékin hypothèque fortement la fiabilité du projet chinois à l’Inter13. Protectionniste, Pékin limite également la fuite massive des capitaux chinois à l’étranger.

Outre les aspects économiques, la performance des clubs italiens sous pavillon chinois semble conditionnée à la qualité des rapports diplomatiques entre l’Italie et la Chine. Les considérations géopolitiques entrent en effet systématiquement en ligne de compte dans les investissements de Pékin à l’étranger. Contrôler l’Inter est donc un motif d’orgueil national pour la Chine, elle qui reste très marquée par l’époque des traités inégaux14. Surtout, Pékin s’assure une place de choix dans la compétition des puissances pour l’hégémonie sportive et géopolitique. L’Inter chinoise doit être en mesure de défier le Chelsea d’Abramovitch, le PSG de la famille royale qatarie et peut-être plus encore l’AC Milan désormais propriété du fonds d’investissement américain Elliott. 

L’immixtion de la Chine dans le football italien obéit en définitive à une politique de puissance. Engagée dans une course contre la montre pour figurer au premier rang des nations à l’horizon 2049, date du centenaire de la révolution culturelle, la Chine ne lésine sur aucun moyen pour parvenir à ses fins. Si les clubs transalpins ont d’abord vu favorablement l’arrivée de nouveaux investisseurs pour soulager leur situation financière parfois préoccupante, il n’est pas certain que ces derniers recherchent la réussite sportive de leurs nouvelles acquisitions, et ce malgré le récent Scudetto de l’Inter. Tel un cheval de Troie, la Chine avance méticuleusement ses pions en Italie, nonobstant l’encadrement du parti communiste chinois et les contraintes des réglementations européennes. L’Inter et le Milan ont-ils vendu leurs âmes à des investisseurs seulement motivés par la perspective de juteux résultats financiers ? Dérivé du foot business, ce scénario s’est déjà produit et continue d’entraver les résultats sportifs d’institutions comme le Manchester United Football Club ou l’Arsenal Football Club qui peinent à rejouer les premiers rôles dans le championnat d’Angleterre comme sur la scène européenne. La qualification récurrente en Ligue des Champions, par la manne financière qu’elle génère, doit être l’un des piliers de la reconstruction sportive des clubs milanais. Mises à rude épreuve par la crise sanitaire, les finances du football européen trouveront certainement dans l’avènement d’une future Superligue européenne l’occasion d’enregistrer de substantiels profits15. Mais, à vouloir s’apparenter à la NBA américaine ou à se vendre perpétuellement aux investisseurs asiatiques, l’Europe ne perd-elle pas de sa substantifique moelle ?

Alexis Coquin

1 Ce décompte comprend les victoires en Ligue des champions (12), en Ligue Europa (9), en Supercoupe d’Europe (9) en Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes (7), en Coupe Intertoto (4) et en Coupe des villes de foires (1). À ce jour, le Milan, l’Inter, la Juventus, Parme, Naples, la Fiorentina, la Lazio Rome, la Sampdoria de Gênes, Bologne, Pérouse, l’Udinese et l’AS Rome ont su se constituer un palmarès européen.

https://it.wikipedia.org/wiki/Statistiche_delle_squadre_italiane_nelle_coppe_europee_di_calcio

2 Il s’agit respectivement de l’Italo-Argentin Omar Sívori (1961), des Italiens Paolo Rossi (1982), Roberto Baggio (1993) et Fabio Cannavaro (2006), des Français Michel Platini (1983, 1984, 1985) et Zinédine Zidane (1998), du Tchèque Pavel Nedved (2003) pour la Juventus ; de l’Italien Gianni Rivera (1969), des Néerlandais Ruud Gullitt (1987) et Marco Van Basten (1988, 1989, 1992), du Libérien George Weah (1995), de l’Ukrainien Andriy Chevtchenko (2004), du Brésilien Kaká (2007) pour l’AC Milan ; de l’Allemand Lothar Matthäus (1990) et du Brésilien Ronaldo (1997) pour l’Inter Milan.

3 Avec 44 millions de fans, la Juventus devance les 28 millions suiveurs de l’Inter Milan et les 25 millions du Milan AC (chiffres Facebook – novembre 2021)

4 À partir d’une compilation de données rassemblées par Facebook, La Gazzetta dello Sport, le plus célèbre des quotidiens italiens, a cru déceler une plus grande popularité du Milan sur l’Inter aussi bien à Milan que dans le reste de la péninsule.  https://www.gazzetta.it/Datamania/inter-milan-mappa-tifosi/  et cette  enquête qui fait état de l’ancrage régional des deux clubs  : https://www.ilposticipo.it/alta-fedelta/derby-della-madonnina-per-chi-tifano-litalia-e-il-mondo/3/ 

5 À Rome, le quartier populaire de La Garbatella, au sud du Colisée, est connu pour être un repère des romanisti, les supporters de l’AS Rome. Les laziali de la Lazio Rome sont quant à eux plus nombreux au nord de la ville, par exemple sur la piazza Vescovio les jours de match.

6 Le nouveau stade de San Siro, encore débattu par les deux clubs et la municipalité, ne sera cependant pas prêt pour 2026, année où l’Italie accueillera les Jeux olympiques d’hiver à Milan et Cortina d’Ampezzo. Cf. le projet https://www.nuovostadiomilano.com/it 

7 Le merchandising consiste à profiter de la notoriété d’un club pour mieux le vendre à l’étranger. Concrètement, chaque club commercialise ses maillots, qui sont de loin leur source de revenus la plus lucrative. Les produits dérivés ne sont pas en reste non plus, agendas, ballons, écharpes, porte-clés, stylos ou encore tasses complétant la panoplie du parfait supporter. 

8 Lire MÉTAIRIE Romain, « La crise du Covid devrait coûter plus de 8 millions d’euros au football européen », Libération, 21 mai 2021 :  https://www.liberation.fr/sports/football/la-crise-du-covid-devrait-couter-plus-de-8-milliards-deuros-au-foot-europeen-20210521_BU6M2U67I5FDXPRGDKSL6GTJJI/ 

9 Il s’agit respectivement des entreprises Lenovo, Suning.com et Socios.com.

10 Selon Forbes l’Inter et le Milan étaient respectivement les 14e et 18e clubs les plus riches du monde en 2021.  https://en.wikipedia.org/wiki/Forbes%27_list_of_the_most_valuable_football_clubs 

11 Lire le rapport Deloitte. Testing times. Football money league, Londres, janvier 2021.

https://www2.deloitte.com/content/dam/Deloitte/uk/Documents/sports-business-group/deloitte-uk-deloitte-football-money-league-2021.pdf

12 Outre le championnat, l’Inter remporte cette année-là la coupe d’Italie, la Ligue des champions, la supercoupe d’Italie, et le mondial des clubs.

13 Lire BELTRAMI Marco, « Così la Cina sta spingendo Suning a vendere l’Inter », Fanpage.it, 13 janvier 2021 : https://www.fanpage.it/sport/calcio/cosi-la-cina-sta-spingendo-suning-a-vendere-linter/ 

14 Les « traités inégaux » désignent les textes qui légitiment la pénétration européenne en Chine et en Asie à la suite de la victoire des puissances européennes coalisées sur la Chine impériale lors de la première guerre de l’opium (1839 – 1842) puis de la seconde guerre de l’opium (1856 – 1860). Alors que les Britanniques s’établissent à Hong Kong (1842) et les Français en Indochine, la ville de Tianjin devient une plate-forme internationale où l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, la France, l’Italie, le Japon, le Royaume-Uni et la Russie cherchent à y développer leur commerce, quitte à mater pour cela la révolte des Boxers (1899 – 1901).

15 Lire ABSALON Julien et RIOLO Daniel, « Voilà à quoi ressemblera la Superligue européenne en cours de finalisation », RMC Sport, 23 décembre 2020 : https://rmcsport.bfmtv.com/football/voila-a-quoi-ressemblera-la-superligue-europeenne-en-cours-de-finalisation_AV-202012220399.html et https://rmcsport.bfmtv.com/football/superligue-europeenne-droits-tv-nombre-de-clubs-de-nouveaux-details-sur-le-projet_AV-202101210514.html 

Bibliographie

  • Mémoires universitaires

CAMARCA Rodolfo, Il calcio dal valore sportivo al mero business: le cordate dei cinesi sulle squadre italiane, Libera Università Internazionale Degli Studi Sociali (LUISS), Rome, département d’économie et de management, 2018.

http://tesi.luiss.it/21961/1/194461_CAMARCA_RODOLFO_Rodolfo%20Camarca%20194461.pdf

DE CESARE Massimo, Il marketing sportivo nell’era digitale: il caso F.C. Internazionale, Université de Padoue, département d’économie, 2018.

http://tesi.cab.unipd.it/61677/1/De_Cesare_Massimo.pdf

DE MARTINO Vincenzo, Le società calcistiche ed il financial fair-play: il caso F.C. Internazionale Milano, Libera Università Internazionale Degli Studi Sociali (LUISS), Rome, département d’économie et de management, 2019.

http://tesi.luiss.it/24523/1/198831_DE%20MARTINO_VINCENZO.pdf

NAPOLEONE Davide, Il marketing sportivo delle società calcistiche: modelli di business a confronto e ruolo del brand nella generazione di valore per il club, Libera Università Internazionale Degli Studi Sociali (LUISS), Rome, département d’économie et de management, 2017.

https://tesi.luiss.it/20574/1/675491_NAPOLEONE_DAVIDE.pdf

  • Milan dans l’actualité footballistique

CONTICELLO Filippo, « L’Inter cambia nome e logo : a inizio marzo sarà Inter Milano », La Gazzetta dello Sport, 18 janvier 2021.

https://www.gazzetta.it/Calcio/Serie-A/Inter/18-01-2021/inter-nome-logo-inter-milano-3902588245007.shtml?awc=10880_1617479520_5316907ffe8c6d5f7de7a9b76410189b

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