Afrique du Sud : l’avenir sombre de l’arc-en-ciel

Afrique du Sud : l’avenir sombre de l’arc-en-ciel

Mais où est passée la nation arc-en-ciel de Nelson Mandela ? Politique d’expropriation, racisme anti-blanc… En Afrique du Sud, Julius Malema, désormais ex-leader de la Jeunesse de l’ANC (African National Congress) depuis sa suspension jeudi 10 novembre, est en passe de mettre fin au rêve du vieil homme. Et il n’est pas le seul.

Le leader de la Ligue de la Jeunesse de l’ANC, Julius Malema

« Makula » en sesotho. « Coolie » en anglais. Définition coloniale : porteur d’origine immigrée dans les ports ou aéroports. Connotation : franchement péjorative. Julius Malema sait manier les symboles. En lançant le mot « makula », le 19 octobre lors d’un rendez-vous public, il a parfaitement illustré celui d’une Afrique du Sud qui s’éloigne inexorablement du rêve de Nelson Mandela. Les protestations de la communauté indienne n’ont pas tardé à se faire entendre, par la voix du Parti indien de la minorité, qui a ainsi estimé que le leader des jeunes de l’ANC, qui a été suspendu jeudi 10 novembre par le parti pour une durée de cinq ans, faisait « beaucoup de tort à la cause de l’harmonie entre les races et de la cohésion sociale ».

Ce qui n’est pas vraiment une nouveauté. Lors de ses nombreux meetings, le trublion Malema se plait régulièrement à entonner l’un des chants traditionnels de la lutte contre le régime de l’apartheid, le célèbre « Kill the Boer » – traduisible par « tuer le Blanc » – ce qui, en termes de cohésion nationale, semble pour le moins inapproprié. Mais, fort de son influence populaire, Julius Malema peut semble-t-il s’autoriser beaucoup.

Malema, un Mugabe de 30 ans

Car, si le langage n’est pas politiquement correct, il est pour le moins efficace, mêlant ressentiments communautaires et anti-impérialisme. En témoignent la dernière manifestation organisée par Malema pendant laquelle 3 000 Noirs ont pris d’assaut la bourse sud-africaine; ou encore ses discours sur le secteur agricole prônant la saisie des terres « blanches » par la force et sans aucune rétribution.

Sur ce point, le jeune homme fort de l’ANC s’est choisi un modèle des plus illustres en la personne de l’éternel dictateur zimbabwéen Robert Mugabe. Et, si les chiffres prouvent qu’au Zimbabwe, après quelque 5 000 expropriations, l’agriculture est en pleine chute libre – en dix ans, la réforme a coûté 12 milliards de dollars et la production a perdu 70% en volume et 69% de sa valeur – qu’importe. L’idée est populaire et le gouvernement a même annoncé, jeudi 31 août, un projet de redistribution des terres, dont l’objectif est, entre autres, de transférer des propriétés appartenant aux Blancs à des agriculteurs Noirs.

« Tuons l’Homme blanc »

Cela n’a évidemment rien d’une coïncidence. Le parti au pouvoir est tenu de prendre en compte l’influence croissante du jeune Malema auprès de la classe populaire sud-africaine. En effet, la moitié des 25-34 ans se trouve prise dans la tourmente d’un chômage que le gouvernement ne parvient pas à résoudre (48,2% des 15-24 ans étaient au chômage en 2009). La politique de l’ANC est donc à son égard pour le moins ambigüe.

Si le parti l’a effectivement rappelé plusieurs fois à l’ordre, allant jusqu’à décider sa suspension, sa sévérité relève moins d’une sanction pour « atteinte à la cohésion sociale » ou pour « propos racistes » que d’une mise à l’écart calculée dans la course à la succession de Jacob Zuma – dont les grands favoris sont Malema, qui a pris ses distances avec l’actuel président, et le vice-président en poste Kgalema Mothlante -.

Et, si l’intérêt politique de l’ANC à prendre en considération Malema est indéniable, il ne faut pas négliger les convergences idéologiques entre une partie de l’organisation et le jeune trublion au vocabulaire peu imagé. Car, alors que celui-ci entonne « Kill the Boer », l’ANC n’hésite pas de son côté à s’indigner des protestations de la Cour suprême devant un autre chant de la même origine, dont le refrain « dubula ibunu » signifie, selon les juges, « tuons l’Homme blanc ». Le parti du président, dont le morceau préféré « Umshini Wami » veut dire « apportez-moi ma mitraillette », regrettait ainsi : « il serait dommage que notre héritage soit déclaré hors-la-loi par des tribunaux ».

Faire fi du futur

Anecdotique ? Pas vraiment. Le Congrès du peuple (Cope), fondé par des dissidents de l’ANC, ainsi que l’Alliance démocratique (DA) et les Indépendants démocrates (ID) ont ainsi dénoncé l’ANC, coupable selon eux d’entretenir un « climat d’intolérance » qui rappelle les heures sombres du régime de l’Apartheid.

Julius Malema, si l’on peut lui « attribuer » la réintroduction d’un discours anti-blanc dans le débat public, pourrait donc n’être que la partie émergée d’un problème bien plus vaste. Sur fond de crise économique, agricole et sociale, l’ANC, qui représentait 66% du vote national à la dernière présidentielle en 2009, participe à la liquidation d’un rêve dont il ne reste aujourd’hui que peu de choses. En août dernier, l’archevêque Desmond Tutu, pourtant icône de la réconciliation, s’est même laissé aller à un symbole néfaste en évoquant un impôt spécial pour les Blancs. L’Afrique du Sud est une nouvelle fois à un moment décisif de son Histoire. Il lui faudra peut-être, une fois n’est pas coutume, faire fi du futur et de Malema et regarder vers le passé et Mandela.

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