Liban : un relent d’esclavage domestique?
Malgré la présence de 400.000 travailleurs migrants sur son territoire, le Liban n’a jamais signé la Convention Internationale à ce sujet, les privant ainsi de protection légale. Les employées de maison, immigrées, vivant et travaillant au domicile de leur employeur, sont de loin les plus touchées. Le Code du Travail libanais les exclut de ses juridictions et personne ne contrôle ce qui se passe au sein des foyers. Pauline Jouvet, étudiante en Science-politique à Beyrouth en 2011, a enquêté auprès de ces femmes. Extraits.
« Chaque jour, je les apercevais sur les balcons des immeubles à travers ma grande baie vitrée. Alors que je sortais à peine de mon sommeil, elles étaient déjà en train d’étendre le linge et lorsque je fermais mes rideaux, tard le soir, je pouvais encore deviner leurs ombres s’activer dans les cuisines. Ces femmes philippines, sri lankaises, éthiopiennes,… semblaient infatigables. Qui étaient-elles ? Comment vivaient-elles leur immersion dans ce pays qui n’avait rien d’autre à leur offrir qu’une vie de labeur ? »
« Surya déplie chaque soir un lit de camp dans la cuisine pour dormir »
« J’ai d’abord questionné mes amies libanaises qui avaient presque toutes une « fille » à leur service. La première fois que je suis allée chez mon amie Layal, j’ai été surprise par l’irruption de cette jeune asiatique qui nous a débarrassées de nos affaires et servi à manger. Mes quelques jours chez Layal m’ont permis d’observer le rythme de vie de son employée, une népalaise de 21 ans. Levée à 7h pour préparer le petit-déjeuner, elle passait ensuite la journée à faire le ménage de l’appartement luxueux décoré à outrance, et servait encore ses patrons à minuit. Alors que l’appartement dispose d’une chambre libre depuis le départ du fils aîné à Dubaï, Surya déplie chaque soir un lit de camp dans la cuisine pour dormir. J’aurais aimé parler avec elle, en savoir plus sur sa vie au Népal, ses sentiments face à ses conditions au Liban, mais la barrière de la langue nous limitait à des échanges de sourires. Nous avions le même âge, nous étions loin de nos pays, je me sentais proche d’elle et pourtant, malgré mes protestations, elle me servait. Elle ne s’asseyait jamais avec nous pour dîner et mangeait les restes après notre départ de la cuisine. Je n’ai pu m’empêcher d’interroger Layal qui m’a expliqué : « Cela fait maintenant un an que Surya travaille chez nous. Elle a un contrat de trois ans. Au début, elle ne parlait pas un mot d’arabe. Puis, peu à peu, elle a appris et maintenant, elle comprend tout. Elle est très brave, elle travaille beaucoup et envoie tout son argent au Népal pour sa famille. C’est une chance pour elle d’être ici. Là-bas, ils n’ont rien, c’est la campagne, ils vivent dans des cabanes. Même si son salaire est très bas par rapport au niveau de vie libanais, pour eux c’est beaucoup. » »
Confiscation de passeport et enfermement
« Les migrantes afro-asiatiques entrent au Liban grâce à des agences de recrutement qui les mettent en relation avec des Libanais qui seront à la fois leur employeur et kafil, c’est-à-dire leur représentant légal sur le territoire. Les Libanais désirant employer une travailleuse domestique paient à l’agence une somme d’environ 1500$ qui comprend le billet d’avion, les permis de séjour et de travail, la visite médicale et les frais d’agence. Des flots de femmes en provenance d’Asie et d’Afrique arrivent ainsi chaque semaine à l’aéroport de Beyrouth où leur passeport leur est immédiatement confisqué pour être remis aux employeurs. C’est une garantie « anti-fuite ». Ces femmes paient ensuite très cher la grâce qui leur a été faite : le paiement de leur billet d’avion et l’autorisation de séjour au Liban. Elles signent un contrat qu’elles ne comprennent généralement pas et qui les engage à travailler pour un à trois ans chez le même employeur. Elles perçoivent un salaire mensuel allant de 100$ à 200$, selon leur nationalité, et ont l’interdiction de sortir du domicile de leurs employeurs sans leur autorisation. Si un temps de travail maximum de 10h par jour et un jour de congé hebdomadaire sont prévus dans le nouveau contrat unifié adopté en 2009, dans la pratique, les employées de maison restent à la merci de leurs patrons. Parmi les 70 femmes sri lankaises interrogées par les chercheurs Ray Jureidini et Nayla Moukarbel en 2004, à l’ambassade sri lankaise de Beyrouth, la moitié était enfermée au domicile de leurs employeurs et 88% ne disposaient pas de jour de congé[1]. »
« J’ai cherché à rencontrer ces femmes personnellement. Je me suis donc rendue à la fête de l’Union Africaine, dans des services religieux en Tagalog, Malgache, Anglais, dans des salons de coiffure africains, dans des ONG… Une rencontre en entraînant une autre, je passais mes dimanches à me promener dans les quartiers déconseillés par la plupart des Libanais. J’y ai rencontré les employées de maison les plus chanceuses, celles autorisées à sortir seules durant leur jour de congé. J’y ai aussi rencontré des fugitives et des travailleuses indépendante qui, pour diverses raisons, sont parvenues à se soustraire au contrat (souvent au terme d’un premier ou deuxième contrat) et retrouver leur liberté. Ces dernières partagent souvent de petits appartements insalubres dans des quartiers périphériques de Beyrouth et font des ménages à l’heure chez des particuliers. »
Stratégies de survie
« A la sortie d’un culte en malgache, je rencontre Isabelle, une jeune fille d’une vingtaine d’années. Elle s’est vêtue d’une robe colorée pour sa sortie dominicale et ses yeux pétillent derrière ses joues rebondies. Ma connaissance de Madagascar nous fait rapidement sympathiser et elle me raconte son histoire. Suite à une dispute, sa « Madame » l’a chassée de son domicile. Grâce à la compréhension du patron qui lui a rendu son passeport, Isabelle a pu trouver un travail à temps partiel et une collocation avec trois amies dans un petit deux pièces. Peu de temps après, un chauffeur de taxi l’a agressé, et lui a volé son sac avec tous ses papiers. Aujourd’hui, les employeurs acceptant d’embaucher une migrante sans papiers sont rares et, si elle parvient quand même à trouver quelques heures de travail, Isabelle vit dans la crainte d’être contrôlée par la police. Elle sait qu’elle risque un minimum de trois mois de prison et les histoires qu’elle entend sur Aadlieh – la prison réservée aux migrants – sont effrayantes : manque de nourriture, cellules surchargées, maltraitances, suicides… Isabelle me présente son amie Nirine. Cette grande femme, élégante me raconte une histoire plus amusante. Lors de son premier contrat, ses conditions de vie misérables l’ont poussé à mettre en place une ruse pour rentrer dans son pays :
« Nirine : Pourquoi j’ai pu rentrer à Madagascar ? J’ai râpé une betterave et j’en ai mangé beaucoup, avec de l’eau. Après, j’ai fait la gueule à ma patronne, je lui ai dit que je ne travaillais plus. Elle m’a amenée au bureau. Quand je suis arrivée au bureau, j’ai fait une crise. Je n’étais pas malade, mais j’ai fait du cinéma. J’ai vomi et c’était tout rouge ! Tout le monde a pensé que j’étais très malade !
Isabelle : (Rires) Tuberculose ! Ils ont pensé qu’elle avait la tuberculose !
Nirine : J’ai fait ça et deux jours après je suis rentrée à Madagascar ! » »
Nirine est revenue au Liban quelques années plus tard et elle travaille aujourd’hui pour un Libanais fortuné qui lui offre un bon salaire, de bonnes conditions de vie et la liberté de sortir à son gré. Elle s’est rapidement imposée comme conseillère en matière de stratégies de résistance parmi ses amies malgaches. La complicité installée, mes deux nouvelles amies m’invitent à les accompagner à Nabaa, un quartier périphérique paupérisé, pour rencontrer d’autres Malgaches. Après un trajet de taxi dans la circulation délirante de la capitale, nous longeons des ruelles sales où les petites filles jouent au ballon tandis que leurs grands frères trafiquent, assis sur leurs scooters. Nous entrons dans un petit appartement. Le sol de béton est recouvert d’un tapis, la télévision dans un coin de la pièce diffuse des clips de musiques africaines et une dizaines de Malgaches s’entassent sur les deux petits canapés et chaises pour manger. Les propriétaires des lieux, un couple malgache, m’accueillent en me servant une assiette de riz au poulet. J’essaie de me faire accepter avec des sourires et quelques mots de Malgache, mais je sens que cela ne marche pas. Les regards sont méfiants. La réalité, c’est que personne ne veut témoigner de son histoire devant les autres. Tout le monde préfère les discussions futiles et l’insouciance en ce jour de repos. «
« Quand je lui demandais mon salaire chaque mois, elle me disait qu’elle n’avait pas d’argent »
Tina, la jeune femme dont le bébé Karim passait de bras en bras en ce dimanche de printemps, me confia :
« Lors de mon deuxième contrat, en 2006, j’étais chez une dame pas du tout gentille. Elle me laissait dormir seulement à 2h du matin et elle me réveillait à 6h30 du matin. Je n’avais pas de congé. C’est moi qui ai demandé un congé en montrant le contrat. Pendant deux ans, je n’ai pas eu de congé puis elle me donnait un congé mais c’était seulement l’autorisation de sortir pendant 2h. Ce n’est pas un congé du tout ! Heureusement j’ai rencontré mon mari, il est vraiment bien. Je suis tombée en enceinte et quand ma belle-mère l’a su elle m’a dit de me marier tout de suite parce que ce n’est pas bien. Mon mari est musulman et moi je suis chrétienne. On a fait le mariage en cachette pour que personne ne le sache, seulement la famille de mon mari. Puis, je me suis enfuie et, jusqu’à maintenant, ma patronne ne m’a pas rendue mon passeport. Pourtant j’ai fini mon contrat. Il n’y a pas un jour que je n’ai pas fait. Elle doit encore me verser mon salaire car quand je lui demandais mon salaire chaque mois, elle me disait qu’elle n’avait pas d’argent, que son travail ne marchait pas, que j’étais comme une princesse à la maison, que tout était venu sur un plateau d’argent. Mais c’est elle qui m’a fait venir ! Je ne lui ai pas demandé de me faire venir ! Si elle n’avait pas d’argent, pourquoi elle m’a fait venir ? Aussi quand il y avait quelque chose qui n’allait pas, parce qu’on est humains, on fait des fautes parfois, elle venait pour m’étrangler ! Par deux fois, elle a pris un couteau et m’a menacée ! Je n’ai rien dit car j’étais sous le contrat. Je n’aime pas me battre. J’attendais de finir mon contrat pour m’en aller. J’ai fui pendant mon jour de congé, je ne suis pas revenue. » »
Pauline Jouvet
[1] JUREIDINI Ray et MOUKARBEL Nayla, « Female Sri Lankan Domestic Workers in Lebanon : a case of ‘contract slavery’ ? », Journal of Ethnic and Migration Studies, Vol. 30, N°4, July 2004, pp.581-607.
c’est déplorable ce que nos soeurs vivent de ce côté là.
si ces libanais là pouvaient comprendre que ces femmes sont les humains et non les animaux ils doivent leur donner le minimum du respect car Dieu qui nous a créés nous donne une ceraine considération plus que les animaux.